Les discussions à visée philosophique au cœur des nouveaux programmes
C’est en 2002 que le débat fit son apparition dans les programmes à raison de trente minutes hebdomadaires. Dans les nouveaux programmes de 2015, la place de l’action des élèves est réaffirmée à travers la mise en place de conseil d’élèves, de mise en scène de dilemmes moraux ou encore à travers les discussions à visée philosophiques. Nous étudierons plus particulièrement ces dernières pour voir quels sont ses apports pour les pratiques d’enseignement de l’EMC.
En se fondant sur l’ouvrage de Michel Tozzi L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire , nous pouvons dégager plusieurs pratiques du débat en classe.
– la méthode de Lipman : c’est grâce à Lipman que l’idée de la capacité des enfants à philosopher est arrivée en France. Les élèves doivent à partir d’un support (un roman philosophique) dégager une ou deux questions qui feront l’objet d’un débat. L’enseignant a pour rôle de conduire les élèves à trouver une réponse. Il n’intervient pas sur le contenu mais pose des questions pour enrichir le débat. Il s’agit d’une « communauté de recherche ». Ensuite des exercices d’application sont proposés. Enfin, il y a une ouverture vers d’autres sujets. A la fin de l’échange, les élèves sont invités à faire un retour sur ce qui s’est dit. Le but de cette méthode est de développer l’esprit critique chez les élèves.
– la méthode des ateliers philosophiques Agsas-Lévine : l’idée est que tous les participants font partie d’une même communauté des « habitants du monde ». L’atelier débute avec une question. Ensuite un temps est laissé aux enfants pour y réfléchir. L’adulte se place délibérément en retrait. Enfin, il y a un retour en visionnant l’enregistrement vidéo du débat.
Nous allons nous étudier plus en détails la méthode développée par Michel Tozzi qui préfère le terme de « discussion à visée démocratique et philosophique » (DVDP) au terme de « débat ». Il faut ici mettre en exergue les différentes notions présentes dans cette expression.
Tozzi utilise le mot « discussion » pour inviter les élèves à saisir l’idée de l’importance de parler ensemble. Il ne s’agit pas d’opposer frontalement ses propos à ceux des autres, mais il faut être ouvert aux échanges avec autrui. Dans la méthode de Tozzi, la cadre de la discussion est démocratique et est l’objet d’une « communauté discursive de recherche ». Pour se faire, la disposition des élèves dans la classe est pensée pour favoriser les échanges. Ainsi, les élèves sont invités à changer de place pour former une arène en se mettant en forme circulaire. Ils ont aussi des rôles pendant cet échange.
– le président : il est le garant des règles et ainsi du bon déroulement du débat. Il distribue la parole aux participants et veille à ce que chacun puisse s’exprimer.
– le reformulateur : sa tâche est de reformuler les propos de la personne qui vient de parler.
Il doit prendre garde à sa subjectivité car il doit r eproduire le plus honnêtement possible la parole d’autrui. Il y a là un grand travail qui est mené sur la capacité de décentration pour ne pas apporter de forme de jugement.
– les observateurs : ils doivent observer si le tem ps de parole de chacun est respecté, si lespropos ont été argumentés, si des exemples et des contre exemples ont été fournis etc. Ensuite, ils doivent pouvoir proposer des pistes de résolutions aux problèmes qui ont été soulevés.
Les discutions à visée philosophiques peuvent se fonder sur l’étude d’une œuvre de littérature jeunesse. Lors de la discussion qui est menée ensuite les élèves apprennent à « problématiser ». Ils dégagent des questions, les grands enjeux philosophiques qui se posent.
Ils sont conscients de la complexité de la question. Ils doivent aussi « argumenter », c’est-àdire justifier leurs propos en utilisant des arguments. Enfin, ils doivent « conceptualiser » en se mettant d’accord sur la définition de concepts permettant de tomber sur des points d’accord.
Michel Tozzi dans un article revient sur le rôle de l’enseignant lors de ces discussions.
Ce n’est pas le maître qui soulève des questions. Ce sont les élèves qui, par leur interprétation, leur ressenti sur une œuvre de littérature jeunesse, posent des questions qui sont les leurs. Lors des échanges, le maître ne doit pas donner la bonne réponse aux élèves. Il doit accompagner les élèves dans leur réflexion pour qu’ils arrivent eux-mêmes à trouver une réponse (que le maître ne jugera ni bonne, ni mauvaise) à leur questionnement. Pour Tozzi, le maitre « instaure et garantit un climat de sécurité et de confiance ». Ainsi, les élèves doivent se sentir libres de prendre la parole. L’enseignant les accompagne dans leur cheminement de l’apprentissage de l’acte de « philosopher », de mener une pensée réflexive.
Dans les nouveaux programmes de 2016, une place très importante est accordée au langage oral. Les discussions à visée philosophique permettent un grand travail sur le langage oral. En effet, un cours magistral de philosophie ou des dissertations ne seraient pas adaptées à l’école élémentaire. C’est pour cela que le langage oral est un bon médiateur de la pensée réflexive pour les jeunes enfants. Michel Tozzi dans un autre article met en lumière le fait que les discussions à visée philosophique permettent « une construction identitaire de l’élève et de l’enfant comme un sujet pensant ». Au fur et à mesure de l’apprentissage, les élèves découvrent la portée du langage oral. Grâce à la parole nous pouvons entrer en interaction avec les autres.
L’apprentissage du vivre ensemble passe aussi par la discussion. L’élève apprend à se définir dans une identité collective par la discussion. Il se construit aussi une identité individuelle en se définissant comme un « être pensant ».
Ainsi ces discussions permettent aux élèves de développer leur capacité à « philosopher ». Elles invitent à l’apprentissage du vivre ensemble en faisant partie d’une « communauté discursive de recherche » à partir, notamment, d’une étude d’un album de la littérature jeunesse.
La littérature jeunesse : une médiation vers l’acte de philosopher
Comme nous l’avons dit, la discussion à visée philosophique peut se fonder sur l’étude d’un album de la littérature jeunesse. L’album devient alors le support pour le cheminement de la pensée réflexive. Ici la littérature dite de « jeunesse » doit répondre aux mêmes exigences que la littérature pour adulte. Il ne s’agit pas d’étudier des albums dont le propos est exclusivement didactique. La littérature jeunesse doit conserver l’essence même de son art et être ouverte à tous. De même, il ne faut pas sous-estimer la portée de la littérature jeunesse comme réponse aux questions existentielles que se posent les petits lecteurs. La littérature jeunesse permet u ne entrée en douceur pour la discussion autour de thèmes qui peuvent sembler difficiles à aborder.
Edwige Chirouter met aussi en exergue le fait que la littérature permet une décentration de la part des élèves. En effet, les élèves ont du mal à avoir une pensée qui n’est pas centrée sur leur vécu. L’affect peut alors voiler leur pensée par la subjectivité. Le fait de partir d’une histoire fictive permet d’éloigner l’affect. Chirouter met en lumière l’idée d’un pont entre « l’expérience singulière » et le concept. Ainsi, pour notre séquence sur le thème de l’entraide et de la coopération, le débat aurait été beaucoup moins riche si nous étions partis seulement d’une question. L’album de Didier Jean et ZAD permet aux élèves d’approfondir les concepts et leur réflexion autour de la question. De plus, la littérature est universelle. Chacun est libre de comprendre le sens d’un album comme il l’entend et selon son expérience personnelle.
Ainsi la littérature est un bon appui pour les élèves pour mener à bien leur cheminement de pensée dans l’acte de philosopher.
Etudier l’intérêt de l’entraide et de la coopération avec une mise en œuvre en classe
L’album de littérature jeunesse que nous allons étudier avec les élèves montrent que c’est seulement en coopérant et en s’entraidant que les moutons ont pu se débarrasser du loup. Le thème de la coopération peut être étudié en étant mis concrètement en place au sein de la classe L’instigateur de la pédagogie coopérative en classe est Célestin Freinet (1896 -1966). La pédagogie Freinet a plusieurs fondements. Tout d’abord, il était pour la libre expression des enfants. Cela passait notamment par la mise en place d’une imprimerie dans la classe. Ai nsi, les élèves écrivaient et publiaient eux -mêmes leur journal après un choix des articles par la classe. Un autre fondement essentiel de cette pédagogie est la coopération des élèves. La classe est perçue bel et bien comme un groupe. Freinet remet en cause la place de l’enseignant en tant qu’autorité absolue. Il veut que la parole soit redonnée aux élèves. L’enseignant conserve son rôle d’aide aux élèves mais en se mettant à leur niveau. Les élèves ont des responsabilités dans la classe, s’entraident, gèrent leur plan de travail.
La coopération a une place importante dans les programmes d’EMC de 2015. Nous nous attarderons plus particulièrement sur les programmes de cycle 2. Dans trois cultures il est fait mention d’un travail autour de la coopération. Dans la culture de la sensibilité, il est noté « apprendre à coopérer ». Dans la culture de du droit et de la règle, l’exemple des conseils d’élèves est repris. Dans la culture de l’engagement il est donné notamment comme exemple pratique la pratique du tutorat.
Préparation littéraire générale de l’œuvre
Le choix des personnages n’est pas anodin. Il faudra travailler avec les élèves sur la symbolique du mouton qui est associé au caractère de suiveur. Il montre aussi une certaine absence de combativité. De plus, leur couleur blanche fa it qu’ils incarnent l’innocence. Il faut aussi souligner les caractéristiques des trois moutons qui sont attaqués. Le premier est malade, il est le symbole de la faiblesse. Le deuxième a le pelage noir, il est le symbole de la différence.
Le troisième n’a que trois pattes, il est le symbole du handicap. Quant à lui, l’agneau, par son jeune âge, incarne normalement la faiblesse. Cependant, dans la présente histoire, il est tout l’inverse de ce qu’on pourrait attendre de l ui. Il ne se laisse pas faire et va prendre les choses en main pour vaincre le loup. Il prend la place du bélier qui est normalement le chef du groupe.
De même, un travail sur la symbolique du loup est à mener. Ce personnage incarne le mal (sa couleur noire), la férocité (ses grandes dents), le danger (sa grande taille).
Un travail sur les répétitions est aussi à mener. Au début de l’album « depuis toujours » est répété pour insister sur l’idée d’habitude de la situation et expliquer la non action. Il faudra étudier les illustrations qui occupent une grande part de l’album pour voir l’évolution de la représentation du loup. Au départ, quand le menace est encore lointaine, il n’est représenté que par son ombre. Puis, il apparait de plus en plus grand. Quand la menace est la plus forte car le bélier vient de se faire manger, le loup parait immense en étant derrière le tout petit agneau.
Enfin, il est dessiné en plus petit quand les moutons arrivent à se débarrasser de lui.
Préparation philosophique des notions d’EMC
Grâce à l’étude de cet album nous pourrons travailler sur plusieurs notions : la coopération, l’entraide et la solidarité.
– la coopération : du latin cum « avec » et operare « agir ». Coopérer c’est agir ensemble. Cette notion invite les élèves à réfléchir sur le travail en groupe. Ainsi, la mise en place de discussions à visée philosophique, reprenant la structure de la méthode Tozzi, invite à la prise en charge de différents rôles par les élèves.
– l’entraide : avec la lecture de l’album, les élèves vont comprendre que ce n’est qu’en s’entraidant que les moutons ont pu vaincre le loup. Cela amènera à une transposition dans le réel de la vie de la classe. Comment faire pour que chacun puisse réussir ? Travailler de manière solitaire profite-t-il à tous ? L’entraide entre les élèves peut se mettre en place notamment avec le tutorat entre pairs. C’est d’autant plus intéressant dans une classe à double niveau. Les CE2 peuvent faire profiter de leur année supplémentaire aux CE1. De plus, ce n’est pas seulement une aide mais une entraide. Il y a donc l’idée d’une aide réciproque. Chacun peut aider autrui à sa manière.
– la solidarité : elle peut se définir comme le sentiment d’appartenance à un groupe. Cela implique une réciprocité entre les personnes de ce groupe. Ainsi, si un mouton du troupeau est touché, la solidarité dans le groupe fait qu’ils doivent tous se sentir concernés. Il en est de même dans la classe. Cela invite à une réflexion sur la nécessaire solidarité au sein du groupe classe. Pourquoi faut-il être solidaires entre camarades de classe ? En toile de fond, il y a une réflexion sur la différence.
Ainsi, j’ai voulu partir d’un album de littérature jeunesse, comme le préconise Edwige Chirouter, pour libérer la parole des élèves lors de débats à visée philosophique, reprenant la structure de Michel Tozzi, autour de la notion de l’aide.
Les écarts entre le projet initial et la séquence faire en classe
L’album de littérature jeunesse a-t-il eu un véritable impact sur les discussions à visée philosophique ?
Comme nous l’avions montré, Edwige Chirouter met en exergue le fait que l’album de jeunesse sert d’entrée en matière dans une notion, qui peut, de prime abord, sembler difficile à aborder. De même, l’album doit permettre une décentration des élèves. Nous pouvons alors nous demander si cela a été le cas pour la séquence proposée. Tout d’abord, il faut noter que les élèves ont été très réceptifs à l’histoire. Les séances d’analyse littéraire se sont d onc bien déroulées. Les élèves ont compris le sens de l’album. Ils ont su mettre en lumière l’importance de l’union des moutons face à la menace du loup. Il était intéressant que le personnage instigateur de la révolte soit l’agneau et donc le plus petit d u groupe. Cela a permis une forme d’identification pour les élèves. Certains ont clairement évoqué le fait, que parfois ce ne sont pas forcément les adultes qui trouvent les solutions mais que ça peut être les enfants. Ainsi, les élèves se sont très bien appropriés l’histoire.
Grâce à la lecture de l’album de jeunesse les premières notions philosophiques ont été mises en lumière. Un élève a utilisé le verbe « coopérer » pour parler de l’union des moutons. J’ai alors demandé aux élèves quel nom commun pouvait se former à partir de ce verbe. Le terme de « coopération » a alors été mis en lumière. Après, j’ai demandé en quoi cette histoire était l’exemple d’une coopération. Les élèves avaient alors une même culture commune autour de la notion de coopération pour les discussions à visée philosophique qui ont suivi. Je pense que cela est intéressant, car les élèves ont ainsi tous un exemple de coopération en tête, ce qui les aidera pendant les débats.
Pour amener les débats, suite à l’analyse littéraire, j’ai expliqué aux élèves que nous avions montré qu’il était important de s’aider et que nous allions maintenant réfléchir à ce qu’était l’aide. Quand nous avons commencé les discussions à visée philosophique les élèves n’ont plus du tout fait référence à l’album de littérature jeunesse. Les élèves ne prenaient pas en exemple les personnages de l’histoire. Leurs exemples étaient fondés sur leur expérience personnelle. Cela va à l’encontre des propos d’Edwige Chirouter. Nous voyons ici que l’album de jeunesse n’a pas permis une décentration des élèves. Cependant, je pense que cela n’est pas un problème si les élèves ne reparlent pas de l’album car cela ne signifie pas forcément qu’ils ont totalement oublié l’analyse littéraire que nous en avons faite. Au contraire, cela souligne que l’histoire a bien été comprise et a été intériorisée par les élèves. Si des points d’analyse littéraire restaient à éclairer, cela se serait ressenti pendant les débats. Les élèves auraient plus fait référence à l’album et auraient eu du mal à s’en détacher. En effet, le fait que les personnages soient des animaux aurait pu bloquer les élèves dans leur cheminement réflexif.
Pour notre séquence, l’album a servi de tremplin à la réflexion.
Quelles sont les connaissances et les compétences acquises par les élèves ?
Il s’agit ici de savoir si la séquence, et plus en particulier les discussions à visée philosophique, ont permis aux élèves d’acquérir des connaissances et des compétences nouvelles en EMC. Il faudra tout d’abord revenir sur le déroulement de ces discussions en classe.
Les discussions à visée philosophique ont dû être quelques peu modifiées. En effet, j’avais au départ prévu seulement trois séances de débat. Mais je me suis rendue compte que jen’avais pas réussi à amener les élèves à réfléchir aux nuances de l’aide. Les élèves restaient trop dans une dimension angélique de l’aide. Pour eux, ils associaient l’aide à la gentillesse qui est, toujours selon eux, une qualité indispensable. J’avais pourtant anticipé cette nuance à apporter lors de la deuxième discussion mais, prise dans le fil des arguments des élèves, je n’ai pas posé les questions adéquates. C’est pour cela que j’ai décidé d’insérer une troisième discussion à visée philosophique « Faut-il toujours aider ? ». De même, je n’avais pas assez anticipé l’opacité du terme « solidarité » pour les élèves lors du quatrième débat. Je voulais que ce débat fasse office de bilan de séquence et d’élargissement de toutes les notions que nous avions précisées. Cependant, les élèves ont été bloqués et j’ai dû réexpliquer le terme en prenant un exemple.
Je pense que, malgré les modifications que j’ai dû apporter au fil des séances, les élèves ont été impliqués dans les discussions. Ils ont ainsi développé des connaissances et des compétences abordées dans le programme d’EMC. En effet, les débats ont permis de travailler sur les règles de communication qui est un des éléments de la dimension de la sensibilité. De même, dans la dimension du jugement, les élèves ont appris à structurer leur pensée et leur parole pour pouvoir argumenter leur propos. Ils ont aussi dû respecter le point de vue des autres dans le débat. Enfin, la définition de la solidarité répond à une donnée de la dimension de l’engagement. De même, les élèves ont coopéré pour la réalisation des moyens d’aide en classe.
Les élèves sont aussi revenus sur quelques préjugés qu’ils pouvaient avoir de l’aide. Le troisième débat a ici été essentiel pour apporter de la nuance à leur propos. J’ai essayé de leur faire comprendre l’intérêt de l’esprit critique pour les propos des autres et ses propres propos.
Les élèves ont porté un réel intérêt pour ces débats et ont demandé à en refaire avant la fin de l’année.
Ainsi, nous voyons que les discussions à visée philosophique, par leur forme et leur fond, ont été intéressantes pour l’acquisition de certaines connaissances et compétences du programme de l’EMC.
La forme des discussions à visée philosophique était-elle adaptée ?
Les différents rôles des élèves et de l’enseignante
Pour la mise en place des discussions à visée philosophique, j’ai décidé de reprendre la forme proposée par Michel Tozzi en y apportant quelques adaptations à mon niveau de classe.
En effet, je n’ai pas repris tous les rôles qu’il propose. Lors de nos débats il y avait donc un président qui distribuait la parole, deux observateurs et un synthétiseur. Le rôle du synthétiseur était de faire à la fin du débat un petit bilan de ce que nous avions dit. Cependant, ce rôle a été très difficile pour les élèves. En effet, cela faisait un peu double emploi avec la carte mentale écrite au tableau et les élèves avaient tendance à simplement la relire. De même, sur leurs fiches de débat, les élèves avaient un petit espace pour écrire leur propre synthèse du débat en deux trois lignes. Ici aussi, cela a été difficile pour les élèves. On peut donc s’interroger sur la pertinence de ce rôle. Les observateurs ont pris leur rôle à cœur mais ont essentiellement fondé leurs remarques sur la forme du débat et non la forme.
Pour ce qui est de mon rôle, je l’ai parfois trouvé difficile. Il a fallu que je trouve le juste milieu entre autonomie des élèves et sur-guidage des élèves. En reprenant la forme démocratique des débats de Michel Tozzi, je voulais que les élèves s’approprient vraiment leurs rôles et se sentent être les moteurs du débat. Les élèves ont été très motivés par cette forme de travail. J’ai souvent des bavardages en classe et quelques problèmes de comportement avec deux élèves en particulier. Pourtant, pendant le débat, un silence de plomb régnait. Les élèves prenaient à cœur leur participation au débat. Ils ont apprécié être de réels acteurs des débats.
Cependant, il n’a pas fallu que je m’efface du débat. Mon rôle était de relancer le débat, de pousser les élèves à aller plus loin dans leur réflexion. Il a été parfois difficile d’anticiper leurs réponses pendant la préparation et donc de trouver des questions qui pourraient les amener à sortir de leurs préjugés. Un de mes autres rôles a été de leur rappeler qu’il ne fa ut pas redire une idée qui a déjà été dite. Cela était parfois difficile pour les élèves de ne pas reprendre la même idée en changeant seulement d’exemple. J’ai aussi choisi d’être la secrétaire pendant le débat compte tenu de mon niveau de classe. Je ne voulais pas qu’un secrétaire soit concentré seulement sur l’écriture. D’un point de vue pratique, cela permettait de ne pas perdre du temps pour l’orthographe au tableau. Je demandais tout de même aux élèves de reformuler leurs propos pour pouvoir les écrire de manière concise au tableau. Un temps était ensuite consacré en fin de séance pour copier la carte mentale qui avait été réalisée au fur et à mesure au tableau.
Cependant, ce temps était coûteux, notamment pour certains CE1 qui écrivent encore beaucoup plus lentement que des CE2.
Les élèves et moi-même étions donc des acteurs à part entière de ce débat. La prise de parole était donc répartie.
L’impact de la séquence sur la classe
L’influence de la séquence sur le climat de classe
Comme je l’ai dit, j’ai voulu travailler sur la coopération et la solidarité avec mes élèves en partant de l’observation de leurs comportements très individualistes en début d’année. J’ai pu constater un réel changement dans le climat de classe tout au lon g de la séquence et même après.
En effet, les élèves se sont vraiment écoutés lors des discussions. Il y avait un respect du point de vue d’autrui. Cela a eu un impact sur les travaux de groupe qui sont souvent menés en sciences. Ayant vingt-trois élèves, je fais souvent cinq groupes de quatre et un groupe de trois. Avant la séquence, je devais systématiquement reformer les groupes, malgré leurs nombres réduits, du fait de disputes. Désormais les relations sont beaucoup apaisées. Quand je circule dans les groupes, j’observe qu’ils se répartissent mieux le travail et qu’ils s’écoutent entre eux. Il faut tout de même noter, qu’une élève à fort caractère reste toujours un peu autoritaire dans sa relation avec les autres.
J’ai pu aussi observer que cette séquence avait permis de créer une identité de classe qui n’était pas présente en début d’année. Il y avait au départ un fort clivage entre les CE1 et les CE2. Les CE2 sont un petit groupe de sept élèves très soudés. Cela vient aussi du fait que les CE1 et les CE2 ne partagent pas la même cour de récréation. Les CE2 rejoignent les autres CE2 dans la grande cour alors que les CE1 vont dans la petite cour. Les CE2 rechignaient alors souvent à se mélanger aux CE1 pour des travaux. De l’autre côté, les CE1 semblaie nt quelque peu impressionnés par les CE2. Je pense que c’est ici la forme du débat qui a conduit à créer une unité de classe. Normalement lors des travaux j’impose les groupes, les élèves sont alors en quelque sorte obligés de travailler ensemble. Lors des débats, les élèves sont plus libres. Les élèves se sont sentis comme étant les instigateurs et les acteurs principaux de ce travail. Sans minimiser mon rôle lors de ces débats, je pense que ma présence, moins directive, sur les élèves a permis de créer des liens entre eux. Cela leur a aussi montré qu’ils pouvaient s’écouter et échanger leurs idées de manière respectueuse. Désormais, les CE1 et les CE2 travaillent volontiers ensemble. Un exemple concret de cette entente est que pour la classe de découverte , les CE1 et les CE2 ont demandé à être ensemble dans les chambres. J’ai donc pu observer une nette amélioration du climat de classe. Les outils créés par les élèves ont aussi eu un impact dans cette amélioration.
L’utilisation des outils d’aide créés par les élèves
L’étymologie du mot « solidarité » met en lumière le fait qu’ensemble on est plus fort que seul. La séquence avait pour objectif de faire prendre conscience de cela aux élèves pour améliorer le climat de classe et donc permettre la réussite de tous les élèves. Nous avons montré que le climat de classe a été amélioré.
Cette amélioration du climat de classe a permis une utilisation constructive des outils d’aide créés par les élèves. Les élèves ont pris conscience de l’intérêt de ces étiquettes de l’aide car ils ont eux-mêmes trouvé l’idée et voté pour celle-ci. Ils ont été fiers d’être les têtes pensantes de cet outil. Ils s’en servent surtout quand ils sont en autonomie du fait de ma présence avec l’autre niveau de classe. Cela a eu un impac t concret sur le climat de travail de la classe. En effet, du fait du double niveau, les élèves sont souvent amenés à travailler sans que je ne puisse leur apporter de l’aide pendant un moment. Quand les élèves étaient bloqués sur un exercice, ils ne demandaient pas nécessairement de l’aide à leur voisin ou alors ce dernier ne pouvait pas les aider. Ils étaient donc bloqués sur leur exercice et ne pouvait plus avancer.
Cela entraînait alors souvent des bavardages et ne contribuait pas à un bon climat de classe. De même, mon attention était alors portée sur la gestion du comportement. Depuis que la séquence a montré l’importance de l’entraide et que les étiquettes de l’aide ont été créées, il y a eu une amélioration du climat de travail. Cela permet, aux élèves de signaler leur besoin d’aide silencieusement. Ils osent aussi désormais plus dire qu’ils ont besoin d’aide et leurs camarades sont plus prompts à apporter de l’aide. L’enseignante de fin de semaine m’a fait un retour positif sur l’utilisation de ces étiquettes. Je pense que c’était essentiel d’avoir une continuité sur la semaine pour que les élèves ne perdent pas le réflexe d’utiliser ces étiquettes. Après deux semaines d’utilisation de ces étiquettes j’ai demandé aux élèves s’ils en étaient satisfaits , ce à quoi ils ont répondu positivement. Je constate aussi que leur utilisation ne s’est pas essoufflée, ce dont j’avais peur. Il est quelque peu difficile de quantifier l’impact de cette étiquette sur les résultats scolaires. Il est difficile de savoir s i la progression des élèves en est vraiment l’illustration. Mais je pense, que du fait que les élèves restent moins longtemps bloqués sur un exercice, ou que les élèves se réexpliquent une technique, une notion, une question avec leurs propres mots d’enfants, cela ne peut avoir qu’un effet positif.
De même, la boîte à remerciement contribue à la pérennisation de l’utilisation de ces étiquettes. Les élèves ont vraiment été la source de cette idée à laquelle je n’avais pas pensé.
Par ce moyen l’aide est valorisée et les élèves proposent alors plus volontiers leur aide. Au départ, j’étais un peu sceptique par rapport à cette boîte car je n’étais pas sûre que les élèves l’utiliseraient. Cependant, elle rencontre un vif succès. Il a fallu mettre en place quelques règles pour son utilisation. J’ai précisé aux élèves qu’ils ne devaient pas aller à plusieurs à la boîte et qu’ils ne devaient pas lire les mots déjà présents. De même, nous avons précisé la structure des mots. Les élèves ont alors souligné que le destinataire du mot devait être clairement énoncé et qu’il fallait dire précisément de quelle aide on le remerciait. Les mots devaient bien sûr être signés. Les mots sont lus le matin par le messager. Les élèves sont fiers quand ils sont cités dans un mot de remerciement. Ma collègue demande aussi aux élèves de relever les mots de la boîte de remerciement en rituel du matin.
Je pense qu’il était essentiel que nous montrions aux élèves que nous travaillons ensemble avec ma collègue. Ainsi, cela est une illustration de ce que nous leur demandons de faire en classe. La continuité de l’utilisation des outils tout au long de la semaine permet leur bonne utilisation.
Ainsi, la séquence que je vous ai décrite a amené les élèves à une réflexion sur l’aide qu’ils ont pu ensuite projeter concrètement en classe. Cela a conduit à une nette amélioration du climat de classe. Désormais, le climat de classe est plus favorable aux apprentissages et donc à la réussite de tous les élèves. Il reste toutefois des éléments qui pourraient être améliorés.
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Table des matières
Introduction
1. Partie théorique introductive
1.1. Du catéchisme républicain de la Révolution à l’EMC de 2015
1.1.1. L’évolution au fil des ans de l’enseignement moral et civique
1.1.2. L’EMC aujourd’hui : les programmes de 2015
1.1.3. Les discussions à visée philosophique au cœur des nouveaux programmes
1.1.4. La littérature jeunesse : une médiation vers l’acte de philosopher
1.1.5. Etudier l’intérêt de l’entraide et de la coopération avec une mise en œuvre en classe
1.2. Les apports de la psychologie du développement de l’enfant
1.3. Didier Jean et Zad, L’agneau qui ne voulait pas être un mouton, où comment aborder les notions de coopération et d’entraide en classe
1.3.1. Choix de l’œuvre
1.3.2. Préparation littéraire générale de l’œuvre
1.3.3. Préparation philosophique des notions d’EMC
2. Présentation et analyse de la séquence proposée en classe
2.1. Description de la séquence et des résultats obtenus
2.1.1. Les liens avec les programmes de l’EMC et les compétences du socle commun
2.1.2. Description de la séquence
2.2. Les écarts entre le projet initial et la séquence faire en classe
2.2.1. L’album de littérature jeunesse a-t-il eu un véritable impact sur les discussions à visée
philosophique ?
2.2.2. Quelles sont les connaissances et les compétences acquises par les élèves ?
2.3. La forme des discussions à visée philosophique était-elle adaptée ?
2.3.1. Les différents rôles des élèves et de l’enseignante.
2.3.2. Une répartition équitable de la parole ?
2.4. L’impact de la séquence sur la classe
2.4.1. L’influence de la séquence sur le climat de classe
2.4.2. L’utilisation des outils d’aide créés par les élèves
3. Propositions de perfectionnements théoriques et pratiques
3.1. Comment améliorer le fond de la séquence ?
3.1.1. Améliorer la préparation de la séquence
3.1.2. Améliorer le cheminement de la pensée des élèves
3.1.3. S’enrichir de la séquence et des discussions à visée philosophique pour la vie de classe
3.2. Comment améliorer la forme de la séquence ?
3.2.1. Pour que petit parleur devienne grand parleur
3.2.2. La place de l’écrit dans les discussions à visée philosophique
3.2.3. Des discussions à visée philosophique fondées uniquement sur la parole
Conclusion
Bibliographie
Tables des matières des annexes
Annexe 1 : tableau récapitulatif de la séquence
Annexe 2 : Rédactions d’élèves
Annexe 3 : fiche carte mentale débat n°1
Annexe 4 : fiche élève carte mentale débat n°2
Annexe 5 : fiche élève carte mentale débat n°3
Annexe 6 : fiche élève carte mentale débat n°4
Annexe 7 : les étiquettes de l’aide
Annexe 8 : messages de remerciement
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