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L’ENSEIGNEMENT DE LA PRÉHISTOIRE ET LES VISITES SCOLAIRES
Pour ce volet, nous avons étudié les nouveaux programmes de 2016, trois manuels scolaires et des supports pédagogiques disponibles sur le site EDUSCOL. Nous avons complété ces informations par des entretiens avec deux chercheurs de didactique de l’histoire de Rennes et Nantes. Nous avons réalisé une enquête qualitative auprès d’enseignants de collège sur leurs attentes en matière de visites scolaires et d’ateliers dans les établissements portant sur l’archéologie de la Préhistoire et resituer ces attentes dans la pratique des visites scolaires et ateliers de ces collèges. Nous l’avons complétée par une enquête de satisfaction auprès d’enseignants de collèges venus en visite scolaire à N&M. Les guides d’entretien ont été réalisés à partir de la problématique de N&M citée plus haut. Nous avons également repris et adapté des questions de l’enquête menée par Cora Cohen sur la « visite scolaire au musée : représentations d’enseignants en formation initiale en France et au Québec » (1989). La zone géographique des collèges a été choisie initialement à environ une heure de route, soit une partie des départements d’Ille et Vilaine, Loire-Atlantique et Morbihan. Devant la difficulté à contacter les enseignants au travers des secrétariats, nous l’avons élargie à l’ensemble de l’Ille et Vilaine. L’échantillon comprend 9 collèges d’Ille et Vilaine et 3 de Loire-Atlantique.
La population scolaire concernée est principalement rurale, sauf pour le collège de Nantes. Nous verrons que c’est important pour l’adaptation aux centres d’intérêt des élèves et aux contraintes logistiques de ramassage scolaire. Il comprend 10 femmes et 2 hommes. 10 enseignent dans des classes de 6è, 2 dans d’autres niveaux. 8 travaillent en collège public, 4 en collège privé. 10 enseignent l’histoire géographie, une les Sciences et Vie de la Terre (SVT), une les mathématiques. Ils ont 16 ans d’expérience de l’enseignement en moyenne. Sept enseignants avaient déjà organisé des visites scolaires sur un site archéologique de la période préhistorique. Une personne enseigne en réseau d’éducation prioritaire (REP), une en section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). Deux enseignantes ont des missions spécifiques : une d’elles est professeur conseiller relais aux archives de Nantes l’autre appartient au groupe des formateurs de l’Académie de Rennes. Il est à noter que trois enseignants n’avaient jamais entendu parler de Saint-Just, malgré la proximité géographique. Les informations détaillées sur l’échantillon sont en annexe. Les entretiens ont été réalisés entre décembre 2018 et mai 2019.
Autres acteurs de l’éducation nationale : nous avons complété cette enquête par des entretiens avec l’intendant et le principal de deux collèges, Nous avons eu également des entretiens au sein de l’académie de Rennes, avec l’inspecteur pédagogique régional d’histoire-géographie, la conseillère académique patrimoine et architecture à la délégation académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle (DAAC) et la médiatrice de ressources et de services de l’atelier Canopé (cf. organigramme en annexe 3).
RÉSULTATS
LA MÉDIATION ARCHÉOLOGIQUE AUPRÈS DES PUBLICS SCOLAIRES
DÉFINITION ET ENJEUX DE LA MÉDIATION ARCHÉOLOGIQUE
Histoire de la médiation en archéologie : La médiation en archéologie émerge dans les années 1960. « la conversion patrimoniale du rapport de nos sociétés à leur passé, débute en gros dans les années 1960. Ses principales caractéristiques (primat de l’expérience, dimension sensible et émotionnelle, articulation du matériel et de l’immatériel, éthique de la transmission, démocratisation de l’expertise…) doivent beaucoup aux avancées de l’archéologie comme discipline et comme fait social. » (Fabre, 2014). Depuis le début des années 1970, la valorisation de l’archéologie en France connaît un essor important, notamment dans le domaine de la Préhistoire (Roy, 2005). Aujourd’hui, le panorama de la médiation dans ce domaine est très large. « De nombreux parcs archéologiques et archéosites ont été créés dans des régions plus ou moins riches en patrimoine archéologique. La plupart des musées d’archéologie proposent des activités à destination des scolaires et du grand public…. Cette émergence de la médiation en archéologie a permis de donner aux publics une image plus dynamique et plus attractive de l’archéologie. » (de Miranda, 2010). Avec l’intégration de l’archéologie dans les processus d’aménagement du territoire, la prise de conscience des implications sociales de la discipline est allée en s’imposant. « Au point que l’on observe en ce début de XXIe siècle un foisonnement d’initiatives locales, nationales et internationales qui lient archéologie, patrimoine, publics et citoyenneté. Aujourd’hui, la grande majorité des archéologues est consciente de leur double responsabilité, scientifique et sociale. » (Schlanger, 2018, p 584)
Qu’est-ce que la médiation à l’archéologie ? La Direction de l’architecture et du patrimoine a ouvert en 1990 un bureau de l’action culturelle, afin de conquérir de nouveaux publics. (Mairot et al., 2005, p 80). Dans les années 1990 les musées dans « l’ère de la communication » et ont développé la médiation (Jacobi et Denise, 2017, p 11-16, citant les travaux de Schiele et Davallon). « Depuis que les musées existent et d’une manière générale, depuis que les politiques culturelles se sont développées, on a compris qu’il était nécessaire de mettre en place des professionnels centrés sur les publics […] Cette remarque est encore plus vraie pour l’archéologie qui n’est devenue que récemment une science réservée à des chercheurs professionnels et des salariés à temps plein. ». Ils définissent également le terme : « on appelle médiations l’ensemble des efforts et des dispositifs déployés en vue de favoriser l’acculturation, c’est-à-dire l’appropriation du contenu de l’exposition et de ses objectifs quels qu’ils soient.
LA MÉDIATION ARCHÉOLOGIQUE VERS LES PUBLICS SCOLAIRES
Le foisonnement relatif de la médiation archéologique décrit ci-dessus touche, semble-t-il, plus le grand public que le public scolaire. Après une certaine présence de la réflexion sur la médiation archéologique vers les publics scolaires dans des articles de recherche dans les années 1980 et 1990, les articles sur ce thème se font plus rares ensuite. Cela pourrait s’expliquer par des baisses de financement de ces activités.
Les musées ont commencé à s’intéresser en France au « jeune public » dans les années 1970-1980 et à favoriser un mode de découverte fondé surtout sur l’expérience, que l’on juge plus efficace (Dezellus et Germain, 2014, p 79). En 1982, le Fonds d’Intervention Culturel a créé les classes du patrimoine (Mairot et al., 2005, p 121). En 1985, P. Gouletquer et J.M. Moullec présentaient le bilan d’un projet d’action éducative (PAE) mené dans le Finistère avec des scolaires. Ils constataient la convergence entre le principe d’enrichir le contenu scientifique, pédagogique et éducatif du patrimoine avec les besoins de l’enseignement. « La Préhistoire et l’archéologie locales constituent un terrain exceptionnel d’éveil […] Les retombées éducatives vont dans le sens d’un changement des attitudes vis-à-vis du patrimoine archéologique en général et de la Préhistoire scientifique en particulier. » En 1991, la table ronde de Manneville-ès-Plains avait été consacrée entièrement au thème de la Préhistoire et les enfants. Elle faisait suite à l’année de l’archéologie 1990 engagée par le Ministère de la Culture et avait pour origine le souhait de confronter les expériences de responsables des classes Préhistoire (Paulet-Locard, 1996). Étaient présents des représentants d’une dizaine de sites, de Tautavel au Préhistosite de Ramioul en passant par la Musée de Nemours, qui y ont présenté leurs activités. L’attrait des enfants pour la Préhistoire, la demande des enseignants et des archéologues y ont été mis en avant : « L’enfant, qui est lui-même un être en devenir, s’identifie peut-être à l’espèce ». Les enseignants sont conscients de l’attrait qu’exerce la Préhistoire sur les enfants et savent qu’il est plus facile pour un professionnel et/ou un passionné de faire passer le message auprès de ceux-ci. Il s’agit d’un investissement à long terme, car les enfants seront les citoyens de demain, responsables du patrimoine archéologique. La discipline a l’avantage d’allier l’intellectuel et le manuel, permet de présenter concrètement la démarche scientifique et de développer l’esprit critique. Enfin, elle apporte des bases sur lesquelles réfléchir à la période actuelle (Echasseriaud, 1996). Il n’y a malheureusement pas eu de suite à cette table ronde. Depuis, ont été malheureusement constatés les fermetures de la ferme archéologique de Melrand et du centre de classes vertes de Brasparts. (Gouletquer, 1996). Les classes transplantées culturelles patrimoine sont moins fréquentes, faute de budgets suffisants et la tendance est au développement d’actions plus ponctuelles et plus locales (Mairot et al., 2005, p 122). Pourtant, dans le contexte plus large de la visite au musée, l’importance de l’éducation non formelle est soulignée dans les recherches. Celle-ci se définit « par opposition aux institutions éducatives […] qui dispensent, à des groupes d’élèves d’âge homogène, un enseignement académique (dit formel). » (Jacobi et O. Coppey, 1995). Comme le montre l’enquête que nous avons menée et que nous présenterons ci-dessous, les enseignants apprécient des activités créatrices, comme les techniques de fabrication préhistoriques ou le tir à l’arc et au propulseur. Ceci, car les enfants acquièrent une compréhension globale de l’histoire en apprenant à connaître ce qu’était la vie quotidienne par rapport à la nature et à la société, tout en expérimentant techniques et modes de vie. (Wunderli, 2002). Les ateliers lors desquels l’enfant va être mis en situation et devenir acteur et actif lui permettent d’être en contact direct avec des objets. « La rencontre est alors immédiate et tactile, sensitive, émotionnelle. ». (Lacroix, 2002) L’apport des activités pour les enfants fait l’unanimité, car elles « suscitent l’étonnement et la curiosité. Elles facilitent le passage du concret à l’abstraction […] Retrouver ses gestes est la meilleure façon d’entrer en contact avec l’Homme préhistorique […] L’enfant vit une stimulation émotionnelle et une immersion dans l’activité culturelle et scientifique qui revitalisent le désir d’apprendre. […] Le contact avec le patrimoine favorise l’épanouissement de l’identité du jeune, de sa responsabilité et de son éveil en tant que citoyen du monde. ». La médiation peut guider les enfants à la rencontre des hommes de la Préhistoire par trois voies différentes : « la reconstitution de gestes précis, […], la découverte d’un site […], le musée où des objets remarquables sont préservés. » (Cohen et Marquet, 2005). Pour cela, les supports ludiques sont les plus adaptés. Il faut des « supports le plus souvent ludiques, qui doivent correspondre à la diversité des publics visés. » (Savary, 2010). Pour que cela fonctionne, il est important « de prendre plaisir à travailler avec les enfants, à parler leur langage et plaisanter avec eux. » (Gouletquer, 1996). Dans cette relative convergence de points de vue, apparaissent quelques écueils pédagogiques. Face aux limites pédagogiques de la visite guidée pour les enfants (Triquet et Laperrière, 1999), existe à l’opposé, le risque d’activité centrée sur les commentaires techniques ou le spectacle de démonstration « Le contenu pédagogique réel, en matière d’archéologie, reste souvent très faible. » (Pelegrin, 1998). Enfin, dans le cas de musée, l’intégration des besoins des jeunes publics est nécessaire dès la conception On constate des différences entre « les musées les plus anciens qui proposent des activités pédagogiques via différents dispositifs créés par le service éducatif (livrets, visites, ateliers) tandis que les musées les plus récents intègrent aussi directement ce public dans leur projet muséographique. ». (Dezellus et Germain, 2014, p 80).
L’ENSEIGNEMENT DE LA PRÉHISTOIRE AUPRÈS DES SCOLAIRES
LES PROGRAMMES SCOLAIRES ET LEUR ÉVOLUTION
La difficulté de la Préhistoire à se faire sa place dans l’enseignement est ancienne. Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, aucune faculté ne confère de diplôme en Préhistoire. À la Libération, l’enseignement de la Préhistoire en tant que tel n’existe que dans cinq facultés mais, en l’absence de chaire
spécifique, il y est rattaché à d’autres disciplines. Ce n’est qu’en 1955 que la faculté des lettres de Toulouse crée la première chaire pour Louis-René Nougier. (Hurel, 2006). La situation perdure pour les scolaires. « Sur les bancs ou au ban de l’école ? », c’est la question posée par P. Sémonsut (2017). Il note que « des années 1940 à 1960, si le manuel est la principale source de connaissance sur la Préhistoire, la place qu’il lui accorde est bien mince. À partir des années 1970, la mémoire scolaire de la Préhistoire est en voie d’effacement. Après la disparition du Paléolithique des programmes du collège en 1995, c’est au tour du Néolithique en 2008. Désormais, la Préhistoire n’existe plus dans le secondaire. Cette disparition, pourtant, n’est pas définitive puisqu’on assiste, en 2015, au retour de Cro-Magnon en classe de 6e, retour porté par l’air du temps. ». En 1996, M. C. PUTZ, p 96, évaluait la fourchette horaire consacrée à ce sujet à 4 à 8 heures en cours moyen et de 6 à 8 heures en 6è. Elle ajoutait que « les compléments de programme précisent qu’il semble indispensable, par exemple en 6è, de réduire la place de la Préhistoire au profit d’autres thèmes. ». En 2015, De Carlos, p 206, p 212, décrit les changements de programme précédents : « Au collège, le paléolithique disparait du programme en 1995, puis le néolithique en 2008 […] La Préhistoire apparaît comme une sorte d’Ovni au milieu de l’enseignement de l’histoire. L’enseignement n’existe qu’en CE2. ». En 2016, elle disparaît du programme de CE2 et réapparaît dans le programme de 6è. Dans les programmes actuels, les enseignants peuvent éventuellement traiter cette période en CM1 dans le cadre du thème 1 « Et avant la France ». Le nouveau programme de 6è intègre en début d’année le thème 1 « La longue histoire de l’humanité » en trois parties : les débuts de l’humanité, la révolution Néolithique, premiers états, premières écritures. (BOEN spécial n°11 du 26/11/2015 p 178) :
Démarches et contenus d’enseignement
L’étude de la préhistoire permet d’établir, en dialogue avec d’autres champs disciplinaires, des faits scientifiques, avant la découverte des mythes polythéistes et des récits sur les origines du monde et de l’humanité proposés par les religions monothéistes. L’histoire des premières grandes migrations de l’humanité peut être conduite rapidement à partir de l’observation de cartes et de la mention de quelques sites de fouilles et amène une première réflexion sur l’histoire du peuplement à l’échelle mondiale. L’étude du néolithique interroge l’intervention des femmes et des hommes sur leur environnement. La sédentarisation des communautés humaines comme l’entrée des activités humaines dans l’agriculture et l’élevage se produisent à des moments différents selon les espaces géographiques observés. L’étude des premiers États et des premières écritures se place dans le cadre de l’Orient ancien et peut concerner l’Égypte ou la Mésopotamie.
S. Mathé, MNHN, référente premier degré du Pôle formation des enseignants de la DIREF resitue ce thème dans le programme du cycle 3 (CM1 – CM2 – 6è), consacré au repérage et qui comprend la diversité des animaux et végétaux actuels et passés, ce qui a disparu, la classification et les liens de parenté, l’évolution, les notions de temps géologique. Elle comprend notre période humaine courte, les repères de chronologie en histoire géographie mais pas en sciences. Elle intègre dans ce qu’il y a avant la France : traces préhistoriques et historiques et les déplacements de populations (les celtes, les gaulois, les grecs, les romains).
Elle en précise les messages qui en ressortent : l’ancienneté des peuplements, la pluralité de l’héritage, les brassages, les liens avec l’environnement. (Entretien avec S. Mathé, MNHN). L’étude de trois manuels scolaires fait apparaître que les deux thèmes « les débuts de l’humanité » et « la révolution Néolithique » représentent en moyenne 10 % des manuels.
Nous pouvons estimer à environ 10 heures le temps d’enseignement de cette partie du programme, en supposant que le nombre de pages du manuel est proportionnel au nombre d’heures d’enseignement annuel de 108 heures : 3 heures de cours d’histoire-géographie et EMC par semaine, sur 36 semaines scolaires. Les estimations d’enseignants que nous avons interrogés sont un peu inférieures, comme nous le verrons plus loin. Nous pouvons noter que la part consacrée au Paléolithique dans les manuels est égale ou un peu supérieure à celle consacrée au Néolithique. Mais les enseignants interrogés évoqueront plus souvent le Néolithique.
Pourquoi ce changement de programme en 2016 ? Les explications sont variées. Celle de D. Dupuy, inspecteur pédagogique régional d’histoire-géographie, est d’éviter que ce sujet ne prenne trop de place. « Cela avait disparu des programmes : des collègues arrivaient à y consacrer un trimestre entier, car les élèves sont intéressés. Ils doivent travailler aussi à développer l’intérêt pour le reste. ». Elle rejoint celle de D. Cariou, Maître de conférences en Sciences de l’éducation (didactique de l’histoire), « C’était en CE2 avant. Mais comme les enfants aiment la Préhistoire, les enseignants en faisaient encore souvent en CM1, CM2. Les inspecteurs incitaient les enseignants à faire plus d’histoire. ». Il ajoute : « Cela posait des problèmes sur les datations. On parle de 400 000 ans, alors que les élèves n’ont pas vu ces grands chiffres. Cela n’avait pas de sens pour les élèves ». (Entretien avec Didier Cariou). I. de Miranda va dans le même sens : « On a basculé la Préhistoire du CE2 à la 6è, c’est un pas énorme. Il y a un gap de raisonnement et de dextérité. » (Entretien avec I. de Miranda, directrice d’ArkéoMédia). Dans les années 1990, la suppression de la Préhistoire de l’enseignement de la 6è et son transfert en primaire avait été critiqué : « Ce rajeunissement global de la demande pèse sur le niveau de l’offre : réduction globale du contenu, modes d’intervention tirés vers l’activité ou le ludique. » (Pelegrin, 1998).
L’intérêt des enfants pour ce thème est confirmé dans le document « La réforme du collège 2016 en clair » : « Le programme propose des sujets qui intéressent les élèves (la Préhistoire, « habiter ») et sont en phase avec les avancées de la recherche universitaire (renouvellement 38 récent sur la Préhistoire, notamment). » Selon H. Lecouvey-Guérin, le sens de ce nouveau programme c’est « ce que nous apprennent les traces, notre connaissance de la Préhistoire évolue au fil des découvertes. Il y a aussi une dimension civique, on est tous une même humanité » (Entretien avec H. Lecouvey-Guérin, conseillère académique). Selon une enseignante « À mon avis, pour apporter un appui aux SVT et lutter contre les créationnistes. Je fais passer les messages : Il n’y a qu’une humanité et on en fait tous partie, il faut lutter contre le racisme, à l’origine on est noirs. » S. Doussot, chercheur en didactique de l’histoire, émetteur d’un avis dans le processus de conception des programmes, n’est pas d’accord avec cette hypothèse : « Ce n’est pas une démarche récente de développer l’ouverture contre le fondamentalisme. L’angle d’approche a été de dépasser la dualité entre des programmes de listes de connaissances et de compétences (Loi de 2016), de concilier les deux angles de vue. » (Entretien avec S. Doussot).
Pourquoi cette faible place ? Dans des termes assez durs, la raison essentielle tient, selon P. Sémonsut, 2017, « à la nature même des auteurs des programmes et des manuels : historiens, et donc spécialistes de l’écriture, ils sont très mal à l’aise […] et donc ne s’acquittent que de mauvaise grâce du passage obligé qu’est la leçon sur la Préhistoire, tant dans sa conception que son exposé. ». P. de Carlos, 2015, p 212, précise que « les chercheurs en didactique sont rarement archéologues de formation, mais aussi la communauté des archéologues [est] peu présente au sein de la noosphère. […] L’histoire a toujours été liée à la politique en France, mais la Préhistoire ne laisse que très peu d’emprise (Tautavel !) pour la construction du roman national. » La mention de Tautavel par P. de Carlos est liée au fait que, dans le programme de CE2 d’avant 2016, les premières traces de vie humaine commençaient avec l’Homme de Tautavel.
On voit donc ici l’importance de la présence ou non de ce thème dans la construction d’un récit national, comme pour la Suisse où les palafittes qui ont joué un rôle fort dans la construction de l’identité nationale au XIXe siècle. (Kaeser, 2004). La Suisse « s’inventa comme improbables ancêtres les lacustres […] Dans un tel contexte, les archéologues, consciemment ou non, contribuèrent à la construction des récits nationaux. » (Guichard, 2018, p 579). On imagine donc la difficulté en France de se projeter avant « nos aïeux les gaulois ».
Des impasses didactiques : une difficulté, comme indiqué plus haut par Didier Cariou, est d’introduire la notion de durée auprès des enfants. « Les enseignants sont d’accord pour admettre que la notion de durée est la plus difficile à introduire auprès des enfants, car la durée, contrairement aux dimensions de l’espace, échappe à toute expérience concrète immédiate. Ce qui fait que « la notion d’évolution est à peu près inaccessible aux enfants. » Cette difficulté repose en outre « sur l’amalgame qui est fait d’au moins quatre ensembles de nature différente : l’évolution biologique, la relation de dépendance par rapport aux territoires (chasseurs-cueilleurs), la maîtrise des ressources naturelles biologiques (agriculteurs et éleveurs), l’utilisation d’une catégorie d’outillage (de la pierre taillée à la pierre polie puis à la métallurgie. Ainsi quatre lignes chronologiques distinctes […]se trouvent non seulement confondues sur un même axe chronologique, mais encore présentées à la suite l’une de l’autre. » (Gouletquer, 1986)
Ou un immense potentiel didactique ? La Préhistoire est aussi « porteuse d’un immense potentiel didactique dû à sa position intermédiaire entre sciences exactes et sciences humaines. Elle profite aussi, ce qui n’est pas toujours le cas, de l’engouement des élèves comme des enseignants, ce qui en matière de motivation est fondamental pour tout processus d’enseignement. » (De Carlos, 2015, p 212). Nous y reviendrons dans le chapitre 6, avec notamment les apports sur ce point de X. Savary, 2010.
La formation des enseignants sur la Préhistoire semble bien faible. « Dans l’obligation de parler de ces périodes de l’histoire de l’Homme, le maître devra, faute de connaissance personnelles suffisantes […] s’appuyer sur son manuel, ce dernier ayant été rédigé par des professeurs d’histoire-géographie qui n’ont pas eux-mêmes de formation approfondie en la matière. » (Pailler et al., 2001). Ceci est confirmé par une enseignante : « La formation des enseignants à la Préhistoire ? Il n’y en a pas. On lit des ouvrages archéologiques, des revues, les fiches ressources de l’éducation nationale éduscol. ». Même au MNHN, « la formation des enseignants du primaire ne porte plus sur la préhistoire en tant que telle, mais que celle-ci est intégrée dans différentes formations, par exemple : alimentation des animaux (des humains aujourd’hui, au moyen âge et à la préhistoire et comparaison), biodiversité (évocation de la préhistoire par petits bouts), classification (avec quelques espèces disparues/fossiles), racisme et intégration (comportements humains face à la différence, relations hommes-femmes, EMC), utiliser un Musée (muséologie et muséographie de la rénovation du Musée de l’Homme, messages et présentations). » (Entretien avec S. Mathé, MNHN, référente premier degré du Pôle formation des enseignants)
RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE AUPRÈS DES ENSEIGNANTS DE L’ACADÉMIE ET DU SERVICE ACTIONS ÉDUCATIVES D’ILLE ET VILAINE
À quoi sert une visite scolaire sur un site archéologique ? « La visite du musée permet d’échapper à la routine scolaire et au poids des habitudes (effet de dépaysement), de participer à une activité nouvelle, de ne pas avoir seulement à écouter ou à prendre des notes (effet de nouveauté), d’établir entre adultes et élèves d’autres types d’échanges (effet relationnel), d’échapper à l’individualisme inhérent à l’évaluation scolaire (effet de sociabilité). (Jacobi et Coppey, 1995). Nous allons voir ci-dessous l’analyse des résultats de l’enquête auprès des enseignants de collèges bretons sur les visites et ateliers de Préhistoire. Les guides d’entretien se trouvent en annexe 5 et les résultats détaillés en annexe 6.
Attentes, initiatives, notoriété et lien avec le programme : pour une partie des enseignants de collège, les attentes sont faibles en matière de visites scolaires sur la Préhistoire Nous avons constaté peu d’acceptation des entretiens sur demande mail et relances téléphoniques (8%), qui peut s’expliquer par l’abondance des mails mais aussi par un certain désintérêt pour les visites scolaires sur ce thème. Les freins indiqués convergent : difficultés de financement, faible durée du thème dans le programme, place en début d’année. « Nous ne souhaitons pas participer à plus d’animations sur ce thème qui ne représente que 3 ou 4 heures dans le programme d’histoire en sixième. ». « Le financement pose un problème. Les autres sorties se font autour du collège sans transport. Il y a beaucoup de projets, c’est la guerre pour faire passer une visite. La Préhistoire est enseignée en début d’année, c’est rapide. ». « Le programme est chargé, on ne peut passer beaucoup de temps sur un chapitre riche. J’y passe environ 7/8h ». L’initiative vient toujours des enseignants, sans orientation par l’Académie, contrairement aux choix des expositions et des partenaires sur le développement durable (Zwang, 2016) « Les enseignants se dirigent en priorité vers ce qui est pointé par l’institution scolaire. On fait confiance à l’institution qui identifie les partenaires. » (Entretien avec A. Zwang, Maitre de conférences en sciences de l’éducation). Pour les sorties scolaires, une enseignante indique « On a des discussions avec les collègues, on dit « j’ai vu tel endroit, on voit si les collègues sont intéressés par le projet. Les sorties qui marchent bien sont reconduites. ». Dans ce contexte, la faible notoriété du site de Saint-Just semble être un handicap, car elle limite les visites personnelles d’enseignants, source principale de décision de visites scolaires. Trois enseignants interrogés ne connaissaient pas du tout Saint-Just, de même que les deux interlocuteurs à l’académie de Rennes et le principal de collège de Nantes. Les envois de documentation fonctionnent parfois mais « on reçoit tous les jours des propositions pédagogiques, on est tellement sollicités, quand est-ce qu’on travaille ? » (Entretien avec un principal de collège de Nantes, juin 2019). Les enseignants ont unanimement répondu qu’ils lient toujours la sortie scolaire au programme, en précisant que c’est un critère de validation de celle-ci. Ce lien avec le programme est encore plus fort que celui constaté dans l’étude menée par Cora Cohen sur les visites scolaires au musée, auprès de futurs enseignants en France et au Québec. Dans cette enquête, 57 % des futurs enseignants pensaient lier « parfois » la visite scolaire au programme scolaire et seulement 42 % les lier « toujours ». (Cohen, 2003, p 213) Le changement de programme influence donc la pratique de visite scolaire, comme le soulignent plusieurs enseignants : « Oui, c’est pour cela que nous sommes venus l’an dernier ». « L’introduction de la Préhistoire a influencé le choix de la Roche aux Fées. On allait à Jublains (site romain en Mayenne) avant. ». « L’introduction de la Préhistoire dans le programme me permet d’introduire plus de choses. Avant, je le faisais parce que j’ai un coup de coeur particulier pour cette période. » Le programme est un facteur nécessaire, mais pas suffisant « L’introduction de la Préhistoire en 6è ne va pas changer ma pratique. C’est un thème assez rapide en début d’année. Je ne veux pas sortir avec des élèves que je ne connais pas ». Le lien avec le programme conduit à organiser les éventuelles visites scolaires sur le début de l’année pour les classes de 6è. Nous verrons plus loin des pistes pour sortir de ce cadre étroit. L’enquête fait donc ressortir que l’initiative des visites scolaires revient aux enseignants, dans le cadre de la liberté pédagogique de l’enseignant qui « s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. (Code de l’éducation -Article L912-1-1). Dans le cadre du programme et du projet d’établissement, les enseignants sont libres de leurs choix … à condition que le financement soit validé et d’accepter de prendre en charge l’organisation et la réalisation de la visite. « En tant que chef d’établissement, je ne suis pas donneur d’ordre, je soutiens et accompagne les projets des enseignants. » (Entretien avec M. Trégouët, principal de collège). De façon étonnante, les projets d’établissement ont été quelquefois évoqués par des enseignants de collèges privés, mais jamais par les enseignants de collèges publics.
Les questions logistiques et financières semblent assez prégnantes. « Le projet est à monter fin juin/début juillet pour la rentrée. On sait le nombre d’élèves, on peut contacter les intervenants, demander les devis pour le car, voir les dates prévisibles. À la rentrée on connait les emplois du temps, on fixe les dates. ». Plusieurs enseignants évoquent les contraintes des cars de ramassage, fortes en zone rurale : « Il faut être rentrés pour les cars à 15h45 ou 17h maximum. ». Il faut aussi disposer de toutes les informations nécessaires, pour pouvoir préparer la visite en dehors des horaires des cours : le tarif, la durée, ce qui se fait exactement, les horaires. S’il y a un lieu pour le piquenique, pour s’abriter. Quelle est la jauge, le nombre d’élèves possible. Il faut disposer d’un écrit avec tout cela, ou que ce soit accessible sur un site internet ». Ces éléments rejoignent en grande partie l’étude sur les sorties scolaire de l’INRP (Gonin-Bolo et al.1989) citée par Cora Cohen : « les difficultés évoquées par les enseignants quant à l’organisation de sorties scolaires sont par ordre d’importance : le transport, les problèmes d’emploi du temps, l’inquiétude de perdre du temps par rapport au programme scolaire, la masse de travail pour l’organisation de la sortie. » (Cohen, 2003, p 196). Le financement semble globalement tendu, mais les avis peuvent diverger, notamment entre certains collèges privés et publics : « Le tarif de 250 € + le car 320 €. Ça va, c’est correct. Les élèves ont payé 20 €. » (F, enseignante de SVT, collège privé). « On ne demande pas d’argent aux parents. Il faut voir combien d’élèves on peut prendre. » (F, enseignante d’histoire géographie, collège public). Il y a également des différences entre les avis, d’une part des enseignants en SEGPA et en REP, qui semblent plus favorisés en matière de visites scolaires, et d’autre part les autres collèges publics, ce qui est confirmé par Christophe Jamet, du Service Actions Éducatives du département d’Ille et Vilaine : « Les collèges en REP ont beaucoup de projets et sont sollicités par un nombre important d’intervenants extérieurs potentiels (associations, collectivités, entreprises) ». Selon H. Lecouvey-Guérin, conseillère académique, « Il y a moins de financements de la part des collectivités territoriales de rattachement (collège/département, Lycées/région), pour le lycée, les établissements peuvent faire appel au financement de la région sur deux projets /an dans le cadre du dispositif Karta. Les déplacements sont financés sur les fonds de l’établissement et il faut compter 300 € pour un aller-retour. Par exemple les archives de Côte d’Armor disposent d’un volet financier pour financer les transports (dispositif spécifique), ce qui implique deux aller-et-retours, une fois pour aller travailler aux archives et une autre fois pour présenter les travaux d’élèves. Ceci s’intègre dans un dispositif « retour aux sources des archives » et cela ne concerne que 12 établissements par an. » Beaucoup d’enseignants répondent sur la question de l’adaptation des tarifs proposés par N&M « Je ne sais pas, c’est la direction qui décide ». Nous avons donc interrogé un intendant de collège qui nous a décrit un mode de fonctionnement assez complexe entre activités obligatoires et facultatives, variation du prix du car en fonction des horaires, aides départementales aux familles boursières, subventions européennes, etc. En conclusion, il indiquait que dans son collège, « 99% des demandes des enseignants sont validées. » (Entretien F. Sergienko, intendant).
Une faible pratique des projets EAC : seuls trois enseignants indiquent avoir pratiqué ou côtoyé un projet EAC. « L’établissement a monté un projet EAC, pour un projet théâtre et danse pour une classe. » (F, enseignante spécialisée, SEGPA). » À noter que le financement de projet EAC est réservé à des secteurs prioritaires dont les SEGPA. Un intérêt modéré pour les ateliers dans l’établissement : les enseignants voient des ateliers dans l’établissement plutôt comme une solution faute de mieux. « La visite, c’est mieux, mais c’est plus cher, « Je suis intéressé par les deux. Une sortie pour stimuler la curiosité des élèves ou une activité au collège pour limiter les coûts de transport. » Mais cela pose aussi des problèmes d’organisation. « Des ateliers, pourquoi pas ? Il n’y a plus beaucoup de sous pour les sorties. Mais c’est une grosse organisation pour faire sauter les cours, les intervenants doivent faire plusieurs ateliers, car on veut passer tout le niveau. Les salles sont saturées. Il y a une seule grande salle de permanence. Ces avis réservés sont cohérents avec la faible proportion que nous avons pu constater (environ 10%) d’ateliers dans les établissements, (Cf. tableau n°6 répartition sur site/hors site).
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Table des matières
1 INTRODUCTION
2 LES SITES MÉGALITHIQUES DE SAINT-JUST ET L’ASSOCIATION NATURE & MÉGALITHES
2.1 Les sites mégalithiques de Saint-Just
2.2 Nature et Mégalithes CPIE Val de Vilaine
2.2.1 Historique et fonctionnement
2.2.2 Le pôle Patrimoine et le Réseau des Sites Préhistoriques de Bretagne
3 PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE
4 MATÉRIEL ET MÉTHODES
4.1 La médiation archéologique auprès des publics scolaires
4.2 L’enseignement de la Préhistoire et les visites scolaires
5 RÉSULTATS
5.1 La médiation archéologique auprès des publics scolaires
5.1.1 Définition et enjeux de la médiation archéologique
5.1.2 La médiation archéologique vers les publics scolaires
5.1.3 La médiation archéologique vers les publics scolaires en Bretagne
5.2 L’enseignement de la Préhistoire auprès des scolaires
5.2.1 Les programmes scolaires et leur évolution
5.2.2 Résultats de l’enquête auprès des enseignants de l’académie et du service actions éducatives d’Ille et Vilaine
6 INTERPRÉTATION ET DISCUSSION
6.1 Questions de méthodologie
6.2 Contraintes et divergence des enjeux
6.3 Opportunités et convergence des enjeux
6.4 Proposition de plan d’actions à court terme
6.5 Proposition de plan d’actions à moyen terme
7 CONCLUSION ET PERSPECTIVES
8 Liste des Figures
9 Liste des Tableaux
10 Annexes
11 Liste des références bibliographiques
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