La loi Guizot, ou l’écriture en miroir

La loi Guizot, ou l’écriture en miroir

La loi du 28 juin 1833 et les précédents projets sur l’Instruction publique

Nous l’avons dit dans l’introduction, l’historiographie de l’école fait de la loi Guizot la création officielle de l’école primaire française. Cette reconnaissance, légitime, n’occulte pas pour autant le travail « civilisateur » à l’œuvre depuis la Restauration, qui a permis de lever de nombreuses écoles sur le territoire français bien avant l’année 1833. Guizot n’a d’ailleurs eu de cesse de rappeler la dimension continuiste de sa loi, concédant que « « nous avons pensé qu’en matière d’instruction publique surtout, il s’agit plutôt de régulariser et d’améliorer ce qui existe que de détruire pour inventer et renouveler sur la foi de théories hasardeuses. » .

L’année 1828 peut à ce titre être considérée comme la relance officielle de l’idée d’école primaire, dont l’acte de naissance officieux remonte à l’ordonnance du 29 février 1816. Des raisons politiques, principalement, expliquent ce nouveau départ: la chute, en janvier, du premier ministre Villèle amène au pouvoir un courant plus libéral, qui prend la suite de sept années de conservatisme d’un gouvernement ultra qui a consacré le triomphe du clergé et banni toutes les avancées révolutionnaires. Sur le plan scolaire, Villèle avait pris des mesures autoritaires à l’encontre de l’Université, qui aboutirent à l’épuration d’une partie importante de ses membres, dont Guizot et Cousin. Sous la férule de Frayssinous, Grand Maître de l’Université et président du Conseil royal de l’Instruction publique, l’enseignement primaire fut remis aux mains des évêques et le développement des petits séminaires soutenu.

L’arrivée du ministre Martignac en 1828 marque les prémices d’un changement. Guizot et Cousin retrouvent voix au chapitre, et c’est à partir de cette date que Vatimesnil, nouveau ministre de l’Instruction publique, assisté de Cuvier, Guéneau de Mussy et Rendu, lance la longue marche textuelle qui conduira à la loi Guizot. Et la production législative est pour le moins conséquente : pas moins de 26 textes de nature diverse (ordonnances, circulaires, décisions, arrêtés, programmes) , portant sur l’organisation générale de l’instruction primaire, sépareront la circulaire du 21 avril 1828 qui inaugure la parole scolaire officielle de Vatimesnil, de la première circulaire de Guizot du 17 octobre 1832. Les propos de ce dernier lors de l’exposé des motifs en janvier 1833 sont riches de cet héritage discursif mais aussi empirique: « L’expérience est notre guide. C’est elle seule que nous voulons suivre et que nous avons constamment suivie. Les principes et les procédés employés dans cette loi nous ont été fournis par les faits : elle ne contient pas un seul article organique qui déjà n’ait été heureusement mis en pratique. » .

Effectivement, il n’est pas possible de passer sous silence les projets sur l’Instruction publique qui ont précédé le vote de la loi du 28 juin. Le tableau de la page suivante, qui offre une comparaison des cinq textes qui se sont succédés entre 1830 et 1832, depuis celui de Guernon-Ranville jusqu’à celui d’Eschassériaux, le démontre avec limpidité. Comme on peut le voir, de nombreuses mesures présentes dans ces projets seront naturellement reprises dans le texte de juin 1833.

C’est dans le projet Montalivet, auquel Cuvier et Rendu ont participé, et qui a bénéficié des idées importées d’Allemagne par Cousin , que l’on retrouve le plus de similitudes avec la loi Guizot (16), suivi du projet Barthe (15), du projet Daunou (14), du projet Las Cases (11) et du projet Guernon-Ranville .

A la lecture de ces tableaux, il apparaît de façon évidente qu’au moment du vote de la loi Guizot, un accord était acquis autour d’un socle de mesures portant sur l’organisation générale de l’école, la liberté de l’enseignement, la formation des enseignants, le traitement de l’instituteur. Les discussions étaient manifestement plus vives au sujet de la place de l’instruction religieuse dans les programmes ou sur la nature des comités de surveillance. Il est donc indéniable que la loi du 28 juin s’inscrit dans une certaine continuité idéologique, qui au-delà des projets récents, remonte originellement à l’ordonnance du 29 février 1816.

Un texte source: le projet Montalivet

A la suite de cette présentation du projet Barthe, qui ne reçut pas l’accueil espéré, le cabinet Laffitte publia en février 1831 une ordonnance royale qui nomma une commission « chargée de la révision des lois, décrets et, ordonnances concernant l’Instruction publique ; elle préparera un projet de loi pour l’organisation générale de l’enseignement, en conformité des dispositions de la Charte constitutionnelle ».

Sans être initialement membre officiel de cette commission, qui comprenait entre autres Cuvier, Daunou, Vatimesnil ou Rémusat, Victor Cousin en faisait partie intégrante puisqu’il fut envoyé en Allemagne par le ministre Montalivet afin d’y étudier le système scolaire des états germaniques, et plus particulièrement celui en vigueur en Prusse. Les travaux de ladite commission débutèrent le 13 mars. Cousin initia son voyage le 5 juin et revint en France à la fin du mois de juillet. Le projet de loi Montalivet fut présenté le 24 octobre, en même temps que celui d’Emmanuel de Las Cases au nom de la Société pour l’instruction élémentaire.

Lors de la session à la Chambre des députés, le ministre insista dans l’exposé des motifs sur deux questions principales, l’obligation scolaire et la liberté d’enseignement. Sans surprise, le principe d’une imposition de l’école auprès des parents fut repoussé, la commission de travail ayant jugé que la France n’était pas encore prête à franchir le pas que l’Allemagne avait accompli. En revanche, le second principe apparaissait comme une dette à l’égard de la Charte de 1830 qui, pour rappel, avait promis l’idée de libre concurrence entre les écoles, et à la rédaction de laquelle Guizot avait contribué.

Le projet Montalivet consacrait les pouvoirs de l’Université, imposait aux communes la charge de l’enseignement public, et rétablissait le contrôle ecclésiastique sur l’école. Il créait un comité local composé du maire, du curé ou pasteur, et de trois conseillers municipaux. Les attributions du comité d’arrondissement étaient élargies (nomination et suspension des maîtres, assurance de l’enseignement pour les élève indigents…). La législation prévoyait enfin des sanctions pour les communes refusant d’ouvrir une école.

Le texte comprenait quatre entrées, qui seront très exactement reprises, malgré un ordre différent, par la loi Guizot, et développées dans un nombre d’articles également à peu près équivalent (respectivement 27 et 25 articles).

Le projet du 24 octobre 1831 supporte la même ambition « pacificatrice » qu’affichera la loi Guizot, comme le démontre la conclusion de l’exposé des motifs qui appelait déjà à une « trêve du peuple qui nous reposera un moment des luttes animées ou des dissentimens systématiques. » Assurément, le texte est nourri par les observations de Victor Cousin consignées dans son Rapport sur l’état de l’Instruction publique dans quelques pays de l’Allemagne, et particulièrement en Prusse. Ainsi, il est proposé, comme outre-Rhin, que la rétribution mensuelle due aux maîtres soit perçue sous les mêmes règles que les contributions publiques. Le projet de loi établit de manière identique un conseil local de surveillance de l’école, toujours sur le modèle allemand. En revanche, le texte présenté par Montalivet ne mentionne à aucun moment les écoles primaires supérieures, pourtant objet de toutes les attentions de la part de Cousin lors de son séjour allemand.

L’empreinte de Georges Cuvier, nommé rapporteur du projet de loi, y fut prépondérante, et ce n’est pas un hasard si Montalivet dans son exposé des motifs avance que « l’existence de l’instruction primaire ne date en France, avec quelques conditions de durée et de progrès, que de 1816 » puisqu’on sait que le célèbre naturaliste avait été l’un des signataires de l’ordonnance du 29 février 1816. Autour des années 1930, l’historien Jean Poirier faisait d’ailleurs de Cuvier le principal artisan du projet Montalivet, percevant même dans le texte de 1831 l’annonce du contenu de la future loi Guizot :

« Enfin il élabora un nouveau projet de loi sur l’ensemble de l’instruction publique, faisant une place -aussi petite que possible- à la liberté d’enseignement. Il y établissait d’abord la suprématie de l’enseignement officiel soutenu par l’État, les départements et les communes. Il laissait en blanc le titre relatif à l’instruction primaire, avec cette mention grosse de signification : « le projet de loi déjà préparé», – le projet qui deviendra la loi Guizot en 1833. » .

D’autres priorités gouvernementales pour Guizot

Dans l’œuvre volumineuse qu’il rédige à partir de 1858, dans laquelle il retrace son itinéraire politique, Guizot revient de longues pages durant sur les évènements qui ont suivi le décès, le 16 mai 1832, de Casimir Périer, alors président du Conseil, et sur les conséquences politiques que cette disparition entraîna : l’instauration du gouvernement Soult, le 11 octobre 1832. Le décès de celui qui restaura en France une certaine stabilité politique mêlant mesures énergiques et idéal du juste-milieu, provoqua dans les rangs de l’opposition un mouvement de revendication du pouvoir laissé vacant. « M. Périer mort, tous les démocrates, politiques ou anarchiques, crurent leur jour venu et reprirent leurs allures de violence et d’agression », écrira Guizot.

Cette agitation politique se concrétisa principalement au cours de deux évènements, dont l’un ne sera que la conséquence de l’autre. Tout d’abord, pour convaincre l’opinion de la nécessité d’un renversement des institutions, les opposants au régime en place et à la Charte publièrent fin mai 1832 un texte qui fit grand bruit, connu sous le nom de Compte-rendu, texte supportant un contenu ouvertement républicain même si habilement le mot n’y apparaît jamais. Le document publié par 39 députés résonna comme une condamnation virulente du ministère Périer et laissait augurer d’un retour prochain du courant révolutionnaire sur la scène politique. Le second évènement, qui fut la prolongation de ce premier souffle oppositionnel, se déroula les 5 et 6 juin à l’occasion des obsèques du général Lamarque. Sous l’impulsion de meneurs républicains, les funérailles se transformèrent rapidement en manifestation, qui dégénéra en affrontements. Elles s’achevèrent par une violente répression dans la capitale, que Victor Hugo immortalisera quelques années après dans Les misérables.

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Table des matières

Introduction générale
Première partie : Faire émerger une organisation scolaire
Chapitre 1 : La loi Guizot, ou l’écriture en miroir
1. La loi Guizot et les précédents projets sur l’Instruction publique
2. Un texte source: le projet Montalivet
3. D’autres priorités gouvernementales pour Guizot
4. De l’auteur aux auteurs
Chapitre 2 : Les lois sur les élections locales de 1831 et 1833 comme support de la législation scolaire
1. Une tension entre État et territoires
2. En quête de nouveaux pouvoirs locaux
3. Vers un nouveau paysage politique : les lois territoriales de 1831 et 1833
4. Harmoniser le politique et le scolaire
5. Guizot et le gouvernement des esprits
Chapitre 3 : La philosophie éclectique comme cadre interprétatif de la loi
1. Du principe absolu aux principes
2. Un éclectisme politique avant tout
3. De l’éclectisme de Cousin à celui de Guizot
4. Une loi scolaire éclectique
Chapitre 4 : L’aurore de l’État-éducateur
1. Requestionner les attributions régaliennes sur l’école
2. Une gouvernance plutôt qu’un Etat-éducateur
3. Un dirigisme local de la loi scolaire de plus en plus contesté
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : La loi Guizot, une tension entre tradition et modernité
Chapitre 1 : Une autre organisation scolaire théorisée
1. Fixer, enfin, le cadre politique de la loi
2. Du savoir centripète aux savoirs centrifuges
3. Vers une extension générale des programmes
4. Une ambition : le développement homéostatique des facultés
5. Des outils pédagogiques pour un univers mental commun
Chapitre 2 : Faire émerger la figure du maître
1. Des méthodes jugées archaïques
2. Du principe initial de non-directivité à la prescription pédagogique
3. La reconnaissance de la pédagogie simultanée
4. La promotion d’une nouvelle relation pédagogique
Chapitre 3 : D’un paradigme éducatif à un autre
1. Les méthodes expéditives, une économie cognitive à dépasser
2. Valoriser la temporalité de l’instruction
3. Un nouveau critère scolaire : l’âge des élèves
Chapitre 4 : Une modernisation au service du programme institutionnel de l’Ancien Régime
1. Une formation des maîtres fondée sur la religion
2. Instruire pour moraliser, moraliser pour instruire
3. Une loi d’éducation
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie : Une loi au carrefour de l’Europe pédagogique
Chapitre 1 : Une autre organisation scolaire modélisante: le projet suisse de Stapfer
1. Le témoignage de Charles-Hippolyte Pouthas et d’Alexandre Daguet
2. Guizot et la Suisse
3. Une figure incontournable, Philipp Albert Stapfer
4. Une loi au service du prosélytisme protestant ?
Chapitre 2 : Guizot, héritier de la politique scolaire de Stapfer
1. La France et son double
2. Appliquer la méthode Stapfer
3. Le Statut des écoles primaires élémentaires communales, confirmation d’un emprunt
4. Itinéraire des idées girardiennes en France
5. Le Père Girard et le Manuel général
Chapitre 3 : L’irrésistible tropisme allemand
1 Une attirance philosophique, politique, et scolaire
2. Guizot et Cousin, une histoire intellectuelle envers l’Allemagne
3. Le « réseau Cousin » ou le monopole de la pensée philosophique française entre la France et l’Allemagne
4. A la rencontre de l’héritage hégélien
5. Cousin en quête de sa propre pensée philosophique
Chapitre 4 : Circonscrire le primaire pour mieux servir le secondaire
1. La Prusse et ses paradigmes pédagogiques
2. Une fiction pour modèle scolaire prussien
3. Les Bürgerschulen, ou le primat de la solution sociale sur le pédagogique
4. Fonder l’enseignement primaire pour sauvegarder l’enseignement secondaire
Chapitre 5 : L’impossible transition avec le secondaire
1. Des mots qui reflètent la confusion autour des EPS
2. Le modèle politique des « capacités » transféré vers le scolaire
3. Une méritocratie peu soutenue par un régime de bourses
Conclusion de la troisième partie
Quatrième partie : Du plébiscite de l’instruction intermédiaire à l’ « échec » des écoles primaires supérieures
Chapitre 1 : De l’instruction intermédiaire aux écoles primaires supérieures
1. Le témoignage de Cuvier et Noël: des écoles bourgeoises à proscrire
2. Une vision plus optimiste chez Niemeyer
3. Un prototype concrétisé, les écoles industrielles du Père Girard
Chapitre 2 : L’enseignement intermédiaire en France, de l’idée aux réalisations
1. Une préoccupation lointaine, combler une lacune entre le primaire et le secondaire
2. Des écoles industrielles et commerciales soutenues par le Conseil Royal de l’Instruction publique
3. Des années 1820 créatrices d’écoles spéciales
4. Une autre instruction intermédiaire possible: des brevets et des écoles arrimés au primaire
5. Des premiers efforts financiers en faveur de l’instruction intermédiaire dès l’année 1832
Chapitre 3 : 1833-1850 : des savoirs « supérieurs » aux savoirs facultatifs
1. Le modèle français des écoles primaires supérieures
2. La relance décisive du début des années 1840
3. Des écoles primaires supérieures très diversement réglementées
4. Un recrutement malthusien des professeurs
Chapitre 4 : Une voie parallèle au sein du Conseil Royal de l’Instruction publique : entre oppositions d’idées et inimitiés
1. Ambroise Rendu : un combat industriel mené de longue date
2. Saint-Marc Girardin, une autre vision des écoles primaires supérieures
3. Un point d’entente : la réforme des collèges municipaux
4. Victor Cousin, gardien du temple secondaire
5. Les écoles primaires supérieures et la lutte pour le monopole universitaire
6. Les prémices de l’enseignement spécial
Conclusion de la quatrième partie
Cinquième partie : L’enseignement secondaire spécial, un autre « enseignement du milieu »
Chapitre 1 : Une « suppression » artificielle
1. Un « échec » des écoles primaires supérieures décrété arbitrairement
2. Les raisons avancées de l’ « échec »
3. Des écoles primaires supérieures maintenues
Chapitre 2 : L’enseignement secondaire spécial, une secondarisation de l’instruction intermédiaire
1. L’enseignement spécial, nouveau nom de l’enseignement primaire supérieur ?
2. Une filiation à réinterroger
3. Une loi entre régularisation et réaction
4. La gravitation de l’économique
5. Des programmes généralistes pour relever les défis économiques
Chapitre 3 : Réguler l’instruction secondaire classique par l’enseignement spécial
1. Des arguments démocratiques au service d’un conservatisme social
2. Créer les moyens d’appliquer la réforme sans les finances
3. Destinées de l’enseignement spécial
Conclusion de la cinquième partie
CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE

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