La lombalgie non spécifique
La lombalgie
La lombalgie décrit généralement une douleur se situant sous la douzième côte et au-dessus du pli fessier inférieur (Figure 1), accompagnée ou non de douleurs aux membres inférieurs (Woolf & Pfleger, 2003). Cette condition a fait l’objet de plusieurs classifications, dont celle très utilisée qui consiste à déterminer l’état du patient en fonction de la durée des symptômes. L’Agence de santé publique du Canada considère qu’ un épisode de lombalgie est aigu s’ il se déroule sur une période de moins de 6 semaines, subaigu s’ il persiste entre 6 et 12 semaines et chronique s’ il perdure au-delà de 12 semaines (Murphy, Statistics Canada. Health Analysis and Measurement Group. & Public Health + Agency of Canada. Policy Research Unit., 2006). Toutefois, certains chercheurs suggèrent une répartition aiguë « 3 mois) et chronique ~ 3 mois) seulement (Dionne, Dunn, Croft, Nachemson, Buchbinder, Walker et al., 2008). On retrouve également la catégorie de lombalgies récurrentes lorsque de fréquents épisodes sont présents et entrecoupés de périodes asymptomatiques (Woolf & Pfleger, 2003). Bien qu’ il n’y ait pas de consensus quant à la description de la lombalgie (Dionne et al., 2008), cette condition touche un nombre important de personnes et génère des dépenses considérables.
Épidémiologie
Plusieurs études rapportent des données épidémiologiques concernant la lombalgie, on constate toutefois une grande variation de l’une à l’ autre. Concernant l’incidence au Canada, elle est estimée à 8 % par 6 mois (George, 2002) et 18,6 % par an (Cassidy, Cote, Carroll & Kristman, 2005). Toutefois, l’ incidence au cours de la vie semble beaucoup plus importante puisqu’elle serait de 48 à 70 % selon une revue de la littérature (Anders son, 1999). Récemment, Hoy et al. (2012) ont publié une revue systématique concernant la prévalence globale de la lombalgie. Au total 165 études ont été incluses et celles-ci fournissent 996 estimations de prévalence pour 54 pays. Cette revue de la littérature rapporte une prévalence globale – sans égard au type de lombalgie ni à la période de prévalence – de 31 % et une prévalence moyenne ponctuelle de 18,3 %. La prévalence sur 1 an et la prévalence au cours de la vie sont semblables, soit 38,0 % et 38,9 % respectivement. Cependant, au Canada seulement, la prévalence sur 6 mois est estimée à 71 ,2 % (lorsque toutes les lombalgies sont rapportées) ou Il,1 % (lorsque seulement les lombalgies associées à une incapacité élevée sont rapportées) (Cassidy, Carroll & Cote, 1998) et la prévalence au cours de la vie se situe entre 36 et 84 % (Cassidy et al., 1998; Dunn & Croft, 2004). De fait, la variabilité entre les taux de prévalence et d’ incidence rapportés dans la littérature dépendrait des caractéristiques des études telles que l’économie du pays (revenu moyen des familles faible, moyen ou élevé), l’âge et le sexe des participants, la définition de la lombalgie et la période de prévalence/incidence (Hoy et al., 2012).
Coûts socio-économiques
La lombalgie constitue la condition musculosquelettique associée au plus grand nombre d’ années vécues en état d’incapacité selon le 2010 Global Burden ofDisease Study (Vos, Flaxman, Naghavi, Lozano, Michaud, Ezzati et al., 2012). En plus des impacts au niveau de la qualité de vie, la lombalgie est associée à des coûts socioéconomiques très importants au Québec. Par ailleurs, près de 30 % des lésions professionnelles concernent les affections vertébrales (dont fait partie la lombalgie) bien que celles-ci aient diminué d’ environ 16 % entre 2008 et 2011 (Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, 2012). Ainsi, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) débourse annuellement près de 88 millions de dollars en indemnités de remplacement de revenu concernant ces affections et 0,6 % des dossiers ouverts en 2011 ont présenté au moins une rechute, une récidive ou une aggravation. Plus précisément, les affections du rachis lombaire constituent plus de 60 % des cas d’affections vertébrales et le nombre moyen de jours d’ absentéisme au travail pour cause d’ entorse lombaire s’élève à 51,4. Enfin, bien que seulement 10 % des cas de lombalgies deviennent chroniques, ces patients sont ceux qui engendrent la plus grande part des dépenses (Gore, Sadosky, Stacey, Tai & Leslie, 2012; Johannes, Le, Zhou, Johnston & Dworkin, 2010). Considérant les impacts économiques associés à la lombalgie et plus particulièrement à la lombalgie chronique, la mise en place de processus visant à réduire ces coûts parait essentielle et il importe, par conséquent, de mieux connaître l’histoire naturelle de cette condition.
Histoire naturelle
La littérature scientifique rapporte généralement que les épisodes de lombalgies aiguës se résolvent en moins de 6 semaines chez 80 à 90 % des patients (Manchikanti, 2000). Ainsi, seulement 10 à 15 % des personnes seront atteintes de douleurs chroniques suite à un épisode aigu (Lawrence, Helmick, Arnett, Deyo, Felson, Giannini et al., 1998; Manchikanti, 2000). Néanmoins, bien que plus de 90 % des patients cessent de consulter un omnipraticien après 3 mois pour un nouvel épisode de douleurs lombaires, seulement un quart de ceux-ci auront complètement récupéré après 1 an (Croft, Macfarlane, Papageorgiou, Thomas & Silman, 1998). De plus, près du tiers des patients qui auront récupéré totalement d’ un épisode aigu présenteront une rechute dans les six mois suivants (Cassidy et al., 2005). Malgré le nombre de patients présentant une récupération incomplète, seulement 1 % de ceux-ci souffriront d’une douleur intense à 12 mois (Cassidy et al., 2005). Selon une revue de la littérature publiée en 2012 concernant l’évolution naturelle à long terme de la lombalgie, une amélioration complète (aucun symptôme) n’est que très rarement mentionnée par les patients (Lemeunier, Leboeuf-Yde & Gagey, 2012). En fait, la majorité des études évaluées par les auteurs montre une stabilité de la condition à travers les années (entre 1 an et 28 ans de suivi selon les études). Ces données épidémiologiques font bien ressortir l’ aspect récurrent et persistant de la lombalgie, qui découle en partie du fait que la majorité des patients ne pourront obtenir un diagnostic précis de leur condition et se retrouveront sous le vocable de lombalgie non spécifique.
La lombalgie non spécifique
La citation du Dr Waddel, ci-dessus, est encore juste aujourd’ hui. En effet près de 85 % des patients se présentant avec une lombalgie recevront un diagnostic de lombalgie non spécifique (Waddell, 2004). En opposition à celle-ci, la lombalgie spécifique fait référence à une série de symptômes dont la pathophysiologie spécifique est connue: une hernie discale, une infection, une inflammation, l’ ostéoporose, l’arthrite rhumatoïde, une fracture ou une tumeur. Aux États-Unis, moins de 1 ° % des lombalgies résulteraient d’ une fracture de compression (4 % des cas), d’un spondylolisthesis (3 % des cas), d’ une tumeur ou d’ une métastase (0,7 % des cas),.d’ une spondylite ankylosante (0,3 % des cas) ou d’une infection (0,01 % des cas) (van Tulder, Koes & Bombardier, 2002). Il semble donc impossible, malgré les avancées technologiques médicales, de déterminer l’étiologie exacte de la douleur chez la majorité des patients atteints de lombalgies pour qui l’origine de la douleur peut tout aussi bien provenir d’un disque, d’ une facette articulaire, d’un ligament ou d’une racine nerveuse (Adams, 2002; Refshauge & Maher, 2006). Certains auteurs prétendent même que la sur-utilisation et l’ utilisation inappropriée des outils diagnostiques modernes constituent certaines des principales causes de la croissance constante des coûts associés à la lombalgie (Kendrick, Fielding, Bentley, Kerslake, Miller & Pringle, 2001; Refshauge & Maher, 2006).
Bien que des milliers d’études ciblant la lombalgie soient publiées annuellement, les coûts associés à cette condition n’ont pu être réduits. Ces résultats – ou devrait-on dire ce manque de résultats? – découleraient en grande partie de la difficulté d’établir un diagnostic définitif chez la majorité des patients. Par conséquent, la mise en place d’une intervention clinique efficace dans le traitement de la douleur lombaire demeure un défi majeur. En effet, malgré le fait qu’ une pléiade d’ interventions thérapeutiques non chirurgicales soit présentement utilisée, aucune de ces approches ne s’est montrée clairement supérieure aux autres. Une revue de la littérature de 118 études s’ attardant à la réponse aux traitements des patients atteints de lombalgies non spécifiques a même montré que les symptômes tendent à s’ améliorer de façon similaire et ce, peu importe que les patients reçoivent un traitement actif (pharmacologique ou non) ou inactif (placebo ou simulé) (Artus, van der Windt, Jordan & Hay, 2010). Ainsi, la réponse au traitement dépendrait non seulement des caractéristiques de celui-ci, mais également de facteurs liés aux caractéristiques du problème, du patient et du praticien. Ces résultats, en plus du fait qu’on regroupe tous les patients ne pouvant recevoir un diagnostic précis sous un même vocable, ont pour conséquence de créer des groupes de participants très hétérogènes dans les études.
Bien que la généralisation soit un critère important, le manque d’homogénéité parmi les individus d’une même étude pourrait expliquer l’ absence de résultats statistiquement significatifs. Ainsi, l’ identification de sous-groupes de patients atteints de lombalgies non spécifiques en se basant sur un critère autre que l’ étiologie de la douleur constitue l’une des recommandations centrales au développement de la recherche liée à cette condition (Borkan, Koes, Reis & Cherkin, 1998; Bouter, van Tulder & Koes, 1998; Deyo & Phillips, 1996).
Prise en charge stratifiée
En 2013, Foster et al. ont souligné que la lombalgie constitue une condition clinique idéale favorisant la stratification des patients pour leur prise en charge: « Low back pain is an ideal clinical condition within which to research stratified care as it includes a heterogeneous population with clear variation in prognosis and numerous treatment options, sorne ofwhich are costly and associated with higher risks » (Foster, Hill, O’Sullivan & Hancock, 2013). Ce type de prise en charge a, en effet, été identifié comme l’une des priorités de recherche dans le domaine de la douleur lombaire (Foster et al., 2013; van der Windt & Dunn, 2013). Dans le même chapitre, Foster et al. (2013) décrivent ce procédé comme étant « une stratégie impliquant l’identification de sousgroupes de patients basée sur des caractéristiques clés telles que le profil pronostique, la probabilité de réponse à un traitement spécifique et les mécanismes en cause ». Ainsi, l’identification de sous-groupes de patients pour lesquels un type d’ intervention serait plus efficace (c. à-d. la stratification de la prise en charge) pennettrait d’optimiser le traitement, d’ accroître l’ efficacité des soins de santé et de réduire les préjudices inutiles (Hingorani, Windt, Riley, Abrams, Moons, Steyerberg et al., 2013).
Facteurs pronostiques
Bien que certains facteurs pronostiques négatifs semblent être communs aux lombalgies de type aigu et chronique (ex. être sans emploi, présenter une douleur étendue, présenter un niveau élevé au Chronic Pain Grade, présenter de la dramatisation face à la douleur) (Grotle, Foster, Dunn & Croft, 2010), il est généralement considéré que ceux-ci doivent être différents selon que l’on évalue la lombalgie non spécifique aiguë/subaiguë ou chronique puisque l’évolution naturelle de ces conditions diffère (Hayden, Dunn, van der Windt & Shaw, 2010).
Lombalgie sans égard à la durée. En 2009, une étude ayant pour objectif d’ identifier, de décrire et de synthétiser les revues systématiques de la littérature sur le pronostic de la lombalgie a été publiée (Hayden, Chou, Hogg-Johnson & Bombardier, 2009). Bien que les auteurs rapportent un certain nombre de facteurs pronostiques négatifs de la lombalgie (c.-à-d. l’âge avancé, la faible santé générale, le niveau élevé de stress psychologique ou psychosocial, la faible relation avec les collègues, le travail physique intense, l’ incapacité fonctionnelle élevée lors de l’ évaluation initiale, la présence d’une sciatique et la présence de compensation), les 17 revues de la littérature étudiées étaient très hétérogènes. En effet, celles-ci concernaient différentes mesures de résultats cliniques (ex. retour au travail, développement d’une douleur chronique, incapacité chronique), des lombalgies d’étiologies diverses (ex. définition vague de la lombalgie, non spécifique, d’origine occupationnelle) et de durées variables (aiguë, subaiguë, chronique). En 2010, une revue de la littérature a recensé 20 études prospectives évaluant des facteurs de risques individuels ou des instruments établissant un risque d’ incapacité lombaire prolongée chez les patients atteints de lombalgies aiguës (moins de 8 semaines) (Chou & Shekelle, 2010). Un pronostic défavorable à un an est associé à la présence de signes non organiques, à un haut niveau de mécanismes d’ adaptation à la douleur inadéquats, à la présence de comorbidité psychiatrique et à un état de santé générale faible. D’un autre côté, un pronostic favorable à un an est associé à un niveau faible de comportements d’ évitement et d’incapacité fonctionnelle initialement. Certains instruments établissant un pronostic ont également été rapportés, ceux-ci seront discutés dans la section Questionnaires établissant un pronostic.
Lombalgie chronique non spécifique. En ce qui concerne les facteurs pronostiques de la lombalgie chronique non spécifique, les résultats sont contradictoires, comme le rapporte une revue de la littérature publiée en 2012 (Verkerk, Luijsterburg, Miedema, Pool-Goudzwaard & Koes, 2012). Celle-ci avait pour objectif d’ explorer les facteurs pronostiques à court et long termes en regard de l’ intensité de la douleur, de l’incapacité, du retour au travail, de la qualité de vie (QDV) et de la perception globale de l’ effet (PGE) chez les patients atteints de lombalgies chroniques non spécifiques.
Variables physiques. Biering-Sorensen a, en 1984, publié une importante étude concernant les mesures physiologiques en tant que facteurs de risque de lombalgies sur une année (Biering-Sorensen, 1984). Chez les femmes, une force moins importante en flexion du tronc et un délai court entre les épisodes de lombalgies (variables mesurées initialement) discriminaient les participantes ayant un profil de douleurs lombaires récurrentes ou persistantes de celles ne présentant aucun épisode de lombalgies au cours de l’année suivant l’ évaluation initiale. Chez les hommes, seul un délai court entre les épisodes permettait une telle discrimination. De plus, une endurance moindre lors d’un test isométrique en extension du tronc (voir Figure 2) et une valeur plus élevée au test de Schober étaient prédictives d’un premier épisode de lombalgie au cours de l’année de suivi chez les hommes. Chez les femmes, un premier épisode était associé à un âge moindre (en moyenne, quatre ans de moins), une force moindre en extension du tronc et une endurance supérieure en extension du tronc. Plusieurs mesures physiologiques étaient prises en considération : des données anthropométriques, la force et l’endurance maximales en extension et en flexion du tronc, la longueur des jambes, le test de Schober, le test d’élévation du tronc, le test d’ abaissement des jambes, la longueur des muscles ischiojambiers et la largeur fémorale épicondylienne. En plus de ces données, Luoto et al. (1995) rapportent que les personnes présentant une faible endurance « 58 s) en extension du tronc (Figure 2) ont 3 à 4 fois plus de risque de développer une lombalgie que ceux présentant une endurance moyenne (homme: 58-104 s; femme : 58-110 s) ou excellente (homme: 104-240 s; femme : 110-240 s).
Variables EMG. L’EMG permet de quantifier l’ activité musculaire et est couramment utilisée pour évaluer la force et/ou l’endurance musculaires que ce soit chez les individus sains ou atteints de douleurs (Demoulin, Crielaard & Vanderthommen, 2007). L’EMG de surface constitue une méthode non invasive pouvant facilement être utilisée dans le cadre de protocoles de réadaptation chez des patients atteints de lombalgies (ex. biofeedback (Giggins, Persson & Caulfield, 2013)). En effet, ces patients présentent des adaptations motrices suite à un épisode aigu de douleurs qui perpétueront dans le cas d’ une douleur chronique (Hodges, 2011).
Conclusion
Les résultats de ce mémoire montrent que, malgré que la force et l’ endurance musculaires du tronc obtenues lors de tests en extension du tronc et en pont latéral peuvent être utilisées afin d’évaluer les déficits physiques chez les patients atteints de lombalgies chroniques non spécifiques, ces mesures ne présentent qu’une faible valeur prédictive du pronostic chez ces patients. Pour sa part, la version française du SBST pennet d’identifier, de façon raisonnablement sûre, les patients à risque de pronostic défavorable en termes d’ incapacité, d’ intensité de la douleur et de peur du mouvement à court et à long termes, à l’exception de la peur du mouvement qui n’ est pas identifiée à long tenne. Toutefois, le score seuil pennettant la meilleure discrimination entre les participants est variable selon la période de suivi (court ou long) et la mesure de résultats cliniques (incapacité, intensité de la douleur ou peur du mouvement). Avant d’ utiliser le SBST en tant qu’ outil de stratification, il est donc nécessaire d’ identifier sur quelle mesure de résultats cliniques la prise en charge stratifiée sur le profil pronostique devrait mettre l’ accent. Enfin, il est également essentiel d’évaluer de quelle façon une prise en charge stratifiée par le SB ST pourrait être incorporée à la pratique chiropratique au Québec et si celle-ci est effectivement plus efficace et moins coûteuse à moyen et long tenne que celle traditionnelle.
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Table des matières
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
La lombalgie
La lombalgie non spécifique
CHAPITRE II Question de recherche, problématique
CHAPITRE III Hypothèse et objectif
CHAPITRE IV ARTICLE SCIENTIFIQUE
Abstract
Introduction
Materials and methods
Results
Discussion
Conclusion
CHAPITRE V Discussion
CHAPITRE VI Conclusion
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