Le choix du GECT : une structure de coopération transfrontalière européenne sans compétences propres
Chaque projet transfrontalier s’inscrit dans une structure de coopération transfrontalière qui est adaptée au but recherché, par exemple les transports, l’environnement etc… et des moyens économiques envisagés, par exemple les investissements communs. Les collectivités territoriales coopèrent conformément à la législation interne qui les régit. Ainsi, selon l’article L1115-5 du CGCT « Une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales ne peut conclure une convention avec un Etat étranger, sauf dans les cas prévus par la loi ou lorsqu’il s’agit d’un accord destiné à permettre la création d’un groupement européen de coopération territoriale, d’un groupement eurorégional de coopération ou d’un groupement local de coopération transfrontalière. Dans ce dernier cas, la signature de l’accord est préalablement autorisée par le représentant de l’Etat dans la région.». Une collectivité territoriale peut donc conformément à cet article conclure avec un Etat étranger un GECT. Le GECT est un outil institué par le Règlement communautaire 1082/2006 qui a pour objectif de faciliter ou promouvoir la coopération transnationale ou interrégionale entre ses membres. Il constitue selon le Règlement communautaire « un instrument de coopération au niveau communautaire permettant d’établir, sur le territoire de la Communauté, des groupements coopératifs dotés de la personnalité juridique […] soit pour mettre en œuvre des programmes ou des projets de « coopération territoriale » cofinancés par la Communauté, soit pour réaliser des actions de « coopération territoriale » à la seule initiative des Etats membres et de leurs régions et collectivités locales, avec ou sans contribution financière de la Communauté. ». Le GECT a connu des évolutions avec le règlement 1302/2013 relatif aux Groupements européens de coopération territoriale qui a simplifié et amélioré la constitution et le fonctionnement des GECT. Il est ainsi possible de constituer un GECT bilatéral entre une structure appartenant à un Etat membre de l’Union européenne et celle d’un Etat tiers voisin avec lequel l’Etat membre a des actions de coopération. Le GECT est toujours possible entre deux Etats membres de l’Union européenne, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart des GECT. Pour cela, une procédure d’approbation des GECT par les autorités nationales est nécessaire et qui doit porter sur la convention de coopération que les Etats membres doivent approuver dans un délai de six mois à compter du dépôt de la demande de création, l’Etat membre où le GECT aura son siège devra approuver formellement la convention de création. Le règlement européen laisse également beaucoup de flexibilité aux GECT, notamment quant au choix du droit applicable. Le premier GECT créé en Europe a été le GECT de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai le 28 janvier 2008, entre quatorze partenaires de part et d’autre de la frontière franco-belge, dont le siège se situe à Lille. Il a pour but de favoriser le débat politique en rassemblant l’ensemble des institutions compétentes, de produire de la cohérence transfrontalière à l’échelle de l’ensemble du territoire et de réaliser des projets élaborés en commun. Le GECT dispose d’une assemblée composée des représentants des membres qui vote le budget annuel ainsi que d’un directeur qui représente le groupement. Il est également possible de créer d’autres organes par l’intermédiaire des statuts, par exemple un président du GECT. Le GECT est financé par ses membres et peut bénéficier de fonds européens pour les projets qu’il développe. L’intérêt du GECT est la concrétisation de la volonté de coopération transfrontalière qui existe entre deux ou plusieurs collectivités territoriales frontalières. Elle permet donc de doter la structure commune d’une personnalité juridique qui lui est propre, ce qui permet par exemple la passation des marchés publics en son nom. Le GECT présente néanmoins certaines contraintes. Il est en effet assez long de constituer un GECT, selon le Ministère des Affaires étrangères et européennes en 2011, il faut compter au moins un an pour créer le GECT. Il nécessite également que tous les partenaires soient prêts à contribuer au financer le GECT, un financement unilatéral de la part des collectivités locales françaises pouvant être assimilé à une subvention déguisée9 . Il est donc essentiel que tous les partenaires soient prêts à participer au GECT. Cela implique donc une forte volonté politique afin de mettre en œuvre cette structure. Enfin, il est également important de vérifier si les membres du GECT ont la compétence pour adhérer à ce GECT, en effet, les missions de cette structure doivent pouvoir être rattachés aux compétences de chaque membre du GECT. Il est donc important de comparer les dispositions de leurs statuts respectifs et le droit interne qui les régit. Un GECT ne dispose pas de compétences propres. Lorsque les collectivités territoriales adhèrent à un GECT, elles ne lui confient pas une compétence en totalité mais des missions établies préalablement à l’adhésion au groupement pour lesquelles elles sont compétentes. En effet, un GECT créé pour la gestion d’un parc naturel transfrontalier devra associer les personnes morales compétentes en la matière. Il n’y a donc pas de création de compétence mais une délégation d’une mission dont la compétence est celle des collectivités territoriales se trouvant au sein de cette structure transfrontalière. Cette absence de compétences est justifiée par le fait que le GECT est créé dans un but précis, pour une mission précise. Néanmoins, une fois créé, le GECT constitue une personne morale autonome qui vote et gère son propre budget, peut passer des marchés publics en son nom, passer des contrats et embaucher du personnel. Il reste donc un outil intéressant pour la mise en œuvre du droit de la commande publique en transfrontalier dans le but d’un projet particulier ou d’une mission particulière.
Le choix du droit de l’autre pays que celui du pays du siège du GECT, un choix politique : le cas du GECT Eurodistrict SaarMoselle
Le règlement de 2013 relatif aux GECT dispose : « La convention devrait contenir un renvoi au droit applicable en général, comme le prévoit l’article 2 du règlement (CE) no 1082/2006; elle devrait également énumérer les dispositions du droit de l’Union et du droit national applicables au GECT. En outre, ce droit national devrait pouvoir être le droit de l’État membre dans lequel les organes du GECT exercent leurs pouvoirs, en particulier lorsque le personnel travaillant sous la responsabilité du directeur est implanté dans un État membre autre que celui où le GECT a son siège. La convention devrait également énumérer les dispositions du droit de l’Union et du droit national applicables directement liées aux activités du GECT menées dans le cadre des missions définies dans la convention, y compris lorsque le GECT gère des services publics d’intérêt général ou des infrastructures. » Ce passage du préambule du règlement précise bien la volonté du législateur européen qui est celle de laisser plus de liberté aux collectivités territoriales membres d’un GECT afin de choisir le droit applicable à leur structure, mais également au droit des marchés publics. Ainsi, si par exemple, le personnel travaille dans un autre endroit que celui où se trouve le siège du GECT, il est possible de choisir le droit applicable de celui où travaille le personnel. De même, l’article 29 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 prévoit également cette possibilité puisque selon cet article, les statuts du GECT déterminent le droit applicable aux marchés publics qui peut être celui l’Etat dans lequel le GECT exerce ses activités. Cette notion d’exercice des activités est très vaste, il n’existe pas de doctrine qui déterminerait le champ d’application de cette notion et on pourrait très naturellement se demander ce qu’est le lieu dans lequel un GECT exerce ses activités et ce que ses activités représentent réellement. En effet, si l’on part du principe que les activités sont les missions exercées par un GECT, celles-ci sont déterminées en lien avec les compétences des collectivités territoriales qui les délèguent. Le lieu d’exercice des missions du GECT est très souvent transfrontalier, il est donc difficile d’imaginer l’étendu des lieux des activités, puisque celles-ci peuvent autant d’être d’un côté que de l’autre côté de la frontière. Il résulte néanmoins de cette possibilité laissée aux collectivités territoriales une grande liberté dans le choix du droit applicable. Les collectivités territoriales peuvent donc dans le respect de la nonsoustraction à l’application de dispositions nationales qui intéressent l’ordre public choisir le droit applicable aux GECT et notamment aux marchés publics passés par ce GECT. Ce choix peut ainsi être politique, ce qui a été le cas du GECT SaarMoselle20, dont le siège se situe à Saarbrücken mais qui applique le droit français en matière de marchés publics. Ce choix est d’autant plus étonnant qui peut également compliquer la mise en œuvre du droit dans cette partie transfrontalière. En effet, le personnel vivant en Allemagne, les marchés passés depuis l’Allemagne, cela est étonnant que le droit français soit appliqué à ces marchés. Cette possibilité reste néanmoins peu utilisée par les GECT qui préfèrent appliquer le droit du pays dans lequel le siège est installé, cette solution étant la plus logique. Une mise en œuvre particulière du droit de la commande publique est celle fait par le TELT qui applique le droit français dans le cadre de la passation des marchés publics, droit qui a été adapté afin de faire face au contexte franco-italien et à l’importance de cet ouvrage.
Une bonne définition du besoin pour définir le cadre légal transfrontalier nécessaire
La mise en place d’une coopération transfrontalière intégrée et coordonnée peut s’effectuer par l’élaboration de projets concrets transfrontaliers dans différentes thématiques ou la création et la gestion de services et d’équipements transfrontaliers, par exemple des services aux personnes ou de transport (Oudot-Saintgery, 2010). La multitude de formes de coopération transfrontalière et de cadres légaux nécessite donc une définition du besoin efficace afin de garantir une commande publique transfrontalière performante. En effet, selon le besoin identifié, les outils correspondants seront différents. Il est donc nécessaire de bien identifier et définir le besoin pour choisir le montage opérationnel le plus adapté. Une méthodologie de constitution du projet transfrontalier est présentée au sein du Guide des projets transfrontaliers présenté par la MOT en janvier 2010 écrit par Françoise Schneider-Français et Ludivine Salambo en collaboration avec Dominique Oudot-Saintgery. Celui-ci, très pertinent, se divise en plusieurs étapes. Tout d’abord, les collectivités territoriales doivent exprimer leur besoin, par exemple l’extension d’une ligne de tram vers la ville frontalière. Elles doivent déterminer les enjeux qui découlent de ce projet, dans cet exemple la présence d’un cours d’eau à la frontière, l’existence d’un pont transfrontalier préalable au projet ou l’état des lieux de la ligne de tram existante. Des méthodes d’analyse des enjeux existent, notamment l’analyse AFOM (Atouts, faiblesses, opportunités, menaces). Un exemple de rapport final de cette méthode est annexé à ce mémoire, dont le sujet est le diagnostic territorial du programme de coopération territoriale MED. Le rapport final présente un diagnostic du territoire transnational méditerranéen et sur ces conclusions des scénarii de stratégie pour le programme MED 2014-2020. L’analyse AFOM peut être utilisée à échelle locale et permet aux collectivités territoriales frontalières de mieux définir leur besoin sur la base des atouts et faiblesses de leur territoire et les opportunités et menaces de leur environnement. Elle consiste en l’identification des atouts et des faiblesses d’un territoire (population, situation géographique, etc.) et des atouts et faiblesses de l’environnement (risques d’inondation, présence d’espèces protégées etc.). Il s’agit d’un audit du territoire. Sur la base de cette définition du besoin et des enjeux, les collectivités doivent ensuite préciser le contenu du projet tout en identifiant les acteurs compétents. En effet, une compétence détenue en France par un EPCI peut l’être par une région de l’autre côté d’une frontière, par exemple dans l’organisation des transports routiers de personnes. (Oudot-Saintgery, 2010) Il est donc essentiel d’identifier la compétence. De plus, en parallèle, il est nécessaire d’identifier les moyens humains affectés à ce projet et d’en évaluer le coût ainsi que les financements extérieurs disponibles pour le projet (fonds européens etc.). La définition du contenu du projet et des acteurs compétents permet ensuite de décider conjointement d’engager le projet de coopération et de préparer la réalisation du projet transfrontalier, par exemple par la définition des organes de suivi technique et politique du projet, et de choisir le montage juridique et opérationnel adéquat (signature d’une convention de coopération, constitution d’un GECT etc.). Cette étape est préalable à l’étape de définition de la procédure de mise en œuvre de la commande publique, en effet, selon le montage juridique choisi et le pays dont le droit est applicable, les procédures et les formes de contrats publics varient. Par exemple, « si, dans le Code des marchés publics de 2006, il distinguait, contrairement au droit européen, les accords-cadres et les marchés à bons de commande, ce n’est désormais plus le cas. Avec le décret du 25 mars 2016, les deux régimes sont unifiés et dorénavant, les bons de commande doivent être considérés comme des modalités d’exécution des accords-cadres (au même titre que les marchés subséquents) ». (Cayrey, 2017) Cette distinction n’existe pas dans d’autres pays européens où seule la notion de marché subséquent est utilisée et non celle de bon de commande. Les procédures ne seront donc pas les mêmes de part et d’autre de la frontière. Il est de même pour les pratiques des acheteurs publics. Même si le droit national des pays membres de l’Union européenne en matière de commande publique est issu des Directives européennes de 2014, des spécificités liées aux pratiques perdurent ; il est par exemple plus commun pour des acheteurs publics polonais d’utiliser la procédure d’enchères électroniques, là où elle est quasiment inexistante en France. En effet, selon l’Autorité des Marchés Publics (Urząd Zamówień Publicznych), 0.34% des marchés passés en Pologne en 2017 l’ont été via la procédure d’enchère électronique, soit environ 388 marchés en 2017 (Urząd Zamówień Publicznych, 2017). Il est donc nécessaire d’inclure dans le processus de mise en œuvre de la commande publique les services compétents afin d’en assurer la sécurité juridique et la performance, même si dans les faits, il est rare qu’un service ou une personne chargée de la commande publique soit affectée à un GECT. Si cela est le cas, il est conseillé de travailler avec les services des collectivités aux alentours : une pratique déjà développée par exemple au sein du GECT SaarMoselle. En effet, des collaborateurs au sein de la Communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences contrôlent la légalité des documents de la consultation rédigés par les collaborateurs du GECT.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : La mise en œuvre du droit de la commande publique facilitée en transfrontalier par l’Ordonnance du 23 juillet 2015
Chapitre 1 : Le choix de la forme de coopération transfrontalière laissé aux acteurs locaux ou nationaux
Section 1 : Le choix du GECT : une structure de coopération transfrontalière européenne sans compétences propres
Section 2 : Le choix de toute autre forme particulière de coopération transfrontalière : la SEML, un choix stratégique
Section 3 : Un cas inédit de mise en œuvre du droit de la commande publique menée par l’Etat français et italien : le Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT)
Chapitre 2 : Le choix du droit applicable laissé aux acheteurs publics en application de l’article 29 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015
Section 1 : Le choix de droit du pays du siège du GECT : le cas classique
Section 2 : Le choix du droit de l’autre pays que celui du pays du siège du GECT, un choix politique : le cas du GECT Eurodistrict SaarMoselle
Section 3 : Le cas du TELT : la mise en œuvre du droit de la commande publique français avec des adaptations issues du droit italien
Partie 2 : Vers de l’achat public transfrontalier, le choix de la performance de la commande publique transfrontalière
Chapitre 1 : Les pratiques d’acheteurs publics afin de garantir de l’achat public transfrontalier performant
Section 1 : Une bonne définition du besoin pour définir le cadre légal transfrontalier nécessaire
Section 2 : La mutualisation transfrontalière des achats, une mise en œuvre efficace du droit de la commande publique
Chapitre 2 : Les nécessaires évolutions des pratiques et du droit afin de faire face aux défis de l’achat public transfrontalier
Section 1 : Une nécessaire adaptation du droit et des pratiques pour garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique
Section 2 : Le développement de moyens humains au sein des structures transfrontalières afin de mettre en œuvre une politique d’achat public performant
Conclusion
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