Les plan-actes du personnage de Blanche
Les plan-actes de Blanche, personnage-clé des conflits mères-filles dans Les Sœurs Deblois, prennent une place très importante dans les conflits mères-filles, et les résultats obtenus font progresser le récit. En appliquant le modèle schématique du plan d’action mentionné ci-dessus, nous dégagions les plan-actes de Blanche dans les séquences des conflits mères-filles. Tout d’abord, nous établissons le plan-acte de Blanche exécuté dans les conflits entre Blanche et Charlotte :
1) Le choix d’un but : Le but de Blanche est explicité au début du roman et nous pouvons l’inférer : Autoritaire et possessive, Blanche cherche à contrôler la vie de ses deux filles (Charlotte et Émilie). Les indices est donnés dans le roman pour nous aider à identifier ce but : « C’était sans compter avec les objections que Blanche ne manquait jamais d’opposer quand venait le temps d’une décision concernant les filles. À leur sujet, elle aimait bien prendre les initiatives et avoir le dernier mot. » indiqué quand Blanche parle d’Émilie : « Elle est fragile. C’est pour cela que tant qu’elle sera en âge d’être protégée, je le ferai. »
2) La définition d’une stratégie : Blanche essaie de décider de tout pour ses filles. Elle décide d’être très présente auprès d’Émilie pour veiller sur sa santé. Blanche décide d’écarter Charlotte, fille en bonne santé, pour consacrer plus de temps à Émilie. Blanche ne cache pas les faiblesses de sa constitutions et elle cherche à persuader son mari, Raymond, d’accepter ses décisions en usant libéralement de ses problèmes de santé : la vie est difficile pour une femme d’une santé fragile et elle fait de son mieux pour s’occuper de sa famille, surtout de ses filles.
3) L’analyse des problèmes à envisager : Blanche pense toujours que les gens en santé ne comprennent jamais que d’autres puissent être malades régulièrement. Par conséquent, aux yeux de Blanche, Raymond n’arrive toujours pas à la comprendre et à accepter sa fragilité. Raymond ne comprend pas tout ce qu’elle fait pour leurs filles, et il s’oppose à ses décisions concernant les filles.
4) Le choix d’un plan d’action : D’une part, Blanche décide d’envoyer Charlotte qui n’a que quatre ans à l’école ; d’autre part, voulant garder Émilie près d’elle le plus longtemps possible, Blanche décide de repousser l’entrée à l’école d’Émilie jusqu’à l’extrême limite. Pour l’équilibre d’Émilie, Blanche veille à la nourriture de sa fille : « Blanche décida de donner un coup de pouce à la nature qui s’était montrée si peu généreuse envers sa fille. » Elle s’efforce de camoufler les gouttes de l’huile de ricin dans la nourriture d’Émilie.
5) La mise en œuvre du plan d’action : Blanche réussit à envoyer Charlotte à l’école après avoir persuadée son mari. Elle défend sa décision : « Ainsi j’aurai plus de temps à consacrer à Émilie, qui me semble de bien faible constitution. De toute façon, Charlotte est mature pour son âge. Elle est prête à faire le grand saut. » Blanche exige que Charlotte reste sage et qu’elle joue toute seule sans déranger Émilie. Sous prétexte d’éviter les problèmes de santé d’Émilie et d’elle-même, Blanche refuse ou annule souvent les activités familiales, par exemple, les sorties et les pique-niques. Blanche viole sa promesse de voyage qu’elle a fait à Charlotte pour ne pas décevoir Émilie. Pour assurer que Charlotte ne transmette pas la maladie à Émilie, Blanche n’hésite pas à faire mal à Charlotte : elle force Charlotte à prendre un bain de moutarde dégoûtant et douloureux en raison de prévenir une possible contagion. Blanche ne se préoccupe pas beaucoup de Charlotte, mais elle interdit à Charlotte de faire ce qu’elle n’aime pas et elle la force à lui obéir avec l’autorité maternelle. Blanche ajoute en cachette du médicament dans la nourriture d’Émilie : « Prévoyant l’inévitable constipation suivant l’indigestion, Blanche n’aurait d’autre alternative que de donner quelques gouttes d’huile de ricin à Émilie pour éviter les lourdeurs abdominales. » « Et pour parer à toute éventualité, Blanche ajoutait double dose d’huile ou d’extrait, selon les tendances intestinales de la journée, à la portion d’Émilie. »
Les conflits entre Blanche et Charlotte
Dans le premier tome qui s’intitule » Charlotte « , le protagoniste est évidemment le personnage de Charlotte, la sœur aînée. Les conflits entre Blanche et Charlotte constituent l’enjeu du développement de l’histoire de ce tome. L’état d’équilibre chez les Deblois, dans une large mesure, est brisé par les conflits entre les deux personnages. En général, toute l’histoire est narrée chronologiquement, de l’enfance de Charlotte jusqu’à son âge adulte, et les conflits entre Blanche et Charlotte s’accumulent avec le temps, et s’aggravent à cause des crises personnelles. À la fin de ce tome, la courbe des conflits entre eux atteint le sommet. Plusieurs situations conflictuelles vont naître, et celles qui sont marquantes et significatives feront l’objet des études qui vont suivre. Nous choisirons les quatre conflits entre elles dans le but de mettre en lumière les techniques de mise en intrigue de l’auteure. Les deux premiers conflits ont lieu pendant l’enfance de Charlotte et les deux derniers ont lieu pendant son adolescence. Les deux premiers conflits se présentent comme les face à face sous forme de confrontations, soit les conflits actionnels. Le troisième conflit est présenté comme le conflit intérieur de Charlotte déclenché par Blanche. Le quatrième conflit se présente sous forme de dialogue entre Blanche et Charlotte. Le plan-acte de Blanche et celui de Charlotte nous permettent de dégager l’amorce des conflits entre les deux personnages : Charlotte a besoin d’amour maternel alors que Blanche néglige Charlotte parce qu’elle consacre la plupart de mon temps à Émilie. Le récit au début du roman met en évidence l’envie de Charlotte de s’approcher de sa mère et le refus de Blanche de répondre aux besoins de sa fille aînée à cause de la préférence envers sa fille cadette qui lui ressemble plus. En premier lieu, le récit nous fait connaître les personnages centraux et nous permet de savoir ce qui motive les personnages. En second lieu, il sert de prémisses à des conflits postérieurs et il présente le contexte dans lequel il évolue en mettant en scène la situation initiale. Plus nous comprenons les caractéristiques et la motivation des personnages, plus nous appréhendons la logique qui sous-tend les comportements des personnages. Dans ce cas-ci, nous aurons intérêt à connaître la stratégie du personnage pour atteindre son objectif
Les réflexions sur la coïncidence
Dans Les Sœurs Deblois, il existe une multitude de rencontres fortuites et de découvertes inattendues des personnages. Ces événements imprévus relèvent de la coïncidence. Avant d’entreprendre des études sur la coïncidence, il nous faut avoir une définition claire de ce mot. Nous faisons référence à la définition courante de la coïncidence donnée par le Petit Robert : « Fait de coïncider; événements qui arrivent ensemble (par hasard ou comme par hasard) ». Dans cette définition, nous voyons l’importance de l’implication du hasard. Dans Le Jeu des coïncidences : une vraisemblance à construire, Christine Otis souligne qu’une coïncidence n’est pas une simple cooccurrence. Même si les deux objets coïncident dans le temps et dans l’espace, ce n’est pas une véritable coïncidence sans l’implication du hasard, soit sans le facteur d’imprévisibilité. C’est pourquoi Christine Otis fait la remarque suivante : « si le nombre d’éléments coïncidents est grand et que leur occurrence est imprévisible, alors une cooccurrence peut obtenir le statut de coïncidence » . En résumé, une coïncidence implique « une idée de temps et de lieux donnés où des objets ou des événements se produisent ensemble du fait du hasard» . Selon les études théoriques à propos du hasard, le hasard signifie «l’interprétation subjective d’un fait objectif par une sensibilité déterminée » . De plus, « à côté de l’histoire de l’individu interprétant, à côté et au-dessus de sa subjectivité il y a, déterminant celle-ci, l’histoire de l’humanité » . Le hasard fait partie intégrante de la vie réelle, par contre, le hasard littéraire n’est pas identique à celui du quotidien. En tant que le résultat de l’activité d’écriture, le hasard littéraire n’est pas gratuit. Les apparitions du hasard dans le roman correspondent aux besoins de l’intrigue et sont désignées pour remplir des fonctions. Dans la vie réelle, quand nous faisons face à une coïncidence, nous cherchons toujours une signification particulière à travers le hasard, comme l’exprime Bronner : En réalité, face à une vraie coïncidence, nous devrions nous en remettre à une explication fondée sur le hasard et ne pas lui accorder un sens particulier. Mais, précisément, nous n’avons de cesse de chercher un sens à ce genre d’événement; nous sommes tentés de croire en l’existence de la chance ou de la malchance […]. Parce qu’elle a quelque chose de stupéfiant, il est très tentant de chercher à comprendre ce que le destin a voulu nous dire en nous confrontant à la coïncidence . Dans la littérature comme dans la vie, le hasard est considéré comme le porteur de significations particulières. Le «hasard objectif» chez les Surréalistes est défini comme « le propre d’une rencontre réelle, faite dans le monde objectif, mais qui paraît porteuse d’un sens inexplicable par des raisons. Les coïncidences reproduites dans la fiction réaliste de Louise Tremblay d’Essiambre portent ainsi des significations particulières et produit des conséquences significatives pour les personnages concernés. Une coïncidence qui a peu de probabilités de se produire ou qui semble davantage porteuse de signification frappera plus intensément le lecteur.
La rencontre fortuite entre Raymond et Antoinette
Nous choisissons la rencontre fortuite de Raymond et Antoinette pour point de départ de nos recherches. Tout au début du premier tome, le narrateur insère un récit court qui rappelle l’histoire d’amour de Raymond et Blanche. C’est dans ce récit que le personnage d’Antoinette apparaît pour la première fois. Antoinette et Blanche sont les deux femmes qui ont plu à Raymond dans sa jeunesse. Il hésite entre les deux et choisit finalement d’épouser Blanche en raison de la fragilité de cette femme qui touche son cœur. Antoinette est blessée et Raymond perd le contact avec elle après son mariage avec Blanche. Le personnage d’Antoinette disparaît et s’efface derrière l’histoire de la famille Deblois. Cependant, plus de deux cents pages plus tard, ce personnage rentre en scène grâce à une rencontre inopinée avec Raymond. Après cette rencontre, les deux personnages reprennent le contact et entretiennent une relation amoureuse en cachette qui sème le trouble et complexifie les relations des personnages. Le personnage d’Antoinette devient un personnage secondaire important parce que la fréquence de sa présence est élevée en raison de sa relation intime avec Raymond, le personnage masculin le plus important de ce roman. Cette coïncidence valorise non seulement ce personnage mais aussi le récit antérieur qui ne semble pas être important. En effet, ce récit sert effectivement de condition préalable à la rencontre fortuite entre Raymond et Antoinette. La coïncidence n’arrive pas à n’importe quel moment. De manière à susciter l’intérêt du lecteur, il faut choisir le moment fort qui peut impliquer les possibilités significatives ou décisives, surtout celles qui ont le potentiel pour changer la vie du personnage principal. C’est ainsi que Raymond rencontre Antoinette de manière fortuite juste après qu’il ait été choqué par les propos du Docteur Germain concernant sa femme, Blanche. Le docteur Germain suppose que Blanche qui souffre d’hypocondrie est responsable des maladies de leur fille, Émilie. Raymond n’arrive pas à croire que sa femme est un monstre et se refuse à l’admettre. Fatigué avec un cœur lourd, il se balade sans but dans la rue en réfléchissant sur les propos du docteur en sortant de son cabinet. Il éprouve un urgent besoin de se confier. C’est le bon moment pour faire apparaître Antoinette, puisqu’elle est susceptible de consoler cet homme troublé par les problèmes de sa femme. C’est le besoin du personnage principal qui met en valeur en grande partie la nécessité de la coïncidence et crée des possibilités pour le déroulement de l’histoire. L’élément le plus important de la coïncidence est la reconnaissance mutuelle des personnages lors de leur rencontre. Afin de mettre en évidence la reconnaissance mutuelle entre Raymond et Antoinette, dans cette rencontre fortuite, l’auteure fait le choix de la proximité et adopte la focalisation interne sur le plan narratif. L’accès du lecteur à cette reconnaissance mutuelle passe par les points de vue de ces deux personnages au travers de leurs pensées. Nous supposons que par cette sorte de hasard à la fois incroyable et significative, le lecteur est frappé plus intensément, si le narrateur privilège le point de vue des personnages.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
RÉSUMÉ DES SŒURS DEBLOIS
PREMIÈRE PARTIE : LA MISE EN INTRIGUE DE LA SAGA FAMILIALE LES SŒURS DEBLOIS
CHAPITRE I : LES CONFLITS ET LA TENSION NARRATIVE
1. Le plan-acte
1.1 La notion de plan-acte
1.2 Les plan-actes des personnages
1.2.1 Les plan-actes du personnage de Blanche
1.2.2 Les plan-actes du personnage de Charlotte
1.2.3 Les plan-actes du personnage d’Anne
1.2.4 Les plan-actes du personnage d’Émilie
2. Les conflits mères-filles
2.1 Les conflits entre Blanche et Charlotte
2.1.1 Le premier conflit significatif
2.1.2 Le deuxième conflit significatif
2.1.3 Le troisième conflit significatif
2.1.4 Le quatrième conflit significatif
2.2 Les conflits entre Blanche et Anne
2.1.1 Le premier conflit significatif
2.1.2 Le deuxième conflit significatif
2.1.3 Le troisième conflit significatif
3. Les conflits entre sœurs
3.1 Les conflits entre Charlotte et Émilie
3.1.1 Les conflits intérieurs des sœurs
3.1.2 La confrontation entre sœurs
CHAPITRE II : LA MISE EN PLACE DE LA TENSION NARRATIVE
1. La mise en place du suspense
2. La mise en place de la curiosité
3. La mise en place de la surprise
CHAPITRE III : LA COÏNCIDENCE DANS LES SŒURS DEBLOIS
1. Les réflexions sur la coïncidence
2. Les rencontres fortuites entre les personnages
2.1 La rencontre fortuite entre Raymond et Antoinette
2.2 La rencontre fortuite entre Charlotte et Marc
2.3 La rencontre fortuite entre Charlotte et Gabriel
DEUXIÈME PARTIE : LES PERSONNAGE DANS LES SŒURS DEBLOIS
CHAPITRE I : LES PERSONNAGES : LE MODÈLE SÉMIOLOGIQUE
1. L’être du personnage
1.1 Le nom et la dénomination du personnage
1.2 Le portrait du personnage
1.2.1 Le corps
La représentation du corps
Les parties du corps
Les facultés du corps
Les données de base du corps
Le langage du corps
1.2.2 Le vêtement
1.2.3 La psychologie
1.2.4 La biographie
1.2.5 Le premier portrait du personnage
2. Le faire du personnage
2.1 Le rôle actantiel du personnage
2.2 Le rôle thématique du personnage
2.2.1 Le sexe du personnage
2.2.2 Le territoire du personnage
CHAPITRE II : LA DESCRIPTION ET LES PERSONNAGES
1. La description comme regard et le personnage de regardeur-voyeur
2. Les fonctions de la description dans Les Sœurs Deblois
CHAPITRE III : LES PERSONNAGES FÉMININS DANS LES SŒURS DEBLOIS
1. Les types de personnages féminins dans Les Sœurs Deblois
1.1 Femme autoritaire traditionnelle
1.2 Femme soumise
1.3 Femme rebelle
2. Le chemin d’émancipation des personnages féminins
3. L’évolution de la famille au cours de l’émancipation des femmes dans Les Sœurs Deblois
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE DE LOUISE TREMBLAY D’ESSIAMBRE
BIBLIOGRAPHIE
I. Œuvres du corpus
II. Ouvrages théoriques et généraux
III. Articles de périodiques
IV. Autres articles
V. Mémoires de master et thèses de doctorat
VI. Webographie
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