LA MATIERE ORGANIQUE ET LES TRACEURS D’ORIGINE
La matière organique dans l’océan
Les sédiments océaniques constituent le réservoir de carbone le plus important sur Terre, dont un cinquième se trouve sous forme de carbone organique (Corg) (Hedges and Keil, 1995). Bien que nettement moins important que les réservoirs « Carbone Inorganique Dissous » (CID) et « Carbone Organique Dissous » (COD) de l’océan, le « Carbone Organique Particulaire » (COP) a un rôle primordial dans les processus de sédimentation. Les sédiments océaniques sont le lieu d’enfouissement ultime de la matière organique (MO). Ils contiennent 500.000 Giga tonnes de Corg (Saliot, 1994) dont environ 700 Gt de Corg dans le premier mètre (Hedges et al., 1997). Ce matériel, à l’origine de nos ressources énergétiques actuelles, est le centre d’intérêts économique et scientifique. Cet intérêt scientifique s’est accru compte tenu de l’importance d’une meilleure compréhension des processus gouvernant le climat sur des échelles géologiques, donc de l’origine de la MO sédimentaire enfouie et des processus régissant son transport et sa préservation.
Les différentes origines
La MO présente dans l’environnement océanique peut avoir des sources diverses. Sur les marges continentales, les origines de ces apports sont particulièrement complexes : MO autochtone et allochtone (Figure I.1). Ces différentes composantes se retrouvent superposées et leurs contributions sont difficiles à évaluer. De plus, ces composantes sont soumises à des processus physiques, chimiques et biologiques régissant leur transport et leur altération, qui peuvent être différents selon leur origine.
La composante autochtone
La MO autochtone (i.e. formée sur place) est issue de la production primaire phytoplanctonique (50 Gt C/an ; Hedges et Keil, 1995) dans la couche euphotique (50-100 premiers mètres de la colonne d’eau), du broutage du zooplancton ainsi que de l’activité bactérienne dans la colonne d’eau et le sédiment.
La production primaire phytoplanctonique compose principalement la MO autochtone. La croissance de cette biomasse phytoplanctonique est déterminée par de nombreux paramètres, dont essentiellement l’ensoleillement, la turbulence, la température de l’eau, les apports en nutriments (nitrate, phosphate et silicate) et en métaux traces (e.g. Fe, Zn). Ces éléments en déterminent aussi sa diversité spécifique : diatomées, coccolithophoridés, flagellés etc. L’essentiel de la production primaire phytoplanctonique est consommé dans un premier temps dans la colonne d’eau, principalement dans la zone euphotique, par les organismes hétérotrophes, zooplancton et protozoaires (production secondaire). Cette dégradation relibère des nutriments. Seulement 20% de la production primaire nette sont exportés depuis la couche euphotique, échappant à ce recyclage sous forme de pelotes fécales, et d’agrégats divers accrétant de la MO dissoute (Hedges and Keil, 1995). Les processus de la boucle microbienne, venant s’ajouter au réseau trophique classique, jouent un rôle important. Les bactéries sont présentes tant dans la colonne d’eau que dans le sédiment. Les bactéries hétérotrophes tirent aussi leur énergie de l’oxydation de la MO. Elles peuvent représenter une part importante de la biomasse planctonique totale. De 10 30% dans les systèmes sans apports extérieurs en MO, la biomasse bactérienne peut atteindre des valeurs du même ordre de grandeur que celle des producteurs primaires.
La composante allochtone
La MO allochtone (i.e. non formée sur place) est apportée par les fleuves et les dépôts atmosphériques (0,4 et 0,1 Gt C/an, respectivement ; Hedges et al., 1997). Ce matériel peut être d’origine naturelle ou anthropique. La composante anthropique ne sera pas abordée ici, car probablement négligeable compte tenu du faible développement agricole et industriel dans le bassin versant du fleuve Zaïre. La majorité des apports allochtones naturels en MO a pour source les végétaux supérieurs et les substances issues du lessivage des sols (Hedges et al., 1997). Cette MO commence à être dégradée bien avant d’atteindre l’océan. La composante allochtone du phytoplancton produit dans les eaux douces est en général faible, sauf dans les cas où la turbidité des eaux est faible. Le panache des eaux douces des grands fleuves tels que le Zaïre et de leurs substances en suspension est rendu visible par les images satellitaires (mesure de turbidité, indicatrice de substances dissoutes colorées ou de particules). La MO planctonique, en plus d’être faible, est fortement labile, au contraire de la MO des plantes continentales. Aussi sa contribution est-elle négligeable. Meybeck et Ragu (1996) ont synthétisé de très nombreuses données sur les différents apports de 545 fleuves à travers le monde (débit, charges dissoute et particulaire, nutriments dissous et particulaire, ainsi que les COD et COP, et quelques ions majeurs). Les fleuves enrichissent le milieu aquatique en nutriments. De nombreuses autres substances et particules sont aussi charriées, qui ont un rôle sur la transmission de la lumière par exemple. Ces divers facteurs influencent la production phytoplanctonique. Les estimations des apports par l’atmosphère sont fondées sur quelques données éparses (Saliot, 1994); ces apports sont difficiles à quantifier, et restent pauvres en Corg (Ridame and Guieu, 2002). Romankevich (1984) estimait que le flux éolien est inférieur à 0,1 Gt C/an. Si ces dépôts peuvent être importants en océan ouvert, ils sont relativement faibles dans le domaine côtier, influencé par les apports fluviaux (Hedges et al., 1997).
La préservation dans les sédiments
La MO arrivée à l’interface sédimentaire est dégradée par la faune benthique (macro- et méiofaune), ainsi que par les microorganismes bactériens. Cette activité est particulièrement intense dans les premiers centimètres du sédiment. Seul 1%, ou moins en océan ouvert, de la MO produite en surface se dépose au fond de l’océan et est enfouie dans les sédiments. La diagenèse précoce est définie comme l’ensemble des processus biologiques, chimiques et physiques qui transforment les particules au cours de leur enfouissement dans les couches supérieures du sédiment. Les processus de dégradation sont essentiellement dus à l’activité des microorganismes aérobies et anaérobies. Ces organismes utilisent l’énergie d’oxydation et incorporent certaines molécules pour construire leur propre biomasse. La diagenèse affecte différemment les composés organiques en fonction de leur structure (e.g. longueur de chaîne carbonée, ramification, degré d’insaturation), de leur polarité (e.g. classe de lipides), i.e. en fonction de leur origine. L’environnement sédimentaire influence aussi la dégradation : présence ou non d’oxygène (le principal accepteur d’électron utilisé lors de la dégradation), présence d’organismes benthiques qui remanient le sédiment (bioturbation). Il semble que la nature de la MO atteignant le sédiment influence à son tour la faune benthique (Dauwe et al., 1998). La réactivité de la MO est un facteur déterminant l’activité microbienne dans les sédiments marins, d’où la nécessité de déterminer les sources de la MO sédimentaire, leurs contributions relatives, ainsi que leur réactivité. Cependant, la combinaison des différents types d’apports et des processus de dégradation rend difficile l’évaluation des quantités et qualités des différentes contributions.
|
Table des matières
INTRODUCTION
I LA MATIERE ORGANIQUE ET LES TRACEURS D’ORIGINE
I.1 LA MATIÈRE ORGANIQUE DANS L’OCÉAN
I.1.1 LES DIFFÉRENTES ORIGINES
I.1.2 LA PRÉSERVATION DANS LES SÉDIMENTS
I.2 LA COMPOSITION DE LA MATIÈRE ORGANIQUE
I.2.1 LES LIPIDES
I.2.2 LA NOTION DE BIOMARQUEUR LIPIDIQUE
I.3 LES PARAMÈTRES CARACTÉRISANT LE(S) TYPE(S) D’APPORTS
I.3.1 LE PARAMÈTRE GLOBAL C/N
I.3.2 L’APPROCHE MOLÉCULAIRE : LES BIOMARQUEURS LIPIDIQUES
I.4 LE CHOIX DES N-ALCOOLS
I.4.1 LES N-ALCOOLS ET LES N-ALCANES
I.4.2 LES N-ALCOOLS ET LES STÉROLS
II LA ZONE D’ETUDE ET LES APPROCHES MÉTHODOLOGIQUES
II.1 LA ZONE D’ÉTUDE
II.1.1 LES COURANTS DE SURFACE ET SUBSURFACE
II.1.2 LE FLEUVE ZAÏRE
II.1.3 LE PANACHE DE SURFACE
II.1.4 LE CANYON SOUS-MARIN DU ZAÏRE ET SON ÉVENTAIL
II.2 LA STRATÉGIE D’ÉTUDE
II.2.1 LA STRATÉGIE D’ÉCHANTILLONNAGE
II.2.2 LES PRÉLÈVEMENTS
II.3 LE PROTOCOLE D’ANALYSE
II.3.1 LA PROCÉDURE D’EXTRACTION 45
II.3.2 LE TRAITEMENT DE L’EXTRAIT LIPIDIQUE : TRANSMÉTHYLATION
II.3.3 LA SÉPARATION DES CLASSES DE LIPIDES
II.4 LES ANALYSES CHROMATOGRAPHIQUES
II.4.1 LA DÉRIVATISATION : SILYLATION
II.4.2 L’IDENTIFICATION EN CPG-SM
II.4.3 LA QUANTIFICATION EN CPG
II.4.4 LES REPRODUCTIBILITÉ, RENDEMENT ET LIMITE DE DÉTECTION
II.5 LES AUTRES ANALYSES
III LES N-ALCOOLS MARINS ET TERRIGENES : APPORTS ET PROCESSUS DE DÉGRADATION
III.1 TERRESTRIAL AND MARINE N-ALCOHOL INPUTS AND DEGRADATION PROCESSES RELATING TO A SUDDEN TURBIDITY CURRENT IN THE ZAIRE CANYON
III.1.1 INTRODUCTION
III.1.2 REGIONAL SETTINGS AND SAMPLING
III.1.3 ANALYTICAL METHODS
III.1.4 RESULTS AND DISCUSSION
III.1.5 CONCLUSIONS
III.2 DISTRIBUTION OF TERRESTRIAL AND MARINE N-ALCOHOLS IN SURFICIAL SEDIMENTS ALONG THE ZAIRE CANYON (SOUTH-EAST ATLANTIC)
III.2.1 INTRODUCTION
III.2.2 STUDY AREA
III.2.3 MATERIALS AND METHODS
III.2.4 RESULTS
III.2.5 DISCUSSION
III.2.6 CONCLUSIONS
IV LA VARIABILITE SPATIO-TEMPORELLE
IV.1 VITESSES DE SÉDIMENTATION
IV.2 LES VARIATIONS TEMPORELLES
IV.2.1 LA STATION LEVÉE
IV.2.2 LA STATION PÉLAGIQUE
IV.3 LEVÉE VS. PÉLAGIQUE
IV.4 CONCLUSIONS
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet