Les apprentissages permettent de grandir: apprendre à marcher et à parler sont naturels et pour réussir, il suffit de franchir le pas. Mais pour la lecture et l’écriture, la démarche n’est pas aussi simple pour tous. C’est la tâche primordiale de l’école mais la famille doit se sentir impliquée si l’on souhaite former des citoyens responsables. Comme le dit Roland Barthes: «Ma conviction constante et profonde est qu’il ne sera jamais possible de libérer la lecture, si d’un même mouvement nous ne libérons pas l’écriture. » Effectivement, la lecture et l’écriture intiment liée ont besoin de cette liberté pour être exercées pleinement et avec plaisir. Elles doivent être accompagnées et menées en parallèle pour pouvoir s’exprimer. La littérature jeunesse peut être porteuse et en élargissant l’imaginaire des enfants, elle peut les amener à avoir envie d’écrire. Les questions suivantes: Comment les élèves qui ne savent pas encore lire peuvent-ils écrire? Comment écrire peut aider les élèves à lire? Les différents jets permettent-ils aux élèves de prendre conscience des richesses langagières? m’ont interpelées et mobilisées pour mener un projet de lecture en réseau et d’écriture. En quoi la mise en réseau d’albums permet à tous les élèves d’améliorer leurs écrits? Dans une première partie, je m’interrogerai sur l’articulation du lire et écrire à l’école puis j’expliquerai en quoi la littérature jeunesse m’a semblé être une ressource intéressante. Enfin, j’analyserai la démarche mise en œuvre dans ma classe.
LIRE ET ÉCRIRE À L’ÉCOLE
Des constats dans ma classe
Ayant en charge une classe de CE1 de 29 élèves, je suis partie du constat que l’entrée dans l’écrit n’était naturellement pas la même pour tous. L’hétérogénéité de la classe s’explique par le nombre d’élèves, mais également par les spécificités de l’école qui relevait de l’éducation prioritaire jusqu’en 2015, située dans un quartier en pleine mutation. Les élèves sont issus de milieux sociaux et culturels très différents les uns des autres, 25% d’entre eux sont issus de familles allophones, inclusion dans les classes UPE2A et en ULIS. De ce fait, certains enfants maîtrisaient encore peu la langue française à l’oral comme à l’écrit, le rapport aux livres n’était pas le même pour tous. Quelques élèves « petits lecteurs » bloquaient face à l’acte d’écrire. La production d’écrits implique une activité complexe pour les élèves parce qu’elle met en corrélation les différentes compétences (langage, orthographe) dans une même tâche et par ailleurs elle dépend également de leur personnalité (certains enfants n’osent pas écrire). Les enfants peu autonomes manquent d’assurance, de confiance en leur capacité ou tout simplement sont timides et n’osent pas s’exprimer. Produire un écrit est intimement lié à la lecture c’est pourquoi un enfant qui reste encore dans le déchiffrage et qui n’a pas accès au sens, produit peu ou pas de manière autonome. Proposer aux élèves une rencontre avec un auteur/illustrateur de littérature jeunesse peut contribuer à étayer une pensée, favoriser la mise en place d’idées, renforcer l’ouverture vers un monde imaginaire. Construire et expérimenter des outils sont des éléments qui contribuent à surmonter les difficultés. En début d’année, la classe était composée de non-lecteurs (2), de petits lecteurs (4), de lecteurs (17) de lecteurs-experts (6) donc des élèves avec un comportement différent face aux livres. La priorité était donc une amélioration de la compréhension fine en lecture, notamment en renforçant le lexique tout en gérant l’hétérogénéité du groupe classe. Mon intention d’exploiter la littérature jeunesse avait pour objectif de permettre à tous les élèves d’enrichir leur patrimoine littéraire, de découvrir, de rencontrer et d’échanger avec un auteur/illustrateur, de leur donner envie d’écrire à un destinataire, de leur donner les moyens d’améliorer une production face à des contraintes, de développer le plaisir de lire.
Les instructions officielles
L’école française est régie par les programmes nationaux de 2008, documents publiés au bulletin officiel de l’Éducation Nationale. Dans ces programmes, il est préconisé de faire un lien étroit entre la lecture et l’écriture, une articulation est nécessaire pour l’acquisition de la double compétence. En effet, à l’école, au travers de la lecture de textes du patrimoine et d’œuvres, les élèves accèdent à une première culture littéraire. Ils rédigent progressivement de manière autonome des textes courts ce qui suppose de rechercher et d’organiser les idées, de choisir le vocabulaire adéquat, de construire et d’enchaîner des phrases tout en prêtant attention à l’orthographe. Selon ce même BO , les repères de progressivité en CE1 sont, pour la lecture:
♦ Lire ou écouter lire des œuvres de littérature de jeunesse et rendre compte de sa lecture; et pour l’écriture:
♦ Concevoir et écrire de manière autonome une phrase simple cohérente, puis plusieurs, puis un texte narratif ou explicatif de 5 à 10 lignes;
♦ Relire sa production et la corriger; corriger en fonction des indications données un texte copié ou rédigé de manière autonome. En prenant en compte ces trois repères, la problématique de ce mémoire correspond aux compétences attendues en fin de CE1.
D’après la nouvelle proposition de programme applicable à la rentrée 2016 , les cycles ont été modifiés et le CE1 n’est plus la dernière année. Le CE2 est intégré dans le cycle 2 et les attendus sont les suivants:
♦ Lire et comprendre des textes adaptés à la maturité et à la culture scolaire des élèves;
♦ Rédiger un texte d’environ une demi-page, cohérent, organisé, ponctué, pertinent par rapport à la visée et au destinataire;
♦ Améliorer une production, notamment l’orthographe, en tenant compte d’indications.
Une analyse comparée des deux propositions, nous conduit au constat suivant: il n’y a pas de grands changements mais plutôt des précisions par rapport aux attendus et l’inclusion du destinataire de l’écrit absent en 2008. L’objectif pour tout enseignant est donc de permettre à tous les élèves d’acquérir les compétences nécessaires pour produire des textes cohérents, clairs, être capable d’enrichir les productions mais également de fixer des objectifs à l’écrit: communiquer, réfléchir, imaginer, penser.
Dans les nouveaux programmes, les objectifs prioritaires du cycle des apprentissages fondamentaux sont fixés sur l’apprentissage de la lecture, l’écriture et la maîtrise de la langue française. La langue française constitue l’objet d’apprentissage central. Au cycle 2, ce qu’un élève est capable de comprendre et de produire à l’oral est d’un niveau très supérieur à ce qu’il est capable de comprendre et de produire à l’écrit. En effet, les élèves utilisent l’oral depuis leur plus jeune âge, alors que l’écrit exige une maîtrise du geste graphique et du code écrit qui survient plus tard. Mais l’oral et l’écrit sont très liés. Et au cours du cycle 2, les élèves ont accès à l’écrit structuré, en production et en lecturecompréhension. Les élèves apprennent que parler ou écrire, c’est à la fois traduire ce qu’on pense et respecter des règles, c’est être libre sur le fond mais contraint sur la forme.
Les préconisations des pédagogues
Le constat en lecture/écriture
Évoqué par de nombreux pédagogues et cité dans différentes enquêtes (PISA, CNESCO), les écoliers français sont en chute dans leur performance en lecture/compréhension. Dans les derniers articles parus dans le café pédagogique , 39% des élèves quittent l’école primaire sans être capable de dégager le thème principal d’un texte ou de lier des informations séparées dans ce texte. Selon Roland Goigoux, les difficultés qui étaient basées sur le déchiffrage se sont progressivement déplacées vers la compréhension. L’école, responsable, doit prioritairement centrer ses apprentissages vers le sens de la lecture comme moteur premier. La lecture qui doit développer le plaisir de lire, le lire pour s’exprimer, le lire afin de développer le vocabulaire et la compréhension et le lire en tant que partage. Développer le plaisir de lire c’est favoriser l’entraînement et l’autonomie de l’apprentissage des élèves. Utiliser la lecture en tant qu’expression, c’est prolonger l’apprentissage phonologique et l’étude des graphèmes-phonèmes en cycle 3 mais aussi travailler la mise en voix de texte. La lecture en tant que vecteur d’expression par le développement du vocabulaire, l’identification des mots, la sensibilisation à la nature des textes, la lecture à voix haute et le travail systématique d’écriture de textes. La lecture doit s’accompagner de l’écriture et de la parole. La prise en compte de cette dernière dans sa diversité peut permettre aux élèves de découvrir la richesse lexicale. L’école doit également intégrer les parents et les faire participer à l’apprentissage de la lecture afin de diminuer les inégalités d’accès à la lecture et d’impliquer tous les acteurs. C’est en favorisant leur rapport aux livres que les élèves pourront progressivement valoriser la lecture et l’inclure à la maison.
Écrire, un acte difficile
Selon Philippe Meirieu , il est difficile d’écrire car il s’agit de donner une image de soi face aux autres, un peu comme une mise à nu de soi-même. Comme tout apprentissage, les enfants ont besoin d’être guidé car c’est un chemin long et laborieux. Il faut franchir le pas pour apprendre et donc écrire. Le statut de l’écrit est particulier parce qu’il impose une clarté et une précision qui ne sont pas exigées à l’oral. L’oral est en direct et peut être pour sa part approximatif, il est possible de repréciser son discours si nécessaire. L’écrit pour sa part n’est pas immédiat, le destinataire absent n’est que mentalement présent, d’où l’obligation d’une clarté et précision parfaite.
L’écrit a aussi changé de statut au fil des années, de synonyme de «culture», il est passé à un moyen de communication omniprésent dans notre quotidien, surtout à l’ère du numérique. Mais comme le cite Eveline Charmeux , l’enseignement de l’écrit est confus: il faut différencier le geste graphique qui requiert un apprentissage précis du maintien, du geste et de la rapidité et écrire: produire des textes. Dans les programmes, ces deux axes de l’écrit sont peu différenciés. Pour enseigner l’apprentissage de l’écrit, il faut distinguer les situations fonctionnelles où l’écrit sera un moyen et les activités de structuration c’est à dire les moments d’apprentissage où l’écrit sera un réinvestissement direct du travail en étude de la langue. Pour écrire, les élèves doivent prendre conscience de son utilité et de ses fonctions. Ils doivent avoir une représentation positive de l’écrit pour pouvoir oser, prendre des risques. «Il faut que les enfants trouvent leur place dans ce monde de l’écrit, non plus seulement comme lecteurs et récepteurs mais comme producteurs, comme éditeurs et comme diffuseurs » comme le cite le Groupe de recherche d’Écouen . C’est la raison pour laquelle, il est nécessaire de proposer des situations d’écrit dans lesquelles les élèves deviennent acteurs en produisant des écrits qui ont du sens et de l’utilité pour eux. Si les élèves découvrent, discutent et décident ensemble puis réalisent, alors des situations propices aux apprentissages sont créées. C’est la base de la pédagogie de projet, «Learning by doing» comme l’intitulait Dewey, les élèves apprennent par et dans l’action. Leurs décisions aboutissent à partir d’un choix qui leur est propre et ils s’engagent en assumant leurs choix. C’est naturellement une source de motivation pour les élèves parce qu’ils se sentent impliqués et cette pédagogie prend en compte leurs compétences initiales et favorise le développement de l’autonomie et de l’initiative.
L’apport de la littérature de jeunesse
La littérature de jeunesse
De tradition orale à ses débuts, la littérature jeunesse existe depuis longtemps et se transmettait autour d’un feu. Les manuscrits étaient rares et coûteux. Au XVII ème siècle, Charles Perrault publie Histoires ou récits du temps passé avec des moralités comme Les Contes de ma mère l’Oye . À cette époque, les enfants découvraient la littérature grâce à leur maître d’école qu’ils écoutaient. Progressivement, cette tradition orale a été remplacée par des lectures d’ouvrages devenus plus nombreux mais aussi plus accessibles à un plus grand nombre. En 1931, Paul Faucher crée les albums du Père Castor dont l’objectif premier est de permettre aux enfants dès le plus jeune âge de consulter les livres, se les approprier et développer le plaisir de lire seul. En 1939, Marcel Aymé écrit Les Contes du Chat perché destiné à un large public . En 1977, le marché du livre de poche se développent pour les enfants, les jeunes. De ce fait, la littérature jeunesse multiplie ses publications et se diversifie dans les thématiques touchant à la vie quotidienne des enfants: le racisme, la guerre, l’amitié, la fratrie, l’alimentation… Elle acquiert alors une nouvelle place à part entière dans la culture commune. Les propositions de livres de littérature sont d’une grande variété pour tous les âges. Cette littérature présente l’avantage de proposer aux enfants des situations de lecture authentiques, de permettre simultanément le développement de l’imaginaire et de favoriser la création d’une culture littéraire commune à tous. La littérature de jeunesse intègre officiellement les programmes de l’éducation nationale en 2002. Depuis, une liste de titres est disponible sur le site du ministère de l’Education Nationale. La littérature jeunesse est un outil éducatif évident, elle est un moteur, un déclencheur de processus de débat, de réflexion, de compréhension. C’est un outil éducatif mais il ne doit pas se réduire qu’à cela. L’album favorise la découverte de textes, l’interprétation d’un message, le décodage d’un récit mais aussi le plaisir de s’évader du réel.
Les albums
Même s’il existe des albums sans image et d’autres sans texte, la plupart d’entre eux allie les deux. L’album est une forme littéraire caractérisée par l’utilisation conjointe de l’image et du texte. Sous l’appellation album se cache une grande variété de livres; les livresjeux pour les tout-petits, les imagiers, les abécédaires, les albums narratifs et documentaires… L’album littéraire stimule l’imaginaire de l’enfant, il contient une double narration opérée par le texte et les illustrations. Il aborde des thèmes quotidiens en rapport avec le réel de l’enfant et ses centres d’intérêt. L’album utilise des structures syntaxiques spécifiques pour l’apprentissage de la langue écrite avant de savoir lire. L’album de jeunesse est une première entrée dans la lecture. Ce sont des ouvrages porteurs de sens, de culture mais aussi synonyme de divertissement. Ils peuvent servir d’amorce pour une étude culturelle car il y a un monde de références, des constructions d’images mentales, du décodage, des références historiques et patrimoniales. Mais les albums sont aussi une manière d’entrée langagière et linguistique grâce au genre littéraire et au discours écrit. Les albums de jeunesse vont donc servir de prétexte à des activités d’apprentissage (écrire à la manière de, écrire le début/la fin de l’histoire, inventer des péripéties, imaginer une suite différente…). L’album de jeunesse est donc un support de qualité pour enrichir l’intellectualité de l’enfant et un support de travail (compréhension du langage écrit, communication orale et maîtrise de la langue autour de l’album, activité pour aider à construire du sens, enrichir son langage, acquisition de formulation, syntaxe en lien direct avec la maîtrise de la langue) qui sert comme instrument de la pédagogie.
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Table des matières
Introduction
1. Lire et écrire à l’école
1.1 Des constats dans ma classe
1.2 Les instructions officielles
1.3 Les préconisations des pédagogues
a. Le constat en lecture/écriture
b. Ecrire une acte difficile
2. Littérature et imaginaire
2.1 L’apport de la littérature de jeunesse
a. La littérature de jeunesse
b. Les albums
c. L’apport de l’écriture sur la lecture
2.2 La littérature en réseau
a. Les albums et les différentes approches
b. La rencontre avec Adrien Albert
3. Expérimentation
3.1 Une séquence de projection à partir de l’album Papa sur la Lune
a. La consigne
b. Les outils
c. La grille d’écriture
d. L’organisation temporelle
e. Le laboratoire d’écriture
3.2 Production d’écrits à partir de l’album Seigneur Lapin
a. La consigne
b. Les outils
c. La grille de relecture
d. L’organisation temporelle et les modalités de travail
e. Le laboratoire d’écriture
3.3 Construction d’une méthode pour une culture commune
a. Des outils pour la construction et l’évaluation de la production d’écrits
Les grilles d’écriture
Les outils
b. Les limites de l’accompagnement dans la production de textes
Les éléments permettant à l’enseignant de considérer le texte achevé
L’interruption de la séquence de production
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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