Lorsque j’interrogeai une enseignante du secondaire sur les appétences de ses élèves de 6ème en anglais, celle-ci me répondit que beaucoup d’entre eux déclaraient ne pas aimer cette matière : « certains à la rentrée m’ont clairement dit qu’ils détestaient l’anglais, qu’ils trouvaient cette matière ennuyante ». Je fus assez étonnée de ces propos, l’anglais, matière à priori ludique, engendrerait chez les élèves un certain désamour pour cette langue. De manière plus quantitative, les études nationales montrent en effet que les langues arrivent à la 4ème voire à la 5ème position des matières les plus aimées à l’école (derrière les mathématiques, le français ou l’histoire-géo) . En parallèle, j’observais chez mes collègues de primaire un désintérêt voire une aversion pour cette discipline lorsque je les interrogeais sur leurs pratiques dans ce domaine, déclarant ne pas avoir le temps ou le niveau pour l’enseigner. Ce que j’avais perçu localement se confirmait de manière nationale, l’étude du CNESCO sur les langues vivantes en 2019 avait certes mis en avant une quasi-généralisation des cours de langue au primaire mais notait cependant des horaires et des activités pédagogiques disparates et parfois éloignés des attendus des programmes, pointant le manque de formation continue. Cette même étude révélait les améliorations récentes du niveau de langue chez les élèves en fin de cycle 3, surtout à l’écrit, mais les opposait aux réelles difficultés de compréhension orale. En effet, en fin de primaire, en anglais, seul un élève sur deux maitrise la syntaxe des questions et des phrases simples. D’autre part, le rapport notait les lacunes en termes d’expression orale en continu, exposant la difficulté à mobiliser le lexique de base, pourtant reconnu à l’écrit , mais aussi le manque d’occasion de pratiquer la langue orale. Dès lors, mes interrogations se portaient sur la didactique de l’anglais et sur les manières possibles d’améliorer les compétences en termes de compréhension orale mais aussi d’expression en continu. En effet, le CNESCO préconise de développer les compétences d’expression des élèves dès le primaire dans une langue étrangère, ici l’anglais : « à cet âge, la recherche montre que les élèves ont, à la fois, eu le temps de découvrir cette langue et acquis une capacité de raisonnement qui facilite leur capacité à s’exprimer (et non plus seulement à répéter) ». Comment alors favoriser l’interaction orale en langue étrangère entre les élèves ? Et comment augmenter le temps de parole individuel ? Les diverses lectures en didactique des langues m’amenèrent alors du côté de la démarche actionnelle et communicante qui permettrait aux élèves de développer cette compétence orale. Plus précisément, nous nous intéresserons à la pédagogie de projet qui se base sur une action organisée et construite vers un but précis, associant le penser au faire.
Les fondements théoriques
La pédagogie de projet à la base de la démarche
Définition et objectifs
La pédagogie de projet est un type de méthode active où sont assimilées des notions et compétences par l’appropriation et la découverte par l’élève lui-même. C’est ici l’action qui est mise au premier plan et l’élève, apprenant, est vu comme un acteur social. Plus précisément, l’approche par projet induit un ensemble de tâches dans lesquels les élèves peuvent s’impliquer, elle est une entreprise du groupe-classe, donc collective. Pour Perrenoud (2002, cité par Reverdy C., 2013), l’intérêt suscité permet « l’apprentissage de savoirs et de savoir-faire de gestion de projet (décier, planifier, coopérer) et favorise en même temps des apprentissages (…) figurant au programme d’une ou plusieurs disciplines ». Cette pédagogie favorise ainsi une approche interdisciplinaire qui sert à la construction des savoirs. En effet, cette démarche met ainsi en relation différentes formes de savoirs et d’apprentissage (visuelle, kinesthésique, verbale…) mais peut aider à visualiser les interactions entre concepts difficiles et peut aider à la construction de modèles mentaux permettant une meilleure appréhension de ces concepts (Helle et al. 2006, cités par Reverdy C., 2013). D’autre part, cette démarche privilégie des situations concrètes de la vie courante et part d’abord d’un problème : ici «comment communiquer avec des enfants qui ne parlent pas français ? ». L’utilisation de l’anglais est ainsi amenée par la nécessité d’employer une langue commune permettant l’échange et la compréhension de chacun. Dès lors, les élèves apprennent en étant actifs et en gardant un lien avec le monde qui les entoure.
Les effets sur l’apprentissage
Il est en réalité difficile de montrer l’efficacité d’une pratique méthodologique par rapport à une autre, la difficulté est ici d’ordre méthodologique. Cependant, certaines études ont montré que la pédagogie par projet permettait l’acquisition de certaines compétences par rapport à d’autres types de méthodes : une meilleure confiance en soi dans l’acquisition des savoirs, les compétences liées à la collaboration mais aussi la mémorisation des notions acquises .
En effet, le projet met au cœur de sa démarche la coopération dans un but collectif mais qui repose sur la responsabilité individuelle de chacun. Selon Slavin (2010, cité par Reverdy C. 2013), les élèves doivent avoir pleinement conscience de cette responsabilité individuelle afin de s’impliquer dans le projet. L’intérêt n’est pas moindre, selon lui « l’apprentissage coopératif augmente les performances des élèves, et ceci quel que soit le point de vue théorique pris en compte : motivationnel, de cohésion sociale, cognitif-développementaliste ou d’élaboration cognitive ». C’est d’ailleurs cette interaction fondamentale entre les pairs comme fondement de la construction des savoirs dans les théories socio-constructivistes qui est reprise comme élément central chez les penseurs de la pédagogie de projet.
Une application de la démarche par projet à l’enseignement d’une langue vivante étrangère en lien avec les programmes
Germain et Netten (2010) montrent que la didactique des langues revêt trois aspects fondamentaux : l’aspect linguistique (la langue à apprendre), l’aspect pédagogique (les stratégies d’enseignement) mais aussi l’aspect psychologique (l’acquisition de la langue). Or, ces deux derniers aspects ont longtemps été négligés, la langue étant le plus souvent enseignée en tant que savoir plutôt qu’en tant qu’objet de communication. L’apprentissage d’une langue, parce que son objectif est différent des autres matières, requiert donc une pédagogie et une didactique différentes. Selon les deux auteurs, il faut d’abord assurer le développement chez l’élève d’une compétence implicite. Ici par compétence implicite, nous entendons des notions nonconscientes, automatisées et qui sont mobilisées dans des situations de communication fluide. Elle requiert une appropriation non-consciente par une exposition à la langue. En effet, Van Patten (2003) montre que les connaissances explicites (par exemple l’apprentissage et la mémorisation d’une structure grammaticale) sont essentielles mais ne sont pas le moteur principal de l’acquisition. Elles sont coûteuses et demandent une importante sollicitation de la mémoire de travail. Les deux éléments doivent donc être travaillés en parallèle afin d’améliorer l’acquisition de la langue vivante et de développer la compétence « parler en continu ».
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Table des matières
Introduction
1. Les fondements théoriques
1.A. La pédagogie de projet à la base de la démarche
1.A.1. Définition et objectifs
1.A.2. Les effets sur l’apprentissage
1.B. Une application de la démarche par projet à l’enseignement d’une langue vivante étrangère en lien avec les programme
1.B.1. Un accent mis sur l’oral
1.B.2. Une implication affective
1.C. Quelques obstacles actuels à l’application de ces fondements
1.C.1. Le quota-horaire
1.C.2. La continuité des apprentissages
1.C.3. Le contenu des apprentissages
1.C.4. Pédagogie par projet, programmes et normes scolaires
1.C.5. Les limites matérielles : une pédagogie par projet au rabais ?
2. L’application de ces fondements : le projet Little Travellers
2.A. Présentation du projet
2.A.1. Un projet porté par la plateforme eTwinning
2.A.2. Le calendrier des apprentissages
2.B.Analyses et résultats du projet
2. B. 1. Les critères d’observation
2. B. 2. Les évolutions dans la gestion du projet
2. B. 3 Pédagogie par projet et acquisition de compétences
2.B.4. L’évolution positive de la prise de parole…
2.B.5. …et de l’appétence des élèves pour l’anglais ?
2.B.6. La motivation : un critère à relativiser
Conclusion
Bibliographie
Annexes