La mentalité primitive : le « prélogisme » chez Lévy BRUHL

Ecrire sur un thème traitant des problèmes philosophiques en Afrique Noire, c’est courir sans doute le risque de plonger dans une entreprise assez complexe. Etudier la question du sens dans l’espace négro-africain ne se fait pas en vue de rivaliser avec des philosophes célèbres, ni en vue d’ajouter un chapitre de plus à l’histoire de la philosophie. Questionner sur le sens, c’est manifestement poser, d’une manière générale, la question de l’identité. En effet, le discours philosophique négro-africain, en œuvrant pour la production de sens, doit s’ancrer dans le présent qu’il interroge pour se comprendre et examiner les modalités d’actions libératrices.

La mentalité primitive : le prélogisme chez LUCIEN LEVY BRUHL 

Il est vrai que la domination occidentale n’est pas seulement matérielle ou technique; elle a été aussi idéologique et philosophique. Mieux, l’asservissement de l’Afrique noire est sans doute le fruit d’un détournement du sens. L’occident philosophique a comme imposé aux Négro-africains l’idée d’infériorité nègre et celle de supériorité blanche. A cette époque de l’impérialisme, l’Homme n’était pas seulement le type universel défini par la raison : l’homme en Occident n’était pas le même en Afrique noire. En conséquence, il fallait, pour l’idéologie européenne, démontrer la spécificité du caractère nègre. Pour Lévy BRUHL, la mentalité nègre n’est pas illogique, mais pré-logique. Pour comprendre ce concept, essayons d’abord de voir le sens du radical logique. En fait qu’est-ce que la logique ? Selon Lalande, la logique est « la technique des techniques intellectuelles, c’est-à-dire l’étude des procédés généraux par lesquels l’intelligence démêle le vrai du faux » . Nous avons choisi partiellement une définition de Lalande de la logique du fait que celle-ci est amplement prise en charge dans son ouvrage et pourrait répondre par cela même à nos propres attentes définitionnelles. Donc, un être logique, si l’on en croit Lalande, est celui qui sait distinguer le vrai du faux : le terme « démêler » prend ici tout son sens. Un être logique, de ce point de vue, est un être qui sait apprécier les critères de validité ou d’invalidité du discours. Ainsi la mentalité logique apparaît comme une sorte de structuration de l’esprit œuvrant à la découverte des lois fondamentales d’exploration du réel.

Dès lors, la mentalité logique suit un processus normal de la contemplation ou de la recherche de la vérité. Tout se passe donc comme si l’être logique forgeait lui-même une certaine maturité intellectuelle ou spirituelle ou bien comme s’il se trouvait déjà dans un tel état, lequel constitue le baromètre de l’humanité. Sous ce rapport, la logique de Lévy BRUHL qui se révèle ici se présente comme si la mentalité logique est la propriété de l’homme blanc. En conséquence, le postulat d’une « mentalité prélogique » n’est pas soulevé par Lévy BRUHL ex-nihilo ; il prendrait sa source dans une sorte d’étude comparative. Autrement dit, pour s’enquérir de l’état présent de la mentalité primitive en général et nègre en particulier, il fallait partir de celui de la mentalité occidentale. A en croire BRUHL «les représentations collectives ont leurs lois propres, qui ne peuvent se découvrir-surtout s’il s’agit de primitifs- par l’étude de l’individu blanc, adulte et civilisé » . La mentalité logique blanche, on le voit, renferme en son sein les concepts d’ « adulte » et de « civilisé ». Par « adulte », on entend l’âge pendant lequel l’individu atteint une maturité et devient pure raison, c’est-à-dire un être raisonnable. N’est-ce pas cela qui fait que dans l’Antiquité grecque, l’âge de quarante ans était considéré comme l’âge mature ou l’âge adulte ? Aussi, le positivisme comtien soutient-il que l’âge mature correspond à l’âge positif qui consacre le triomphe de l’esprit scientifique. Et par « civilisé », on comprend sans doute l’ensemble des manifestations culturelles, matérielles et techniques stimulées et développées chez l’individu ou dans la société.

Il est vrai que si les travaux de Lévy BRUHL ont obtenu des résultats qui ont atteint une telle renommée, c’est parce qu’ils sont le fruit de différents apports documentaires, de collaborateurs comme la grande école positiviste et sociologique dont un des pères fondateur fut Emile DURKHEIM. Lévy BRUHL le reconnait lui même, car il n’a pas oublié de le mentionner dans son ouvrage : « cette grande tâche ne saurait être accomplie que par une série d’efforts successifs(…) J’ai trouvé aussi un utile secours chez les psychologues… »  . Quelle est cette grande tâche à laquelle BRUHL fait ici allusion ? Celle-ci n’est autre que la démonstration logique du prélogisme, ce mental des primitifs. « J’ai pu, écrit-il, en me fondant sur ces travaux (des sociologues), montrer que le mécanisme mental des « primitifs » ne coïncide pas avec celui dont la description nous est familière chez l’homme de notre société (le Blanc) : j’ai cru même pouvoir déterminer en quoi consiste cette différence, et établir les lois générales qui sont propres à la mentalité des primitifs. » .

Il s’agit de voir l’effet de description qui marque la différence entre les hommes du point de vue de la couleur. Une différence que BRUHL estime comme une différence en soi, et non une différence relative. Nous y reviendrons.

De ces propos précités il résulte deux questions fondamentales : qu’est-ce donc que le prélogisme ? En quoi consiste-t-il ? Nous avons déjà montré le sens de logique, son sens tout de même assez restreint. Par son étymologie, il convient de voir que prélogisme est composé du préfixe « pré » qui signifie « ce qui est antérieur à », au sens figuré, « ce qui n’est pas encore » ; et du radical « logisme » que nous avons déjà parcourus. Qu’en dit André LALANDE ? « Prélogique, terme appliqué primitivement par Lévy BRUHL(…) à la mentalité des individus constituant ces sociétés. Il a limité d’abord le sens de ce terme en spécifiant « qu’il ne faut pas entendre que cette mentalité constitue une sorte de stade antérieur dans le temps à l’apparition de la pensée logique…(mais seulement) qu’elle ne s’astreint pas avant tout, comme notre pensée, à s’abstenir de la contradiction » (p.79) ; puis il a fini par le rejeter entièrement, comme représentant une idée fausse, et, par admettre que la mentalité des non-civilisés ne diffère aucunement de celle des civilisés par leur logique, mais par l’image qu’ils se font de la nature, des participations qui s’y exercent, et du mode d’actions des êtres les uns sur les autres. »  Cette définition de LALANDE est une précision importante dans l’appréhension de l’idée de mentalité prélogique. Si on se fie à la structure du concept « prélogique », on croirait qu’il connote une mentalité antérieure, précédant la mentalité logique. Autrement dit, BRUHL ne dit pas que les sociétés non civilisées ne connaissent pas la logique. Mais par mentalité prélogique, Lévy BRUHL entend un type de rapport que les peuples inférieurs entretiennent avec la nature. C’est en effet le constat né de l’observation de ce rapport qui aurait amené BRUHL au résultat que nous savons : la mentalité primitive des sociétés inférieures est prélogique. La relation sujet /objet est ici au cœur du postulat de BRUHL. Comment le sujet (l’homme) se comporte face à l’objet (la nature) ? Cette question constitue la dynamique de recherche et les principes directeurs des travaux de BRUHL.

Pour une intentionnalité négro-africaine 

La démonstration de l’impertinence des positions dénégatrices de l’idéologie occidentale donne droit à la démonstration d’une véritable intentionnalité africaine. Par « intentionnalité négro-africaine », nous entendons sans doute l’idée ou la possibilité d’une ouverture ou d »une tension de la raison nègre vers le monde sens. Le sens, étant le produit de la rencontre ou de la relation du sujet et de l’objet, implique signification et direction. Signification dans la mesure où cela offre la possibilité de l’herméneutique, de l’interprétation qui permet l’intelligibilité de l’objet. Ce qui fait que l’objet est tiré hors de l’obscurité, de l’opacité, de l’absurde pour être mené vers la lumière de la compréhension qui conduit le sujet vers les profondeurs de l’être. Quant à la direction, il semble que toute signification ait ce que les anciens grecs appellent telos, c’est-à-dire un but, une fin. Donc, le sens d’un objet c’est sa signification qui poursuit un but déterminé et dans la recherche du sens de l’être, il y a la recherche téléologique.

Même si le sens apparaît comme un idéal, une norme, comme pour dire un horizon inépuisable vers lequel on tend, il ne faut pas perdre de vue que la signification est aussi une intention, une visée du sujet sur l’objet : l’intentionnalité. LALANDE écrit que « l’intention est un dessein, soit une intention-projet soit une intention-but c’est-à-dire la fin qu’on se propose d’atteindre, raison d’un acte » . Avant d’étudier l’intentionnalité dans l’espace négro-africain, il convient d’appréhender d’abord ce concept : qu’est-ce que l’intentionnalité ? Ce concept est bien présent dans la phénoménologie husserlienne. En effet, la conscience, aux yeux de HUSSERL, n’est pas seule au monde, elle n’est ni insulaire ni solitaire, mais elle est solidaire. Autrement dit, la conscience est ouverture au monde et « toute conscience est conscience de quelque chose » . Avec HUSSERL, le monde de l’herméneutique en appelle à un retour aux choses. Le sujet n’existe que pour un objet. C’est la raison pour laquelle Paulin HOUNTONDJI a accordé une importance capitale à la phénoménologie de HUSSERL. D’ailleurs, la première partie de son ouvrage intitulé Combats pour le sens porte sur « une introduction à HUSSERL ». Selon HOUNTONDJI en effet, pour étudier le sens, la rationalité en général, un recours aux développements de l’auteur des Méditations cartésiennes est primordial.

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Table des matières

Introduction
Première partie : De la production de sens : Positions et répliques
Chapitre1 : Déni de sens et sens des dénégations
1- La mentalité primitive : le « prélogisme » chez Lévy BRUHL
2- L’immédiateté de l’homme noir chez HEGEL
3- HUME et les races inférieures
Chapitre2 : Pour une « intentionnalité » négro- africaine
1- La position de HOUNTONDJI
2- TOWA et SENGHOR : Emotion et Raison
3- Le sens de l’imaginaire négro-africain
Deuxième partie : De la production de sens dans l’espace négro-africain
Chapitre1 : Déconstruction et reconstruction négro-africaines
1- Les problèmes théoriques de la production de sens dans l’espace négro-africain
a- La question linguistique
b- La question de l’oralité
2- La question de l’ « ethnophilosophie »
3- Herméneutique et discursivité chez J.KINYONGO
Chapitre2 : Perspectives pour repenser la production de sens dans l’espace négroafricain
1- Libérer l’avenir
2- Responsabilité d’une conscience et/ou la conscience d’une responsabilité
3- Philosopher pour développer l’Afrique
Conclusion
Références bibliographiques

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