La littérature dédiée aux projets CRM et ses limites

La littérature dédiée aux projets CRM et ses limites 

Jusqu’à présent, le monde académique s’est plus intéressé aux projets CRM qu’aux progiciels CRM eux-mêmes, qui n’en sont que l’une des composantes. L’intérêt pour ces projets est relativement récent puisque les premiers articles académiques datent du début des années 2000, les articles antérieurs étant avant tout des articles professionnels.

Si diverses études ont souligné le fort engouement suscité par les progiciels CRM parmi les dirigeants d’entreprise dès la fin des années 1990, d’autres ont aussi montré un taux d’échec de ces projets relativement important, même s’il a tendance à diminuer. Selon le Forrester Research, en 2009 ce taux était de 47% alors qu’il était de 70% en 2002, selon le Bluter Group . Cette situation explique peut-être que la plupart des recherches consacrées aux projets CRM, qui sont dans leur grande majorité conduites par des chercheurs en marketing et en sciences de l’information, abordent deux thèmes principaux : les facteurs clés de succès et causes principales d’échec de la mise en œuvre d’un progiciel CRM d’une part, l’impact de ces projets sur la performance des entreprises d’autre part.

Les premières recherches étudiant les facteurs clés de succès et les causes principales d’échec de ces projets ont cherché à montrer que les difficultés de mise en œuvre résultent, dans de nombreux cas, d’une sous-estimation des risques et d’une vision trop restrictive de ces projets (Gentle 2003). Selon ces travaux, la mise en place d’un progiciel CRM ne peut se faire de façon satisfaisante sans une réflexion sur la stratégie globale de l’entreprise et une adaptation des processus organisationnels (Bull 2003 ; Chen et Popovich 2003) qui, pour être comprises, doivent être soutenues par un plan d’accompagnement au changement comportant notamment des actions de communication et de formation tout au long du projet, et non comme c’est souvent le cas d’un plan d’accompagnement au changement très succinct, se résumant essentiellement à des actions de formation à l’outil. Selon ces premières recherches, les raisons principales qui sont à l’origine des difficultés rencontrées par les entreprises lors de la mise en œuvre d’un progiciel CRM sont l’absence d’une réelle stratégie CRM, une implication insuffisante du Top Management, l’absence d’un projet d’accompagnement au changement, l’absence d’un programme de formation conséquent ou encore l’insuffisante prise en compte des besoins des utilisateurs. Ces travaux ont contribué à clarifier les contours d’un projet CRM et ont permis de mieux cerner l’objet CRM, en lui donnant une définition maintenant communément admise (Boulding et al. 2005). Cette définition est celle proposée par Payne et Frow (2005) dans un article considéré comme faisant référence « A strategic framework for Customer Relationship Management», publié dans Journal of Marketing :

«CRM is a strategic approach that is concerned with creating improved shareholder value through the development of appropriate relationships with key customers and customer segments. CRM unites the potential of relationship marketing strategies and IT to create profitable, long-term relationships with customers and other key stakeholders. CRM provides enhanced opportunities to use data and information to both understand customers and co- create value with them. This requires a cross-functional integration of processes, people, operations, and marketing capabilities that is enabled through information, technology and applications. » (Payne et Frow 2005, p. 168) .

Payne et Frow complètent cette définition par la proposition d’un cadre méthodologique pour la mise en œuvre d’un projet CRM.

Ainsi, le CRM se définit comme une stratégie de développement fondée sur la création de valeur grâce à la mise en place d’une gestion de la relation client appropriée au profil de chaque client, permettant de créer des relations rentables et de long terme avec les clients mais aussi l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Cette stratégie suppose une approche transversale et la mise en place d’un processus de mesure de la performance, elle s’appuie sur une approche multi-canal et est rendue possible grâce aux outils du système d’information (dont les progiciels CRM) qui permettent le stockage et l’analyse d’une multitude de données client. Quatre facteurs jouent un rôle prépondérant dans la mise en œuvre d’un projet CRM : la maturité de l’entreprise par rapport au CRM, la gestion de projet, la conduite du changement et l’engagement des collaborateurs de l’entreprise. Cet article marque un tournant. A partir de 2005, date de sa parution, les recherches consacrées aux facteurs clés de succès des projets CRM sont moins nombreuses et s’appuient dans la grande majorité des cas sur le cadre conceptuel de Payne et Frow, pour en montrer la pertinence (Theo et al. 2006 ; Kim et al. 2010), pour approfondir une dimension particulière, comme par exemple la dimension humaine (Plakoyiannaki et al. 2008) ou encore pour étudier un secteur d’activité particulier, comme le milieu médical (Hung et al. 2009) ( Analyse de quelques articles sur le thème : CRM et facteurs clés de succès ) .

Si un premier sous-ensemble d’articles de la littérature consacrée aux projets CRM a examiné, le plus souvent grâce à des études de cas, les facteurs clés de succès lors de la mise en œuvre de tels projets et a contribué à clarifier leur contour et à en donner une définition dorénavant admise par le plus grand nombre, un deuxième sous-ensemble, plus récent, étudie la relation existant entre la mise en place de projets CRM et la performance des entreprises, en général à l’aide de méthodes quantitatives, à un instant t. Au sein de ce deuxième sous-ensemble, il est possible de distinguer deux sous-groupes de recherches : celles qui s’intéressent à l’impact des projets CRM sur la performance de l’entreprise et celles qui réalisent des études de déterminants, c’est-à-dire qui cherchent à identifier les caractéristiques des entreprises qui peuvent expliquer la différence d’impact des projets CRM sur la performance. Les recherches visant à mesurer l’impact des projets CRM sur la performance de l’entreprise, notamment motivées par le scepticisme grandissant des praticiens sur le réel effet positif de ces projets CRM, utilisent différents « proxys ». Certains utilisent comme « proxys » des indicateurs d’impact, comme par exemple un indicateur de satisfaction client ou encore de connaissance client (Mithas et al. 2005), d’autres un indicateur de résultat, comme le profit (Ryals 2005 ; Krasnikov et al. 2009) ou le prix de l’action (Hendricks et al. 2007). Dans leur grande majorité, ces recherches montrent qu’il existe bien une relation statistique positive entre la mise en place d’un projet CRM et la performance de l’entreprise. Cependant, d’autres recherches ont des conclusions plus nuancées. Ainsi, si l’impact positif des projets ERP (Enterprise Resource Planning) et SCM (Supply Chain Management) sur la performance de l’entreprise, mesurée au travers de l’évolution du prix de l’action, semble clair, celui des projets CRM est plus mitigé (Hendricks et al., 2007). Ces résultats plus mitigés dans le cas des projets CRM semblent être reconnus par de nombreux chercheurs (Michaux 2009). (cf Annexe 1- Tableau 2- Analyse de quelques articles sur le thème CRM et PerformanceImpact). En revanche, à notre connaissance, il n’existe pas vraiment de recherches s’étant intéressées de façon approfondie aux raisons de ces résultats plus mitigés dans le cas des projets CRM, celle qui est le plus souvent invoquée étant leur complexité. D’autres chercheurs ont essayé de mieux comprendre la relation entre CRM et performance en s’intéressant à l’influence de certaines caractéristiques des entreprises, comme par exemple, la structure du capital (Cooper et al. 2005), l’expérience dans les différents modes de commercialisation (Srinivasen et Moorman 2005) ou encore le degré de maturité de la relation client (Reinartz et al. 2004 ; Becker et al. 2009).

Un positionnement ancré dans les approches « institutionnalistes » et « interactionnelles » des outils de gestion

A partir du début des années 1980, se différenciant du courant dominant, quelques chercheurs montrent que les outils de gestion ne sont ni neutres, ni tout puissants c’est-à-dire qu’ils ne sont ni des « auxiliaires discrets et fidèles du pouvoir » (Berry 1983) ni une force externe ayant des effets déterministes, indépendamment du contexte de mise en œuvre et d’utilisation. Ces chercheurs veulent resituer le rôle des outils dans l’étude des organisations (Joerges et Czarniawska 1998), en mettant en évidence leur caractère dual : ils sont à la fois le produit de l’action humaine et des « médiateurs » de cette action (Orlikowski 1992). Au cours de ces trente dernières années, les travaux de recherche sur les outils de gestion se sont multipliés et ont développé des points de vue variés, en fonction des disciplines mobilisées (sociologie, psychologie, gestion…), du niveau d’analyse ( macro versus micro), de l’orientation choisie par les chercheurs (critique versus pragmatique) ou encore du statut accordé à l’objet technique (central versus secondaire) (Chiapello et Gilbert 2013). Selon Chiapello et Gilbert (2013, p.58), il est possible d’établir une catégorisation des travaux de ce courant de recherche en « privilégiant les idées défendues et leurs thèmes de prédilection », et ainsi distinguer trois grands « univers thématiques » : les approches critiques, les approches institutionnalistes et les approches interactionnelles. Les travaux de l’univers thématique qualifié d’ « approches critiques » s’intéressent avant tout aux asymétries sociales, aux rapports de force. Les outils de gestion sont analysés sous l’angle de l’instrumentalisation des relations de pouvoir. Les chercheurs au sein de ce courant examinent dans quelle mesure ils servent les projets d’exploitation et de domination ou de quelle façon ils peuvent être une source d’oppression ou de souffrance. Ils s’appuient notamment sur les thèses marxiste, bourdieusienne ou encore foucaldienne. Les recherches conduites au sein de l’univers thématique « approches institutionnalistes » mettent « au cœur de leur analyse les habitudes de comportement ou de pensée et les règles allant plus ou moins de soi et plus ou moins formalisées (coutume, morale, droit…) qui, dotées d’une certaine stabilité, se transmettent et s’imposent aux individus dans un univers social donné » (Chiapello et Gilbert 2013, p. 98). Au sein de cet univers thématique, les chercheurs, en s’appuyant sur différentes théories, comme par exemple les théories néo-institutionnalistes examinent les outils de gestion sous l’angle de leur diffusion, de leur processus d’adoption et de leurs effets. Quant aux travaux regroupés au sein des « approches interactionnelles », elles examinent avant tout la manière dont les différents acteurs, humains ou non humains, interagissent entre eux, au sein d’une organisation, ou d’un réseau, ou d’un système d’activité (en fonction de la théorie mobilisée). Les recherches sont le plus souvent conduites à un niveau micro et les théories usitées sont notamment la théorie de l’acteur réseau, la théorie de l’activité ou encore la théorie de l’acteur stratégique. « Dans l’ensemble de ces travaux, l’outil de gestion constitue un élément d’organisation des relations des humains entre eux et avec leur environnement, et il existe  une interstructuration de l’outil de gestion et des pratiques sociales » (Chiapello et Gilbert 2013, p.142). En formulant notre question de recherche principale de la manière dont nous l’avons fait précédemment (Dans quelle mesure les progiciels CRM modifient-ils les représentations de la relation client et les pratiques des équipes commerciales ?) et en reprenant la catégorisation de Chiapello et Gilbert (2013), nous positionnons ainsi notre recherche à la fois dans l’univers thématique qualifié d’ « approches institutionnalistes » et dans celui des « approches interactionnelles ». Notre question de recherche suppose en effet une analyse centrée sur deux thèmes principaux : le rôle des progiciels CRM dans la modification des représentations de la relation client d’une part, et le rôle des progiciels CRM dans la modification des pratiques des équipes commerciales, d’autre part, deux thèmes qui font écho respectivement aux « approches institutionnalistes » et aux « approches interactionnelles » des outils de gestion, telles qu’elles sont définies par Chiapello et Gilbert (2013).

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Table des matières

INTRODUCTION
La littérature dédiée aux projets CRM et ses limites
Un positionnement ancré dans les approches « institutionnalistes » et « interactionnelles » des outils de gestion
Les deux « états » de l’outil étudiés
Choix théoriques
Plan et sous- questions de recherche
PREMIERE PARTIE : L’ETUDE DES PROGICIELS CRM SOUS une FORME CIRCULANTE
1 CHAPITRE 1 : Un éclairage théorique au travers des théories néoinstitutionnalistes et outils de gestion
1.1 Les concepts fondamentaux des théories néo-institutionnalistes : champ, institution, isomorphisme
1.2 L’intégration de nouveaux concepts pour prendre en compte le rôle des acteurs et rendre compte de l’hétérogénéité : traduction/édition, isonymisme/isomorphisme/isopraxisme et logiques institutionnelles
1.3 Les outils de gestion et les théories néo-institutionnalistes
2 CHAPITRE 2 : Un éclairage empirique au travers de l’analyse historique d’une revue professionnelle
2.1 La méthode de recherche : une approche qualitative longitudinale fondée sur l’analyse d’Action Commerciale, le magazine des dirigeants commerciaux de France
2.2 Les principaux résultats
2.3 Conclusion
DEUXIEME PARTIE : L’ETUDE D’UN PROGICIEL CRM SOUS UNE FORME INSCRITE ET SITUEE
3 Chapitre 3 : Cadre théorique et méthode de recherche
3.1 L’ANT et les outils de gestion
3.2 L’étude des CRM et ERP dans les approches interactionnelles
3.3 La méthode de recherche
4 Chapitre 4 : Les caractéristiques du processus de traduction qui accompagne le processus d’adoption d’un progiciel CRM : le cas du projet Cont@ct
4.1 L’histoire de la mise en œuvre de Cont@ct et de ses évolutions au cours du temps
4.2 La création d’une asymétrie et le poids du progiciel
4.3 L’adoption de Cont@ct est passée par un changement d’approche
4.4 La « sous-utilisation » de Cont@ct et l’étiolement du processus de traduction
4.5 Conclusion
5 CHAPITRE 5 : Dans quelle mesure la mise en place d’un progiciel CRM modifie-telle les pratiques des acteurs au sein de l’entreprise ?
5.1 Le rôle attribué à Cont@ct
5.2 L’évolution de l’utilisation de Cont@ct au cours du temps
5.3 Les transformations des pratiques concomitantes à la mise en œuvre de Cont@ct
5.4 Conclusion
CONCLUSION GENERALE
Enjeux et principaux résultats
Les contributions principales de notre thèse
Limites et perspectives de recherche
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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