La Manifestation de l’absurdité
Les Expressions de l’absurde
La guerre a parfois du bon. Elle permet, entre autres, aux pouvoirs de mater certains esprits rebelles en se vengeant de leur attitude de paix. En effet, pendant cette période, la majorité de la population algérienne vivait sous le poids de la misère. Ainsi, l’histoire continue; pas de situation, peu d’argent en outre sur ses épaules, le poids d’une ironie qui mérite bien un autre nom. Absurde, certes, mais qui l’est, Albert Camus ou le monde ? Lui, en tout cas, puise dans la solitude l’ardeur de parachever ses premières œuvres. Il n’est plus tout à fait débutant dans les lettres. Il a déjà publié, à Alger, chez Charlot, deux plaquettes : L’Envers et L’Endroit et Noces. Simple affleurement d’un riche sous-sol : L’étranger est maintenant terminé, Caligula a été commencé dès 1938, Le Malentendu est en gestation, les premières pages du Mythe de Sisyphe ont jailli le cycle de l’absurde est bouclé.
Bien avant la publication de L’étranger(1942) Albert Camus avait déjà entamé la rédaction de La Mort Heureuse. Dans ce roman, le personnage principal s’appelle Patrice Mersault. Et il n’était pas seul : près de lui se tenait l’admirable mentor, le viril et sage ami Zagreus qui, un jour comprit que seul un acte sans rémission pouvait sauver l’adolescent du mal élémentaire : le temps dévorateur et la vie insignifiante. Zagreus sera assassiné par Patrice. Mais ce dernier va retrouver la liberté au moyen d’un testament écrit par Zagreus d’où le titre du roman : La Mort heureuse. Déjà dans ce roman Albert Camus met son cachet de philosophe de l’absurde. Et dans L’étranger, il nous présente le portrait d’un homme Meursault qui est un employé de bureau à Alger pauvre et solitaire.
Au début du roman, on lui apprend que sa mère est morte à l’asile des vieillards. Il demande à son patron deux jours de congés pour l’enterrer. Au retour il retrouve ses habitudes et ses voisins Céleste, Masson, le Vieux Salamano, enfin Marie Cardona, une dactylo qui travaillait avec lui autrefois et dont il a eu envie à l’époque. Et Meursault affirme dans ce sens : « Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle » .
Une idylle se noue entre les deux jeunes gens. Marie devient la maitresse de Meursault. Un peu plus tard, il fait la connaissance d’un certain Raymond qui lui prête son revolver qui tue l’arabe. Arrêtons-nous c’est un jeu ou ce n’est pas un jeu. Car il n’est pas si sûr que le style de Camus n’emprunte pas à cette littérature tâcheronne. Etrange style où se s’entremêlent des phrases aussi dissemblables que: « Aujourd’hui j’ai beaucoup travaillé au bureau. Le patron a été aimable. Il m’a demandé si je n’étais fatigué et devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles je m’ouvrirais pour la première fois à la tendre indifférence du monde ». En effet, ce chapitre nous permet de savoir que les expressions de l’absurde occupent une place multidimensionnelle dans la production littéraire d’Albert Camus. Elle permet également d’analyser d’emblée les sentiments de l’absurde.
Les sentiments de l’absurde
L’absurdité d’après Albert Camus est un décalage entre l’attente de l’homme et l’expérience qu’il fait au monde, dans quelque domaine de l’activité humaine qu’il exprime. Il résulte donc de la contradiction d’un système parfait par le fait. Ainsi, la littérature de l’absurde illustre le désarroi de l’homme comme étranger face à un monde et à une existence dont il ne saisit pas le sens. En effet, bien qu’apparenté dans une certaine mesure à l’existentialisme, Albert Camus s’en est assez séparé pour attacher son nom à la philosophie de l’absurde qui est devenue finalement sa doctrine personnelle.
L’absurde est défini dans le Mythe de Sisyphe, essai sur l’absurde(1942), reprise dans L’étranger(1942), puis au théâtre dans Caligula et le Malentendu(1944), elle se retrouve à travers une évolution sensible de sa pensée, jusque dans La Peste (1947). En effet, dans L’étranger(1942) Albert Camus s’inscrit toujours dans son objectif de dévoiler le caractère dérisoire de l’existence. Le personnage de Meursault qui se rapproche un peu du personnage de Patrice Mersault de la mort heureuse, est condamné pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait. Or, que lui reproche-t-on ? Albert Camus annonce « dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort » .
Cette annonce signifie que Meursault refuse de jouer le jeu, le personnage adopte un comportement de refus des règles sociales, il est logique qu’elle tienne à l’éliminer. D’ailleurs c’est ce qui pousse le procureur à dire que « oui, s’est-t-il écrié avec force. J’accuse cet homme d’avoir enterré sa mère avec un cœur de criminel».Déjà à la page 147 du roman le procureur dit « Messieurs les jurés, le lendemain de la mort de sa mère, cet homme prenait des bains, commençait une liaison irrégulière, et allait rire devant un film comique. Je n’ai rien à vous dire » . Ainsi, face à ces propos du procureur l’on peut dire que la sensibilité absurde, c’est le sentiment que la condition humaine est tragique, vouée à la mort. La philosophie camusienne semble atteindre son paroxysme car la psychologie de Meursault qui est également le foyer de la narration, dévoile la tragédie de la condition humaine.
En effet, cette conception ladite absurde trouve ses veines dans Le Procès verbal(1963) de Jean Marie Gustave Le Clézio qui, dès la préface, Le Clézio fait une déclaration d’intention :
Le Procès-verbal raconte l’histoire d’un homme qui ne savait pas trop s’il sortait de l’armée ou d’un hôpital psychiatrique. Adam Pollo ne vit pas selon le sens commun. Il se trouve un peu en avant l’homme ou un peu après. Au choix s’il faut choisir. Déjà il s’appelle Adam revivant l’instant charnière où l’homme baptisait d’un prénom ne l’est pas toujours d’un nom. Adam le premier homme ou la dernière des bêtes sauvages ? Un enfant peut-être ? On ne sait pas le situer. IL n’entre dans aucune case .
Donc le personnage d’Adam Pollo, d’après Jean Marie Gustave Le Clézio, adopte le même profil que Meursault. Adam est également indifférent au monde, à la société dans laquelle il vit et tente de faire un procès. Meursault, certes, vise à admirer le monde, mais force est de constater, que le héros de Camus porte un regard neuf sur la société et ses lois de fonctionnement. C’est pourquoi Camus note au sujet de l’absurde « c’est le contraire de l’irrationnel » . En effet, il n’est pas contraire au bon sens, mais en dehors ; ce qui ne signifie nullement non plus que la raison n’a rien à faire, elle doit continuer à jouer son rôle traditionnel, mais à posteriori : « ce qui m’intéresse, je veux encore le répéter, ce ne sont pas les découvertes absurdes. Ce sont leurs conséquences » .
Encore aussi faudrait-il s’entendre sur la situation absurde. Sur ce point, une grave confusion s’est établie entre la pensée de Sartre et celle de Camus. Or pour le pape de l’existentialisme français, la totalité de l’absurde est :
Or précisément, je suis de fait en tant que j’ai un passé et ce passé immédiat me renvoie à l’envoie premier sur néantisation de quoi je surgis par ma naissance, c’est-àdire, je suis défais sans avoir l’être. Naissance, passé, contingence, nécessité d’un point de vue, condition de fait de toute action possible sur le monde : Tel est le corps, tel il est pour moi .Il n’est donc nullement une addition contingente de mon âme, mais aussi au contraire permanente de possibilité de ma conscience du monde et comme projet transcendant vers mon futur. De ce point de vue nous devons reconnaitre à la fois qu’il est tout à fait contingent et absurde que je sois infirme, fils de fonctionnaire ou d’ouvrier, irascible et paresseux et qu’il est pourtant nécessaire que je sois cela ou autre chose…
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : La Manifestation de l’absurdité
Chapitre I : Les Expressions de l’absurde
Chapitre II : Les comportements face à l’absurde
DEUXIEME PARTIE : Les Stratégies de l’élaboration de l’absurdité dans le récit
Chapitre III : les Procédés de Caractérisation
Chapitre IV : L’Esthétique de L’étranger
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE