La Fabrique de patrimoines en Normandie
La Fabrique de patrimoines en Normandie est un établissement public de coopération culturelle (EPCC) pour la connaissance, la valorisation, la conservation et la restauration des patrimoines ethnologiques et muséographiques en Normandie dirigée par Pierre Schmit. Créée en 2015, la structure est placée sous la tutelle de la région Normandie et de l’Etat, et est issue du regroupement de trois institutions spécialisées en matière de patrimoine culturel. La Fabrique est composée de trois pôles : l’ethnopôle, le laboratoire de conservation, restauration et imagerie scientifique, et enfin le réseau des musées de Normandie.
Le laboratoire intervient auprès des institutions patrimoniales ou encore des collectivités territoriales pour les aider à gérer la conservation matérielle de leur biens culturels ; il remplit des missions d’examen, de diagnostic, de conservation préventive, ou encore de conservation restauration. Ses locaux sont actuellement situés rue Vaubenard, à Caen.
Le réseau des musées rassemble plus de 100 musées à travers toute la Normandie. Son but est d’aider ces structures à se connaître, à partager, coopérer et mutualiser leurs compétences.
Tous les acteurs du monde muséal, qu’ils soient élus, bénévoles ou professionnels peuvent ainsi échanger. Il participe à la création d’outils communs, par exemple la base de données descollections qui sera mise en ligne à l’automne 2019. Des cafés muséos, destinés aux rencontres, sont régulièrement organisés.
Enfin il y a l’ethnopôle, au sein duquel j’ai effectué mon stage. Il regroupe plusieurs missions et axes de recherche. Tout abord il y a l’aspect mémoriel. En effet à travers la recherche et la collecte d’archives audiovisuelles, l’ethnopôle participe à la recherche et à l’action culturelle dans le domaine de la mémoire de la Normandie. Cela suscite nombreux partenariats avec les collectivités locales, les milieux universitaires ou encore les acteurs culturels locaux. Ainsi des expositions, des documentaires, des colloques sont proposés dans ce but, comme ce fut le cas pour l’exposition sur le patrimoine immatériel. Ces supports sont produits en coopération avec l’atelier de production de médias culturels, interne à la structure et géré par David Pytel. Pour ce qui est de la collecte, des appels sont lancés à travers toute la région Normandie pour des films, des photographies ou encore des documents audio produits par les habitants. Ces documents sont ensuite numérisés et archivés après signature d’une convention entre la Fabrique et le déposant. Aujourd’hui, la Fabrique a passé des conventions avec plus de 400 déposants, pour un total de 61 000 photographies et plus de 3 000 heures d’archives filmiques. Ils sont ensuite utilisés pour des recherches, pour des créations de médias et supports, des expositions. Depuis juin 2019, ils sont accessibles en ligne sur le portail Mémoire normande, créé en partenariat avec Normandie images, une structure similaire de collecte de documents audiovisuels basée à Rouen. Le dernier axe de l’ethnopôle est l’ethnographie à travers la recherche et des missions sur le terrain, mais aussi à travers l’organisation du festival Altérités, un festival de cinéma et d’ethnographie. La première édition s’est tenue en 2016, sur un thème différent chaque année. En 2020, il s’agira de l’homme et son environnement.
Les missions
Au cours de mon stage, j’ai eu l’occasion de participer à plusieurs projets et missions assez différents.
La Guerre dans les yeux des Normands, en partenariat avec Ouest-France
Dès le début de mon stage, j’ai eu le plaisir d’être associée à un projet en partenariat avec le journal Ouest-France. Ce dernier, dans le cadre du 75e anniversaire du Débarquement et de la Bataille de Normandie, souhaitait diffuser des pastilles d’archives vidéo sur leur site internet ayant pour sujet la guerre en Normandie vue par les Normands eux-mêmes. Aurélien Marie, qui travaillait à l’ethnopôle et aux côtés de qui j’ai passé beaucoup de temps, avait déjà fait une première sélection des fonds intéressants que possédait la Fabrique. Il a rapidement été question d’associer Normandie Images, ainsi que les Archives de la Manche. Le projet a pris le nom de La guerre dans les yeux des Normands. Après plusieurs rencontres avec nos partenaires et les journalistes de Ouest-France, nous avons défini un scénario qui s’étalait du début du mois d’avril à la fin du mois de septembre. Il s’est ensuite affiné au fur et à mesure de nos avancées (Annexe 1). Nous avons eu, Aurélien Marie, Marc Pottier, Sophie Pottier et moi plusieurs séances de visionnages des archives afin de sélectionner les extraits les plus pertinents. J’ai ensuite constitué un tableau avec les time codes pour servir comme point de repère pour le montage, effectué par David Pytel de l’atelier de production de médias culturels.
En parallèle, j’ai commencé à effectuer des recherches historiques sur les sujets des vidéos avec Eudes Pottier, également stagiaire à la Fabrique. En effet, il était question que chaque pastille vidéo soit accompagnée d’un commentaire historique sur les images. A partir de ces recherches, nous avons constitué au sein de l’équipe de travail les textes définitifs (Annexe 2).
La chronologie allait du début de la montée des tensions dans l’immédiate avant-guerre en 1937, jusqu’à la reconstruction des villes normandes et les commémorations des années 1950 et 1960. Marc Pottier, Aurélien Marie et moi-même nous sommes ensuite déplacés à Rennes dans les locaux de Ouest-France pour enregistrer les commentaires audios, afin que leurs monteurs puissent les intégrer aux vidéos. Leurs équipes ont également créés un habillage pour les vidéos, ainsi qu’un générique à partir des informations que j’avais regroupées et organisées dans des tableaux (Annexes 3 et 4). Le résultat final est diffusé sous un format de 2 à 4 minutes, tous les jeudis sur le site internet de Ouest-France.
J’ai également eu l’occasion d’aller présenter nos pastilles d’archives à Pont-L’Evêque auprès de l’association des salles de cinéma normandes MaCaO 7eme art lors de leur assemblée générale. Le projet était de leur proposer quelques pastilles issues de La guerre des Normands afin qu’ils les diffusent lors de la semaine du 6 juin lors de leurs programmations spéciales.
Malgré un enthousiasme général et de nombreuses questions et prises de contact, le projet n’a pas pu se concrétiser cette fois-ci, mais la présentation a ouvert la porte à d’autres partenariats similaires dans le futur.
J’ai beaucoup apprécié travailler sur ce projet, car j’ai pu participer à chaque étape de sa construction et ce quasiment depuis le début. J’ai pu également observer comment fonctionnait un partenariat avec d’autres institutions similaires mais aussi avec une structure d’une taille aussi importante que Ouest-France. J’ai aussi pu avoir un exemple très intéressant de valorisation des fonds audiovisuels de la Fabrique. J’ai également apprécié la confiance qu’ont eu en moi Sophie et Marc Pottier pour la présentation auprès de MaCaO à Pont-L’Evêque, où je me suis rendue seule pour représenter la Fabrique et le projet ainsi que répondre aux questions des exploitants de ces salles de cinémas indépendantes.
Atlantikwall Europe, un projet européen
Depuis 2018, la Fabrique de patrimoines en Normandie est partenaire du projet européen Atlantikwall Europe, visant à mettre en valeur les vestiges du Mur de l’Atlantique à travers l’Europe. Les autres partenaires principaux sont des structures belges et néerlandaises, avec un coordinateur belge employé par l’Union européenne. Le projet cherche à mettre en contact les différents sites et structures préservant des vestiges du Mur de l’Atlantique, il intègre d’autres pays comme le Danemark, la Norvège, l’Allemagne ou encore les îles anglo-normandes.
Dans le cadre de ce projet, j’ai participé à plusieurs missions : tout d’abord j’ai assisté Aurélien Marie dans certains aspects de l’organisation des premières Journées européennes du Mur de l’Atlantique en France qui se sont déroulées le 18 et 19 mai 2019. Cet événement est né aux Pays-Bas puis repris en Belgique, il s’agissait cette année de la première édition française. Aurélien avait établi pour cette première édition le contact avec six sites en Normandie et en Bretagne (batterie allemande Longues-sur-Mer, Musée-radar de Douvres, Galerie souterraine du Mont Canisy, site du Pont Rouge-Paluel, et l’île Cézon), et a agi comme un coordinateur pour les événements, notamment au niveau de la communication. Je l’ai aidé dans l’élaboration des supports de communication (Annexe 5), ainsi que pour la revue de presse. Cet événement a vocation à s’étendre à l’échelle du pays puis de l’Europe, même s’il peut y avoir des conflits au niveau des dates . En effet, le « Bunkerday » ne s’est pas déroulé le même weekend en Belgique, en France et au Pays-Bas pour des raisons de calendrier propres à chaque pays. Si les Pays-Bas l’ont organisé en juin, il semblait difficile d’en faire de même en France, en raison de l’organisation des commémorations du 75e anniversaire du Débarquement et de la Bataille de Normandie. A terme en 2021, les sites concernés par le patrimoine du Mur de l’Atlantique devront pouvoir être autonome dans l’organisation de ce Bunkerday Europe. Pour ces mêmes journées européennes du Mur de l’Atlantique, j’ai également aidé David Pytel et Aurélien Marie à installer une exposition du photographe Antoine Cardi sur le site du musée-radar de Douvres.
Toujours dans le cadre de ce projet européen, j’ai assisté Aurélien dans la préparation et l’organisation du workshop qui devait se tenir en France. Il s’est déroulé les 26 et 27 avril sur l’île de Tatihou, et a été précédé d’un steering group, c’est-à-dire d’une réunion avec les partenaires principaux du programme européen à Hérouville dans les locaux de la Fabrique.
Dans le cadre du projet, chaque structure devait organiser un workshop, un atelier où serait mis en relation des professionnels sur un sujet précis. Pour le workshop français, le thème était la médiation du patrimoine du Mur de l’Atlantique, et les projets en cours pour le valoriser (Annexe 6).
Enfin, lors de la semaine du 6 juin, j’ai assisté Aurélien dans l’organisation et la gestion du séjour des jeunes belges et néerlandais en France. En effet après un voyage de lycéens français à Raversyde en Belgique à l’automne 2018, des collégiens et lycéens de Belgique et des PaysBas sont venus passer trois jours en Normandie. J’ai aidé Aurélien dans l’organisation logistique du séjour comme les déplacements, le choix d’un traiteur, des repas, les réservations pour les visites, la gestion des invitations pour les cérémonies auprès des ambassades concernées, etc. ainsi que dans l’élaboration du programme pour ce que nous avons appelé Off the wall 2 (Annexe 7). Ainsi nous avons visité plusieurs sites liés à la Seconde Guerre mondiale, visité le village de la paix du Forum mondial Normandie pour la Paix puis nous avons assisté à la cérémonie internationale de Courseulles le 6 juin, au cours duquel certains de nos jeunes belges et néerlandais ont lu des textes sur le devoir de mémoire, ou ont tenu le drapeau de leur pays près de la tribune officielle. J’ai également élaboré un atelier créatif et pédagogique pour les jeunes tout au long de leur séjour : équipés par groupe d’un appareil photo instantané, ils devaient prendre en photos des choses qui les avaient marquées, et le soir chaque classe devait compléter un album sur le modèle d’un carnet de voyage à l’aide de ces photos et de matériel de loisirs créatifs.
J’ai également beaucoup aimé travailler aux côtés d’Aurélien sur ce projet, en particulier sur l’échange des jeunes car j’ai senti que l’on me faisait confiance et qu’on me confiait des responsabilités. J’ai également pu voir que les jeunes belges et néerlandais comprenaient les messages qu’on essayait de leur transmettre, et que les visites les faisaient réfléchir.
Histoire orale et archives audiovisuelles
Même si le projet en partenariat avec Ouest-France et l’organisation des événements dans le cadre du programme européen étaient mes principales missions de stage, j’ai pu également travailler avec Sophie Pottier sur les fonds de la Fabrique, et voir ainsi les différentes étapes de la constitution d’un fonds.
Un portail appelé Mémoire normande a été lancé au mois de juin 2019, il est issu d’une collaboration entre la Fabrique de patrimoines en Normandie et Normandie Images. Il met à disposition de tous les fonds audiovisuels des deux structures, à l’aide de parcours thématiques, de localisations géographiques ou simplement de mots-clés. Mais avant de pouvoir lancer ce portail, il fallait indexer toutes ces archives filmiques avec ces mots-clés. Sophie Pottier m’a donc formée au logiciel d’indexation Diaz, j’ai donc pu indexer des dizaines de films amateurs archivés après les avoir visionnés, à l’aide du découpage précédemment effectué par Dany Simon (Annexe 8).
J’ai donc commencé par l’aboutissement du travail de la Fabrique en ce qui concerne leurs archives, c’est-à-dire leur valorisation. J’ai aussi pu observer le travail de Dany Simon, l’opérateur de télécinéma en charge de la numérisation des archives filmiques et de Martin Leconte, le technicien de numérisation images et sons. Dany m’a expliqué également les différents formats de pellicule des caméras de l’époque, et l’histoire du film amateur. La Fabrique possède dans ses fonds des films amateurs remontant jusqu’au début des années 1920, les premières caméras et pellicules pour particuliers étant mis en vente, comme la caméra Pathé Baby qui date de 1923.
J’ai aussi assisté à plusieurs collectes de documents avec Sophie Pottier. Tout d’abord il y a monsieur Le Richeux, qui est venu déposer des albums photos et des plaques de verre ayant pour thème son service militaire en Algérie. Je l’ai revu par la suite pour l’enregistrement d’un entretien oral sur son expérience en Algérie en tant qu’appelé, que j’ai mené en compagnie d’Aurélien Marie. Puis j’ai également rencontré avec Sophie Pottier madame Pâris chez elle à Courseulles, pour la numérisation de photographies et de documents qui appartenaient à son père, photographe amateur engagé dans la marine pendant la Seconde Guerre mondiale et présent lors de la bataille de Mers El-Kébir le 3 juillet 1940 et le sabordage de la flotte française dans la rade de Toulon le 27 novembre 1942. Sophie Pottier l’a également longtemps interrogée sur le sujet, et l’a enregistrée.
Cet aspect de mon stage m’a également intéressée, car j’ai pu voir le travail de collecte, de numérisation et de valorisation dans sa quasi-intégralité.
La mémoire de la Seconde Guerre mondiale en Normandie
Quelle mémoire de la Seconde Guerre mondiale conserve-t-on et valorise-t-on en Normandie ? La réponse est facile : la mémoire du Débarquement du 6 juin 1944, et de la Bataille de Normandie qui suivit. Mais est-ce là tout ce qui relie la Normandie à la guerre ? Et comment cette mémoire peut-elle être valorisée ?
L’Occupation, une mémoire oubliée ? Ce qu’on retient de la guerre en Normandie
Comme dit précédemment, ce sont surtout le Débarquement et la Bataille de Normandie qui sont mis en avant en Normandie, il est donc impossible d’ignorer le sujet quand on parle la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale en Normandie. Mais le littoral recèle également des traces les plus tangibles de l’Occupation allemande et de la Collaboration : les vestiges du Mur de l’Atlantique.
Le Débarquement et la Bataille de Normandie : une mémoire particulière
Il existe plus de 40 musées sur le Débarquement et la Bataille de Normandie dans l’exrégion Basse-Normandie . La plupart d’entre eux se concentrent sur les plages et les zones de parachutages, même si l’essentiel des combats meurtriers s’est déroulé à l’intérieur des terres.
Mais quelles sont les particularités de ces musées et mémoriaux qui ont pour mission de valoriser et transmettre la mémoire de l’été 1944 ? Très tôt, la mémoire du Débarquement a été associée à des préoccupations touristiques et économiques. En effet dès 1945 Raymond Triboulet, sous-préfet de Bayeux nommé en 1944, crée le Comité du Débarquement. Selon ses Statuts datant de 1947, le but de l’association de commémorer « par tous les moyens du débarquement de juin 1944 et notamment le développement du tourisme dans la zone de débarquement […]. Ses moyens d’action consistent dans l’organisation de cérémonies, de conférences, d’expositions, l’établissement de musées, de monuments et tous autres moyens appropriés » . Ainsi dès le départ le tourisme est associé à la mémoire, et une fois devenu député du Calvados Triboulet souligne le besoin d’aménagements et de classement de certains sites comme Utah Beach, Omaha ou encore les vestiges du port artificiel d’Arromanches pour les conserver au mieux. Le Conservatoire des Monuments historiques est en charge de créer et d’entretenir des musées et d’apposer des plaques commémoratives, tandis que le ministère de la Reconstruction doit relancer l’activité touristique dans la région et le ministère des Transports adapter le réseau routier. Le député demande même au Commissariat général du Tourisme de prévoir « un plan de propagande en France comme à l’étranger, en aidant tout spécialement les syndicats d’initiative locaux, de façon à faire réellement de cette région ce qu’elle doit être, c’est-à-dire un lieu de pèlerinage ». Et les touristes sont présents, dès la fin des années 1940 et le début des années 1950. J’ai pu l’observer en visionnant des films amateurs des archives de la Fabrique, où des touristes se filment visitant les cimetières militaires, les plages du Débarquement encore jonchés de débris ou encore les panoramas au-dessus d’Arromanches.
Par la suite, les commémorations développent ce tourisme de mémoire. Même si les premières commémorations sont essentiellement militaires et assez confidentielles, à partir des années 1980 elles attirent les foules. En effet c’est en 1984 qu’ont lieu les commémorations ayant une envergure internationale, avec la présence de François Mitterrand, de Ronald Reagan ou encore d’Elizabeth II et d’autres monarques européens. Elles prennent de plus en plus d’envergure d’anniversaire en anniversaire, en particulier pour les anniversaires décennaux et depuis une dizaine d’année tous les cinq ans. Ainsi pour la plupart des étrangers venant des pays ayant participé au Débarquement de Normandie, la région devient presque exclusivement liée aux événements de l’été 1944, alors même qu’il ne reste que peu de traces des combats. Pour pallier ce manque de vestiges, on préserve des lieux comme la pointe du Hoc, ou on construit des musées et des mémoriaux. Le premier musée notable est le musée d’Arromanches, ouvert en 1953. Le Mémorial de Caen quant à lui est inauguré le 6 juin 1988 par François Mitterrand.De plus en plus d’ouvrages du Mur de l’Atlantique sont réhabilités. Les cimetières militaires, où reposent plus de 92 000 soldats accueillent bon nombre de visiteurs. La création de musées et de mémoriaux, ainsi que la pose de plaques commémoratives s’accentuent dans les années 1990, autour du 50e anniversaire du Débarquement et de la Bataille de Normandie.
Et depuis quelques années, la Région Normandie travaille à l’inscription des plages du Débarquement au patrimoine mondial de l’UNESCO ; un dossier a été déposé en janvier 2018. Aux vues des retombées économiques dans les autres lieux inscrits, la région pourrait voir augmenter de 30% le nombre de touristes. Cet objectif, la région ne s’en cache pas. En effet sur le site de présentation du projet, il est clairement cité dans les enjeux l’accueil de 2 millions de touristes supplémentaires chaque année.
Car la mémoire du Débarquement du 6 juin 1944 et de la Bataille de Normandie est bien un enjeu régional. En effet, une des particularités de cette mémoire et son ancrage profond dans le territoire. La plupart des musées sur le sujet relatent l’histoire locale. Ils sont construits sur le lieu même de l’événement, comme le musée d’Utah Beach, ou sont installés dans des vestiges, comme le musée de la batterie de Merville. Le Mémorial de Caen est un peu à part, il se détache du local et cherche à porter un message de paix, et à donner une vision plus globale sur le conflit . Ces musées portent donc sur l’histoire du lieu, et sur ses libérateurs. Presque chaque musée présente donc un point de vue différent, ce qui participe à un « émiettement de la mémoire » selon l’expression de Pierre Nora . Ils privilégient la micro-histoire événementielle . J’ai pu observer lors de mon stage que les petits musées qui tentent de délaisser cette approche ont souvent bien du mal à toucher un large public. C’est le cas notamment du musée-radar de Douvres, qui malgré un contenu scientifique rigoureux et une visite guidée très intéressante sur les progrès techniques des Allemands durant la guerre peine à attirer suffisamment de monde pour que son gérant, le Mémorial de Caen, investisse vraiment dans la communication du lieu.
Et bien souvent, le discours de ces musées, leur muséographie est imprégnée de souvenirs. En effet bien des vétérans, qui ont créé des liens personnels avec les musées à l’occasion des commémorations, lèguent leurs effets personnels qui se retrouvent intégrés aux vitrines de présentation. Ainsi, les musées ne sont plus consacrés uniquement aux objets et à l’histoire, mais aussi aux souvenirs et à la mémoire, où le discours est enfermé . Il leur est donc difficile de rester subjectifs. D’après Dominique Poulot, beaucoup de musées sur le sujet en Normandie dépendent d’un projet de commémoration, la « muséalisation » devient donc l’aboutissement d’un projet mémoriel . Les musées deviennent des lieux de provocation de la mémoire, on rappelle à grand renfort d’injonction le devoir de mémoire. Ces idées de « plus jamais ça » et « souvenez-vous » résonnent auprès des jeunes, les scolaires étant très nombreux à fréquenter les musées et les mémoriaux . J’ai pu l’observer lors des discours et textes lus par Edouard Philippe, Justin Trudeau et les enfants représentant les pays belligérants pendant la cérémonie internationale du 75e anniversaire du Débarquement au centre Juno Beach à Courseulles. Pour Jean-Luc Leleu, cette mémoire devient même de moins en moins guerrière et de plus en plus consensuelle, portant des messages universels de paix, de liberté, ce qui relèverait plus des valeurs de la Mémoire, et non de l’Histoire.
Le Mur de l’Atlantique, un patrimoine de la Collaboration
Nous avons donc vu que la Normandie accueille principalement la mémoire du Débarquement et de la Bataille de Normandie. Or, il reste peu de vestiges, de traces visibles des combats de la Libération. Les plages ont retrouvé leur état naturel, les aérodromes sont redevenus des champs, on a reconstruit les villes et villages détruits. Ce sont les vestiges du Mur de l’Atlantique qui sont le plus visibles. Parmi les musées normands sur le Débarquement et la Bataille de Normandie, certains se sont donc installés directement sur des sites du Mur comme la batterie de Merville ou le grand bunker de Ouistreham. Nous avons là un paradoxe : des musées sur le Débarquement dans des ouvrages de l’Occupation.
En effet, le Mur de l’Atlantique est voulu par l’occupant allemand. En 1941, Hitler prend la décision de faire construire un ensemble de 15 000 fortifications, ou blockhaus, le long des côtes occidentales de l’Europe occupée, de la Norvège à la frontière espagnole sur 4 000km.
La construction débute en 1942. Le Mur n’en est pas un à proprement parlé, il s’agit plutôt d’une zone fortifiée qui s’enfonce jusqu’à 10km à l’intérieur des terres pour contrôler le littoral. Sa construction est supervisée par l’Organisation Todt (OT), une structure paramilitaire allemande créée en 1938 en charge de la construction des infrastructures de défense et d’attaque, voire même civiles (ex : autoroutes). L’OT travaille dans tous les pays occupés, et y installe des directions régionales décentralisées. A partir de 1943, l’organisation dépend directement d’Hitler.
L’OT est donc en charge de la construction du Mur de l’Atlantique. Mais elle ne construit pas directement les ouvrages de béton, elle ne fait que superviser et en confit la réalisation à des entreprises privées allemandes. Celles-ci préfèrent employer des entreprises locales dans les pays occupés, comme sous-traitantes . Les entreprises françaises ne sont pas forcées à travailler avec les Allemands. Mais le système économique mis en place par le régime nazi dans la zone occupée fait en sorte que l’essentiel des commandes provient de l’occupant, et les nombreuses restrictions et réquisitions de matériels poussent les entrepreneurs français à accepter ces commandes pour faire vivre leurs entreprises et leurs salariés . Rapidement, le marché ne dépend que de la volonté allemande. Sur les 3 500 entreprises du BTP existant en France en 1940, 1 000 à 1 500 d’entre elles travaillent sur les chantiers de construction du Mur de l’Atlantique, des plus petites aux plus grandes . D’autres secteurs d’activité profitent indirectement de la manne économique que fournit ces chantiers, comme les transports . De nombreuses entreprises sont également créées dans cette période, on estime à 20% l’augmentation du nombre d’entreprises du BTP entre 1940 et 1945.
Si ces chantiers permettent aux employés des entreprises du BTP de travailler de nourrir leurs familles, ils n’y sont pas les seuls. En effet, ils ne sont pas assez nombreux et des sociétés sont créées pour gérer le recrutement, les entreprises publient des petites annonces . Il n’est pas difficile de recruter, la France compte un million de chômeurs et le travail se fait rare. De plus, Vichy contraint plus ou moins les chômeurs à accepter les offres de travail pour les chantiers allemands, car en cas de refus peuvent se voir supprimer leurs allocations . Des travailleurs volontaires de l’OT travaillent également à la construction du Mur de l’Atlantique ; 36% des 200 000 ouvriers français travaillant pour l’organisation Todt y sont utilisés . Et à partir de 1942, il leur devient impossible de rompre leur contrat avec l’OT. Assez tôt, ces travailleurs de moins en moins volontaires sont rejoints par des unités de travail de Vichy transférées à l’OT à partir de 1941, qui comprennent des étrangers comme les républicains espagnols et autres prisonniers des camps d’internement . Enfin, ce sont les appelés du service de travail obligatoire (STO), créé en 1943, qui rejoignent les chantiers du Mur. La grande majorité des travailleurs sont logés dans des camps de travail aux conditions de vie désastreuses, au plus près des chantiers afin de tirer le plus possible des travailleurs.
La guerre dans les yeux des Normands : une valorisation pour une autre vision de la guerre
Une des missions principales de la Fabrique et de l’ethnopôle est la collecte, la conservation et la valorisation de son fonds d’archives orales, composé d’entretiens, de documents audiovisuels provenant de structures comme d’individus – on parle de films amateurs – ayant trait à l’histoire de la Normandie. C’est dans le cadre de cette valorisation que s’inscrit le projet en partenariat avec le journal Ouest-France, appelé La guerre dans les yeux des Normands et présenté précédemment.
Les Etats-Unis sont précurseurs dans l’établissement de ces archives orales, qu’on appelle également l’histoire orale, comme sources historiques fiables, même si des collectes ont déjà lieu au XIXe siècle. En effet l’Etat américain lance dans les années 1930 lors de la Grande Dépression le Federal Writers’ Project, pour permettre aux professions intellectuelles de survivre en allant collecter des témoignages auprès des américains pour témoigner de la complexité de leur pays . Dans les années 1960 la pratique s’installe dans le milieu universitaire américain, puis traverse l’océan pour s’installer dans universités britanniques. Au début des années 1970, on ne se contente plus de collecter les entretiens, les photographies et les films amateurs mais on les confronte aux sources écrites . En France c’est également lors des années 1960 et 1970 que l’histoire orale connaît un certain dynamisme, avec un grand nombre de créations d’associations. Des institutions avaient déjà été mises en place dans les années 1930, comme la phonothèque en annexe de la BNF en 1938 pour recueillir les archives sonores, mais les historiens étudiaient alors encore séparément les sources orales et écrites.
Mais c’est surtout à partir des années 1970 qu’en France les historiens font appels à ces sources orales, ainsi que les institutions . Des associations semblables à l’origine des premières collectes des films amateurs en Normandie se créent partout en France. Ces sources orales sont valorisées historiquement et ethnologiquement à travers les musées d’art et de traditions populaires par exemple, mais elles prennent bientôt une utilité mémorielle. En effet, après la Seconde Guerre mondiale des premières enquêtes menées la Commission d’histoire de l’Occupation et la Libération recueillent 3 500 témoignages, dont 2 000 de résistants dans ce mouvement de valorisation de la mémoire résistante évoquée dans la première partie . A partir des années 1970, les sources orales, les images, les témoignages deviennent l’approche privilégiée pour parler de la Shoah, les sources écrites ne pouvant retranscrire l’horreur des événements . Un bon exemple de cette pratique est Shoah, de Claude Lanzmann. Sorti en 1985, c’est un documentaire de près de dix heures composé d’entretiens filmés avec des rescapés des camps et des prises de vue sur les sites concernés.
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Table des matières
Remerciements
Introduction
I. Présentation du stage
1. La Fabrique de patrimoines en Normandie
2. Les missions
a) La guerre dans les yeux des Normands, en partenariat avec OuestFrance
b) Atlantikwall Europe, un projet européen
c) Histoire orale et archives audiovisuelles
II. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale en Normandie
1. L’Occupation, une mémoire oubliée ? Ce qu’on retient de la guerre en Normandie
a) Le Débarquement et la Bataille de Normandie : une mémoire particulière
b) Le Mur de l’Atlantique, un patrimoine de la Collaboration
2. La guerre dans les yeux des Normands : une valorisation pour une autre vision de la guerre
III. Une mémoire européenne en Normandie ? Le Mur de l’Atlantique
1. Un programme européen : Creative Europe
a) Présentation
b) Un premier bilan en demi-teinte
2. Une mémoire européenne ?
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
Annexes
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