Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Impact des biofilms et leurs applications
L’organisation des bactéries en biofilm est une arme redoutable, les rendant plus fortes et plus efficaces face à l’environnement plus ou moins hostile dans lequel elles évoluent, comparée aux bactéries évoluant sous forme planctonique [15].
Les biofilms peuvent être source de contaminations indésirables ou au contraire peuvent être bénéfiques et utilisés en conséquence.
Impact négatif des biofilms
Les biofilms constituent fréquemment un problème sanitaire, industriel et écologique. En effet, la virulence des bactéries et les problèmes qu’elles occasionnent sont fortement liés à leur mode de développement sous forme de biofilm. Car, une fois le biofilm formé, les bactéries sont protégées contre les systèmes de défense immunitaires et les traitements, qu’ils soient physiques ou chimiques (désinfectants, détergents et antibiotiques). Les exemples pour l’illustrer sont abondants.
Tout d’abord, dans le secteur médical, on peut citer les biofilms pathogènes qui se forment sur des tissus humains et qui sont impliqués dans de nombreuses maladies infectieuses (mucoviscidose, caries dentaires, otite…). Le mode de développement des bactéries Pseudomonas aeruginosa par exemple en biofilm dans les alvéoles pulmonaires, les protège des traitements antibiotiques [16] ainsi que du système immunitaire de l’organisme hôte colonisé [17]. Aussi, il existe une autre forme de biofilms tout aussi problématique, celle qui se forme sur l’instrumentation médicale constituant une source de contamination et de développement d’infections nosocomiales (60 % des maladies nosocomiales ont pour origine les biofilms qui se développent dans le milieu hospitalier).
Dans l’industrie, les biofilms peuvent être responsables de la bio détérioration des matériaux, par l’entartrement des canalisations ou encore le dépôt sur les échangeurs thermiques des installations gazières et pétrolières entrainant de grandes pertes économiques. Dans les industries agro-alimentaires, ces biofilms représentent une menace sur la qualité sanitaire ainsi que les qualités organoleptiques des produits fabriqués [18].
Enfin, dans l’environnement, l’impact des biofilms se traduit par le déséquilibre de certains écosystèmes. En effet, les biofilms peuvent se développer excessivement suite à la présence d’un niveau élevé de certains nutriments (effluents industriels par exemple) et pour métaboliser ces derniers ils consomment plus d’oxygène, en privant ainsi d’autres organismes qui partagent le même écosystème de leur source principale de vie. Ainsi, se créent, ce qui est appelé des « zones mortes » (phénomène d’« anoxie »). Ce problème revêt une ampleur mondiale comme on peut le voir sur la figure 3.
Impact positif des biofilms et applications
Outre tous ces aspects négatifs, qui sont les plus évoqués quand il s’agit de biofilms, des aspects positifs existent. Certaines propriétés bactériennes peuvent être utilement exploitées afin d’en tirer avantage dans de nombreux domaines. Cet angle est encore nouveau, mais est en pleine expansion et constitue l’alternative recherchée dans beaucoup de secteurs.
On peut citer dans ce cadre les biofiltres, technique d’épuration biologique à cultures fixées, où les biofilms sont utilisés pour leur capacité de filtration dans les procédés de traitement des eaux usées. Les bactéries formant le biofilm éliminent la pollution soluble présente dans l’eau à traiter et hydrolysent puis assimilent les matières particulaires déposées sur le support de filtration, par une réaction d’oxydation des composés en présence d’oxygène conduisant à la formation de biomasse, d’eau et de produits minéraux. Ainsi ces polluants sont utilisés comme source de carbone et d’énergie pour les bactéries contenue dans le biofilm du biofiltre. Polluant + O2 Biomasse + CO2 + H2O + Produits minéraux.
Dans le milieu industriel, les biofilms sont utilisés pour de nombreuses applications, on peut en citer le réacteur biologique à lit fluidisé (FBBR –Fluidized Bed Biological Reactor) qui est un réacteur où un biofilm est développé sur des supports, qui sont par la suite fluidisés grâce à la vitesse de passage de l’effluent traité dans une colonne [19]. Ainsi, le biofilm intervient en détoxication (bioaccumulation des métaux), plus particulièrement dans le traitement des déchets riches en matière organique (par méthanisation anaérobie).
Une autre application récente et très intéressante a vu le jour, celle de « piles à combustible microbiennes » (PACM) qui sont généralement désignées par l’acronyme « MFC » « microbial fuel cell » Des biofilms bactériens assurent la conversion directe de matières organiques en énergie électrique ou catalysent des réactions électrochimiques (catalyse électro-microbienne) [20].
Les biofilms sont aussi utilisés comme bio-indicateurs, où ils jouent le rôle de marqueurs du degré de pollution d’un site donné [21] ou encore comment acteur contre la pollution en dégradant les polluants présents, c’est ce qui est nommé « biodépollution » ou encore « bio-remédiation ».
La bio remédiation et son contrôle électrique
La bio remédiation et utilisation de biofilms
La bio-remédiation s’est imposée aujourd’hui, et le sera de plus en plus dans les prochaines années, à cause de l’équilibre naturel rompu par l’industrialisation grimpante depuis le 19ème siècle et l’activité humaine croissante (agricole et urbaine). En effet, le rejet industriel massif d’éléments toxiques dans différents milieux naturels (sol, eau, air) couplé à un seuil de rejet sociétal, a rendu nécessaire l’emploi de moyens performants pour dépolluer l’environnement impacté. Le marché des sites et sols pollués est en constante augmentation depuis la dernière décennie. A titre d’exemple, le chiffre d’affaire de ce secteur d’activité en France a été estimé à plus de 550 millions d’euros pour l’année 2006 et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui est chargée par les pouvoirs publics de mettre en sécurité des sites dits « à responsables défaillants », est intervenue sur 136 sites en 2012, contre 40 en 2007.
Il existe différentes méthodes de dépollution, hors site, sur site et in-situ. Ces méthodes nécessitent, pour les deux premières, l’excavation de la terre avec ou sans traitement sur place alors que, pour la dernière, la dépollution est réalisée sans bouleversement de la topographie du site. La dépollution se fait par des méthodes de remplacement (déplacer le sol contaminé et le remplacer par de la terre propre), par des traitements physico-chimiques (injection de liquide ou de gaz sous pression capable de dissoudre les polluants présents sur le site à décontaminer), ou encore par injection et extraction des vapeurs (pour les polluants volatils).
Ces méthodes sont extrêmement coûteuses et très invasives car elles modifient les propriétés du milieu, d’où l’orientation croissante vers des techniques de traitements biologiques in situ. Parmi celles-ci on peut‐ citer par des nutriments ou de l’oxygène.
Ces deux techniques représentent respectivement 25 et 12,5 % de la totalité des eaux souterraines traitées [22].
La biodépollution (ou bioremédiation) consiste à utiliser des organismes vivants, plus particulièrement des bactéries ou des biofilms bactériens, pour éliminer les polluants toxiques des différents milieux naturels. Ces systèmes bactériens ont cet avantage d’éliminer un composé, avec comme seuls rejets, des produits inoffensifs tels que l’eau, le dioxyde de carbone, le méthane, l’hydrogène, etc.
Le métabolisme microbien étant souvent limité par des facteurs environnementaux (pH, pression osmotique, pression mécanique ou hydrostatique, température, oxygène), l’objectif de la biodépollution est d’optimiser ces facteurs afin d’augmenter la densité et l’activité des populations microbiennes pour accélérer la décontamination des sites pollués.
La réussite de la mise en œuvre de procédés biologiques in situ dépend de plusieurs facteurs, en particulier :
la présence de bactéries capables de biodégrader les polluants présents,
la possibilité de suivre dans le temps les paramètres indicateurs de la biodégradation (dégradation des polluants), mais également le suivi des modifications des conditions du milieu (pH, O2,…), des produits de dégradation et des activités bactériennes.
Etude de bactéries dépolluantes
Comme mentionné ci-dessus, la réussite d’une biodépollution repose sur la présence de bactéries capables de biodégrader les polluants présents.
Les bactéries, organismes vivants, ont longtemps été considérées incapables de se développer dans des milieux hostiles (hautes températures, fortes pressions etc). Plus récemment ont été découvertes des extrêmophiles, organismes vivants dans des milieux où toute forme de vie était supposée être exclue. Ces archaea ou bactéries arrivent à se développer à des températures extrêmes de l’ordre du 100°C pour les « hyperthermophiles » ou de 0°C pour les « psychrophiles », des fortes pressions de l’ordre de 1100 atmosphères pour les barophiles ou « piezzophiles » (bactérie « MT 41 » [23]), en milieu très acide pour les « acidophiles » ou alcalins « alcalophiles », ou enfin celles découvertes en milieu radioactif, les bactéries radiorésistantes de type Deinococcus radiodurans [24]
Aussi, dans les sites contaminés par des éléments toxiques, des bactéries, résistant aux polluants présents et qui réussissent à les métaboliser, ont été isolées. De nombreux travaux de recherche ont été menés afin de les caractériser, identifier les produits qu’ils avaient la capacité de dégrader, avec pour objectif de les utiliser en bio-dépollution.
Parmi les sites à dépolluer figurent les terrains contaminés par des hydrocarbures, qui font l’objet du projet auquel nous participons. En effet, et comme mentionné dans l’avant-propos, notre travail s’inscrit dans le cadre du projet ANR- BioPHY acronyme pour « Optimisation de procédés de BIOdépollution des eaux souterraines contaminées par des hydrocarbures par un monitoring géoPHYsique et analyse de gaz en ligne », issu du programme ECOTECH 2011, qui se propose de développer une méthodologie de surveillance d’une biodépollution de sol pollué par les hydrocarbures à l’aide de méthodes intégratrices et non destructives. Cette méthodologie repose sur un suivi continu dans le temps de l’activité bactérienne et des produits injectés (air, vapeur, nutriments). En effet, la pollution des sols par des composés pétroliers, phénomène préoccupant, est assez fréquente puisque souvent associée au transport d’hydrocarbures (la quantité d’hydrocarbures répandus au cours du transport par les pipe-lines souterrains se situe autour de 60 m 3 /1000 km), ou encore au niveau des stations-service (des fuites sur les cuves de stockage ou sous forme de faible pollution se produisant durant le remplissage des réservoirs des véhicules mais qui a un impact important vu son aspect chronique). Cette décharge vers les eaux terrestres constitue une grande menace, vu la grande solubilité de différentes molécules composant ces rejets. Aux Etats-Unis, les fuites de pétrole signalés sont au nombre de 9000/an ; en moyenne 77% sont traitées, laissant un cumul de 110 000 fuites non traitées en 2007. Quant aux friches industrielles contaminées par des hydrocarbures elles sont estimées à 200 000 à la même année-[25]. Tout ceci impose donc le développement d’outils adaptés à la dépollution.
Ainsi, et dans le cadre du projet ANR une collaboration a été lancée avec l’IFP-EN (Institut Français de Pétrole-Energies Nouvelles) en particulier avec les équipes de microbiologie environnementale de l’IFP-EN, Mme Françoise Fayolle-Guichard et Mr Yves Benoît, afin de bénéficier de leur savoir-faire en matière de microorganismes capables de biodégrader les mélanges complexes de substances contenant des hydrocarbures natifs et des additifs couramment utilisées dans les composés pétroliers. En effet, de nombreux travaux ont été menés par cette équipe afin d’isoler et caractériser des espèces capables de dégrader ces différents produits toxiques.
Ces travaux ont permis de mettre en évidence des espèces bactériennes capables de dégrader des additifs pétroliers extrêmement toxiques, « Aquincola tertiaricarbonis » pour le MTBE –methym t-butyl ether-[26], « Gordonia terrae» pour l’ETBE –ethyl t-butyl ether, le MTBE et le TAME –t-amyl methyl ether-[27], « Mycobacterium austroafricanum » pour les carburants oxygénés [28]. Aussi, des souches « Rhodococcus » ont été identifiées et caractérisées pour leur pouvoir à dégrader l’ETBE, MTBE et TAME [29].
Par exemple, les bactéries Rhodococcus wratislaviensis et Rhodococcus aetherivoran ont été isolées à partir d’un consortium bactérien dégradant une mixture de 16 composés pétroliers (appartenant à la famille des alcanes, les hydrocarbures mono aromatiques, les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les éthers ou nitrates). Le taux de dégradation ((composé résiduel témoin – substrat résiduel essai)/ (composé résiduel témoin ) x 100)) et le rendement de minéralisation (rapports molaires : ((mole CCO2essai – mole C CO2témoin)) / mole CSubstrat consommé) x 100) de ces composés ont été testés individuellement (tableau 1) [30].
Méthodes de contrôle électrique sur site
Depuis une dizaine d’années, les méthodes géophysiques appliquées aux problèmes environnementaux font l’objet de nombreux travaux de recherche. Des expériences de monitoring géophysique durant une dépollution de nappe ont été menées [32], montrant qu’il était possible de suivre, par ces mesures, le panache d’un oxydant chimique (permanganate de potassium). D’autres travaux ont montré que pendant une opération d’« air-sparging » (injection d’air dans une zone saturée favorisant l’extraction physique de polluants volatils présents dans l’eau) sur du jet fuel (carburant d’aviation), le potentiel spontané augmentait [33]. Le potentiel spontané (PS) est un potentiel électrique mesuré de façon passive à la surface de la terre, il est utile pour localiser et quantifier les flux d’eau et les propriétés hydrauliques des aquifères, mais aussi les panaches de polluants. Des mesures électriques sur site, entre forages, ont aussi montré que pendant l’injection de vapeur d’eau dans un calcaire fracturé pour traiter les organochlorés, les zones chaudes où se propageait la vapeur étaient visibles à cause de la chute de la résistivité corrélée à l’augmentation de la température [34].
Un lien a été établi entre les processus de dégradation et la conductivité électrique des sols, dans le cadre de mesures sur des sites contaminés par des hydrocarbures [35]. Concernant l’activité bactérienne, il était inconcevable, encore il y a quelques années, de penser que les processus bactériens pouvaient avoir un impact sur les signatures géophysiques. Pourtant, les cellules bactériennes ont bien des propriétés électriques, et même magnétiques (les bactéries magnéto tactiques). Ainsi, les méthodes électriques et magnétiques de mesures (méthodes de routine en géophysique) peuvent potentiellement être adaptées à l’investigation de processus pilotés par les bactéries. Ceci a été exploré par des études en laboratoire afin d’évaluer leur impact sur le milieu géologique et les propriétés géophysiques, principalement les mesures électriques. Ces dernières peuvent être modifiées par des processus physico-chimiques indépendants de toute activité microbienne, mais aussi par des processus liés au métabolisme cellulaire de la communauté microbienne vivante. Il a été démontré aussi, au niveau de colonnes en laboratoire, qu’il y avait une différence significative entre colonnes bio stimulées et colonnes sans inoculum bactérien (figure 4), et que la croissance microbienne et la formation d’un biofilm peuvent être détectées par des mesures de conductivité ([36], [37], [38]).
Ainsi l’impact des bactéries peut se traduire de différentes manières :
Forts gradients oxydo-réductifs au niveau de la surface piézométrique induits par des bactéries ou biominéraux engendrant un transfert d’électrons, « géo batterie » [39], [40].
Acides organiques, produits du métabolisme microbien, peuvent induire une altération minérale, ou des bio minéralisations qui précipitent des sels métalliques détectables par la polarisation provoquée spectrale [41].
Ou encore, plus récemment, la révélation de filaments protéiques extracellulaires, chez les bactéries, de taille nanométriques, appelés « nanowires » à grande conductivité électrique (figure 5), [42], [43], [44].
Un modèle conceptuel a ainsi été développé, schématisant l’effet « électro-redox » induit par l’activité des bactéries qui produit des anomalies sur le potentiel spontané [45] . Dans ce modèle les « nanowires » (filaments protéiques extracellulaires) et/ou biominéraux orientés (précipitation de particules métalliques résultant de l’activité bactérienne), jouent le rôle de conducteurs pour les électrons produits dans la zone de réduction (anode) et consommés dans la zone d’oxydation (cathode). Un courant électrique est alors produit de la zone « cathode » à la zone « anode » de ce système. Ainsi, dans ce modèle, les donneurs d’électrons (matière organique) et les accepteurs (O2, nitrate, sulphate) sont associés en un système anode et cathode (figure 6, [46]).
Aussi, des travaux sur la dégradation du phénanthrène ont démontré que les biofilms formés par les bactéries modifiaient la résistivité complexe, de manière plus importante que par les bactéries seules non impliquées dans un biofilm [47].
L’ensemble de cette activité bactérienne et sa signature sur les mesures électriques est maintenant confirmée, mais l’origine exacte du ou des processus responsables de ces variations de signaux reste mal comprise. Il est très important de lever le flou sur cette question pour la résolution de différents problèmes à fort potentiel de développement industriel, par exemple pour la détection de la pollution en sortie de sites de stockage de déchets ou encore le contrôle sur site et en temps réel du degré d’avancement d’une biodépollution.
Pour l’étude de cette problématique, la démarche actuelle est principalement macroscopique. Les méthodes chimiques et physiques, utilisées pour l’obtention des informations concernant les différents processus de type oxydo-réductif ne permettent l’accès qu’à des valeurs moyennées sur des volumes très importants par rapport à ceux typiques des bactéries. Dans une revue récente [36], les auteurs concluent que « de grandes lacunes restent à combler, entre l’échelle où il a été prouvé que le transfert des électrons se faisait par les bactéries et l’échelle à laquelle les mesures géophysiques sont effectuées ‘(centimètre-mètre). Ceci devrait être un des domaines les plus importants des recherches futures ».
Seules des méthodes d’investigation locales, permettant d’accéder aux dimensions caractéristiques des cellules bactériennes (micromètre et en deçà) peuvent apporter les informations requises. Des études par microscopie électronique à balayage (MEB) ou microanalyse par‐ rayons X ont permis une avancée importante dans la compréhension des processus oxydo réductifs pilotés par des bactéries [48]. Mais les conditions opératoires restent très éloignées des conditions physiologiques naturelles des bactéries. Elles consistent à effectuer des prélèvements de matière dans le milieu réactionnel et de leur faire subir de nombreux traitements agressifs. En effet, ces méthodes, nécessitent une préparation préalable de l’échantillon, qui consiste à les fixer (tuer les cellules), les nettoyer chimiquement et les déshydrater (les cellules ne doivent contenir aucune trace d’eau). Ces méthodes, permettent certes d’observer les bactéries avec une grande résolution, mais dans des conditions très différentes des conditions de vie naturelles des bactéries, ce qui est un biais très important aux informations obtenues.
Contrairement à toutes ces méthodes de microscopies permettant d’aller à de très petites échelles dans l’exploration d’objets biologiques, la microscopie à force atomique (AFM) présente l’avantage de pouvoir travailler en milieu liquide, dans des conditions proches de l’état physiologique des bactéries.
La Microscopie à Force Atomique (AFM) et son application aux objets biologiques
La microscopie à force atomique
Historique
Certains relient l’invention de l’AFM à un instrument précurseur, le « Topografiner », développé par le physicien américain Russel Young en 1972 [49] et décrit par l’académie des sciences comme « le premier instrument qui fonctionne selon le principe du maintien d’une petite distance constante entre la surface d’un échantillon et celle d’un stylet pointu mécanique ». Mais, c’est bien l’apparition du microscope à effet tunnel (Scanning Tunneling Microscopy ou STM) en 1981, dans les laboratoires IBM à Zurich, développé par Gerd Binnig et Heinrich Rohrer, qui a révolutionné le domaine des microscopies classiques. Son fonctionnement repose sur l’apparition d’un courant tunnel lorsqu’une différence de potentiel est appliquée entre une pointe et un échantillon conducteur avec une distance très faible entre les deux. L’intensité de ce courant dépend de la densité électronique de la surface de l’échantillon, de la pointe et la distance entre les deux ; il est ainsi possible, en contrôlant l’intensité du courant tunnel, de retracer la topographie de l’échantillon à l’échelle atomique.
Figure 7 : Prix de Nobel de Physique décerné à Binnig et Rohrer en 1986 pour l’ensemble de leurs travaux sur le STM et AFM (Nobel partagé avec Ernst Ruska pour sa conception du microscope électronique).
Le STM, se limite donc aux échantillons conducteurs, mais la mise en évidence de forces d’interaction d’intensité variable en fonction de la distance pointe-échantillon, a permis l’introduction du Microscope à force atomique par G.Binnig, C.F. Quate et C. Gerber en 1986 [50], ce qui leur a valu l’obtention du prix Nobel de physique (figure 7). Par la suite, une nouvelle méthode de détection basée sur un bras de levier optique a permis d’accélérer fortement le développement de l’AFM (Atomic Force Microscopy) [51], [52], comme un nouveau type de microscopie à sonde locale permettant de visualiser la topographie de la surface d’un échantillon avec une précision nanométrique (figure 8).
Figure 8 : Le premier microscope à force atomique, musée de la Science de Londres (« first atomic force microscope », science museum London).
Principe général
Comme mentionné précédemment, le développement de l’AFM dérive du développement du microscope à effet tunnel (STM). Contrairement à ce type de microscopie limité aux échantillons conducteurs, l’AFM présente le grand avantage de permettre l’exploration de tout type de surfaces. L’AFM appartenant à la famille des microscopes à sonde locale, son fonctionnement repose sur le déplacement, induit par une céramique piezoélectrique, d’une sonde ou pointe solide très fine, de taille nanométrique, au voisinage immédiat de la surface d’un échantillon (figure 9). Le champ de force qui s’établit entre l’extrémité de la pointe et quelques atomes de l’échantillon qui sont à sa proximité, est mesuré et puisqu’il est directement lié à la distance pointe-échantillon, il reflète le relief de ce dernier, c’est ainsi qu’est déduite la topographie de l’échantillon à une échelle nanométrique.
Le levier utilisé est généralement en silicium ou en nitrure de silicium, et a typiquement des dimensions de l’ordre de : Longueur = 300 µm, largeur = 40 µm, épaisseur = 5 µm, il joue le rôle de ressort, et présente une pointe nanométrique à son extrémité appelée « la sonde ». Quand la pointe (ou sonde) est en interaction avec la surface, la force fléchit le levier, cette flexion est mesurée par la déviation du faisceau laser. Connaissant l’amplitude de cette déviation et la raideur du levier, il est facile d’évaluer la force qui s’établit entre la pointe et la surface.
Le levier est fixé à un ensemble de céramiques piézoélectriques, (matériau qui, soumis à une différence de potentiel, s’allonge ou se contracte suivant le signe de la tension appliquée) permettant de commander le déplacement de l’échantillon dans les trois directions de l’espace, doté d’une excellente stabilité et est très sensible (assurant des déplacements de l’ordre du picomètre 10-12 m). Ce système est associé à un dispositif électronique permettant de s’affranchir de toutes les vibrations parasites environnantes, point essentiel à cette échelle de travail. La déflexion du levier est mesurée par la méthode du levier optique (système optique élémentaire) : un faisceau laser est envoyé sur l’extrémité du levier et la position du faisceau réfléchi est détectée grâce à un photo-détecteur (photodiode) à quatre quadrants permettant de définir une position précise du spot de laser. Lorsque le faisceau réfléchi est dévié, l’intensité reçue par chacun des cadrans du détecteur change ; cette variation traduit donc une modification de position. Pour des faibles déflexions, il y a une relation linéaire entre le déplacement du levier et la différence entre les intensités reçues par les quadrants de la photodiode. La photodiode renvoie la valeur en intensité ainsi mesurée, correspondant à la déflexion, au bloc électronique. Comme le levier se déforme élastiquement, les déflexions enregistrées permettent d’avoir la topographie de surface de l’échantillon. L’acquisition de ces données ne se fait pas directement, mais par asservissement de la position de la pointe à une valeur de déflexion de référence, le « Setpoint ». Si la valeur mesurée est différente de la valeur de référence, l’électronique renvoie des tensions aux céramiques piézoélectriques, qui commandent le déplacement de la pointe, de manière à ce qu’elles se contractent ou se dilatent pour ramener la valeur de la déflection instantanée à la valeur de référence (ce principe de fonctionnement par boucle de rétroaction, fonctionne selon une déflexion constante ou force constante, il s’agit là du premier mode de fonctionnement de l’AFM, le mode contact).
Les forces d’interactions pointe‐surface
L’AFM est basée sur la mesure d’une force (F) ou de gradient de force ( F/ z) entre une sonde et la surface d’un échantillon.Les forces entrant en jeu durant les mesures AFM sont nombreuses et dépendent du type de pointe, de l’échantillon imagé et du milieu dans lequel est réalisée la mesure (air, liquide, vide). Elles sont de type attractif et de type répulsif elles peuvent aller jusqu’à une valeur de l’ordre du pico newton (10-12N) (figure10).
Ainsi, loin de la surface c’est surtout les forces attractives dites de Van der Waals qui s’exercent, puis quand la pointe est à quelques nanomètres de la surface, ce sont des interactions répulsives à courte portée qui prédominent (figure 10).
Les modes d’utilisation de l’AFM
L’utilisation de l’AFM se décline en plusieurs modes, selon que la pointe soit en contact avec la surface ou pas, qu’elle fonctionne à la résonnance du levier ou à fréquence nulle. Ces modes reposent sur des types d’interactions différents (figure 11).
. . . . Le mode Figurecontact11 : Courbe d’interaction pointe AFM-surface de l’échantillon.
Le mode contact, comme son nom l’indique, est un mode où la pointe est en contact avec la surface de l’échantillon. Ce mode correspond donc au domaine des forces répulsives. La pointe est placée au contact direct de la surface de l’échantillon étudié, avec une consigne d’appui. Un équilibre est alors obtenu entre d’un côté la force d’appui exercée et les forces d’attraction de la pointe, et de l’autres les forces de répulsion qui apparaissent. Ce mode fonctionne exclusivement dans le domaine répulsif (figure 11). La déflexion du levier, avec la pointe à son bout, est ainsi maintenue constante pendant les mesures AFM par balayage de la surface de l’échantillon, et une cartographie de l’échantillon est réalisée délivrant des données sur la variation de la hauteur de l’échantillon (sa topographie et rugosité).
. . . . Le mode contact intermittent
Le mode de contact intermittent, appelé aussi mode « tapping », est un autre mode utilisé en imagerie AFM. Il consiste à faire vibrer le levier à sa fréquence propre (f0) de résonance (de l’ordre de la centaine de kHz), loin de l’échantillon, avec une certaine amplitude. Lorsque la pointe interagit avec la surface, l’amplitude décroît (car la fréquence de résonance change). La rétroaction se fait, en mode de modulation d’amplitude, sur l’amplitude d’oscillation du levier à une fréquence voisine de f0. (Différence avec mode non contact : les amplitudes d’oscillation sont généralement plus importantes (> nm), la pointe entre en contact avec la surface de l’échantillon, à l’extrémité de son oscillation). Ce mode oscille entre le domaine répulsif et attractif (figure 11), et il est usuellement destiné à l’imagerie de matériaux souples.
. . . . Le mode non‐contact
Le mode non-contact est aussi appelé mode « résonnant ». Il fonctionne dans le domaine des potentiels attractifs de longue portée (figure 11) : le levier est excité à sa fréquence de résonnance avec de petites amplitudes d’oscillation (quelques nanomètres) à une distance de l’échantillon de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres, sans qu’il y ait contact entre la pointe et l’échantillon. En fonction du gradient de force perçu par la pointe, la constante de raideur effective du levier est modifiée, cette modification entraine un décalage de sa fréquence de résonnance. Ou bien, à l’inverse, à fréquence d’excitation constante du levier, le gradient de force modifie l’amplitude des oscillations qui peuvent à leur tour être mesurées. Ce mode est essentiellement utilisé sous vide.
|
Table des matières
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
SECTION 1 : LES BIOFILMS
1.1. Définition d’un biofilm
1.2. Etapes de développement d’un biofilm et interactions bactériennes
1.2.1. Etapes de développement d’un biofilm
1.2.2. Adhésion primaire et interactions bactériennes
1.3.1. Impact négatif des biofilms
1.3.2. Impact positif des biofilms et applications
SECTION 2 : LA BIO REMEDIATION ET SON CONTROLE ELECTRIQUE
2.1. La bio remédiation et utilisation de biofilms
2.2. Etude de bactéries dépolluantes
2.3. Méthodes de contrôle électrique sur site
SECTION 3 : LA MICROSCOPIE A FORCE ATOMIQUE (AFM) ET SON APPLICATION AUX OBJETS BIOLOGIQUES
3.1. La microscopie à force atomique
3.1.1. Historique
3.1.2. Principe général
3.1.3. Les forces d’interactions pointe‐surface
3.1.4. Les modes d’utilisation de l’AFM
3.1.5. La cartographie de forces
3.2. Application de l’AFM aux objets biologiques
3.2.1. Objets biologiques observés par AFM
3.3. Immobilisation bactérienne pour imagerie AFM en milieu liquide
SECTION 4 : DERIVES DE L’AFM
4.1. Les différents dérivés des pointes AFM
4.2. Couplage de l’AFM à la microscopie électrochimique (SECM)
Fabrication des sondes AFM‐SECM
4.2.1. Les sondes AFM‐SECM « artisanales »
4.2.2. Les sondes AFM‐SECM « micro‐fabriquées »
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
MATERIEL ET METHODES
SECTION 1 : IMAGERIE AFM NANOSCOPE III
1.1. Pointes AFM utilisées
1.2. Matériel biologique
1.3. Culture bactérienne
1.4. Imagerie AFM à l’air
1.5. Imagerie AFM en milieu liquide
1.5.1. Difficultés d’imagerie en milieu liquide
1.5.2. Imagerie AFM en milieu liquide avec immobilisation
SECTION 2 : MISE EN PLACE DU NANOWIZARD 3
2.1. Installation Nanowizard 3 et mode QI (Quantitative Imaging
2.1.1. Le Nanowizard 3 et ses composantes
2.1.2. Mode QI (Quantitative Imaging) et conditions d’imagerie
2.2. Matériel biologique et bactéries utilisées sur Nanowizard 3
2.2.1. Rhodococcus wratislaviensis
2.2.2. Lacotococcus lactis
2.2.3. Clostridium acetobutylicum (Cab) et Desulfovibrio vulgaris Hildenborough (DvH)
SECTION 3 : COUPLAGE AFM SYSTEME OPTIQUE
3.1. Couplage AFM‐suivi optique
3.2. Traitement des images optiques et AFM
3.2.1. Traitement des images optiques et AFM pour suivi de déplacement de cyanobactéries
3.2.2. Traitement des images optiques pour suivi de la croissance bactérienne (DO)
SECTION 4 : MESURES ELECTRIQUES
4.1. Réalisation des leviers AFM‐SECM par FIB (Focused Ion Beam)
4.1.1. Principe de la sonde ionique focalisée (FIB :Focused Ion Beam )
4.1.2. Essais réalisation leviers AFM‐SECM
4.2. Mesures AFM en mode électrique avec leviers/électrodes de taille micrométrique : une première approche de l’AFM‐EC
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
RESULTATS & DISCUSSION
SECTION 1 : IMAGERIE AFM
1.1. Imagerie AFM en atmosphère gazeuse
1.2. Imagerie AFM en milieu liquide
1.3. Imagerie AFM en milieu liquide après immobilisation
1.3.1. Essais d’imagerie AFM en milieu liquide après immobilisation
1.3.2. Limites et contraintes
SECTION 2 : ETUDE AFM EN MILIEU LIQUIDE DE BACTERIES SANS IMMOBILISATION
2.1. Imagerie AFM en milieu liquide sans immobilisation
2.1.1. Cyanobactéries
2.1.2. Rhodococcus wratislaviensis
2.1.3. Lacotococcus lactis
2.1.4. Clostridium acetobutylicum (Cab) et Desulfovibrio vulgaris Hildenborough (DvH)
2.1.4.2. Desulfovibrio vulgaris Hildenborough (DvH)
2.1.4.3. Coculture Cab‐DvH
2.2. Etude topographique et mécanique par AFM sur les cyanobactéries
2.2.1. Présentation de l’étude
2.2.2. Publication « «In‐situ determination of the mechanical properties of gliding or non‐motile bacteria by Atomic Force Microscopy under physiological conditions without immobilization»
SECTION 3 : MESURES AFM COMBINEES A DES MESURES ELECTROCHIMIQUES
1.1. Réalisation des leviers AFM‐SECM par FIB (Focused Ion Beam)
1.1.1. Essais à l’INL de Lyon
1.1.2. Essais à l’IMPMC Paris
1.2. Mesures électriques et électro‐chimiques en mode approche‐retrait (QI de JPK)
1.2.1. Expériences électriques en mode I(V) en différents endroits quasiponctuels
1.2.2. Expériences électriques en imagerie QI à potentiel électrique constant
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
ANNEXES
ANNEXE 1
ANNEXE 2
ANNEXE 3
REMERCIEMENTS
Télécharger le rapport complet