Problématisation
L’auteur décrit la première phase de problématisation comme, « et ceci n’est pas original, la formulation de problèmes » (CALLON, 1986) . On identifie les différents acteurs à prendre en considération, des enjeux importants et potentiellement problématiques pour eux, et la schématisation de ces enjeux et acteurs qui « rendra l’innovation indispensable » pour ces derniers. Pour être éligible à bénéficier d’un projet fédéral ou de l’état, une association doit se constituer dans la communauté destinatrice, qui jouera le rôle d’interlocuteur avec les institutions donatrices . Ainsi, un salarié de la CAGECE m’a expliqué que quand il n’existe pas une association locale dans une communauté, le SISAR peut inciter sa création. Tout comme si une association locale se dissout dans une communauté gérée par le SISAR, la procédure prévue est également d’inciter la création d’une nouvelle association . Puisque des associations locales existaient à Arataca et Andreza avant que les communautés ne soient considérées pour engager les services du SISAR, elles remplissaient déjà un critère d’éligibilité important.
À Andreza et Arataca, comme à maintes autres communautés du milieu rural céarense, le SISAR est effectivement venu apporter une aide gestionnaire dans des communautés déjà équipées d’infrastructure (cf. Partie 2.1, p.22), pour consulter la liste d’objets techniques nécessaires pour la mise en place du modèle SISAR) pour l’approvisionnement en eau courante. En effet, les systèmes d’approvisionnement en eau fonctionnaient de façon non régulée dans l’ensemble des communautés, du fait de l’absence d’un acteur gestionnaire.
La ressource en eau courante était effectivement surexploitée par les habitants situés en amont du réseau, du fait de sa gratuité, au point de priver des centaines d’autres habitants de la ressource. De nombreux habitants se plaignaient justement de l’absence d’une certaine autorité qui viendrait corriger cette injustice. Donc, du point de vue des habitants, le SISAR pouvait paraître comme un service indispensable avant même de connaître la particularité de ses services. Car, indépendamment de son modèle original de gestion partagée, il offrait notamment un service payant de gestion de la ressource en eau qui viendrait réguler un système de distribution jugé inégal.
Intéressement
Point de passage essentiel pour l’initiation de l’innovation, les responsables du SISAR ont dû mobiliser certains mécanismes d’intéressement afin d’« imposer et stabiliser l’identité » (CALLON, 1986) des acteurs qu’ils ont définis par la problématisation. Les témoignages de gestionnaires ainsi que des acteurs des communautés m’ont confirmé que la principale démonstration d’intéressement consistait à faire arriver de l’eau à l’ensemble des usagers des communautés. Effectivement, comme plusieurs gestionnaires m’ont raconté, « l’importance pour [les habitants] était que l’eau arrive. Quand on a fait la réunion de filiation, les gens ne croyaient pas qu’on arriverait à faire arriver de l’eau rien qu’à travers la gestion » . Le fait de faire payer la quasi-totalité des habitants dans ces communautés a provoqué l’effet désiré : faire baisser globalement les consommations des usagers en amont du système de distribution afin d’assurer un approvisionnement pour tous de la ressource en eau. De ce point de vue là, le service d’approvisionnement en eau courante s’est amélioré depuis l’arrivée du SISAR, puisque « comme nous payons maintenant, on en a à tous les jours ».
Enrôlement
La phase d’enrôlement représente « un intéressement réussi », car un « dispositif d’intéressement ne débouche pas nécessairement sur l’alliance » (CALLON, 1986).
Pour enrôler les responsables locaux (les membres des associations et les opérateurs), le principal dispositif d’enrôlement employé par le SISAR consiste à une gratification monétaire mensuelle. Effectivement, il est jugé même que les gratifications puissent servir de mécanisme de capacitation, car fournissant à l’association une ressource capable d’améliorer son fonctionnement dans la communauté et dans le modèle SISAR. Pourtant, selon un gestionnaire, la gratification destinée à l’opérateur ne garantit pas cependant le niveau d’action et d’engagement de l’association car « beaucoup de fois, l’opérateur…ne fait rien, ou il ne fait à peine rien » . Alors, ce gestionnaire m’a raconté que certaines communautés-usagères (par exemple, celles présentant un faible nombre de maisons) ont décidé d’augmenter le montant destiné à l’opérateur (jusqu’à R$7 – US $ 3.12) dans les factures mensuelles d’eau, afin de mieux intéresser l’individu à prendre en charge un rôle davantage rémunérateur.
De fait, l’ensemble des mécanismes d’intéressement et enrôlement relève à la fois du maintien du principe de justice en matière d’approvisionnement en eau, d’une « acclimatation » au principe de consommateur-payeur et aussi d’une « juste rémunération » des activités de régulation et de gestion opérées par les associations et les opérateurs. C’est à ce prix que le modèle collectiviste paraît pouvoir enrôler les parties-prenantes. Cependant, le SISAR s’est établi dans les communautés étudiées avec un faible nombre d’interactions, communiquant avec un faible nombre d’acteurs locaux, et ne faisant qu’une évaluation « technique » de la communauté. En effet, aucune évaluation a été faite en matière de la capacité des acteurs locaux à bien faire les rôles prévus pour eux dans le modèle SISAR. Pourtant, le gestionnaire dit que le processus ayant eu lieu au Complexe Itapeim correspond avec une procédure générale de mise en relation initiale avec une communauté-destinataire dans le SISAR-BME. Le premier contact entre les communautés étudiées et des responsables du SISAR s’est fait lors d’une réunion organisée par le secrétaire de développement rural, aquiculture et pêche de la municipalité de Beberibe. Un membre d’une association locale a décrit le contenu de cette réunion comme étant pareil à ce qui fut discuté dans la réunion d’affiliation . Le gestionnaire confirme qu’aucun support d’information n’a été laissé avec ces membres pour consultation ultérieure.
Les opérateurs, conforme à la procédure générale, ont été élus lors des réunions d’affiliation respectives des communautés, et n’ont pas été substitués depuis la prise en charge de la gestion du réseau par le SISAR. Chacun des opérateurs disent avoir bien compris les responsabilités qu’ils allaient assumer, ainsi que les bénéfices (financiers) dont ils auraient droit. Les habitants des communautés ayant assisté aux réunions disent avoir voté pour ces individus pour des raisons diverses. D’une part, les habitants d’une communauté citent des jugements de la capacité physique de la personne, jugée nécessaire pour bien faire le rôle de l’opérateur. En effet, ils considèrent que ses fonctions peuvent être physiquement exigeantes. Pour cette raison, de nombreux habitants et membres des associations répondent souvent à la question, « Pensez-vous qu’une femme est capable de faire le travail de l’opérateur ? » soit par le négatif, soit à condition que ladite femme ait de grande disposition physique. Dans une autre communauté, plusieurs habitants disent avoir voté pour l’opérateur en question afin de lui fournir un revenu. En effet, l’élection de cet opérateur s’est opérée selon des considérations d’un tout autre type, davantage morale et solidaire. Les différentes expériences de l’élection de l’opérateur révèlent ici la souplesse offerte aux acteurs des communautés quant au fonctionnement local du modèle. Or, chacun des opérateurs expriment des avis critiques quant à cette souplesse, jugée excessive puisque n’étant pas suivi d’une formation suffisante. En effet, les opérateurs des trois communautés du Complexe Itapeim expliquent que les représentants du SISAR n’ont fourni une formation qu’à un d’entre eux. La formation a été évaluée comme insuffisante, s’agissant d’une demi-journée d’orientation in situ avec un fonctionnaire du SISAR. Ils disent apprendre davantage dans la réalisation de leurs fonctions. Par ailleurs, les opérateurs disent qu’ils communiquent entre eux occasionnellement, et qu’ils s’entraident lorsqu’un d’entre eux sollicite de l’aide.
Les porte-parole : Qui est le SISAR ? Comment existe-t-il entre les acteurs destinataires ?
Comme j’ai pu assister lors d’une réunion d’accompagnement dans une communauté et lors du séminaire des SISAR cité ci-haut, les représentants du SISAR souhaitent que ses projets collectifs puissent générer un sentiment d’appartenance générale parmi tous les promoteurs de l’innovation, usagers et gestionnaires. Comme un gestionnaire l’a dit à un petit public d’usagers, « [le président de l’association locale] est SISAR, l’association locale est SISAR, le SISAR est l’association, vous êtes SISAR tous, vous qui êtes ici.
Alors nous sommes tous ensembles » . Se manifeste dans ces propos la volonté claire des gestionnaires de réussir à créer des alliances et de fédérer les communautés. Les usagers sont-ils d’accord ? Et les membres de l’association ? Qui permet au gestionnaire de parler au nom de l’association ou des usagers ? Et à l’association de parler au nom des usagers ? Au-delà de suivre leurs rôles (ou non), les différents acteurs s’identifient-ils consciemment à « l’identité SISAR » ? Pour réveiller le sentiment d’appartenance à « l’identité SISAR » auprès des acteurs locaux, il semble d’abord essentiel que ces derniers aient accepté les rôles définis pour eux.
Or, le contexte de la même réunion où ces derniers propos ont été prononcés est révélateur de la difficulté à laquelle les gestionnaires sont confrontés. La première rencontre depuis son affiliation, prévue pour réunir les gestionnaires du SISAR et les usagers de cette communauté, a attiré seul huit usagers (en plus de cinq membres de l’association locale et l’opérateur local). Effectivement, un gestionnaire du SISAR m’a expliqué qu’ « à moins de se passer un grand problème dans [une] communauté » , la présence des usagers est relativement faible. Ce gestionnaire m’a raconté que ces réunions d’ « accompagnement » servent surtout à demander aux usagers s’ils ont des plaintes et si l’opération du système hydrique est bien. De fait, limitant le contact direct entre gestionnaires et usagers à ces réunions, les responsables du SISAR demeurent sur des logiques de cooptation des populations les plus à risque, celles qui pourraient à court terme contrer le projet collectif, des usagers a priori conscients d’enjeux qu’ils souhaitent porter auprès de ces derniers. Sont donc exclus de nombreux usagers pouvant avoir eu du mal à appréhender a priori les impacts de la nouveauté du service d’approvisionnement en eau : par exemple, l’usager qui utilise l’eau de manière non-maitrisée mais n’y trouve pas de problème si sa facture est d’une valeur raisonnable. Alors, question essentielle inspirée des recherches de Callon (1986) : en dehors des interactions s’avérant très limitées entre les gestionnaires et les acteurs locaux, « la masse [association locale, opérateur, usagers] suivra-t-elle » dans l’acceptation de leurs rôles respectifs ? Avec quelle justesse les différents représentants se permettront alors de parler pour les usagers ?
Un gestionnaire décrit le mode organisationnel comme étant « corrective » . Le modèle prévoit effectivement que ses gestionnaires et fonctionnaires réagissent en priorité à des problèmes de manque d’eau (ponctuel ou chronique) dans une des 51 communautés à leur charge. Mais, si les gestionnaires du SISAR ne maintiennent pas toujours un contact régulier et proactif avec une pluralité de membres de la communauté, il semble qu’il n’est pas uniquement à cause d’une prévision du modèle gestionnaire en soi. Cette situation semble être liée notamment au fait que le SISAR-BME a des faibles effectifs (pour la description de son corps de personnel cf. Partie 2.1, p. 24) et donc une faible capacité d’anticipation ou d’action préventive. Cette réalité organisationnelle peut se traduire de plusieurs manières sur le service fourni aux communautés et le niveau de mobilisation des populations. Par exemple, un gestionnaire affirme qu’il existe une corrélation entre la présence des usagers aux réunions d’accompagnement et la mobilisation effectuée par les responsables locaux en amont de ces réunions. « L’idéal serait, lorsqu’on fait une réunion, que nous [les gestionnaires] fassions de la mobilisation, n’est-ce pas ? Et que les personnes [usagers et responsables locaux] participent réellement. Mais on doit encore laisser la mobilisation à l’association. Et des fois ça compromet le fonctionnement de la réunion. …Je n’ai pas la possibilité d’y aller en amont pour faire de la mobilisation de maison en maison ».
En lien avec la prévision du modèle, qui donne un niveau considérable d’autonomie aux responsables locaux, le SISAR se voit effectivement obligé de se fier sur ces derniers pour mieux assurer un rôle de médiateur avec l’ensemble des usagers de la communauté.
Résumé des éléments de compréhension et recommandations
De fait, les associations de cette étude n’exerçaient pas de fonctions qui les amenaient à rentrer souvent en contact avec les usagers (contrairement à l’opérateur), alors que leur responsabilité est d’être à l’écoute de ceux-ci en cas de problème. Or, il est également important que les usagers sachent qu’ils peuvent avoir recours à l’association pour leurs problèmes en matière de l’eau du SISAR, ce que de nombreux habitants ne m’ont pas dit quand je leur ai demandé « A qui pouvez-vous parler quand vous avez un problème avec votre eau du robinet ? ». Pourtant, les gestionnaires du SISAR se fient sur les représentations faites par les associations quant au fonctionnement du système et au succès général du projet collectif. L’opérateur, quant à lui, représente une référence bien reconnue et généralement bien vue par les usagers à ce propos. Dans l’intérêt de la meilleure représentativité des acteurs (humains et non-humains) dans le réseau d’acteurs, il parait essentiel de procéder à l’amélioration de la qualité et du flux d’information arrivant aux acteurs locaux, ainsi qu’à l’élaboration de nouvelles formes communicationnelles au sein des communautés.
La mesure des consommations de la ressource en eau prend une nouvelle importance
Depuis l’arrivée du SISAR dans chacune des communautés étudiées, un des changements les plus importants, affectant chaque foyer-client du service, s’agit du nouveau prix pour l’utilisation de l’eau au robinet. Comme je l’ai déjà expliqué dans l’histoire locale du « Complexe Itapeim », de différentes eaux pouvaient déjà avoir un coût monétaire pour beaucoup de foyers (notamment pour sa livraison). Or, l’eau courante n’existait que partiellement, mais toujours gratuitement, dans chacune des communautés étudiées depuis plus de dix ans avant de devenir un service payant, disponible à une beaucoup plus grande proportion d’habitants, et géré par le SISAR.
Depuis l’entrée en vigueur de la gestion du SISAR en avril 2013, le tarif minimum de consommation administré par le SISAR est de R $8 (US $3.56), hormis les deux autres éléments de la facture d’eau (la taxe administrative et le frais d’opérateur). Le tarif minimum permet la consommation de l’eau jusqu’au seuil de 10m3/mois. Des consommations en dessus de ce seuil entrainent un tarif supérieur selon des plages de consommation, détaillé dans un tableau tarifaire (Cf. Annexe 3). Selon un gestionnaire du SISAR, la quantité de 10m3 a été établie selon une mesure moyenne de consommation par mois, calculé par la CAGECE.
Depuis l’arrivée du SISAR, la mesure de l’eau consommée par le foyer est effectivement devenue une information de plus grande importance, car pesant sur le budget de celui-ci.
Le compteur hydrique est l’actant élu par le SISAR devant assurer la juste mesure de l’eau livrée à l’usager, ainsi permettant sa juste facturation. Le même modèle du compteur est utilisé par la CAGECE dans le milieu urbain et par le SISAR dans les communautés rurales de la présente étude, représentant en quelque sorte l’actant par excellence en matière de mesure hydrique dans l’état du Ceará . Dans le réseau d’acteurs du modèle SISAR, l’ensemble des acteurs dépend donc sur le bon fonctionnement du compteur hydrique. Car il est le seul ayant la responsabilité de traduire (Cf. théorie de l’acteur-réseau) une réalité cachée dans des tuyaux en information « objective », disponible à tous à travers ses numéros roulants.
Or, pour de diverses raisons, il s’avère que les mécanismes de mesure et de tarification employés par le SISAR n’arrivent pas à se faire approprier par les usagers de la façon espérée par les chefs de l’innovation. En général, il s’agit soit de l’ignorance, soit de la mauvaise compréhension de la part des usagers qui : se méfient de l’exactitude du compteur hydrique, ne savent pas l’utiliser comme outil pour mesurer leurs propres consommations, et ne « découvrent » la quantité et le prix de leurs consommations qu’au moment de recevoir leur facture. Dans d’autres cas, certains usagers s’en sont appropriés de manière illicite, créant de nouveaux usages pour le dispositif en accord avec leur volonté de maitriser une nouvelle situation. En effet, « l’objet technique ne peut pas plus être confondu avec un dispositif matériel qu’avec l’ensemble des usages « remplis » par ce dispositif : il se définit très exactement comme le rapport construit entre ces deux termes »(AKRICH, 2006).
Résumé
Dans les situations observées lors de l’étude, des savoirs différents se confrontaient entre les usagers des communautés et les représentants du SISAR. Le savoir du SISAR, tel que traduit par le compteur, se trouvait en position de pouvoir épistémologique exclusif, alors que l’usager essayait par des méthodes approximatives de rendre le sien en équivalence.
Les usagers emploient ces méthodes principalement à cause de l’appropriation particulière (ou bien la non-appropriation) du compteur, l’ignorance du tableau tarifaire et la particularité du mécanisme tarifaire employé en comparaison avec d’autres déjà connus. Encore, le dysfonctionnement du compteur cité parait comme particulièrement problématique dans un milieu présentant de telles circonstances de précarité. Si l’existence du dysfonctionnement n’est pas encore bien diffusée, il ne le sera surement que de plus en plus. La considération de ces éléments parait indispensable pour des acteurs souhaitant fournir un service juste qui puisse sceller l’alliance de ses clients.
Un meilleur accompagnement, tel que réclamé par de nombreux usagers, aiderait à renforcer la justesse des mécanismes de mesure et tarification employés par le SISAR.
Car il pourrait délivrer de nombreux usagers de leur ignorance de nouveaux éléments dans leurs vies, les aidant à comprendre le fonctionnement des dispositifs et même de s’en servir intelligemment. Si l’usager arrivait à s’approprier des dispositifs d’une manière qui le bénéficie, son acceptation alors pourra changer d’une connotation passive (de perspective typiquement, « le SISAR utilise le compteur hydrique pour mesurer mes consommations et appliquer un prix que j’ignore ») à une connotation active (« le compteur hydrique m’aide à connaître mes consommations et un tableau tarifaire m’aide à contrôler leur coût »). En attendant, les compteurs continuent à traduire une certaine réalité en factures imposées aux clients-usagers, qui n’ont autre choix que de participer en payant la facture ou de désister du projet, comme certains l’ont déjà fait.
Le SISAR en interaction avec les communautés : inefficiences et incompatibilités
Le modèle gestionnaire du SISAR prévoit une fonction importante de gestion et de médiation pour l’association locale de la communauté recevant ses services. Dans la chaine d’acteurs définie par le modèle SISAR, les gestionnaires sont liés aux communautés à travers deux interlocuteurs : l’opérateur et le président (et parfois le viceprésident) de l’association locale. Par exemple, le modèle prévoit qu’un usager ayant une question ou une plainte à faire entendre, la communique à l’opérateur. Si l’opérateur et l’association sont dans l’impossibilité de résoudre le problème ou plainte, l’association doit éventuellement en faire part aux gestionnaires du SISAR. Même si l’on ne décourage pas l’usager de rentrer en contact avec les gestionnaires (à travers le numéro de téléphone se trouvant sur la facture mensuelle), plusieurs de ces derniers m’ont confirmé que le plus souvent ils ne communiquent qu’avec le président et/ou vice-président de l’association locale et l’opérateur. En effet, selon les gestionnaires , le rôle joué par l’association est effectivement décisif pour la qualité de service de l’approvisionnement en eau fourni à l’ensemble de la communauté.
La décision d’attribuer une telle importance à l’association peut apparaître comme une bonne solution gestionnaire, car prévoyant une interaction limitée, et donc plus facile à gérer, entre le SISAR et une entité associative perçue a priori comme étant (ou devant être) une juste représentation de la communauté. En effet, un gestionnaire a réitéré à plusieurs reprises, en parlant des membres exécutifs des associations, qu’il les voyait comme « des leaders de leurs communautés » . Les associations locales de cette étude ont effectivement des noms susceptibles à renforcer cette idée de bonne représentativité : « L’association communautaire des habitants de Arataca » et « L’association communautaire des travailleurs de Andreza ». Le modèle SISAR délègue ainsi un rôle de porte-parole principal à l’association locale (et à l’opérateur) ; autant pour représenter le modèle SISAR auprès des usagers que pour les représenter auprès des gestionnaires.
Enfin, elle est censée jouer un rôle central, un rôle de médiation dans la diffusion de l’innovation.
L’histoire associative des communautés peut apparaître comme un élément de grande importance dans la mesure où elle peut aider à comprendre quelle(s) représentation(s) sociale(s) existe(nt) dans ces communautés rurales. Par exemple, que pensent les responsables des associations du rôle général d’une association locale ? Assument-ils la nouvelle fonction attribuée par le SISAR de façon désirée par les responsables de l’ONG? Pour les différents usagers d’une communauté, quelle opinion ont-ils de leur association locale, au passé et au présent ? Quelle légitimité accordent-ils à celle-ci en tant que représentant de leurs expériences et de leurs intérêts, comme médiatrice entre le SISAR et l’ensemble de la communauté ? Répondre à ces questions, c’est apprécier la capacité du modèle associatif local et sa dynamique à s’adapter lui-même au projet collectif d’approvisionnement en eau, géré par le SISAR.
Effets pervers des frais administratifs
Les frais administratifs se heurtent aux mécanismes associatifs existants
Un nombre important d’usagers n’avait pas conscience de la gratification allouée à l’association pour rémunérer ses actions gestionnaires, et plusieurs usagers qui en étaient au courant y portaient de fortes critiques. Il s’agit d’un financement collectif et obligatoire de l’association locale du total de R $1 (US $0.45) par facture mensuelle payée, portant le titre de « frais administratif ». C’est-à-dire qu’indépendamment d’être adhérent à l’association, tout usager de l’eau du SISAR paie l’association R$1 (US $0.45) lorsqu’ils paient leur facture d’eau. L’intention des gestionnaires est que l’ensemble de ces gratifications puisse rémunérer le travail fourni d’interlocutrice et aussi fomenter le financement d’autres projets collectifs, ainsi promouvant l’esprit de collectivisme dans les communautés clientes du SISAR. En effet, un gestionnaire a affirmé que la réception de ces fonds représente en elle seule le mécanisme de capacitation par lequel le SISAR prétend fomenter l’associativisme.
Cependant, l’opportunité offerte par le SISAR à l’association de mieux grandir représente également une responsabilité du point de vue des usagers qui peuvent attendre plus de l’association, car recevant de l’argent de chacun d’entre eux. Dans les communautés de Grand Arataca et Andreza, une association locale existe dans chacune des villages depuis 1996 et 1997 respectivement, dont l’adhésion a toujours été facultative. Depuis avant l’arrivée du SISAR, l’on peut s’associer à ces associations en payant une adhésion mensuelle (de R $2 (US $0.89) à Arataca et R$3 (US $1.34) à Andreza). Ainsi, depuis de nombreuses années, les habitants de ces communautés avaient le choix de participer collectivement dans le financement de l’association et de bénéficier de ses éventuels projets. Seulement, comme je l’ai évoqué précédemment, la participation communautaire dans les associations n’est pas jugée comme forte dans toutes les deux communautés. À Andreza, à cause de l’état d’interruption d’activités associatives, un nombre exact d’adhérents n’a pas pu être établi (un membre exécutif a dit qu’il y avait 25 membres, un autre a dit qu’il y avait près de 60). Effectivement, un membre de cette association m’a confirmé que depuis plus de six mois, aucun adhérent ne payait l’adhésion, et que la fréquence des réunions associatives était à moins d’une réunion tous les deux mois. Situation qui semble ne pas appuyer l’hypothèse d’une plus forte associativisme depuis l’arrivée du SISAR. Dans le cas du Grand Arataca, la participation communautaire n’est pas forte depuis près de six ans, ne dépassant jamais 40 membres pendant cette période (tenant en compte le fait que le plus souvent, un seul membre d’un foyer paie l’adhésion et assiste aux réunions). Au mois de juin 2014 elle comptait 35 membres sur les 146 familles du village (24% des foyers de la communauté).
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Table des matières
PREAMBULE
GRILLE DE SIGLES
PARTIE 1 – DE L’INSERTION DANS LE PROJET DE RECHERCHE A LA CONSTRUCTION DE L’OBJET D’EVALUATION
1. PRESENTATION DE L’OBJET DE L’ETUDE – SISAR
2. LE STAGE D’EVALUATION SOCIOLOGIQUE DANS LE PROJET DESAFIO
3. PROBLEMATIQUE
4. METHODOLOGIE
PARTIE 2 – LES PRINCIPALES REFLEXIONS ET OBSERVATIONS DE LA RECHERCHE
1. CONTEXTE SOCIOHISTORIQUE DU COMPLEXE ITAPEIM
2. L’INTRODUCTION DE L’INNOVATION – REFLEXIONS SUR LA MAUVAISE COMPREHENSION DU MODELE SISAR DE LA PART DES ACTEURS LOCAUX
3. LA MESURE DES CONSOMMATIONS DE LA RESSOURCE EN EAU PREND UNE NOUVELLE
IMPORTANCE
4. LE SISAR EN INTERACTION AVEC LES COMMUNAUTES : INEFFICIENCES ET INCOMPATIBILITES
5. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1 – ACTE D’AFFILIATION DE LA COMMUNAUTE DE ARATACA
ANNEXE 2 – FACTURES MENSUELLES
ANNEXE 3 – EXTRAIT DU TABLEAU TARIFAIRE
ANNEXE 4 – GRILLES D’ENTRETIEN TYPE (USAGER & PROFESSIONNEL)
ANNEXE 5 – GRILLE DE LECTURE TYPE
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