Les hommes d’équipage
Les mots relevés sont les suivant : galeote, marin, marinier, matelot, mousse et naute, avec un emploi massif du mot marinier, 225 occurrences, et, à un moindre degré, du mot galeote, 73 occurrences relevées dans les textes de seulement trois auteurs du XVème siècle.
Le marinier ou marinarius est le marin du bord qui est commis aux différentes manœuvres : je dis a mes mariniers que ils tirassent leur ancre, de même que le naute et le nautonier, omnes naute erant a fluctibus balneati. Les marins portent différents noms, quelques fois liés aux bateaux sur lesquels ils naviguent ; on trouve un barcalerus qui navigue sur une barque, un galestrelus, qui devient un galliot ou un galeote, c’est-à-dire un marin de galée.
Il faut noter que seuls Félix Fabri, Georges Lengherand et Pietro Casola, tous trois voyageurs du XVème siècle, emploient le mot de galliot, même s’ils ne sont pas les seuls à naviguer sur une galée. Georges Lengherand emploie aussi souvent chacun des deux mots de marenier et de galliot : quelque dilligence que les mareniers de nostre gallée sceurent faire, les mareniers des gallées, noz mareniers firent desancrer et faire voille . Les mariniers sont donc les marins chargés de la manœuvre du navire. Les galliots sont aussi des marins du navire, il précise plusieurs fois les galliotz de nostre gallée, mais quand il emploie ce terme, c’est pour décrire les activités marchandes parallèles des marins : la pluspart des galliotz de nostre gallée misrent avant leurs marchandises audit lieu, Les galliotz de nostre navire estaplèrent leurs marchandises pour vendre audit Modon comme ilz avoient fait à Corfou, les Mores bailloient vivres pour argent aux galliotz des deux gallées qui après les vendoyent aux pellerins. On aurait donc tendance à dire que l’auteur appelle les marins mariniers quand ils manœuvrent et galliots, quand ils se livrent à des activités annexes, sauf que dans une des dernières occurrences de ces deux mots, il écrit : nostre patron et tous les mareniers et galliotz, ce qui signifie qu’il y a deux catégories de marins. Si les mariniers manœuvrent, alors les galliots pourraient être les rameurs, mais cet auteur ne montre pas qu’il appelle les rameurs galliots, même s’il est avéré que les rameurs avaient sous leurs bancs de la marchandise qu’ils négociaient aux escales ou qu’ils vendaient aux pèlerins, si aliquis galeota habuit aquam nondum foetentem, emebant eam peregrini .
Félix Fabri utilise le mot galeota au sens général de « matelot », il parle d’un galeota à propos d’une manœuvre du mât d’artimon, il explique que les galeoti mettent une barque à la mer pour aller chercher de l’eau douce . Mais il emploie aussi ce mot, galeota, pour désigner les rameurs : ventum non habuimus nec transivimus, nisi quatum galeotarum pigro tractu remis movebamur paulatim. ; le mot est traduit par «marin », car la phrase n’évoque pas la chiourme. Il est vrai que Venise se refuse à confier les rames de leurs navires à des hommes qui ne seraient pas des professionnels de la mer, alors que la tendance, dans d’autres ports méditerranéen, est de mettre à la rame des captifs, des esclaves ou des condamnés. Fabri explique, dans son deuxième traité relatif au voyage en mer, la hiérarchie des hommes sur un bateau, avec, en bas de l’échelle, les marinarii qui manœuvrent les voiles et les cordages et les galeoti qui rament. ceux qu’on appelle les marinarii, qui chantent au rythme des travaux pressants, car les travaux navals sont très durs […]. C’est un métier qui leur rapporte un gros salaire, et, en général, ce sont des hommes vieux et mûrs. En bas de l’échelle, il y a ceux que l’on appelle les galeotae ou galeoti […] qui sont assis sur les bancs et actionnent les rames. Ils sont en grand nombre et tous costauds, mais leur travail est un travail d’âne […]. La plupart de ces galeoti sont des esclaves achetés par les patrons , des galériens.
Pietro Casola emploie aussi souvent galeota que marinaro. Il parle, à plusieurs reprises de l’activité marchande des galeoti, non era persona de loro chi non havesse sopra la galea qualche generatione de merce […] e queste tale merce se portavano fora de galea, quando faceva scala, o pigliava porto, e li se faceva poi como una fera .
Au XVème siècle, à l’exception notable de Venise, les rameurs, qui étaient jusqu’auparavant des travailleurs libres, sont de plus en plus des condamnés de droit commun, ce qui va d’une part jeter l’opprobre sur ce métier que plus personne ne choisit de plein gré. Dans le même mouvement, ces hommes nommés rameurs deviennent des galériens. L’autre conséquence est que l’activité des pirates en Méditerranée se spécialise dans la prise de captifs de toutes provenances qui pourront compléter les bancs de rame occupés par des condamnés de droit commun.
Quelques auteurs emploient le mot de naute ou de nautonier, notonier en ancien provençal. Louis Balourdet fait leur éloge : parquoy je conclueray que les nautonniers sont dignes de grande louange, non pas ceux qui ne naviguent que sur les rivieres qui ne sont qu’une goutte d’eaue au regard de la mer . Ce mot est un synonyme de marinier.
D’autres hommes sont présents sur la mer, quelques pêcheurs, mais surtout des pirates, plus présent dans l’imaginaire que dans la réalité des auteurs du corpus, sans doute parce que ceux qui ont rencontré des pirates ont été réduits en esclavage ou ont été tués, et n’ont donc pas pu ou pas eu le loisir d’écrire leurs souvenirs. Les textes retenus racontent plus la peur du pirate que des rencontres, même si quelques uns ont été confrontés à ces pirates et ont pu leur échapper et le raconter. Chaque voile aperçue entraîne une grande crainte, celle d’être confronté à des pirates qui sont de plus en plus nombreux en Méditerranée, et, surtout au XVIème siècle, mieux organisés.
Les pirates
Les auteurs les nomment buscarinus, praedalis, corsaires ou pirates. Jacques de Vérone raconte qu’ils abordent à Chypre terrorisés parce que unus pirata crudelis spoliator maris, Bartholomeus Malopolus erat juxta nos . Rochechouart échappe à un bateau de pirates (piratorum) qui suit le navire des pèlerins pendant cinq heures sans parvenir à les rejoindre à cause du vent .
Nicolas de Martoni, qui fait un voyage mouvementé en a évité à Rhodes où le patron de son navire n’a pas voulu entrer parce qu’il craignait que ne soit dans ce port Martin Vincenti, corsaire catalan . Ce voyageur raconte avoir été victime des pirates : spoliata nave, buscarini restituerunt illam patrono .
Anselme Adorno raconte qu’ils ont subi une attaque de pirates à Alghero, en Sardaigne : une barque de pirates vint dans le port pour nous empêcher de regagner notre grand navire et nous faire prisonnier au milieu du trajet .
Fabri rencontre une galée vénitienne de pirates (praedalis) . Il explique que leur navire ne pouvait passer près de Rhodes sans rencontrer des pirates turcs : inter Cretam et Cyprum mediaret Rhodus insula, quae erat obsidione Turcorum vallata, nec possumus evadere quin in hoc medio occurerent nobis Turcorum piratae. Cependant, dans son deuxième traité, il explique que dans l’équipage il y a un officier haut placé qu’on appelle le pirata et non le pilatus comme le croient les Teutons. Ce pirate connaît les itinéraires maritimes les plus sûrs et les plus courts et la navigation se déroule selon ses ordres ou ses conseils . Cette confusion est intéressante, car elle montre les limites de la transmission orale des mots. Pour avoir une meilleure idée de ces limites, il serait intéressant d’étudier, en parallèle, la retranscription des noms de lieux qui abondent dans ces récits.
Corsaires ou pirates, les auteurs du corpus parlent plutôt de corsaires que de pirates; ils utilisent souvent le mot pirate en association avec le mot corsaire, sans qu’on sache si ces deux mots sont en redondance ou désignent deux types d’hommes aussi dangereux les uns que les autres, parce qu’aussi bien, si les statuts des corsaires et des pirates sont différents, leurs activités sont strictement les mêmes. Il faut noter que jusqu’à la fin du XIIIème siècle, le terme est ambigu car la distinction entre corsaire et pirate n’est pas encore établie, elle le sera dès le XIVème siècle où est appelé corsaire celui qui agit avec l’aval de son gouvernement. Nicolas de Nicolay raconte que sus une longue colline l’on voit une tour ronde où se faict la garde jour & nuict de peur des coursaires & pirates . Antoine Regnaut évoque la figure de Barberousse, le corsaire, capitan pacha de l’empire ottoman, ancien roi d’Alger, qui est mort quelques années avant le voyage de Regnaut : pensions que feussent fustes de ragoutre, pirates et escumeurs de mer au lieu de Barberousse . Le navire sur lequel voyage André Thevet, en 1556, est attaqué, il raconte : nous fumes vuz de loin de certeins coursaires, pirates et escumeurs de mer turqs, lesquels ayans cinq vaisseaus comme fustes et galiotes bien munies, vindrent alencontre de nous pour nous prendre esclaves et ravir ce qui estoit dans la nave . Jean Palerne regrette que la présence d’écumeurs des mers rende les voyages encore plus périlleux, il dit : encore ne feroit-il que bon de voyager si lon en estoit quitte à si bon compte des coursaires & pirattes . Quant à Henry Castela, il évoque les galeres de Biserte qui sont pirates & corsaires de Barbarie . Les auteurs semblent employer indifféremment les deux termes, ils craignent les corsaires de mer, les corsaires turcs , tous les corsaires allant à Tripoli ou à Jaffa .
Au total, les auteurs ont plutôt bien discerné les différentes fonctions des hommes d’équipage pour peu qu’ils aient eu l’occasion de s’y intéresser. Ils ont assisté à des manœuvres que certains décrivent.
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Table des matières
Introduction
1 – Les mots de marine
1-1- Résultats globaux
1-1-1- Ensemble
1-1-2- Moyen Âge
1-1-2-1. Les auteurs de langue latine
1-1-2-2. Les auteurs de langue française
1-1-2-3. Les auteurs de langue italienne
1-1-2-4. Ensemble des textes du Moyen Âge
1-1-3- Époque moderne
1-2- Les bateaux et la navigation
1-2-1- Les navires
1-2-1-1- Vaisseau
1-2-1-2- Nef, nave, navire
1-2-1-3- Galée, galère
1-2-1-4- Barque
1-2-1-5- Autres noms
1-2-2- Les hommes
1-2-2-1- L’encadrement
1-2-2-2- Les hommes d’équipage
1-2-2-3- Les pirates
1-2-3- Les manœuvres
1-2-3-1- Les actions du navire
1-2-3-2- Les actions des commandants
1-2-3-3- Les actions des marins
1-3- Les éléments
1-3-1- La mer
1-3-1-1- Étendue d’eau
1-3-1-2- Les vagues
1-3-1-3- Le calme plat
1-3-2- Les terres
1-3-2-1- Les abris
1-3-2-2- Les écueils
1-3-2-3- Le bord de mer
1-3-3- Le vent
1-3-3-1- Régime
1-3-3-1-1- Vent favorable
1-3-3-1-2- Vent contraire
1-3-3-1-3- Vent fort
1-3-3-2- Tourmentes et tempêtes
1-3-3-3- Noms des vents
2- Le voyage des mots
2-1- Le voyage dans le temps, la transformation des mots
2-1-1- Les mots en provenance de l’Indo-européen
2-1-1-1- Les mots de la famille de mer
2-1-1-2- Les mots de la famille de nave
2-1-1-3- Les mots de la famille de vent
2-1-2- Les mots en provenance du latin
2-1-2-1- Évolution phonétique
2-1-2-2- Évolution phonétique et sémantique
2-1-2-3- Mots latins empruntés au grec
2-1-3- Les mots perdus
2-1-3-1- Sortis du vocabulaire nautique
2-1-3-2- Mots devenus inutiles
2-1-3-3 Mots remplacés
2-2- Le voyage dans l’espace méditerranéen
2-2-1- L’italien et le provençal
2-2-2- L’arabe et le turc
2-2-3- Le grec, l’espagnol et le portugais.
2-3 Un vocabulaire spécifique
2-3-1- Des mots adoptés par tous
2-3-2- La marine du Levant
2-3-3- Les apports extérieurs
3- Le voyageur et la Méditerranée.
3-1- Une découverte
3-1-1- Des lieux
3-1-1-1- La navigation
3-1-1-2- La terre : les îles et les ports
3-1-1-3- les présupposés à l’épreuve de la réalité
3-1-2- Des autres
3-1-2-1- Les compagnons
3-1-2-2- Les hôtes de rencontre
3-1-2-3- Divers autres
3-1-3- Des différences
3-1-3-1- Les langues
3-1-3-2- Les « étrangers »
3-1-3-3- Les coutumes
3-2- Un spectacle
3-2-1- Permettant la connaissance
3-2-1-1- La ville de Venise
3-2-1-2- L’arsenal de Venise
3-2-1-3- Des endroits remarquables
3-2-2- Un spectacle plaisir
3-2-3- Quelques scènes
3-3- Une possible révélation de soi
3-3-1- Les dangers : tempêtes, écueils, pirates
3-3-1-1- Se noyer
3-3-1-2- Tempêtes et bonasses
3-3-1-3- Les pirates
3-3-2- Les réactions des voyageurs en péril
3-3-3- Les mots pour le dire – la mise en scène du moi
Conclusion
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