La lutte contre les activités illicites par l’espace
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer fut considérée par T. B. KOH, l’un de ses négociateurs, comme une « constitution pour les océans » . Cette analogie se présente comme des plus opportunes. En effet, à l’instar de la norme constitutionnelle, la CNUDM ne se borne pas à énoncer les principes généraux d’organisation des compétences étatiques sur les mers. Elle contribue également à limiter l’emprise des États sur ces espaces. À cet égard, la CNUDM suit essentiellement une approche zonale, par laquelle elle compartimente la façade maritime en différents pans de mer sur lesquels la capacité des États à réguler les activités qui s’y déroulent est fragmentée. À grands traits, il apparaît qu’un État côtier peut s’employer plus aisément pour contrôler l’activité d’un navire qui vogue à proximité de son rivage. En raison de l’attraction territoriale qu’il exerce, il dispose de prérogatives spécifiques qui lui permettent d’intervenir contre les navires étrangers pour se prémunir contre certaines activités qui se déroulent non loin de ses côtes. A contrario, plus un navire se trouve dans un espace éloigné du territoire terrestre d’un État, plus l’emprise côtière s’estompe. Ce tempérament des prérogatives étatiques se traduit par l’affirmation corrélative de la liberté des mers.
La détermination de l’illicéité par l’espace
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ne fait référence qu’une dizaine de fois aux termes « licite » ou « illicite » dans l’ensemble du texte. Et encore, plusieurs de ces occurrences ne désignent qu’une seule et même activité, à savoir le trafic illicite de stupéfiants. La Convention ne proclame donc pas clairement le caractère licite ou illicite d’une activité. Elle préfère reconnaître différents droits d’utilisation de la mer au travers desquels il est possible d’apprécier la licéité d’une activité. Il faut préciser que ces droits sont susceptibles de varier en fonction de l’espace maritime appréhendé. Dans les eaux soumises au contrôle de l’État côtier, tous les navires, quel que soit leur pavillon, bénéficient de droits d’utilisation de la mer plus restreints . Dans les espaces internationaux, la liberté s’affirme avec plus d’autorité .
L’illicéité des activités réalisées dans les eaux soumises au contrôle côtier
Les droits d’utilisation de la mer correspondent au principe conventionnel de liberté des mers. Ce principe trouve différentes résurgences au sein de la CNUDM. Qu’il s’agisse du droit de passage inoffensif, du passage archipélagique, ou encore du passage en transit dans les détroits, il s’agit de « véritables droits d’utilisation en matière de navigation » qui sont reconnus conventionnellement aux acteurs du monde maritime, indépendamment du pavillon qu’ils battent. Pour être considérées comme licites, les activités menées dans les eaux territoriales doivent être exercées dans le respect du droit de passage inoffensif . L’État côtier peut néanmoins encadrer l’exercice de ce droit de passage, en particulier lorsqu’il exerce sa compétence normative .
Des activités constitutives d’un passage non-inoffensif
L’État côtier est souverain dans ses eaux territoriales. Il bénéficie à cet égard d’un monopole dans la réglementation des activités réalisées dans ce pan de mer . Ce privilège demeure toutefois soumis à la limitation incarnée par le droit de passage inoffensif, qui bénéficie à tous les autres États présents dans cet espace .
Le monopole côtier dans sa mer territoriale
Dans les eaux à proximité de ses côtes, l’État côtier dispose de compétences souveraines rattachées à la territorialité . Il bénéficie en sus de prérogatives spécifiques à l’encontre des navires étrangers présents au sein de ses infrastructures portuaires.
La souveraineté de l’État côtier dans les eaux territoriales
Une souveraineté consacrée. Tant la convention sur la mer territoriale et la zone contiguë de 1958 que la CNUDM reconnaissent la souveraineté de l’État côtier dans les eaux qui bordent ses côtes. L’article 2 de la CNUDM énonce que « la souveraineté de l’État côtier s’étend, au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures (…) à une zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale » qui recouvre une distance de 12 milles marins. Cependant, il est essentiel d’indiquer que cette souveraineté ne s’affirme pas avec la même autorité dans cet espace. En effet, dans les eaux intérieures et dans les ports, les États disposent d’une compétence plus étendue qu’au sein même de la mer territoriale, dans laquelle cette souveraineté est contrebalancée par l’affirmation d’un droit de passage inoffensif qui vient restreindre l’emprise côtière. Les eaux intérieures sont évoquées à l’article 8 de la Convention. Il s’agit simplement des « eaux situées en deçà de la ligne de base de la mer territoriale ». Plusieurs autres précisions sont apportées sur les éléments susceptibles de composer les eaux intérieures, comme les baies ou les rades par exemple. Quoi qu’il en soit, il est notable, et malheureusement regrettable, que la Convention ne précise pas plus amplement le régime juridique des eaux intérieures. Il reste qu’en vertu de la souveraineté dont jouit l’État riverain sur cet espace, il devrait, en principe, bénéficier de compétences importantes.
C’est ce que confirme la doctrine juridique, qui relève que dans les eaux intérieures, les États riverains disposent de compétences pleines, au même titre que celles qu’ils exercent sur leur territoire terrestre. Comme le relève le professeur Pancracio, « les eaux intérieures sont un espace si intimement lié au territoire terrestre de l’État côtier qu’il y est purement et simplement assimilé ». Ainsi, les autorités riveraines sont titulaires d’une pleine compétence normative dans cet espace. Elles peuvent édicter des lois destinées à l’ensemble des personnes privées qui sont présentes en son sein, et réglementer les activités menées en mer. Elles peuvent pareillement recourir à leur compétence d’exécution, c’est-à-dire entreprendre « des actes matériels pouvant aller jusqu’à la mise en œuvre de la contrainte étatique » pour faire respecter les lois nationales. En toute hypothèse, il semble qu’un État riverain puisse être amené, sans trop de difficulté, à intervenir contre un navire étranger suspect présent dans ses eaux intérieures et juger les personnes à bord lorsque ces dernières se sont livrées à un acte criminel ou délictueux.
Des compétences étendues au sein des ports. Nonobstant leur évocation à plusieurs reprises par la Convention, les ports ne sont pas précisément définis. Pour circonscrire cette notion, il faut recourir à la définition apportée par la Convention de Genève de 1923 sur le régime des ports maritimes , qui désigne les « ports maritimes » comme ceux « fréquentés normalement par les navires en mer et servant au commerce extérieur » . L’article 11 de la CNUDM précise que les ports sont « considérés comme faisant partie de la côte », et donc du territoire de l’État, à l’exclusion des « installations situées au large des côtes et les îles artificielles ». À ce propos, le professeur Pancracio distingue trois types de ports maritimes : les ports militaires, les ports refuges, et les ports de commerce . Ces derniers sont les plus représentés et surtout ceux dont l’accès est le plus ouvert aux navires étrangers. « Fenêtres sur le monde » , ils jouent un rôle d’interface entre la terre et la mer. Les ports apparaissent, au même titre que les eaux intérieures, comme faisant partie intégrante du territoire des États, lesquels disposent – à ce titre – d’une souveraineté pleine et entière sur les navires présents dans leurs infrastructures nationales. Ils bénéficient des mêmes compétences que celles qu’ils exercent sur leur territoire terrestre, et peuvent par conséquent réglementer les activités qui s’y déroulent. Ainsi, les États sont potentiellement amenés à légiférer dans un nombre important de domaines , et à entreprendre des contrôles sur les embarcations qui se trouvent au sein de leurs installations portuaires. En définitive, il est important de relever que les ports occupent une place stratégique fondamentale. Il s’agit à la fois un espace d’échange, mais aussi un espace dans lequel il est loisible pour les autorités étatiques d’effectuer assez largement des contrôles sur les navires étrangers.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE – LE DISPOSITIF INTERNATIONAL DE LUTTE CONTRE LES ACTIVITES ILLICITES EN MER
Titre I – La lutte contre les activités illicites par l’espace
Chapitre 1 – La détermination de l’illicéité par l’espace
Chapitre 2 – Les prérogatives étatiques de lutte contre les activités illicites en mer
Titre II – La lutte contre les activités illicites dans l’espace
Chapitre 1 – L’internationalisation de la réprobation
Chapitre 2 – L’internationalisation de la répression
SECONDE PARTIE – LA TRANSFORMATION DE LA LUTTE CONTRE LES ACTIVITES ILLICITES EN MER
Titre I – Une appréhension nouvelle de l’espace et des activités par la pratique202
Chapitre 1 – La créativité de la pratique étatique
Chapitre 2 – La réactivité de la pratique des organisations internationales
Titre II – La protection des droits fondamentaux par les juridictions internationales
Chapitre 1 – La protection des personnes privées par le TIDM
Chapitre 2 – L’orientation vers la mer des juridictions de protection des droits de l’homme
CONCLUSION