La Manche, un écosystème côtier anthropisé
Situation géographique et paramètres environnementaux
La Manche est une mer épicontinentale peu profonde, elle est délimitée par la France au sud et le Royaume-Uni au nord. Elle est connectée par l’ouest à l’océan Atlantique et reliée à la mer du Nord par le détroit du Pas-de-Calais. Sa bathymétrie décroît d’ouest en est et elle se caractérise par une dynamique de marée importante (macrotidale) avec une résiduelle de courant d’ouest en est et la présence de différents tourbillons induits par les îles ou caps se situant sur le littoral (Orbi & Salomon, 1988; Salomon & Breton, 1991; Ménesguen & Gohin, 2006; Coles et al., 2017). Le type de substrat est largement dépendant de ces courants de marées, la majeure partie des fonds est ainsi constituée de cailloutis et de sédiments grossiers, à l’inverse, des sédiments plus fins de type sablo-vaseux sont retrouvés dans les baies et estuaires (Cabioch, 1968; Dauvin, 2015).
Les caractéristiques hydrodynamiques de cette mer semi-fermée permettent de la diviser en deux parties (Dauvin, 2012). Bien qu’il y existe des courants induits par les vagues et par le vent, les courants de marée sont dominants. En Manche Est, ces courants de marée sont alternatifs et parallèles à la côte, le flot étant orienté vers le nord-est et le jusant vers le sudouest . Cet hydrodynamisme complexe structure la dynamique et la couverture sédimentaire en Manche. Les eaux y sont continuellement brassées, la turbidité y est donc élevée et il n’y a pas de thermocline. La Manche occidentale est caractérisée par une plus forte bathymétrie sauf sur les côtes, on y observe une augmentation des températures à la fin du printemps et l’apparition d’une thermocline jusqu’à la fin de l’été (Lewis & Allen, 2009; Smyth et al., 2010). Un gradient côte-large fortement marqué s’observe pour plusieurs paramètres environnementaux comme la salinité, la turbidité, la concentration en sels nutritifs mais également pour des paramètres biologiques comme la biomasse phytoplanctonique. En zone côtière de la partie orientale de la Manche le long des côtes françaises, l’influence plus ou moins forte des grands estuaires (Seine, ensemble Escaut-Rhin-Meuse), relayée par des fleuves plus petits (Somme, Canche, Authie) se traduit par une dessalure de la bande littorale dite « fleuve côtier ». Cette différenciation entre les eaux du large et les eaux côtières se retrouvent aussi pour les particules organiques et minérales. Les eaux provenant de l’Atlantique sont peu turbides et faiblement chargées en matières particulaires en suspension (Bodineau et al., 1999). Les apports fluviaux vont augmenter la turbidité (Thomas, 1985) ce qui aura un impact sur la pénétration de la lumière dans la colonne d’eau et affectera la production primaire (Grobbelaar, 1991; Cloern, 1996; Napoléon et al., 2012; Morelle, 2017; Gohin et al., 2019). Les eaux côtières française de la Manche sont riches en sels nutritifs, leur distribution est contrôlée par les mouvements de marées et par les apports d’eau douce fluviaux (Caddy & Bakun, 1994) en particulier de la Seine (Napoléon et al., 2012; Morelle et al., 2017). Leur distribution est aussi impactée par la thermocline saisonnière en Manche occidentale (Lewis & Allen, 2009; Smyth et al., 2010). Toutefois, la colonne d’eau de la zone côtière est épuisée en sels nutritifs à la fin de la phase de poussée phytoplanctonique en juin-juillet. Un second bloom phytoplanctonique, observé plus ou moins régulièrement en septembre et avec une intensité également variable d’une année sur l’autre, provient de la régénération estivale en sels nutritifs (Gentilhomme & Lizon, 1997; Napoléon et al., 2012; Thorel et al., 2017).
La couverture sédimentaire de la Manche a été décrite dans de nombreuses études (Larsonneur et al., 1982; Reynaud et al., 2003; Dauvin, 2019), une carte synthétique a été fournie par Dauvin (2019) . La Manche orientale est dominée par des sédiments de type gravelo-sableux, elle est séparée de la Manche occidentale par une zone caillouteuse (Manche centrale). La baie de Seine est principalement composée d’un fond sablo-graveleux et de zones sablo-vaseuses à proximité de l’estuaire de la Seine et de la baie de Veys.
Une mer productive et exploitée
La production primaire phytoplanctonique en Manche permet de soutenir les compartiments supérieurs du réseau trophique qui sont largement exploités par la pêche et la conchyliculture Le développement du phytoplancton est contraint par les conditions physico-chimiques du milieu telles que la concentration en nutriments, la pénétration de la lumière ou encore l’hydrodynamisme (Brunet et al., 1996; Cloern, 1996; Napoléon et al., 2013a; Serre-Fredj et al., 2021). En Manche orientale, les efflorescences phytoplanctoniques ont lieu entre mars et juin sur les côtes françaises et dans la baie de Seine (Napoléon et al., 2012) et des rebonds peuvent être observés à l’automne (Thorel et al 2017). Les eaux côtières se distinguent des eaux du large par des concentrations nutritives plus fortes et des efflorescences phytoplanctoniques plus complexes qu’au large pouvant impacter les communautés benthiques côtières (Desroy & Denis, 2004; Dauvin, 2008; Napoléon et al., 2012; Lefran et al., 2021; Serre-Fredj et al., 2021). Les assemblages phytoplanctonique présentent une plus forte hétérogénéité en été que pendant le reste de l’année (Lefran et al., 2021).
Encart 1
Benthos : ensemble des organismes vivants en étroite relation avec les fonds marins (Gray, 1974), représente une des ressources marines clés. Se déclinant en phytobenthos et zoobenthos, il peut occuper plusieurs strates permettent de définir trois catégories :
• Endobenthos : « totalité des espèces sessiles ou vagiles qui se trouvent dans l’épaisseur, les cavités, fissures ou interstices du substrat » (Pérès, 1961)
• Epibenthos : « totalité des espèces sessiles ou vagiles qui se trouvent à la surface du sédiment ou de la roche » (Pérès, 1961)
• Suprabenthos : « partie de la faune benthique constituée d’animaux de petite taille, surtout des Crustacés, qui tout en étant liés au fond d’une façon ou d’une autre, possèdent de bonnes capacités natatoires et peuvent occuper, pendant des périodes et sur des distances variables, la couche d’eau immédiatement adjacente au fond » (Brunel et al., 1978).
Les « assemblages » écologiques définissent un groupe d’espèces, de populations, vivant ensemble dans un lieu ou un environnement donné sans notion d’interrelation entre les espèces (Pérès, 1982). La « communauté » fait référence à une entité de la biocénose, elle est définie quantitativement par l’abondance, la dominance ou la structure fonctionnelle. Elle se définit par un groupe d’organismes rencontrés dans un environnement particulier, interagissant entre eux et avec l’environnement (Mills, 1969). Enfin, la « biocénose » définit un groupement d’organismes vivants, liés par des relations d’interdépendance dans un biotope dont les caractéristiques dominantes sont relativement homogènes (Karl August Möbius, 1877). La « biocénose » est inséparable du « biotope » qui se définit comme les conditions physico-chimiques d’une biocénose. Un « habitat » est synonyme de « biotope » et combine les facteurs abiotiques (environnement physique) et biotique (communautés). Un « peuplement » correspond à l’ensembledes populations d’un même niveau taxonomique vivant dans un même biotope.
Les communautés macrobenthiques peuvent être modifiées par des perturbations anthropiques, de nature biologique, physique ou chimique et par des processus naturels. La majorité de ces perturbations se situent en zone côtière et sont le résultat des activités humaines (Gray, 1997). La Manche une zone de forte productivité aquacole et halieutique (Fritsch et al., 2007; Carpentier et al., 2009). On y exploite de nombreuses espèces d’intérêt commercial et la pêche est l’une des activités économiques principale. L’aquaculture représente aussi un secteur important de cet espace avec notamment l’ostréiculture et la mytiliculture.
Sa position géographique en fait une voie privilégiée pour les flux maritimes commerciaux. Près de 20% du trafic mondial passe par le détroit du Pas de Calais pour emprunter la Manche. Il s’y ajoute les trafics transmanche (France – Royaume Uni), Roscoff – Plymouth à l’Ouest et Calais – Douvres à l’Est. Le tourisme constitue aussi une activité économique majeure dans chacun des régions littorales de cet espace et contribue largement au développement d’activités saisonnières comme les sports nautiques. L’exploitation des ressources naturelles qui y sont abondantes constitue aussi un des principaux secteurs économiques de la région. L’extraction de granulats marins comme les granulats siliceux ou calcaires, y est très développée (Boyd & Rees, 2003; Dauvin, 2019). On recense également de nombreuses centrales nucléaires sur le littoral de la Manche aussi bien du côté français qu’anglais. Le rejet dans le milieu marin des eaux de refroidissement, réchauffées et chlorées, des centrales nucléaires crée des taches thermiques chaudes qui favorisent l’installation d’espèces plus thermophiles et stimulent le développement bactérien cependant leurs effets restent très limités en surface ce qui en fait un impact local (Poornima et al., 2005; Saravanan et al., 2008; Lin et al., 2018). De plus, plusieurs projets d’implantation d’éolienne off-shore sont en cours de développement aussi bien sur les côtes anglaises que françaises (Raoux et al., 2021). Des ports d’importance internationale sont répartis le long des côtes comme Dunkerque, Le Havre, Rouen ou Southampton, plusieurs milliers de passagers et de véhicules y transitent chaque année (Carpentier et al., 2009). L’installation et l’entretien de ces aménagements perturbent les écosystèmes en place. En effet, les travaux de construction portuaire peuvent modifier les conditions hydrodynamiques et sédimentaires locales, ce qui perturbe les communautés existantes. L’aménagement du nouveau bassin du grand port maritime du Havre par exemple (projet Port 2000), a engendré des modifications des communautés (Dauvin et al., 2006). Les bassins portuaires ainsi que leurs chenaux d’accès doivent être régulièrement entretenus par dragages lorsque le trafic maritime y est intense.
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Table des matières
CHAPITRE I : INTRODUCTION GENERALE
LA MANCHE, UN ECOSYSTEME COTIER ANTHROPISE
Situation géographique et paramètres environnementaux
Une mer productive et exploitée
LES RECIFS ARTIFICIELS, MECANISMES DE FONCTIONNEMENT ET BENEFICES ECOLOGIQUES ET SOCIETAUX
Généralités et intérêts écologiques, sociétaux et économiques
Mécanismes de fonctionnement des récifs artificiels
LES PROJETS MARINEFF ET RECIF
Le projet RECIF
Le projet MARINEFF
Sites d’études et description des modules expérimentaux
Sites d’études des projets MARINEFF et RECIF
Sites d’études dans le cadre de cette thèse
Description des infrastructures marines immergées
LES BIOFILMS MARINS
Généralités
La formation du biofilm
LES PRODUCTEURS PRIMAIRES
Classification phylogénétique
Classification écologique
Producteurs primaires planctoniques
Producteurs primaires benthiques
LA PRODUCTION PRIMAIRE ET SES MECANISMES DE REGULATION
Généralités
Techniques de mesure
Mécanismes de régulation
PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS
CHAPITRE II : MATERIEL ET METHODES
SITES D’ETUDES
MODELES D’ETUDES ET STRATEGIES D’ECHANTILLONNAGES
Dallettes expérimentales (MI)
Récifs artificiels (projet RECIF)
ECHANTILLONNAGE IN SITU
BIOMASSE MICROPHYTOBENTHIQUE
PARAMETRES PHOTOSYNTHETIQUES ET PRODUCTION PRIMAIRE
Imaging-PAM
Diving-PAM
Coefficient d’absorption spécifique de la chlorophylle a (a*)
Production primaire et respiration – Incubations
RUGOSITE DE SURFACE – CAMERA 3D
SUBSTANCES POLYMERIQUES EXTRACELLULAIRES (EPS)
BIODIVERSITE
Microscopie électronique à balayage
Identification des espèces de macroalgues et calculs de biomasses
Identification des espèces de faune benthique et calculs de biomasses
SELS NUTRITIFS ET PARAMETRES ABIOTIQUES
CHAPITRE III : MARINE ARTIFICIAL REEFS, A META-ANALYSIS OF THEIR DESIGN, OBJECTIVES AND EFFECTIVENESS
RESUME DE LA PUBLICATION
ABSTRACT
KEYWORDS
ABBREVIATIONS
INTRODUCTION
METHODOLOGY
RESULTS
Graphic representation of global data and dominant variables
Multiple correspondence analysis (MCA) representations with clusters
Effectiveness analysis of relevant variables
Evaluation of artificial reef purposes
Variable correlations according to the purpose
Fisheries enhancement purpose
Experimental purpose
Biocenosis protection purpose
Biocenosis restoration purpose
DISCUSSION
Design, location and effectiveness of artificial reefs
Assessment of artificial reef purpose
Assessment of monitoring techniques
CONCLUSIONS
ACKNOWLEDGEMENTS
CHAPITRE IV : INFLUENCE DE LA STRUCTURE ET DU NIVEAU D’EUTROPHISATION SUR LE DEVELOPPEMENT MICROPHYTOBENTHIQUE
PARTIE IV-A : INFLUENCE OF INFRASTRUCTURE MATERIAL COMPOSITION AND MICROTOPOGRAPHY ON MARINE BIOFILM GROWTH AND PHOTOBIOLOGY
RESUME DE LA PUBLICATION
ABSTRACT
INTRODUCTION
MATERIALS & METHODS
Experimental setup
Experimental monitoring
Scanning Electron Microscopy observations
Photosynthetic parameters
3D camera acquisitions
Chlorophyll a extractions
Data treatment and analysis
RESULTS
Environmental conditions and species identification
Biological parameters varied with the substratum
Chl a biomass
Photosynthetic parameters
Biofilm colonisation depending on the microtopography
Microphytobenthic biomass distribution
Distribution of microphytobenthic photosynthetic indicators
Correlation between microtopography and MPB biomass or photosynthetic indicators
DISCUSSION
Influence of the substrate on biofilm development and its physiological quality
Influence of microtopography on biofilm colonisation and several physiological indicators
CONCLUSION
ACKNOWLEDGMENTS
PARTIE IV-B : INFLUENCE OF NUTRIENT ENRICHMENT ON GROWTH AND PHOTOSYNTHETIC PARAMETERS OF HARD SUBSTRATE MARINE MICROPHYTOBENTHOS
RESUME DE LA PUBLICATION
ABSTRACT
KEYWORDS
INTRODUCTION
MATERIALS & METHODS
Experimental setup
Experimental design
Abiotic parameters and inorganic nutrient analyses
Chl a biomass
Photosynthetic parameters
Extracellular polymeric substances
3D camera recordings
Scanning Electron Microscopy
Data treatment and analysis
RESULTS
Experimental conditions
Chlorophyll a biomass, growth rate of extracellular polymeric substances
Photosynthetic parameters
Correlation between microtopography versus biofilm biomass and photosynthetic indicators
Species identification and diversity
DISCUSSION
Influence of the nutrient conditions on biofilm development and EPS secretion
Influence of the nutrient condition on biofilm photochemistry and photosynthetic performances
Influence of microtopography on biofilm colonisation and physiological indicators
Conclusion
ACKNOWLEDGMENTS
CHAPITRE V : CONCLUSION GENERALE