LA MALADIE ALEOUTIENNE
Interaction avec d’autres espèces.
Habitant principalement les ruisseaux forestiers, le vison d’Europe occupe une niche écologique semi-aquatique intermédiaire entre celle de la loutre, au moeurs plus aquatiques, et celle du putois, nichant plus à l’intérieur des terres. La concurrence entre ces espèces semble mineure. Le putois et le vison cohabitent dans certaines régions depuis fort longtemps. Ce sont des espèces qui peuvent se rencontrer, mais elles n’utilisent pas l’environnement de la même manière, n’ont pas le même régime alimentaire et gîtent dans des lieux différents (GREGE, 1999). Il est peu probable que la présence d’une espèce affecte la survie de l’autre. La loutre et le vison ont des aires de répartition qui se chevauchent, notamment dans le Sud-Ouest. Leur concurrence dans l’espace paraît limitée, la loutre étant un animal véritablement aquatique et essentiellement piscivore. Le vison d’Amérique, par contre, utilise la même niche écologique le vison d’Europe et apparaît comme le concurrent aux interactions les plus marquées avec celui-ci. Il a été introduit dans les années 1920, lorsque les premiers élevages de fourrures apparurent en France. Pendant la guerre, de nombreux élevages ont été fermés.Dans les années 1970 et jusqu’aux années 1990, de nombreux élevages se sont implantés dans le centre de la Bretagne surtout, mais aussi dans le Sud de la France, encouragés par l’administration. Pendant cette période, des individus se sont échappés, soit accidentellement, soit libérés volontairement. Cette espèce très prolifique a donné naissance à une population sauvage qui a rapidement colonisé l’ensemble du réseau hydrographique de l’Ouest de la France. Depuis 1987, le vison d’Amérique est classé parmi les espèces dites « nuisibles ». Actuellement, il existe 3 populations férales de visons d’Amérique : la première a fait souche en Bretagne et continue son expansion vers la Normandie (Manche, Calvados et Orne) et les Pays-de-Loire (Mayenne et Loire-Atlantique), la seconde est localisée dans le Nord du département de la Charente, la troisième occupe plusieurs secteurs du réseau hydrographique de l’Adour dans les départements des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques, du Gers et des Landes. Elle se trouve actuellement en contact avec la population de vison d’Europe. La concurrence territoriale n’est pas improbable, même si elle ne semble pas être le point de départ de la régression du vison d’Europe.En effet, le déclin du vison d’Europe a débuté bien avant l’introduction des premiers visons américains. Actuellement, les aires de répartition des deux espèces se chevauchent. Les problèmes de concurrence pourraient alors s’exprimer, mais on ne peut affirmer que le vison d’Amérique chasse le vison d’Europe. Ce sont certes des animaux territoriaux exigeants en espace, mais les régimes alimentaires sont quelque peu différents et le nombre important de gîtes disponibles peut rendre la cohabitation possible (De Bellefroid, 1997). Un autre problème de la présence des deux espèces sur un même territoire peut concerner la reproduction. Les femelles des deux espèces sont en chaleur à la même période de l’année. Il apparaît que les mâles américains sont sexuellement actifs de manière plus précoce que les visons d’Europe et pourraient féconder les femelles vison d’Europe.Or, les études montrent que le croisement des deux espèces conduit systématiquement à un avortement. Les femelles peuvent alors retomber en chaleur mais ceci n’est pas systématique. Le problème le plus important reste la confusion entre les deux espèces, vison d’Europe et vison d’Amérique, celui-ci étant activement piégé à cause des dégâts qu’il occasionne. La disparition du vison d’Europe en Bretagne peut être expliquée par la destruction des individus par confusion ou par méconnaissance des piégeurs.
Historique.
La maladie aléoutienne a été décrite pour la première fois en 1956 aux Etats-Unis par Hartsough et Gorham, environ 15 ans après la découverte de la mutation aléoutienne du vison d’Amérique (Hartsough et Gorham, 1956). La maladie atteignait les visons sélectionnés dans les années 40 pour leur fourrure bleu argenté ou grise. Ils ont été appelés aléoutiens à cause de leur ressemblance avec le renard aléoutien. Ces visons étaient plus faibles et moins résistants aux infections bactériennes et aux pathologies que les animaux de type « sauvage ».Ils furent appelés « bleeders » car ils étaient fréquemment sujets à des saignements. La maladie, certainement présente auparavant, se révéla aux scientifiques avec l’apparition de ces animaux fragilisés. Les lésions rénales et les nécroses hépatiques furent d’abord observées et décrites chez les sujets de type aléoutien, puis également chez les animaux d’autres génotypes (Hartsough, 1962). Le caractère infectieux et contagieux de la maladie fut envisagé bien avant de connaître l’agent étiologique. L’hypergammaglobulinémie fut mise en évidence en 1961, par Henson et al. Un diagnostic sérologique fut alors mis au point par la même équipe, par précipitation des immunoglobulines dans une solution d’iode. Plus tard, la nature virale de l’agent étiologique fut suggérée par son ultrafiltrabilité. Elle fut confirmée par la présence du génome viral chez les animaux malades et plus tard par la microscopie électronique (Cho et Ingram, 1973).La pathogénie est relativement bien connue de nos jours, malgré les nombreuses zones d’ombre restantes. Les recherches se concentrent actuellement d’avantage sur les modes de contrôle de la maladie.
Morphologie, propriétés physiques et chimiques.
Le virus de la maladie aléoutienne, ou Aleutian Disease of Mink Virus (ADV), est un Parvovirus (Bloom et al.,1980). Le virion est de petite taille. Il mesure entre 23 et 25 nm. La capside, icosaédrique, est composée de 32 capsomères, mesurant chacun 4,5 nm de diamètre (Porter et al., 1969). La capside renferme le génome viral, un ADN monocaténaire comprenant deux cadres de lecture. Le premier code pour une protéine non structurale (NS1), le second pour des protéines de capside (VP1/2) (Alexandersen et al., 1988). Certains acides aminés de VP2 permettraient une reconnaissance du site de réplication. Il faut noter que les virus obtenus in vivo et in vitro ont des tailles différentes. Les virus obtenus in vitro sont plus gros. Ils mesurent jusqu’à 27,7 nm.
En outre, en 1984, Aasted et al. ont montré que le virus de la maladie aléoutienne produit in vivo des polypeptides de haut poids moléculaire qui sont ensuite dégradés en petits polypeptides à fort pouvoir antigénique. In vitro, en culture cellulaire, les protéines produites sont plus petites de 2000 à 3000 Da. Ceci pourrait expliquer des profils de migration différente des protéines issues de chaque virus. Le brin monocaténaire devient bicaténaire uniquement en phase de réplication. Cette forme virale, marqueur de réplication, peut devenir l’élément à rechercher pour définir les organes dans lesquels se multiplie le virus. L’ADN est composé de 4800 bases environ. La fin du génome se termine par des séquences palindrômiques, se repliant en épingle à cheveux sur une longueur de 150 nucléotides.
L’extrémité en 3’ semble être responsable de l’autoréplication (Cotmore et Tattersall, 1987). 35 Une carte du génome du virus a été élaborée. Il semble très différent de celui des autres parvovirus. De faibles variations du génome (moins de 3% du total) sont responsables de la différence de virulence des souches. On note que chez un animal infecté, plusieurs souches du virus peuvent être présentes (Gottschalck et al, 1991).
Devenir du virus dans l’organisme.
La porte d’entrée du virus dans l’organisme est la voie orale ou respiratoire (Jeanbourquin, 1987). Huit à dix jours après inoculation, le virus se réplique activement notamment dans les cellules de Küppfer du foie, dans les macrophages de la rate et dans les cellules endothéliales du rein.. De forts titres viraux sont observés dans le foie, la rate et les noeuds lymphatiques. La réplication est rapide quel que soit le génotype de l’hôte. Chez le nouveau-né, le virus se réplique dans les pneumocytes de type II. La réplication est suivie d’une diminution du titre viral dans les organes 1 à 2 mois après inoculation.Le virus peut parfois persister pendant des mois, des années, voire toute la vie chez les visons de type non-aléoutien. Chez 20 à 25 % de ces individus, il peut être éliminé. Le virus n’est jamais éliminé chez les visons aléoutiens et il est presque systématiquement mortel. Le virus se retrouve en partie dans le noyau des cellules, dans lequel il se réplique, et en partie dans le cytoplasme, lorsqu’il est phagocyté. Le plus grand nombre de particules virales se retrouve dans les organes lymphoïdes et le foie. Les virus sont très nombreux au niveau de la corticale des noeuds lymphatiques mésentériques, et le sont beaucoup moins dans celle des noeuds lymphatiques périphériques. Dans le foie, le virus est localisé en majorité dans les cellules de Küppfer ou dans des cellules d’apparence similaire. Il y a peu d’antigènes en zone porte (Henson et al, 1976).
On peut détecter la présence de virus dans la sous muqueuse de l’estomac et de l’intestin. Chez la femelle gestante, le virus se retrouve dans la glande mammaire, dans les ovaires (mais pas dans les ovules) et dans les cellules de support du placenta, tissus maternel et foetal (Haagsma, 1969). Les antigènes se retrouvent également dans tous les organes lymphoïdes, les poumons, le foie, les intestins, le pancréas, le coeur et les muscles. Le virus traverse le placenta et infecte les foetus in utero. Le pourcentage de mortalité embryonnaire et de résorption foetale est supérieur quand l’infection de la mère a lieu avant l’accouplement (Broll et Alexandersen, 1996b). Lorsque les jeunes animaux nés de mère saine sont contaminés, le virus se multiplie dans le poumon dans les pneumocytes II. Ces cellules produisent naturellement et secrètent une protéine (protéine C) présente dans le surfactant. La multiplication du virus dans ces cellules entraîne une diminution de la sécrétion de cette protéine. Il en résulte la formation d’une membrane hyaline et des symptômes cliniques comparables à ceux observés lors de la
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Table des matières
TABLE DES MATIERES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
INTRODUCTION
PARTIE I : LE VISON D’EUROPE
I.DESCRIPTION.
I.1. Systématique
I.2. Morphologie.
I.3. Risques de confusions avec d’autres espèces (Annexe 2)
II.BIOLOGIE.
II.1. Milieux fréquentés
II.2. Régime alimentaire
II.3. Activité.
III. HISTORIQUE.
III.1. Origine.
III.2. Aire de répartition historique (De Bellefroid, , 1997).
III.3. Aire de répartition actuelle
III.4. Statut légal
IV.CAUSES DE REGRESSION DU VISON D’EUROPE.
IV.1. Modifications du milieu.
IV.2. Interaction avec d’autres espèces.
IV.3. Destructions directes.
IV.4. L’action d’agents pathogènes
PARTIE II : LA MALADIE ALEOUTIENNE
I.GENERALITES.
I.1. Définition.
I.2. Synonymie.
I.3. Historique.
I.4. Espèces affectées.
I.5. Distribution géographique.
I.6. Importance.
II.VIROLOGIE.
II.1. Morphologie, propriétés physiques et chimiques.
II.2. Purification du virus produit in vivo.
II.3. Culture.
II.4. Les différentes souches virales (Aasted, 1985).
III. PATHOGENIE.
III.1. Devenir du virus dans l’organisme
III.2. Conséquences immunologiques de l’infection.
III.3. Influence du génotype de l’hôte.
III.4. Bilan de la pathogénie.
IV.SYMPTOMES.
IV.1. Forme classique de la maladie aléoutienne.
IV.2. Pneumonie interstitielle chez les jeunes
IV.3. Forme inapparente de la maladie (An et Ingram, 1978
IV.4. Modifications biochimiques et sanguines (Jetur, 1989
V.LESIONS.
V.1. Lésions macroscopiques
V.2. Lésions microscopiques (Guillon et Reculard,1972
V.3. Lésions chez le furet (Mustela putorius furo).
VI.EPIDEMIOLOGIE.
VI.1. Sources de virus (Jetur, 1989
VI.2. Mode de transmission.
VI.3. Espèces affectées et propagation
VII. DIAGNOSTIC.
VII.1. Diagnostic épidémiologique.
VII.2. Diagnostic clinique individuel.
VII.3. Diagnostic nécropsique
VII.4. Diagnostic histologique.
VII.5. Diagnostic expérimental.
VIII. TRAITEMENT.
IX.PROPHYLAXIE.
IX.1. Vaccination.
IX.2. Prophylaxie Sanitaire.
PARTIE III : SUIVI SEROLOGIQUE DE LA MALADIE ALEOUTIENNE CHEZ LES PETITS CARNIVORES DU SUD-OUEST DE LA FRANCE
I.MATERIELS ET METHODES.
I.1. Zone d’étude
I.2. Capture des animaux
I.3. Manipulation des animaux
I.4. Echantillonnage.
I.5. Exploitation des prélèvements.
I.6. Analyses statistiques.
II.RESULTATS
II.1. Caractéristiques des individus étudiés.
II.2. Suivi sérologique de la maladie aléoutienne
II.3. Bilan des résultats
III. DISCUSSION.
III.1. Diffusion virale dans le milieu naturel.
III.2. Le virus de la maladie aléoutienne peut-il contribuer à la régression du vison d’Europe ?
III.3. Implications pour la conservation de l’espèce
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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