La modélisation des robots polyarticulés
Un robot est un manipulateur commandé en position, reprogrammable, polyvalent, à plusieurs degrés de liberté, capable de manipuler des matériaux, des pièces, des outils et des dispositifs spécialisés, au cours de mouvements variables et programmés pour l’exécution d’une variété de tâches. Il a souvent l’apparence d’un ou plusieurs bras se terminant par un poignet . Un robot manipulateur est constitué par deux sous-ensemble distincts, une structure mécanique articulée et un organe terminal. A cela s’ajoute la pièce à manipuler. Dans ce cas, on parle d’une cellule robotisée (Cf. figure 1.1). Les manipulateurs anthropomorphes 6 axes sériels représentent les robots les plus utilisés dans l’industrie manufacturière. Leurs architectures est particulièrement adaptée à des opérations ne nécessitant pas une précision très élevée.
Précision : notions et définitions
Dans cette partie nous introduisons quelques définitions couramment utilisées dans l’analyse de performances relatives aux capacités de positionnement d’un robot manipulateur. Les critères de performances ainsi que les méthodes d’essais correspondants aux robots industriels sont fournis par la norme ISO 9283 [ISO, 1998]. Cette norme donne les définitions de la répétabilité et de l’exactitude de pose. Elle est toujours utile lorsque l’on cherche à identifier les différentes causes des erreurs de position et d’orientation de l’organe terminal d’un robot. Cependant, elle doit être associée à d’autres définitions complémentaires tirées des normes métrologiques.
Fidélité ou répétabilité
La fidélité est définie comme étant l’aptitude à donner, pour une même mesure, des valeurs semblables [Corbel, 2008]. On distingue deux niveaux de fidélité en métrologie : la répétabilité et la reproductibilité. La différence entre ces deux termes réside dans les conditions expérimentales. Dans le cadre de la répétabilité, les résultats sont obtenus par la même méthode, sur des essais identiques, dans le même laboratoire, par le même opérateur utilisant le même équipement et pendant un intervalle de temps bien déterminé. Dans le cadre de la reproductibilité, les résultats sont obtenus par la même méthode, sur des essais identiques, dans différents laboratoires, avec différents opérateurs utilisant des équipements différents. Dans la suite nous nous intéressons particulièrement à la répétabilité. Pour un robot, la répétabilité caractérise la dispersion des poses atteintes par le robot lorsque celui-ci est commandé pour atteindre plusieurs fois le même point. Il est très difficile d’intervenir sur la fidélité d’un robot. En effet, les causes d’une mauvaise fidélité sont issues des phénomènes aléatoires tels que les jeux, les frottements, l’usure au niveau des liaisons. Il est possible de soigner la réalisation des liaisons néanmoins il est impossible d’éliminer tous les phénomènes qui pénalisent la répétabilité. A cela s’ajoute la précision qui est définie comme la capacité du robot à se déplacer précisément à une position désirée dans l’espace 3D. Le couple précision et répétabilité décrit, de ce fait, la capacité d’un robot à atteindre une consigne désirée avec le minimum de variance .
Justesse et exactitude
La justesse ou biais de mesure désigne l’étroitesse de l’accord entre la valeur moyenne obtenue à partir d’une large série de résultats d’essais et une valeur de référence acceptée. Cependant, il ne faut pas la confondre avec l’exactitude. Cette dernière désigne une seule valeur mesurée comparée à une valeur de référence donnée. Par conséquent, la mesure de l’exactitude n’est que l’erreur de pose du robot ou autrement dit, la mesure de la précision statique du robot comme indiqué dans la norme citée précédemment. L’erreur d’exactitude de pose des robots industriels est de quelques millimètres. L’origine de cette erreur se manifeste par plusieurs facteurs structurels et géométriques. Quant aux facteurs structurels on distingue les défauts dû à la charge transportée, les problèmes de frottements, les jeux mécaniques, les dérives thermiques et le positionnement de chaque bras par rapport aux autres. Concernant les défauts géométriques, ils sont souvent associés avec les défauts d’offset des axes accompagnés d’un mauvais paramétrage du modèle géométrique et de la définition du repère de l’organe terminal dans l’espace.
A cela s’ajoute la précision dynamique ou le problème de suivi de trajectoire (Cf. figure 1.3). Cette précision est affectée par les mêmes sources citées auparavant auxquelles s’ajoutent l’inertie, les paramètres des asservissements et les problèmes d’élasticité articulaires qui engendrent un comportement vibratoire. En effet, le long de sa trajectoire programmée, l’effecteur subit une déviation tout en restant dans une zone d’incertitude appelée incertitude dynamique. Cette incertitude dépend essentiellement :
– des défauts de transmission de chaque articulation et des souplesses des bras,
– de l’architecture du manipulateur.
Plusieurs méthodes ont été développées pour remédier à ce problème d’imprécision et permettent de corriger les principaux défauts des robots sériels. Les solutions les plus répandues dans l’industrie sont l’étalonnage ou la calibration du robot. La calibration est la solution qui permet d’améliorer la précision statique du positionnement du robot sans aucune modification de la structure mécanique ou de la conception du robot lui-même. De façon générale, l’étalonnage permet de mettre à jour dans la commande les valeurs nominales des paramètres géométriques données par le constructeur. Cette opération nécessite bien évidemment un système de mesure externe. Il s’agit généralement d’un système de mesure 3D tel que le laser tracker ou un système photogrammetric [Maas, 1997]. Une fois les mesures réalisées, l’opération consiste alors à déterminer l’écart entre un modèle géométrique donné et des données expérimentales sur le robot afin d’optimiser les paramètres relatifs. Cette opération permet d’améliorer d’environ 97% la précision statique des manipulateurs [Conrad et al., 2000].
Une autre solution consiste à installer des codeurs supplémentaires en bout d’axe du robot afin de mesurer les défauts de la chaîne de transmission. Le retour codeur sera injecté systématiquement dans la boucle de commande en amont [Ruderman et al., 2009]. Ce type de solution augmente le prix du robot et pose de nouveaux problèmes technologiques notamment des problèmes de stabilité. Une troisième approche se base sur l’élaboration d’un modèle comportemental permettant de générer une commande adaptée et permettant de compenser une grande partie des erreurs de poursuite en dynamique. Nous proposons dans la suite de ce chapitre de développer une modélisation élasto-dynamique d’un manipulateur industriel.
Modélisation Géométrique des Robots Manipulateurs
Définition de la situation de l’organe terminal
La définition de la situation de l’organe terminal du robot nécessite la connaissance de sa position et de son orientation usuellement connues sous le vocable de la pose du robot. Le nombre de paramètres requis pour la définition complète de la pose d’un corps rigide dans l’espace est six : trois pour la position et trois pour l’orientation. Quant à la définition de la position, nous adoptons les coordonnées cartésiennes qui sont les plus simples à utiliser. D’autres représentations existent aussi telles que les coordonnées cylindriques et sphériques. Concernant la définition de l’orientation de l’organe terminal, plusieurs conventions sont présentées dans la littérature [Sanz, 2009] :
– Angles d’Euler ;
– Angle plus vecteur ;
– Quaternion ;
– Matrice de rotation ou cosinus directeurs.
La représentation minimale de l’orientation est définie par trois paramètres tels que les angles d’Euler. La plus courante des représentations non-minimale est la matrice de rotation à neuf composantes. La représentation par quaternion ou par angle plus vecteur sont des représentations à quatre composantes, une de plus que les angles d’Euler. Les avantages de l’utilisation des quaternions sont largement exposés dans [Funda et al., 1990], tandis que [Campa et al., 2006] proposent une modélisation cinématique et une stratégie de contrôle basées sur les quaternions unitaires d’un poignet rotule d’un robot manipulateur. Une comparaison entre les différents formalismes est proposée dans [Campa and De la Torre, 2009]. Dans ce qui suit, nous introduisons les méthodes classiques de paramétrage pour les structures sérielles.
Les paramètres géométriques
Dans la littérature, il existe plusieurs conventions pour définir la position ainsi que l’orientation relative de repères successifs. La technique la plus répandue pour modéliser un robot manipulateur consiste à utiliser les paramètres de Denavit-Hartenberg, valable pour les structures ouvertes simples [Spong and Vidyasagar, 1989]. Cette convention utilise quatre paramètres pour la localisation relative de deux repères successifs : deux angles et deux distances.
Modèle Dynamique des Robots Manipulateurs
Le modèle dynamique d’un robot manipulateur est donné par l’ensemble des relations mathématiques entre les couples (forces) appliquées aux actionneurs et l’évolution temporelle des positions, vitesses et accélérations articulaires [Shabana, 2003]. Diverses définitions sont adoptées pour décrire la dynamique des systèmes multi-corps, [Grote and Antonsson, 2009]. On distingue deux types de modèles dynamiques :
– Le modèle dynamique direct qui exprime les accélérations articulaires en fonction des positions, vitesses et couples des articulations ;
– Le modèle dynamique inverse, ou tout simplement modèle dynamique, la relation qui exprime les couples en fonctions des variables articulaires. En général, le modèle dynamique est utilisé pour la simulation, la synthèse des contrôleurs, la conception mécanique des éléments de transmission. Quelques algorithmes de contrôle/commande exigent que le problème de la dynamique inverse soit résolu. Cela signifie que le couple moteur est calculé à partir des déplacements souhaités et ses dérivées successives. Cependant, pour la simulation, les équations différentielles du modèle doivent être résolues sachant que l’entrée du système correspond au couple fourni par les actionneurs, [Siciliano and Khatib, 2008].
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Table des matières
Introduction générale
1 La modélisation des robots polyarticulés
1 Introduction
2 Précision : notions et définitions
2.1 Fidélité ou répétabilité
2.2 Justesse et exactitude
3 Modélisation Géométrique des Robots Manipulateurs
3.1 Définition de la situation de l’organe terminal
3.2 Les paramètres géométriques
3.3 Matrice de transformation homogène
3.4 Expression du modèle géométrique direct
4 Modèle cinématique
5 Modèle Dynamique des Robots Manipulateurs
5.1 Démarche générale de modélisation dynamique
5.2 Modèle de comportement
5.3 Modélisation dynamique rigide
5.3.1 Expression de l’énergie cinétique
5.3.2 Prise en compte des inerties de la chaîne d’actionnement
5.3.3 Expression de l’énergie potentielle
5.3.4 Génération des équations du mouvement
5.3.5 Calcul des éléments de C et G du modèle dynamique
5.4 Modélisation dynamique flexible
5.4.1 Hypothèses de modélisation
5.4.2 Énergie cinétique du modèle dynamique flexible
5.4.3 Énergie potentielle du modèle dynamique flexible
5.5 Éléments de transmission non linéaire
6 Conclusion
2 Identification de systèmes. Application aux robots manipulateurs
1 Introduction
1.1 Procédure d’estimation des systèmes
1.2 Structures des modèles physiques
2 Méthodes d’identification pour les modèles temporels
2.1 Prédiction paramétrique par les approches asymptotiques
2.1.1 Algorithme d’optimisation paramétrique
2.1.2 Les méthodes des moindres carrés
2.1.3 Les méthodes à variables instrumentales
2.1.4 Filtre de Kalman Bucy
2.2 Prédiction paramétrique par les approches non-asymptotique
2.2.1 Structure générale d’un estimateur paramétrique algébrique et mise en oeuvre
3 Estimation algébrique de la fréquence
3.1 Méthode d’estimation de la fréquence
3.2 Analyse statistique de l’estimateur
3.2.1 Estimation pour une fenêtre fixée
3.3 Estimation à fenêtre glissante
3.3.1 Cas sans bruit
3.3.2 Cas avec bruit
3.3.3 Cas d’une fenêtre glissante : estimation causale
4 Etude détaillée de l’estimation paramétrique d’un système mécanique souple
4.1 Cadre d’étude et motivation
4.2 Positionnement du problème
4.3 Estimation par le filtre de Kalman-Bucy
4.3.1 Analyse de la variance
4.3.2 Influence du facteur d’oubli λ sur la convergence de l’estimateur
4.3.3 La trajectoire d’entrée optimale
4.4 Estimation par la technique algébrique
5 Simulations et analyse
5.1 Etude comparative et analyse des performances
5.2 Motivation dans le choix de la méthode d’identification
5.3 Détection non asymptotique de la variation paramétrique
5.3.1 Détection du changement brusque de fréquence
5.3.2 Vers la détection d’une variation linéaire de la fréquence
6 Conclusion
3 Etude de l’influence des phénomènes dynamiques sur un axe d’un robot industriel
1 Introduction
2 Constat expérimental du comportement dynamique d’un axe de robot et proposition d’un modèle représentatif
2.1 Axe étudié et moyens de mesures
2.1.1 Axe du robot considéré
2.1.2 Moyens de mesure associés
2.2 Développement du protocole d’essai
2.3 Mise en évidence des phénomènes vibratoires
2.3.1 Contribution de la déformation des bras
2.3.2 Contribution du système de compensation de gravité
2.3.3 Modèle générique d’axe à paramètres localisés
3 Estimation des effets associés à la gravité
4 Estimation des forces de frottements
4.1 Caractérisation du couple de frottement sec
4.1.1 Validation du couple gravitationnel et de frottement sec à travers
les essais en zone de pré-glissement
4.2 Influence du frottement en zone de pré-glissements sur la précision statique du robot
4.3 Estimation du couple de frottement total
4.3.1 Modélisation : méthode et pratique
4.3.2 Procédure d’identification du couple de frottement
5 Estimation du moment d’inertie du bras
6 Evaluation expérimentale du modèle dynamique rigide
6.1 Validation par estimation séquentielle des paramètres physiques
6.2 Validation par une estimation simultanée des paramètres
7 Intégration du comportement vibratoire de l’axe
7.1 Modèle générique de souplesse prépondérante
7.2 Analyse expérimentale des phénomènes vibratoires
7.3 Estimation paramétrique expérimentale
7.3.1 Méthode de calcul des périodes
7.3.2 Estimation de la fréquence modale par Transformée de Fourier Rapide
7.3.3 Estimation du coefficient d’amortissement
7.3.4 Estimation en ligne de la fréquence et du coefficient d’amortissement
7.3.5 Expressions de l’estimateur algébrique
7.3.6 Calcul de la variabilité de la raideur équivalente et l’amortissement de l’axe
7.4 Validation temporelle du modèle dynamique souple
8 Bilan sur la compréhension des phénomènes physiques et la modélisation générique d’un axe souple
Conclusion générale