Chaque année, en France, environ 15 % des jeunes gens qui sortent de l’école ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux, à savoir lire et écrire correctement, comprendre un texte simple, pouvoir argumenter dans une discussion (Boimare, 2012) et ce, malgré un repérage précoce des problèmes et une remédiation soutenue. D’après les résultats d’une enquête réalisée par la DEPP sur une période qui va de 1987 à 2007, et commentée par Felouzis (2012), le constat est alarmant : en France, en vingt ans, le rendement scolaire des élèves et leur niveau de compétence en lecture, en calcul et en orthographe, ont baissé. Dans le même temps, les inégalités scolaires liées aux origines sociales des élèves se sont accrues. Baudelot & Establet (2009) en attribuent la cause à un « élitisme républicain» qui encourage une école centrée sur la compétition et la concurrence et qui utilise de manière trop précoce le système des notes et de la sélection. Ce modèle qui ne favorise pas les apprentissages accentue donc les inégalités.
Durant nos séjours dans certaines classes d’écoles primaires de l’espace BEJUNE , nous avons pu constater que, sur une classe d’environ vingt élèves, un quart des élèves présente des difficultés. Ce sont généralement, mais pas uniquement, ces enfants-là qui sont porteurs d’un diagnostic « dys- » ou « hyper quelque chose » souvent stigmatisant et qui rencontrent chaque semaine des spécialistes pour soigner leurs troubles…
Vu sous un autre jour, nous pourrions dire à l’inverse que deux enfants sur trois qui entrent à l’école vont apprendre, quelle que soit la qualité de la pédagogie qu’on leur offre, car leur milieu familial les a déjà préparés à affronter les contraintes de l’apprentissage. En effet, la plupart des enfants se développent « suffisamment bien» dans leur milieu naturel, et sont déjà dotés, au début de leur scolarisation, d’un équilibre psychique assez solide qui leur permet de faire face aux exigences scolaires. Par conséquent, nous pensons que les défis à relever, pour un enseignant, se situent plutôt du côté des élèves pour lesquels l’entrée dans les apprentissages pose problème.
Pour aider ces élèves, Thouny et Catteau (2012) soulignent qu’il ne suffit pas d’adapter, mais qu’il faut essayer de changer les choses ! « Il convient de ne pas s’inscrire dans une simple logique de rattrapage, mais plutôt tenter de modifier les postures de ces élèves face au savoir et aux apprentissages. […]. Il est nécessaire de rendre visible ce qu’il y a à apprendre au travers des tâches (double dimension) en donnant lieu à une réflexion sur les objets de savoirs qui sont en jeu derrière les situations proposées » (p. 39).
Il est donc souhaitable d’amener les élèves à « penser » les tâches et à ne pas juste se contenter de les réaliser, et de leur permettre d’être partie prenante dans la construction des connaissances, en tablant sur le développement de ressources qui relèvent à la fois de savoirs et de savoir-faire qui soient mobilisables dans d’autres situations.
Selon Boimare (2012), « Là où il faudrait du nourrissage culturel intensif et de l’entraînement journalier à débattre, la peur d’enseigner , pousse à valoriser le rattrapage et le colmatage, si possible en dehors de la classe » (p. 24).
Nous avons pu également remarquer, dans les classes où nous avons séjourné, que ces élèves qui ont peur d’apprendre (Boimare, 2012) ne souffrent pas d’un sous-entraînement ou d’un manque de répétitions. Un autre phénomène, qui n’a rien à voir avec l’intelligence, semble s’emparer d’eux, lorsque nous cherchons à leur livrer les clefs du savoir !… Face aux tâches qu’il leur est demandé de faire, ces élèves adoptent une attitude de retrait, comme s’ils étaient soudainement très loin, perdus dans les nuages ou sur une autre planète… D’ailleurs, lorsque l’on insiste avec des méthodes qui ne leur conviennent pas, ils apparaissent comme submergés, et nos insistances semblent les pousser à renforcer davantage leurs stratégies anti-apprentissages. Nous en déduisons donc que c’est d’autre chose dont ils ont besoin…
De ce qui précède, nous pouvons nous demander, et à juste titre, comment un enseignant peut remplir pleinement sa mission sans être correctement préparé à traiter avec l’empêchement de penser qui, toujours selon Boimare (2012), est la cause première de l’échec scolaire. Il nous apparaît donc pertinent de vouloir chercher à comprendre pourquoi ces enfants n’arrivent pas à apprendre et de nous intéresser à de nouvelles pistes didactiques afin d’apporter d’autres solutions. Les enjeux qui s’y rattachent nous semblent une bonne raison pour vouloir les explorer.
Qu’est-ce que la médiation culturelle ?
Pour bien saisir le concept de médiation culturelle, voyons d’abord les différentes acceptions que l’on peut trouver à son sujet.
Définition
Selon le Petit Robert, et dans son acception didactique, la médiation est « le fait de servir d’intermédiaire ». Une médiation culturelle correspond donc à une situation où la culture sert d’intermédiaire, entre le savoir, par exemple, et les élèves.
Sur le site de la ville de Montréal (2015), on peut lire que « le terme « médiation culturelle » est employé au Québec depuis les années 2000 pour désigner des stratégies d’action culturelle centrées sur les situations d’échange et de rencontre entre les citoyens et les milieux culturels et artistiques. Elle se caractérise [d’une part] par la mise en place de moyens d’accompagnement, de création et d’intervention destinés aux populations locales et aux publics du milieu artistique et culturel ; [et d’autre part par] l’objectif de favoriser la diversité des formes d’expression culturelle et des formes de participation à la vie culturelle ».
Lamizet (2000) nous dit pour sa part que la médiation culturelle fonde, dans le passé, le présent et l’avenir, les langages par lesquels les hommes peuvent penser leur vie sociale, peuvent imaginer leur devenir, peuvent donner à leurs rêves, à leurs désirs et à leurs idées, les formes et les logiques de la création. Cette définition retient particulièrement notre attention puisqu’elle insiste sur les langages que les hommes utilisent pour penser leur vie et donner forme à leur rêve.
De manière plus générale, chaque fois qu’un enseignant a recours à la littérature, à la musique, à la peinture, ou au théâtre, ou plus généralement lorsqu’il se sert d’un medium culturel pour appuyer sa démarche pédagogique, nous pouvons dire qu’il fait de la médiation culturelle. En tant que médiateur de culture, son objectif vise à amener les élèves, au travers d’éléments fondateurs de notre civilisation, à écouter, voir ou/et ressentir, puis à élaborer une réflexion et exprimer leur point de vue à partir de ce qu’ils ont vu et entendu.
La médiation culturelle selon le concept envisagé par Boimare
Selon Boimare, (2012), la médiation culturelle est un moyen pédagogique qui consiste à dispenser tous les jours, de la maternelle au collège, une heure de culture humaniste. Il s’agit d’offrir aux élèves un nourrissage culturel à partir de textes fondamentaux tels que les mythes, les contes ou autres textes littéraires, en lien avec le programme. Ces textes serviront de point d’appui à l’entraînement à parler et à débattre, ainsi qu’au développement de l’écriture. La médiation culturelle permet aux élèves en difficulté de renouer avec les apprentissages et est également un excellent stimulant pour le reste de la classe.
Cette heure de culture humaniste se divise en trois temps : un temps de lecture à voix haute faite par l’enseignant, un temps consacré à débattre et un temps d’expression écrite.
Ce concept de médiation culturelle suppose pour l’élève une posture de lecteur tout autant que d’auteur. Par ses paroles et ses écrits, et les échanges qui vont en découler au sein de la classe, l’enfant va développer des compétences à s’exprimer oralement et par écrit, et être reconnu en tant qu’auteur en devenir. « C’est en construisant avec les élèves des référentiels et des outils d’aide pour comprendre et produire un texte narratif et un texte explicatif qu’ils sont capables ensuite de les comprendre et de les produire seuls » (Lebrun, 2010, p. 155).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1er : PROBLÉMATIQUE
1.1 Présentation et importance du problème : les défis à relever
1.2 Qu’est-ce que la médiation culturelle ?
1.2.1 Définition
1.2.2 La médiation culturelle selon le concept envisagé par Boimare
1.3 État des connaissances liées au thème
1.3.1 Comprendre l’empêchement de penser : pourquoi certains enfants n’arrivent pas à apprendre ?
1.3.2 Élèves en difficulté et attitudes mise en place pour protéger l’estime de soi
1.3.3 Pourquoi l’école ne parvient-elle pas à faire face à ce problème et à y apporter une réponse ?
1.3.3.1 Simples difficultés d’apprentissage ou empêchement de penser ?
1.3.3.2 Curiosité primaire ou intérêt pour les savoirs ?
1.3.3.3 Une faiblesse constatée au niveau du langage
1.3.4 Fondements sur lesquels repose la médiation culturelle
1.3.4.1 Les cinq besoins des empêchés de penser
1.3.4.2 Une heure de médiation culturelle quotidienne
1.3.5 Comment les besoins des empêchés de penser s’avèrent-ils d’excellents stimulants pour tous les élèves ?
1.3.5.1 La faculté de recourir au symbole
1.3.5.2 Rôle du langage
1.4 Médiation culturelle et didactique : quelles intentions pédagogiques ?
1.4.1 Quelle place pour l’enseignant ?
1.4.2 Apprentissages et formes sociales
1.5 Place de la littérature dans les classes
1.6 Choix des textes pour pratiquer la médiation culturelle : les textes fondateurs
1.6.1 Les textes littéraires
1.6.2 Le rôle de la littérature en classe
1.6.3 La littérature de jeunesse
1.6.4 La mythologie
1.6.5 Les contes
1.6.6 Les contes et les mathématiques
1.7 Médiation culturelle et plan d‘étude
1.8 Les « travers » de la médiation culturelle
1.8.1 Médiation culturelle et psychologie
1.8.2 Psychologie et pédagogie : quelle place pour les enseignants ?
1.8.3 La médiation culturelle : un domaine réservé aux éducateurs spécialisés ?
1.8.4 Face aux « élèves résistants »
1.9 Questions et objectifs de la recherche
Chapitre 2 : MÉTHODOLOGIE
2.1 Fondements méthodologiques
2.1.1 Domaine de recherche : la recherche appliquée
2.1.2 Approche générale : une recherche qualitative
2.1.3 Objectifs de recherche : une démarche à la fois descriptive et compréhensive
2.1.4 Une approche inductive
2.1.5 Approche méthodologique à visée pratique
2.1.6 Enjeux et rôles visés : un enjeu pragmatique et un enjeu ontogénique
2.2 Nature du corpus
2.2.1 Moyens utilisés pour la collecte des données
2.2.1.1 L’observation
2.2.1.2 L’entretien
2.2.1.3 Le guide d’entretien
2.2.1.4 Test de repérage
2.2.2 Procédure et protocole de recherche
2.2.3 Choix de l’échantillonnage et population
2.2.4 L’heure de médiation culturelle quotidienne et le PER
2.2.4.1 Des principes à respecter
2.2.4.2 Des objectifs d’apprentissage qui trouvent leurs origines dans l’heure de médiation culturelle.
2.2.4.3 Le choix des textes
2.2.4.4 Critères d’évaluation des compétences des élèves durant une période d’enseignement de neuf semaines
2.3 La méthode et les techniques d’analyse des données
2.3.1 La transcription des entretiens
2.3.2 La transcription des notes issues de l’observation
2.3.3 Les procédés de traitement des données
2.3.4 Les méthodes d’analyse
Chapitre 3 : ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
3.1 Sur les moyens utilisés pour la collecte des données
3.1.1 L’observation
3.1.2 L’entretien
3.1.3 Le test de repérage
3.2 Résultats et analyse
3.2.1 Analyse des observations faites pendant la période d’enseignement
3.2.1.1 Portrait de la classe
3.2.1.2 Portrait des élèves
3.2.2 Analyse des entretiens
3.2.2.1 Au sujet de l’école
3.2.2.2 Concernant le rapport avec les pairs
3.2.2.3 Concernant les consignes et la confiance en soi
3.2.2.4 À propos de la démarche de médiation culturelle abordée en classe
3.2.3 Analyse du test de repérage
3.2.3.1 Évaluation et interprétation du test de repérage
3.2.3.2 Résultats du test
CONCLUSION
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