Les ceintures de comportement
Comme nous le disions prรฉcรฉdemment, cโest F. Oury (amateur de judo par ailleurs) qui eut lโidรฉe de mettre en place des ceintures de comportement pour symboliser des attitudes plus ou moins responsables.
Dans notre classe, il y a 4 ceintures possibles : blanche, jaune, orange, et verte. A chaque couleur de ceinture correspond une liste claire de droits et de devoirs (cf. Annexes D3).
Lorsquโun รฉlรจve se sent prรชt ร passer ร la ceinture plus ยซ foncรฉe ยป, il en fait la demande et cette derniรจre est รฉtudiรฉe par le groupe lors dโun prochain conseil. Si les membres du conseil estiment que cet รฉlรจve est capable de respecter les devoirs liรฉs ร la ceinture visรฉe, il change de couleur et accรจde alors ร de nouveaux droits mais รฉgalement ร de nouvelles responsabilitรฉs.
On ne peut pas se voir retirer sa ceinture. En revanche, en cas de manquement ร lโune des rรจgles inhรฉrentes ร une ceinture, cette derniรจre peut รชtre ยซ gelรฉe ยป. Lโรฉlรจve en question perd donc provisoirement ses droits.
Dans lโidรฉe de favoriser la coopรฉration dans la classe, les รฉlรจves aux ceintures ยซ foncรฉes ยป sont incitรฉs ร davantage de solidaritรฉ, de bienveillance, dโaide dans la rรฉsolution de conflits ou pour permettre ร un autre รฉlรจve de progresser, etcโฆ Par exemple, lorsquโun รฉlรจve demande ร passer une ceinture plus foncรฉe mais que le conseil estime quโil nโen est pas encore capable, on identifie le ou les points dโamรฉlioration nรฉcessaire(s) et il nโest pas rare quโun รฉlรจve ร la ceinture foncรฉe (volontaire) soit nommรฉ pour aider le premier dans cette tรขche afin quโil puisse redemander ร passer sa ceinture au conseil suivant.
Les responsabilitรฉs
Citant Renรฉ Laffitte, S. Connac รฉcrit ยซ Lโenfant ne sโintรจgre au groupe que lorsquโil sโy sent nรฉcessaire. Cโest sa fonction qui le fait reconnaitre par les autres. ยป
Or cโest bien de fonctions dont il est question dans notre classe :
– Des mรฉtiers dโabord, confรฉrant ร lโรฉlรจve ยซ non seulement un rรดle au sein du groupe, mais รฉgalement un statut ยป
. Lโutilitรฉ (ou la nรฉcessitรฉ) de chaque mรฉtier est dรฉcidรฉe en conseil et il est attribuรฉ ร lโรฉlรจve qui en fait la demande (aprรจs acceptation du conseil lร encore). Chaque รฉlรจve peut ensuite demander ร changer de mรฉtier. Sa demande est soumise au groupe lors du conseil suivant. Il doit alors trouver quelquโun qui accepte dโรฉchanger son mรฉtier avec le sien.
– La fonction de ยซ chef dโรฉquipe ยป ensuite. Comme nous le verrons plus avant, la classe est (physiquement) organisรฉe en ilots. Chaque ilot forme une ยซ รฉquipe ยป hรฉtรฉrogรจne (niveau, sexe, origine socio-culturelle, โฆ), partageant un certain nombre de choses (allant du matรฉriel de classe ร la rรฉalisation de certaines activitรฉs). Le chef dโรฉquipe devient alors une sorte de rรฉfรฉrent pour son ilot. Il doit veiller ร la bonne gestion du matรฉriel, servir dโinterface รฉventuelle entre les membres de son ยซ รฉquipe ยป et lโenseignant (ex : ยซ quand tout le monde est prรชt, le chef dโรฉquipe lรจve la main ยป), montrer le bon exemple, etcโฆ
Cโest une fonction valorisante pour lโรฉlรจve dรฉsignรฉ mais รฉgalement trรจs exigeante et nous faisons donc en sorte de changer assez rรฉguliรจrement les chefs dโรฉquipe (et les รฉquipes). Par ailleurs, les chefs dโรฉquipe savent quโils peuvent ร tout moment demander de lโaide ร lโenseignant. Notamment lorsquโils rencontrent des difficultรฉs avec certains membres de leur รฉquipe.
Favoriser la coopรฉration
Au-delร des ยซ outils ยป, inspirรฉs de la pรฉdagogie institutionnelle, dont nous venons de parler, ma collรจgue et moi avions vraiment ร cลur de favoriser la coopรฉration au sein de notre classe et nous savions que cela devait รฉgalement passer par une organisation de classe et une ยซ attitude ยป globale incitant ร cela.
Par une configuration de classe en ilots
Dรจs le dรฉbut de lโannรฉe, ma collรจgue et moi avons dรฉcidรฉ (suite ร une proposition de sa part) de disposer les tables de la classe afin de crรฉer des ilots de 4 ร 5 รฉlรจves. Lorsque les รฉlรจves sont entrรฉs pour la premiรจre fois dans la classe, il รฉtait assez spectaculaire de voir ร quel point leur ยซ tendance ยป naturelle les amenait ร former des ilots ยซ homogรจnes ยป (essentiellement dโun point de vue socio-culturel, voire รฉthnique). Cela ne correspondait รฉvidement pas ร lโesprit dโรฉchange, de coopรฉration et de partage que nous souhaitions voir se dรฉvelopper. Dรจs le lendemain donc, nous procรฉdions ร un premier changement afin de former des ilots hรฉtรฉrogรจnes en termes de rรฉpartition des sexes et des origines socio-culturelles.
Mais, trรจs vite, ร lโimage de ce que F. Oury avait dรฉjร proposรฉ, nous fรฎmes passer un ยซ sociogramme express ยป (cf. Annexes D2) ร nos รฉlรจves afin de nous permettre de revoir la rรฉpartition des รฉlรจves dans les ilots en tenant compte du ressenti de ces derniers. Lร encore, il sโagit dโavoir conscience quโen termes de coopรฉration, notre rรดle dโenseignant est de suggรฉrer, dโinitier, dโinciter, รฉventuellement de relancer mais en aucun cas dโimposer. Il serait dโailleurs illusoire de penser que cela soit possible. Il convient donc le plus souvent de respecter les ressentis des รฉlรจves et de leur faire confiance pour proposer des solutions pertinentes. En ce sens, le sociogramme sโest donc avรฉrรฉ รชtre un outil prรฉcieux.
Par lโincitation aux รฉchanges et ร lโentraide
Comme nous venons de le dire, lโun des rรดles de lโenseignant qui veut voir se dรฉvelopper la coopรฉration dans sa classe consiste ร suggรฉrer, voire inciter les รฉlรจves dans ce sens. Je cherche pour ma part ร multiplier les moments propices ร lโรฉchange ou ร lโentraide. Au dรฉbut de lโannรฉe, je rรฉpรฉtais plusieurs fois par jour aux รฉlรจves quโils pouvaient sโaider mutuellement lorsque lโun dโentre eux avait compris (et fini) ses exercices par exemple. Dโailleurs, pour faciliter ยซ lโorganisation ยป de ces รฉchanges, nous avons fabriquรฉ des petits chevalets sur lesquels est รฉcrit ยซ Jโai besoin dโaide ยป (cf. Annexes C4) et les avons disposรฉs sur chaque table afin quโun รฉlรจve en difficultรฉ (sur un exercice en particulier) puisse le faire savoir (ร lโun de ses camarades ou ร lโenseignant bien sรปr).
Mais, dโune maniรจre plus gรฉnรฉrale, jโai vite ressenti au dรฉbut de lโannรฉe quโil fallait faire comprendre aux รฉlรจves que la classe nโรฉtait pas le lieu dโune grande compรฉtition permanente.
A la fin des premiรจres journรฉes, je ne comptais plus le nombre dโรฉlรจves mโayant interpelรฉ pour me dire ยซ Maitre, untel copie sur moi ยป ou ayant dressรฉ une muraille de trousses et de cahiers entre eux et leurs voisins ร chaque mise en activitรฉ. A force de rรฉpรฉter que les uns pouvaient demander de lโaide et que les autres pouvaient la leur apporter, et surtout, ร force de fรฉliciter ceux qui demandent de lโaide comme ceux qui la proposent, ces ยซ tensions ยป se sont grandement apaisรฉes au fil de lโannรฉe.
Comme le souligne A. Baudrit (citant lโรฉtude de Hertz-Lazarowitch et Zelniker), lโapprentissage coopรฉratif fonctionne mieux lorsque la motivation est intrinsรจque ; opposant par lร les encouragements et fรฉlicitations ร la compรฉtition et aux rรฉcompenses.
Limites et consรฉquences de cette mise en place partielle
Quelques semaines aprรจs la mise en place de ces ยซ institutions ยป et modes de fonctionnement, force รฉtait de constater que le bilan sโavรฉrait contrastรฉ. Certaines choses avaient รฉvoluรฉ dans le bon sens (comme nous venons de le dรฉcrire), mais dโautres semblaient bloquรฉes dans leur รฉvolution, voire mรชme tendre vers une lรฉgรจre dรฉgradation.
Un conseil gรฉnรฉrateur de tensions et de frustrations
Comme nous lโavons vu, dans une classe coopรฉrative, le conseil est ร la fois lโลil, le cerveau, le rein et le cลur du groupe. Or, pour moi, la plupart de ces organes รฉtaient malades.
Notamment, plus les semaines avanรงaient et plus nous nous enfoncions dans ce que S. Connac appelle la ยซ dรฉrive judiciaire ยป. Une dรฉrive qui se manifeste lorsque les conseils sont essentiellement consacrรฉs ร la gestion des critiques. Le conseil devient alors une sorte de ยซ tribunal ยป et perd tout son sens. Pire, il finit par agir ร lโexact opposรฉ de ce pour quoi il existe : augmentation des tensions, blocage/refus/รฉvitement des critiquรฉs, arrรชt des critiques de certains รฉlรจves pensant que cela ne sert plus ร rien, etcโฆ
Ainsi, lโheure consacrรฉe au conseil chaque mercredi รฉtait vite passรฉe ร traiter ces critiques et les รฉlรจves nโayant pas รฉtรฉ concernรฉs ou sollicitรฉs en รฉtaient trรจs frustrรฉs, augmentant encore les tensions en fin de conseil.
Par ailleurs, le conseil est habituellement prรฉsidรฉ par 2 รฉlรจves de la classe mais, pour faciliter son dรฉmarrage (pensions-nous), ma collรจgue et moi avions dรฉcidรฉ dโen prendre la prรฉsidence provisoire.
Une coopรฉration poussive
A lโinverse de ce qui se passait avec le conseil, les รฉchanges et lโentraide entre les รฉlรจves ont vite progressรฉ dans les premiรจres semaines de lโannรฉe. Mais, ensuite, lโรฉvolution sโest arrรชtรฉe et, ร moins de les relancer systรฉmatiquement, les รฉlรจves susceptibles dโaider un camarade avaient tendance ร ne pas y penser ou ร prรฉfรฉrer profiter dโavoir fini des exercices pour se prรฉcipiter vers dโautres occupations.
Pour certains รฉgalement, le travail en binรดmes ou en groupes semblait se dรฉgrader. Comme si ces รฉlรจves ne voyaient dans le travail ร plusieurs quโune possibilitรฉ de discuter avec lโautre avant ou aprรจs que chacun ait fini ses exercices de son cรดtรฉ.
Enfin, aprรจs une rapide รฉvolution des passages de ceintures, motivant les prรฉtendants ร satisfaire aux critรจres dโobtention de ces derniรจres, nous rentrรขmes dans une phase de statu quo. Les plupart des ceintures jaunes avaient perdu lโespoir dโobtenir une ceinture plus foncรฉe et ร lโinverse, les ceintures vertes, satisfaites, ne voyaient plus de raison de maintenir leurs efforts (notamment pour aider les ceintures moins foncรฉes).
Tous ces dysfonctionnements et ces tensions gรฉnรฉrรฉes avaient probablement des causes multiples. Je crois notamment que, alors mรชme que jโespรฉrais vivement voir les choses sโamรฉliorer, jโรฉtais lโun des principaux freins ร cette รฉvolution. Je me demandais sโil ne fallait pas faire marche arriรจre sur certains points pour mieux reprendre le contrรดle, alors que cโรฉtait tout le contraire. Il fallait ร lโinverse accepter de perdre un peu de ce ยซ contrรดle ยป et donner aux รฉlรจves lโespace dโexpression nรฉcessaire (et suffisant) pour quโils puissent rรฉellement coopรฉrer. Et il ne fallait pas faire marche arriรจre mais bien aller de lโavant en proposant dโautres ยซ institutions ยป complรฉmentaires qui viendraient soutenir et/ou consolider celles qui รฉtaient dรฉjร en place et ainsi favoriser la coopรฉration dans la classe.
De nouvelles institutions au service de la coopรฉration
Le conseil รฉtait la premiรจre institution sur laquelle il convenait de se pencher. Parce quโil dysfonctionnait bien sรปr, mais รฉgalement parce quโen รฉtant la clรฉ de voรปte des institutions, il est probablement aussi le plus reprรฉsentatif de la ยซ santรฉ ยป de la classe coopรฉrative.
Les messages clairs
Comme nous lโavons vu, le principal problรจme, sโexprimant de faรงon trรจs visible lors des conseils, vient de la quantitรฉ de ยซ petites critiques ยป que se font les รฉlรจves entre eux. Bien que la majoritรฉ des causes ร lโorigine de ces critiques peuvent sembler dรฉrisoire, les dรฉbats prennent parfois de longues minutes, faisant intervenir dโabord les principaux intรฉressรฉs, puis les tรฉmoins lorsque les premiers nโarrivent pas ร se mettre dโaccord, pour revenir aux intรฉressรฉs, etcโฆ. Et, souvent, tout ceci en consรฉquence dโun simple ยซ il mโa bousculรฉ dans les couloirs ยป par exemple. Non seulement ces petits conflits nuisent grandement aux conseils, mais ils peuvent prendre des proportions bien plus importantes que sโils avaient รฉtรฉ rรฉglรฉs sur le moment.
Or, lร encore, le problรจme sโรฉtait dรฉjร posรฉ ร dโautres avant moi et cโest notamment Danielle Jasmin dans les annรฉes 90 qui obtint de bon rรฉsultats en proposant les ยซ messages clairs ยป ร ses รฉlรจves. De son cรดtรฉ, S. Connac en donne la dรฉfinition suivante : ยซ Un message clair est une petite formulation verbale entre deux personnes en conflit : une victime, qui se reconnait comme ayant subi une souffrance, et un persรฉcuteur identifiรฉ par la victime comme รฉtant la source de ce malaise. Il part du principe que si lโon souhaite sortir dโun problรจme relationnel, il vaut mieux sโattacher aux solutions quโaux raisons qui en sont la cause. ยป.
Notons par ailleurs que les messages clairs sont nommรฉment citรฉs (NB : au mรชme titre que les conseils dโรฉlรจves) dans les programmes de 2016 comme lโune des ยซ techniques ยป pouvant รชtre mises en place pour rรฉpondre aux objectifs suivants :
– Identifier et exprimer en les rรฉgulant ses รฉmotions et ses sentiments.
– Sโestimer et รชtre capable dโรฉcoute et dโempathie.
– Se sentir membre dโune collectivitรฉ.
Pour faciliter leur utilisation, les messages clairs sโappuient sur une formulation ritualisรฉe qui sโรฉnonce de la faรงon suivante.
Le tutorat
Le tutorat (sous toutes ses formes) est une pratique qui a dรฉjร fait lโobjet dโun grand nombre dโรฉtudes. Il nโest plus ร dรฉmontrer quโil peut รชtre porteur de grandes rรฉussites, tant pour le tuteur que pour le tutorรฉ, mais il semble รฉgalement quโil faille t enir compte de nombreuses limites et/ou dรฉrives. Par ailleurs, la mise en place du tutorat dans la classe de CE2A rรฉpond avant tout ร un objectif dโamรฉlioration des liens de coopรฉration entre certains รฉlรจves. Nous ne dรฉlaisserons pas pour autant les apports pรฉdagogiques de cette formule mais, dans le cadre de ce mรฉmoire, cโest bien sur cet objectif prรฉcis que nous focaliserons notre attention.
Dรฉfinition
S. Connac dรฉfinit simplement le tutorat comme une relation coopรฉrative dans laquelle ยซ un enfant accepte pour un temps donnรฉ et avec un objectif prรฉcis dโaccompagner un de ses camarades afin quโil devienne autonome dans le domaine du tutorat ยป.
Comme le prรฉcise M.-F. Peyrat-Malaterre, il y a bien sรปr dans la notion de tutorat lโidรฉe de ยซ guidage ou dโรฉtayage dโun plus compรฉtent envers un moins compรฉtent ยป mais elle ajoute (citant E. G. Cohen) que ยซ la coopรฉration fonctionne lorsque les รฉlรจves se considรจrent รฉgaux, ce qui ne signifie pas quโils se considรจrent de capacitรฉs รฉgales dans chaque habiletรฉ, mais quโils ont un droit รฉgal de participer ร la tรขche et dโapprendre ยป . Nous veillerons donc ร ce que ce sentiment dโรฉgalitรฉ ne soit pas perdu au fil du temps aprรจs la mise en place du tutorat (faire prendre conscience que tuteur et tutorรฉ profitent du tutorat, รฉventuel tutorat rรฉciproque, etcโฆ).
Les atouts de la classe
Le fait de mettre en place du tutorat dans une classe de niveau unique nโallait pas de soi.
Certes, lโhรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ de niveaux est forte dans la classe de CE2A et, comme le rappelle S. Connac, ยซ Si lโon souhaite que des formes de coopรฉrations voient le jour, mieux vaut que les acteurs aient des choses ร รฉchanger, ร partager. ยป (2011, page 69). Le tutorat pourrait donc profitablement se nourrir de cette hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ. Mais, au-delร de cette derniรจre, les rรฉsultats des diffรฉrentes รฉtudes sur le tutorat mettant en relation des รฉlรจves ยซ proches ยป (en รขge notamment) nous intรฉressent particuliรจrement.
En effet, pour pouvoir aider efficacement son tutorรฉ, le tuteur doit รชtre capable de sโadapter ร lui, de se mettre ร sa place. S. Connac (citant A. Marchive) prรฉcise que ยซ la force des situations coopรฉratives est que lโenfant sollicitรฉ, pour aider, peut sโadapter au niveau de comprรฉhension de son partenaire parce quโil partage avec lui une mรชme culture, un mรชme langage, une mรชme expรฉrience ยป (2011, page 55).
Cette capacitรฉ du tuteur ร sโexprimer dans le ยซ langage ยป des tutorรฉs, ร expliquer dans des termes comprรฉhensibles par eux, ou ร faire usage de notions et de concepts qui leur sont familiers est appelรฉe ยซ congruence cognitive ยป par de nombreux auteurs.
La mise en place de ces nouvelles institutions dans la classe de CE2A
Mรฉthodologie
Ca va, รงa ne va pas
Le ยซ รงa va, รงa ne va pas ยป ne devait a priori pas รชtre une nouveautรฉ trop compliquรฉe ร mettre en ลuvre et ร expliquer aux รฉlรจves. Je voulais en revanche quโils en connaissent la raison dโรชtreโฆ en partie tout au moins : lโenvie dโamรฉliorer nos รฉchanges lors du conseil et faire en sorte que tout le monde puisse sโexprimer.
Jโavais donc dรฉcidรฉ de lโintroduire assez simplement lors dโun conseil en lโajoutant ร la fin de lโordre du jour traditionnellement affichรฉ au tableau avant chaque dรฉbut de conseil. Intriguรฉs, les รฉlรจves nโattendirent bien sรปr pas dโarriver ร ce point de lโordre du jour pour poser des questions et รฉmettre des hypothรจses. Ces suggestions de leur part me confortaient dans lโidรฉe quโils comprendraient vite le principe (beaucoup avaient dรฉjร devinรฉ lโessentiel).
Au dรฉpart, je ne souhaitais pas nรฉcessairement contraindre les รฉlรจves ร parler de la vie de la classe. Ils pouvaient trรจs bien choisir de dire, comme le fit Fatoumata ce jour lร : ยซ รงa va parce que ma cousine vient dormir chez moi ce soir et que jโaime trop quand on parle ensemble ยป.
Aujourdโhui, lโimmense majoritรฉ des sujets abordรฉs (et dรฉveloppรฉs par les รฉlรจves) sont liรฉs ร ce qui se passe ou sโest passรฉ dans lโรฉcole. Mais il est vrai quโil est difficile de savoir ร quoi fait rรฉfรฉrence un รฉlรจve rรฉpondant ยซ รงa ne va pas mais je prรฉfรจre pas en parler ยป. Pour ce cas (assez rรฉgulier), je commence systรฉmatiquement par poser la question ยซ tu es sรปr(e) de ne pas vouloir nous en dire plus ? ยป (sans insister davantage) et rappelle ensuite que je suis disponible sโil/elle souhaite en parler avec moi plus tard. Mais, au-delร de cette ouverture au dialogue de ma part, je suis heureux de constater que les รฉlรจves ne sont jamais insensibles ร ce genre de situations. Parfois, on lit assez nettement sur certains visages que lโรฉlรจve en question sโest dรฉjร confiรฉ ร un ou plusieurs de ses camarades. Dโautres fois, on peut aisรฉment imaginer que la question sera posรฉe dans un moment plus intime et donnera donc lโoccasion ร lโรฉlรจve pour qui ยซ รงa ne va pas ยป de se confier.
Une chose est sรปre, le ยซ รงa va, รงa ne va pas ยป a รฉtรฉ tout de suite adoptรฉ par lโensemble de la classe. Sa formule est assez souple pour ne stresser personne ร lโidรฉe de devoir prendre la parole et, ร lโinverse, la bienveillance qui sโest installรฉe naturellement au fil des conseils incite le plus grand nombre ร sโexprimer.
Une autre chose trรจs intรฉressante, que je nโavais pas forcรฉment anticipรฉe, est que ces moments sont รฉgalement lโoccasion de lever certains doutes ou de justifier certaines dรฉcisions parfois considรฉrรฉes comme injustes. Un exemple classique pourrait รชtre : ยซ รงa va pas parce que jโai eu une barre de gรจne ce matin alors que je rรฉpondais juste ร Samyr qui me demandait quel Pokรฉmon je prรฉfรฉrais ยป. Il mโest alors facile de rappeler les circonstances exactes (lโรฉlรจve ayant gรฉnรฉralement tendance ร sโรชtre tellement focalisรฉ sur ยซ lโinjustice ยป quโil en avait oubliรฉ tout le reste) et de relรฉguer le sentiment dโinjustice au simple statut de ยซ vexation temporaire ยป (ce qui est beaucoup moins problรฉmatique ร mon sens).
NB : Au vu de la variรฉtรฉ des sujets abordรฉs grรขce au ยซ รงa va, รงa ne va pas ยป, et pour lui assurer un temps de dรฉroulement suffisant, jโai rรฉcemment dรฉcidรฉ de le placer en dรฉbut de conseil.
Les messages clairs
A lโinverse du ยซ รงa va, รงa ne va pas ยป, nous avons dรฉcidรฉ (aprรจs discussion avec ma binรดme) dโintroduire les messages clairs en plusieurs รฉtapes. En effet, mรชme sโil est certainement plus facile de lโenvisager avec des รฉlรจves de CE2 quโavec des cycles 1, lโutilisation des messages clairs nรฉcessite une certaine maturitรฉ affective et un vocabulaire des รฉmotions assez riche pour permettre de les formuler ยซ ร chaud ยป et de maniรจre prรฉcise.
Notons par ailleurs quโร lโheure de la rรฉdaction de ce mรฉmoire, nous nโavons pas finalisรฉ la mise en place des messages clairs. Mais voici la description de ce qui a dรฉjร รฉtรฉ fait et de ce que nous envisageons pour la suite.
La premiรจre รฉtape consistait donc ร travailler sur ce vocabulaire spรฉcifique des รฉmotions.
Nous nous sommes inspirรฉs pour cela de lโaffichage intitulรฉ ยซ des mots pour dire ses รฉmotions ยป proposรฉ par S. Connac . Lโidรฉe รฉtant de lister avec les รฉlรจves des listes de mots (et de synonymes) pour permettre dโexprimer les principales รฉmotions en jeu dans les relations entre รฉlรจves. Nous retrouvons donc par exemple les mots ยซ colรจre ยป, ยซ tristesse ยป, ยซ peur ยป, ยซ honte ยป mais รฉgalement ยซ joie ยป ou ยซ amour ยป ainsi que des synonymes apportant de la variรฉtรฉ au registre choisi. Pour ยซ tristesse ยป, on trouvera ยซ malheureux ยป, ยซ dรฉรงu ยป, ยซ attristรฉ ยป, ยซ dรฉprimรฉ ยป, ยซ blessรฉ ยป, โฆ
Sur la dimension pรฉdagogique
Bien que nโรฉtant pas au cลur de notre rรฉflexion dans ce mรฉmoire, il va de soi quโen tentant dโamรฉliorer les liens de coopรฉration dans la classe, nous espรฉrons voir apparaitre des effets sur la dimension pรฉdagogique. Comme le dit trรจs bien S. Connac : ยซ Par essence, la classe coopรฉrative se veut le lieu oรน la coopรฉration est un facteur permettant et favorisant les apprentissages ยป.
Nous รฉvoquions plus haut certaines dyades ayant รฉtรฉ rรฉunies ร lโoccasion du lancement du tutorat. Grรฉgoire et Yasmina par exemple sont 2 รฉlรจves pour lesquels nous espรฉrions voir agir le tutorat ร plusieurs niveaux.
Dโabord, Grรฉgoire ayant tendance ร manquer de confiance en lui, sโest tout de suite senti trรจs valorisรฉ par son nouveau statut de tuteur. Il sโy est donc investi avec entrain et, dรจs la premiรจre semaine, des amรฉliorations รฉtaient notables sur la tenue et le nombre dโexercices traitรฉs dans son cahier de classe.
Ensuite, bien quโรฉtant moins avancรฉe que son binรดme en mathรฉmatiques, Yasmina est une jeune fille trรจs dynamique et se lanรงant volontiers dans les diffรฉrentes activitรฉs proposรฉes. Elle entraine donc avec elle un Grรฉgoire plus ยซ rรชveur ยป.
Du point de vue de Yasmina, il semble trop tรดt pour prรฉtendre ร de rรฉels progrรจs de sa part mais elle semble nรฉanmoins satisfaite de cette nouvelle ยซ association ยป et des quelques ยซ explications ยป proposรฉes pas Grรฉgoire lors de sรฉances de numรฉration.
Dโautres exemples peuvent nous laisser penser que le tutorat apporte, au moins ponctuellement, un soutien pรฉdagogique apprรฉciable ร ceux qui en bรฉnรฉficient. Cโest le cas lorsque certains รฉlรจves (ยซ tutorรฉs ยป) me prรฉsentent fiรจrement leurs cahiers sur lesquels ils viennent de terminer un exercice. Leur joie ne vient pas tant du fait quโils aient trouvรฉ la solution mais du fait dโavoir rรฉussi alors quโils sโen sentaient incapables quelques minutes plus tรดt. Jโentends รฉgalement parfois des ยซ ahhhh, รงa y est, jโai compris ยป sortir de discussions entre tuteurs et tutorรฉs.
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Table des matiรจres
INTRODUCTIONย
1 Etat des lieux โ apports thรฉoriques et รฉlรฉments prรฉexistants
1.1 Des รฉlรฉments de pรฉdagogie institutionnelle dรฉjร mis en place dans la classe
1.1.1 Le conseil
1.1.2 Les ceintures de comportement
1.1.3 Les responsabilitรฉs
1.2 Favoriser la coopรฉration
1.2.1 Par une configuration de classe en ilots
1.2.2 Par lโincitation aux รฉchanges et ร lโentraide
1.3 Limites et consรฉquences de cette mise en place partielle
1.3.1 Un conseil gรฉnรฉrateur de tensions et de frustrations
1.3.2 Une coopรฉration poussive
1.4 De nouvelles institutions au service de la coopรฉration
1.4.1 Il faut sauver le conseil
1.4.1.1 Ca va, รงa ne va pas
1.4.1.2 Les messages clairs
1.4.2 Le tutorat
1.4.2.1 Dรฉfinition
1.4.2.2 Les atouts de la classe
1.4.2.3 Qui en profite ?
1.4.2.4 Des limites et des piรจges ร รฉviter
2 La mise en place de ces nouvelles institutions dans la classe de CE2A
2.1 Mรฉthodologie
2.1.1 Ca va, รงa ne va pas
2.1.2 Les messages clairs
2.1.3 Le tutorat
2.2 Analyse des effets produits
2.2.1 Sur la dimension pรฉdagogique
2.2.2 Sur la relation entre les รฉlรจves
2.2.3 Limites et difficultรฉs de dรฉmarrage
CONCLUSION
ANNEXESย
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