De quoi parle-t-on ?
La migration est une variable importante dans l’évolution démographique des territoires et elle est le processus de peuplement humain le plus ancien qui soit (DEBRAT, 2007). Gildas SIMON défini la migration comme étant : « un déplacement de population avec changement de résidence, d’une unité géographique à une autre» p.5 (1995 ; LEE, 1966). Cette définition est assez simple et oublie d’intégrer la notion de durée et de distance, chose que COLEMAN fait en 2004. Pour lui, la migration correspond à « tout changement de lieu de résidence (individuel ou collectif) d’une distance généralement (mais pas obligatoirement) supérieur à celle de la mobilité quotidienne et pour une durée assez longue, généralement supérieur à un an » (COLEMAN, 2004, p.33).
Le premier à avoir théorisé les migrations est Ernest George RAVENSTEIN. Dans son article « The Laws of Migration » paru en 1885, il explicite les premières lois sur les migrations en étudiant les recensements de population de 1871 et 1881 au Royaume uni (Angleterre, Ecosse, Irelande et Pays de Galles). La simple étude comparative étant limitée, il décide ensuite de comparer les lieux de naissance et de mort grâce aux données de l’état civil. Il parvient à créer les sept premières lois de la migration : les migrants se déplacent sur de courtes distances et vers des centres d’absorption, les déplacements des migrants laissent des lacunes comblées par d’autres migrants venant des lieux les plus reculés, le procédé de dispersion est inverse à celui de l’absorption, les principaux courant migratoires sont compensés par un flux inverse, les migrants parcourant de grandes distances se rendent dans un grand centre de commerce ou d’industrie, les populations urbaines migrent moins que les rurales et les femmes migrent différemment que les hommes. Les femmes migrent en majorité dans leur région ou pays de naissance alors que les hommes parcourent de plus grandes distances.
Pour étudier les migrations actuelles, il faut prendre conscience que les causes, les conséquences, et l’ampleur des migrations ont changé avec le temps, et que ce ne sont plus les memes facteurs qui les déterminent. De plus, ces migrations concernaient des peuples caractérisés par des traits culturels et non pas par une attache territoriale. Avant les premières formes de sédentarisation, les peuples étaient en permanence en migration à l’échelle locale. Ces mouvements ont permis à l’Homme de coloniser toute la planète. Enfin, ces mouvements de peuples entiers ont plusieurs fois redistribué totalement la répartition de la population dans le monde et ont eu des impacts important sur la fécondité et la mortalité. Les migrations contemporaines n’ont plus cet impact fort sur la mortalité et la fécondité. Cependant, et c’est une caractéristique importante des migrations actuelles, l’impact est négligeable à toutes les échelles sauf à l’échelle locale et notamment pour des communes ayant des effectifs de population très faibles (COLEMAN, 2004).
Les mouvements migratoires ont aussi permis la croissance démographique des grandes villes au XVIII ème siècle. En effet, la solde naturel dans ces villes était négatif et le solde migratoire comblait donc le déficit naturel. Avec la montée de l’industrialisation, le type de migration a changé. Du XIX au XX ème siècle, la migration de travail est à son apogée et créée une forte demande en main d’œuvre (COLEMAN, 2004). Ces migrations sont principalement des migrations du milieu rural vers le milieu urbain et à l’intérieur d’un même pays. Durant les années 1960 et 1970, la migration de travail va prendre un tournant majeur. Elle s’internationalise grâce à une mondialisation toujours plus importante dans l’économie mondiale. Les migrations sont organisées pour des durées de travail temporaire. Les migrants viennent souvent seuls et font ensuite venir leur famille par le biais du regroupement familial. En 1977, un protocole additionnel à la convention de Genève du 12 Aout 1949, qui régie la protection des soldats blessées ou malades, des prisonniers de guerre et des civils en temps de guerre ou en territoire occupé, prend en compte la protection de ces mêmes personnes en cas de conflits interne et non plus uniquement en cas de conflit international (Humanrights.ch). Les demandes d’asile s’ouvrent donc aux nombreux pays en proie à des régimes totalitaires ou aux guerres civiles. Ce droit d’asile est donc accessible dans les pays du tiers monde. En 2000, 6 millions de demandes d’asiles sont enregistrées dans les pays d’Europe occidentale et 8 millions si l’on compte le reste du monde. Ces chiffres sont à relativiser car ils comprennent les doubles demandes (dans deux pays différents et donc comptées deux fois) et un partie de ces demandes sont faites après une entrée illégale sur un territoire. Les demandes d’asiles sont de plus en plus contrôlées depuis le milieu des années 90 et les pays d’accueil dénombrent une augmentation des entrées illégales et des dépassements de visa (COLEMAN, 2004).
Cet historique de la migration permet de montrer que le choix de l’individu à migrer est resté le même mais que les conséquences démographiques ont quelque peu évoluées. Les migrations ont souvent été réalisées dans le but d’améliorer les conditions de vie des migrants. D’abord dans un même pays, du rural vers l’urbain, puis dans un monde de plus en plus globalisé, des pays du Sud vers ceux du Nord. Comme nous l’avons vu plus haut, le solde naturel (Naissance – Décès) était négatif en ville au XVIII eme siècle à cause des mauvaises conditions d’hygiènes. Les migrants venaient en ville pour espérer un salaire revalorisé et comblaient donc ce solde naturel négatif. Aujourd’hui, les migrations sont toujours influencées par la recherche d’une meilleure vie ou d’un meilleur salaire mais les conséquences de ces mouvements sur la démographie des pays concernés sont rarement déterminantes. Il existe cependant des exceptions, notamment l’Espagne où la croissance totale de la population est expliquée à prés de 80% par l’apport migratoire en 2009 (BARONYELLES, 2010).
L’Espagne : de l’émigration à l’immigration
En Europe occidentale, de grands mouvements migratoires liés à la transition démographique et aux révolutions urbaines et industrielles se mettent en place au cours des XVIII et XIX eme siècles. En Espagne, la pression démographique se fait ressentir qu’à partir du milieu du XIXeme siècle. Avant, le surplus démographique était absorbé par l’émigration vers l’Amérique latine et en défrichant de nouvelles terres. A cette époque, les foyers d’immigrations internes sont les Asturies et le Pays Basques pour l’extraction de fer et de charbon, la catalogne pour son industrie textile et Madrid pour son statut de capitale (FAUS-PUJOL, 1996).
Les mouvements migratoires en Espagne sont liés, tout autant, aux phénomènes socioéconomiques qu’aux sociopolitiques. Les migrations internes sont principalement due à une instabilité politique et notamment la guerre civile entre 1936 et 1939 puis le début de la dictature franquiste qui se terminera en 1975 par la mort de Franco (FAUS-PUJOL, 1996). Durant cette période, l’Espagne va souffrir de son isolement international. Elle ne participera pas à la seconde guerre mondiale et ne sera donc pas incluse dans les mouvements de réorganisation mondiale (Plan Marshall). Aussi, elle ne participera pas à la création des instances européennes (VILANOVA, 2008). Nous pouvons donc raisonnablement penser que c’est ce dernier point qui ralentira l’essor économique de l’Espagne et aura des conséquences sur les dynamiques migratoires jusqu’en 1986, date de l’entrée de l’Espagne dans l’Union Européenne.
Pour comprendre le contexte politique, démographique et migratoire de l’Espagne entre 1939 et 1998 nous allons découper cette longue période en trois périodes plus courtes caractérisées par des dynamiques propres comme l’a fait FAUS-PUJOL (1996).
Emigration entre 1940 et 1960 : étape après guerre
Après la guerre civile, les flux migratoires vers les pays européens dépassent ceux vers l’Amérique latine.
En janvier et février 1939, un demi-million de personnes passent en France lors de la conquête de la Catalogne par les troupes franquistes. Cette émigration vers la France s’appelle « la retirada ». En 1939, la France, au bord de la guerre, ne veut pas s’encombrer avec ces espagnols considérés comme « indésirables » par le régime de Vichy. La France va donc passer des accords avec les pays d’Amérique latine. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1939, les deux tiers des espagnols de la retirada ont quitté la France. Le Mexique est le pays qui va en accueillir le plus : 7500 en 1939, 2000 en 1940, 1900 en 1941 et 3000 en 1942. Le Chili et la République Dominicaine vont recevoir chacun 2300 et 3100 réfugiés et 2000 autres vont être transférés en Argentine, au Venezuela, en Colombie et à Cuba (DREYFUS ARMAND, 2002).
L’Espagne est avant tout un pays d’émigration et surtout d’émigration interne. Cette émigration est en grande partie due à la guerre civile et aux contre coups jusqu’en 1954. Jusqu’à cette date, trois millions de personnes ont été déplacées et beaucoup d’entre elles ne sont pas retournées dans leur région d’origine. C’est le cas pour les populations qui ont fuit mais aussi pour les soldats de Franco. Après la prise de la Catalogne, les soldats démobilisés se sont installés dans les provinces littorales de cette région (FAUS-PUJOL, 1996).
Les centres récepteurs de l’émigration interne étaient les grandes villes, les capitales de provinces, les zones industrielles et d’agriculture intensive de la cote méditerranéenne. Ces centres offraient de meilleures perspectives que les espaces ruraux, beaucoup moins développé. Cette émigrations est nourrit par des taux de croissance naturelle très forts en zone rurale avec des taux de fécondité aux alentours de 3 (3,5 en Andalousie, 2,8 en Estrémadure) (FAUS-PUJOL, 1996). A partir de 1945, le rythme de croissance des grandes villes et capitales de provinces s’accélère. Entre 1941 et 1950, la population de ces centres urbains augmente de 13,23% soit 927 135 personnes. Cette croissance va ensuite légèrement ralentir la décennie suivante avec une augmentation de 10,41% soit 888 162 personnes (GARCIA BARBANCHO, 1980).
Entre 1940 et 1945, l’émigration est principalement masculine. En effet, la démilitarisation de la Catalogne, les emplois dans les mines en Cantabrie, dans l’industrie sidérurgique et dans les chantiers navals sont interdits aux femmes par la loi et augmentent donc le contingent d’hommes déplacés. De plus, l’émigration touche une classe d’âge particulière puisque les hommes entre 20 et 35 ans sont deux fois plus nombreux que les autres. A cette époque, ces migrants sont issus des zones marginales de montagne et de climats rude comme les Monts Ibériques, les reliefs centraux, le versant intérieur de la Cordillère Cantabrique et l’Andalousie orientale (FAUS PUJOL, 1996).
Enfin, les années 50 sont marquées par une nouvelle étape de grands changements économiques et démographiques. Les progrès du pays dans l’industrie s’accompagnent d’une forte croissance démographique. Malgré une croissance naturelle positive à l’échelle du pays, un tiers des provinces espagnoles enregistrent une baisse de leur population. Dans cette décennie, deux millions de personnes ont migré et en 1960, 65% des communes espagnoles ont vu leur population diminuer avec une croissance naturelle toujours positive. La fin des années 50 marque un tournant pour l’émigration et les campagnes espagnoles. Les femmes participent de plus en plus aux migrations faisant ainsi baisser la natalité et faisant entrer les zones rurales dans un processus de vieillissement (FAUS PUJOL, 1996).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LA MIGRATION : EVOLUTION ET ENJEUX D’UN PHENOMENE DEMOGRAPHIQUE ET SPATIAL
A) De quoi parle-t-on ?
B) L’Espagne : de l’émigration à l’immigration
C) Une méthodologie de recherche appliquée au nouveau contexte démographique
a) Le registre de population : un outil d’étude adapté aux dynamiques migratoires
b) De 1998 à 2013 : une période charnière
c) Une échelle fine au profit de l’analyse
CHAPITRE II : LES ENSEMBLES CONTINENTAUX COMME PREMIERE APPROCHE
A) Quelles structures spatiales ?
a) Approche par les indices de concentration
b) L’organisation spatiale des ensembles continentaux
c) Etude de l’emprise spatiale au travers des LISA
B) Quelle concurrence entre les ensembles ?
a) Un indice global d’interaction
b) Synthèse par classification
C) Quelles dynamiques d’évolution ?
CHAPITRE III : STRUCTURES ET DYNAMIQUES SPATIALES DES MIGRANTS PAR NATIONALITE
A) Différents types de concentration
a) Approche par les indices de concentration
b) Des cartes de taux comme première spatialisation
c) Les LISA : une méthode essentielle pour l’étude des concentrations à l’échelle fine
B) Des espaces de concentration spécifique ?
a) L’indice global d’interaction
b) Des classifications révélatrices
C) Quelles stratégies face à la crise ?
CONCLUSION
TABLES DES FIGURES
TABLES DES FORMULES
TABLES DES TABLEAUX
BIBLIOGRAPHIE
RESUME