Les limites de cette éducation à l’interculturalité, les points d’attention
Cette éducation à l’interculturalité n’est pas sans écueil à éviter.
En effet, les enseignants doivent faire preuve de prudence afin de ne pas tomber dans le risque d’enfermer les cultures dans des cases. Véronique Lemoine met l’accent sur la présence d’une « approche en –iste (qui) émerge fortement de l’interculturel en pratique dans les classes et non seulement pose problème, mais surtout ne fait pas sens. » (LEMOINE, Véronique, 2018/p.77 à p.92, paragraphe 21, l.1 -2). Elle lui donne le nom de « conception différentialiste à outrance » et pointe sa présence dans les programmes de langues vivantes (pourtant évoquées comme lieu privilégié de l’éducation interculturelle en partie I-A-) qui seraient, selon elle, quelque peu réducteurs en ce qui concerne les cultures. Le danger serait d’exacerber la différence entre ces dernières. Par exemple, cantonner la gastronomie anglaise au breakfast avec le bacon et les œufs, la gastronomie italienne aux pâtes et aux pizzas, « sans jamais évoquer d’interconnections, de partages, de mélanges de façons de faire, de façon s de manger » (idem, paragraphe 21, l.8-9). Elle insiste sur le fait que :
L’interculturel canonique, décrit dans les textes officiels pour l’enseignement des langues à l’école en France, postule que connaitre la culture de l’Autre permet de mieux le rencontrer. L’accent est mis sur l’objet figé en dehors du sujet. L’essentialisation d’une culture culinaire nationale, régionale caractérise cette approche inscrite dans le culturalisme. (idem, paragraphe 21, l.9 à l.12)
Cette manière de ranger les cultures dans des boîtes étiquetées éloignerait donc la connaissance de l’Autre que l’on cherche pourtant à atteindre. Elle développerait à la place la connaissance d’objets figés sous la forme desquels, selon Véronique Lemoine, sont formulés les contenus interculturels dans les programmes.
Développer ces connaissances chez les élèves aurait même des dangers puisqu’il est possible que « cette approche assigne les personnes à une dite culture et mène à des catégorisations qui homogénéisent les contenus culturels en deux versants » (idem, paragraphe 21, l.13-14). Le risque est celui d’un « royaume des différences » où « l’accent est mis sur ce qui nous oppose avec le risque de tomber dans l’enfer de l’étiquetage où l’Autre, enfermé dans une boîte, est forcément réduit et figé. » (idem, paragraphe 21, l.16-17). Les enseignants doivent donc être attentifs à ce risque d’assignation, de réduction des élèves à une culture figée, d’homogénéisation des personnes. Ici apparaît alors la nécessité de prendre de la distance avec ces stéréotypes inconscients et bien ancrés afin d’éviter à tout prix d’enfermer l’Autre dans sa culture. Néanmoins, « ces contenus prescrits, aussi figés et stéréotypes soient-ils, pourraient être intégrés dans une éducation à et par l’interculturel, afin de mettre à distance le risque de stigmatisation » (idem, paragraphe 33, l.5-6). C’est donc la manière dont l’enseignant traite ces contenus qui compterait. Il peut, en effet, s’en saisir tout en ouvrant les yeux de ses élèves sur les stéréotypes, en les invitant à voir plus loin que l’image figée d’une culture et à éviter la généralisation. Il ne faut pas, semble-t-il, refuser ces connaissances culturelles en classe, d’autant plus qu’elles sont présentes dans les programmes, mais réfléchir attentivement la manière de les présenter et de les traiter. L’élève doit, dans un même temps, être amené à questionner ses propres références culturelles et à comprendre qu’elles ne sont pas la norme. Il doit réaliser que son point de vue sur les connaissances cultures découvertes n’est pas le seul, qu’il en existe pléthore.
Un autre point quelque peu tabou est à méditer : les rapports de force entre cultures. Nous ne pouvons pas nier en tant qu’enseignants « l’évidente non égalité des cultures en présence : il y a en effet fort peu de chances, statistiquement, pour que des langues et cultures en contact soient exactement égales, sur les plans social e t institutionnel. » (CLERC, Stéphanie. RISPAIL, Marielle, 2008/p.277 à p.292, paragraphe 20, l.1 à l.3). Ce constat doit peut-être amener les enseignants à essayer de rééquilibrer, dans leurs paroles et les contenus prévus, cette inégalité entre « langues et cultures relevant de minorités et de majorités sociale s » (idem, paragraphe 20, l.3-4). En outre, le rapport à la culture d’origine peut être complexe pour certains élèves. Un enseignant se doit certainement de garder cela en tête. Un élève peut n’avoir, par exemple, pas envie d’évoquer sa culture d’origine et ce souhait doit être respecté. Ici apparait « la fonction d’apaisement de l’école » (idem, paragraphe 20, l.7-8), qu’est tenu de mettre en place l’enseignant dans sa classe, fonction passant majoritairement par la mise en mots , le langage. En effet, « L’école est le lieu où on apprend que la mise en mots des différences ne cherche pas à les gommer ou les concilier, mais juste à le s dire et les mettre en lumière. » (idem, paragraphe 20, l.10-11). L’objectif est de donner aux élèves les clés pour comprendre leurs différences et apprendre à les aimer ou du moins à les accepter.
Ce n’est pas de les faire disparaitre ou de les nier. De la même manière, il ne s’agit pas non plus de nier les rapports de pouvoir, les conflits et les tensions qui sous-tendent la relation à l’Autre mais de les apaiser en fournissant des explications verbalisées. Il ne s’agit pas de présenter aux élèves une conception idyllique du rapport à l’Autre et un modèle d’indifférence aux différences, qui a longtemps été pensé comme le meilleur pour réduire les inégalités.
L’éducation à l’interculturalité est donc à réfléchir, à penser, à questionner sans cesse. En effet, elle touche à ce que sont nos élèves, à ce qu’est notre société et en cela elle est aussi indispensable, importante que délicate à mettre en œuvre. Les enseignants peuvent être quelque peu perturbés et se sentir maladroits lorsqu’il s’agit de la mettre en œuvre en classe car « La démarche interculturelle se présente comme une tension, un entre-deux jamais stabilisé, toujours au bord de perdre l’équilibre. » (CLERC, Stéphanie. RISPAIL, Marielle, 2008/p.277 à p.292, paragraphe 19, l.2-3).
Les chercheurs s’interrogent même sur l’usage de ce terme, tant les polémiques sont nombreuses autour de l’interculturel. L’approche culturaliste de l’interculturel semble obsolète et certains chercheurs commence à réf léchir l’intersubjectivité avec un rapport différent à l’altérité.
Dans une dynamique réflexive et critique, l’interculturel mérite sans cesse d’être questionné comme il l’est dans la littérature de jeunesse.
Littérature de jeunesse et diversité culturelle
Une littérature de jeunesse interculturelle ?
La littérature aurait une fonction, par essence, de « médiation culturelle » (PERRIN, Agnès, 2010/p.20, l.4), particulièrement en classe. En effet, la littérature de jeunesse à l’École permettrait de construire une culture commune dès la maternelle, de prendre « progressivement conscience de son appartenance communautaire. » (idem, p.23, l.25) en bâtissant des références communes avec les autres futurs citoyens. Donner à tous une première culture littéraire favoriserait la construction de l’être en tant que personne unique avec son histoire personnelle mais aussi la construction de l’être dans la société, dans le groupe avec son Histoire commune. La littérature permettrait à chaque élève de s’inscrire dans une communauté, en lui « proposant des catégories communément partagées » (idem, p.22, l.12-13). Elle développe donc la construction identitaire de l’élève en l’inscrivant notamment dans un imaginaire collectif et lui révèle « un aspect essentiel du monde : l’existence des autres. Le jeune lecteur élargit ainsi sa sphère jusqu’à imaginer l’altérité. » (TURIN, Joëlle, 2008/p.164, l.4 à l.7).
Il existe justement une partie de la littérature de jeunesse qui pourrait être qualifiée d’interculturelle. Pour cause, cette dernière questionne l’altérité dans une approche humaniste, elle « (grave) l’altérité au cœur des œuvres comme une réponse à une demande urgente de (re)connaissance de l’Autre et de dialogue interculturel » (VERNET, Matthieu, 2015/paragraphe 4, l.9 à l.11). Elle regrouperait les ouvrages de littérature de jeunesse qui racontent le dialogue entre les cultures. Il ne serait pour autant pas possible de parler de courant littéraire actuellement. Pour autant, la recherche s’y intéressant de plus en plus, il pourrait davantage convenir de parler de courant scientifique lié à un courant pédagogique d’éducation interculturelle.
La littérature de jeunesse étant nommée et/ou se revendiquant « interculturelle » ou « pluriculturelle » est « centrée sur les interactions culturelles et sur la construction d’identités plurielles et mouvantes, produits de ces interactions » (GOBBÉ-MÉVELLEC, Euriell, 2019/ paragraphe 3, l.5-6). Les notions complexes de culture et d’identité sont donc questionnées à hauteur d’enfant dans ces œuvres. Les personnages principaux présentent souvent des identités multiples, remises en question, enrichies au cours de l’œuvre, parfois douloureuses et/ou niées, puis revendiquées, perçues comme un atout.
Cette littérature souhaite « favoriser la construction d’une culture humaniste qui permet à la fois à l’individu de mieux comprendre le monde et lui -même, mais aussi de développer un positionnement critique et éthique. » (PERRIN, Agnès, 2010/p.63, l.19 à l.23) sur des thèmes tels que la diversité culturelle, l’immigration, l’intégration… Elle cherche à permettre à l’enfant de mieux comprendre l’Autre et les différences, de s’ouvrir à des pensées universelles et de questionner le monde. Ces ouvrages semblent se focaliser non plus sur le souci de sensibilisation aux langues et cultures existant « en dehors » du pays ou étant considérées comme « minoritaires » mais sur la cohabitation, le vivreensemble avec tous ces bonheurs et toutes ces difficultés. C’est donc une littérature de jeunesse qui regarde la société de près et qui, bien souvent, s’engage sur des thèmes sensibles comme l’exil avec la question des réfugiés de guerre et la difficile intégration en France dans Moi, Dieu Merci, qui vis ici de Thierry Lenain, le droit d’asile… Cette littérature de jeunesse « interculturelle » peut donc permettre aux adultes d’aborder ces thèmes avec les enfants à travers le filtre du « paravent du personnage » dont parle Edwige Chirouter.
La littérature est à la fois universelle et ancrée dans une culture spécifique.
C’est en cela qu’elle est certainement un lieu privilégié de l’interculturalité. Elle prend racine dans une culture spécifique mais aussi dans une société précise qui cherche à développer chez les jeunes générations certains apprentissages qu’elle croit bénéfiques pour eux.
Le rôle de la littérature de jeunesse dans les apprentissages civiques
Cadre général
Il convient de rappeler que « l’enseignement de la littérature à l’école élémentaire n’a été institué qu’en 2002 seulement. » (PERRIN, Agnès, 2010/p.9, l.15 à l.17). Dans les instructions officielles précédentes, l’accent était mis sur la maîtrise de la langue, une initiation à la littérature étant présentée de manière floue et peu opératoire .
La littérature de jeunesse est une dimension mise en avant dans les nouveaux programmes où elle prend une importance plus grande que dans ceux de 2008, même si elle commençait déjà à s’y voir assigner une place privilégiée.
Cependant, très vite, les pédagogues ont eu conscience du fait que « parce qu’elle fonde l’ancrage indispensable au développement de son sentiment d’appartenance sociale, (…) (elle) favorise le développement de la notion de citoyenneté. » (idem, p.23, paragraphe 4, l.4 à l.6). Ce sentiment d’appartenance sociale évoqué dans la sous-partie précédente semble en effet être le prérequis à une entrée progressive dans la citoyenneté, même si les deux peuvent se construire ensemble. La littérature pourrait donc aider à s’approprier la citoyenneté. Un courant de la littérature de jeunesse francophone, étudié par Anne Schneider, peut d’ailleurs être qualifié de littérature migrante parce que cette dernière prend ancrage dans l’immigration, notamment algérienne. Tout en inscrivant le propos dans le passé de la guerre d’Algérie, « cette littérature mémorielle participe d’une reconstruction fondatrice des valeurs liées à l’éducation à la citoyenneté française » (SCHNEIDER, Anne, 2008/p.4, l.8-9). Ces ouvrages peuvent donc participer à la construction de la conscience d’une citoyenneté française, avec ses racines dans le passé, sa mémoire et ses manifestations dans le présent.
En outre, la littérature de jeunesse met l’élève en contact avec des valeurs sociales et vise une fonction formatrice souvent de manière implicite. Les œuvres « permettent l’édification d’une relation éthique au monde, une éducation sociale et affective par la projection dans des réalités historiques qui peuvent être éprouvées symboliquement. » (PERRIN, Agnès, 2010/p.24, l.5 à l.8). Le livre serait un espace de formation éthique. L’élève doit alors investir la compétence idéologique dont parle Umberto Eco dans Lector in fabula, c’est-à-dire être capable de dégager le message véhiculé par les œuvres. Cette compétence se travaille en classe et permet ainsi de développer la pensée et l’esprit critique. L’enjeu est la formation d’un lecteur actif, inscrit dans le monde qui l’entoure et apprenant à le décoder par la réflexion, le discernement.
Un lecteur qui développe sa personnalité, sa capacité à prendre position et son esprit critique. Ces compétences littéraires deviennent alors des compétences sociales, citoyennes. La littérature permettrait de faire vivre en actes en classe l’exercice critique de la pensée qui est attendu d’un citoyen.
Ces réalités historiques supports de ces valeurs sociales seraient éprouvées symboliquement par l’empathie fictionnelle , « processus qui permet au lecteur de se représenter les états mentaux des personnages du récit » (LARRIVÉ, Véronique, 2015/paragraphe 2, l.4-5) et auquel les enfants sont très sensibles. Selon Joëlle Turin, « Lire une histoire sans s’identifier à un personnage et sans projeter sur celui -ci ses besoins et ses désirs, même les plus inconscients, est impossible à l’enfant. » (TURIN, Joëlle, 2008/ p.46, l.4 à l.6). Peut-être est-ce cette empathie fictionnelle dont font preuve les enfants, et à développer en classe, qui leur permet de s’approprier les valeurs sociales implicitement présentes dans les œuvres et de développer des compétences civiques.
Effectivement, selon Véronique Larrivé, tout exercice sollicitant la communication empathique avec les personnages de la fiction permet de développer non seulement l’aptitude à l’empathie fictionnelle des lecteurs-scripteurs, mais aussi l’aptitude sociale de ces élèves à la communication empathique avec leurs pairs. (LARRIVÉ, Véronique, 2015/paragraphe 60, l.2 à l.6)
Lorsque l’objectif est de faire croître des compétences interculturelles chez les élèves, peut-être faudrait-il alors développer cette compétence littéraire d’empathie fictionnelle. Communiquer avec les personnages fictionnels des œuvres permettrait de mieux communiquer avec l’Autre réel.
La littérature de jeunesse est-elle représentative de la diversité mélanique et culturelle de nos sociétés ?
La littérature de jeunesse apprend à l’élève à questionner le monde. Mais ce monde fictif permet-il à l’élève de percevoir la diversité des humains du monde réel ?
Il convient tout d’abord de se demander si la littérature de jeunesse est représentative de la diversité mélanique. Ayant étudié les albums illustrés de littérature de jeunesse publiés entre 1980 et 2010, Nathalie Thiery et Véronique Francis écrivent que, dans des contextes occidentaux, ils « mettent très peu en scène l’enfant noir » (THIERY, Nathalie. FRANCIS, Véronique, 2015/p.48, paragraphe 3, l.7), « y compris pour figurer au second plan dans un groupe d’enfants. » (idem, p.50, paragraphe 3, l.3-4).
Elles parlent même de « racisme par omission » (idem, p.50, paragraphe 3, l.6-7) car cette littérature « prive les filles et les garçons, noirs et blancs, d’images donnant à voir des sociétés marquées par la diversité, caractéristique constitutive de nos sociétés du XXIe siècle. » (idem, p.50, paragraphe 3, l.7 à l.9). La différence mélanique serait donc niée dans une grande partie de la littérature de jeunesse occidentale, ce qui pourrait réduire les chances d’apprendre à vivre avec dès l’enfance.
Lorsque les enfants noirs sont présents, « on observe une absence quasi systématique de nomination de la couleur de peau » de ces derniers (idem, p.48, paragraphe 4, l.3). Une grande partie de la littérature de jeunesse n’évoquerait donc pas la différence de phénotype lorsqu’elle apparaît et s’inscrirait dans l’indifférence aux différences, même culturelles, abordée postérieurement. Il a été dit plus haut que la cécité aux différences en classe n’était pas la solution, la serait -ce en littérature de jeunesse ? Et si non : alors, comment traiter ces différences ?
Lorsque la différence de phénotype est évoquée, ce serait la stigmatisation basée sur ce dernier qui serait mise en avant, les discriminations raciales étant parfois traitées ouvertement, comme dans Max et Koffi sont copains de Dominique de Saint Mars et Serge Bloch aux éditions Calligram. La présence d’enfants noirs se justifierait même la plupart du temps par le traitement de problématiques spécifiques car elle « est généralement associée à un problème ou à un questionnement en lien à des notions d’identité et de différence associées à la couleur de peau. » (idem, p.46, paragraphe 2, l.4 à l.6). Très peu d’albums se situeraient dans le groupe de ceux « où l’enfant noir vit une situation ordinaire de l’expérience enfantine » (idem, p.46, paragraphe 5, l.5-6), partage « des émotions (…) proches du vécu des jeunes lecteurs quels qu’ils soient » (idem, paragraphe 5, l.6-7). Il serait trop peu courant que l’enfant noir se trouve dans les contextes de socialisation scolaire ou familiale dans lesquelles les livres pour la jeunesse mettent habituellement en scène des enfants blancs : découverte de nouveaux environnements, d’émotions, conquête de l’autonomie,… (idem, paragraphe 5, l.8 à l.11)
L’enfant noir apparaîtrait donc beaucoup dans des ouvrages de littérature de jeunesse lorsque l’auteur souhaite traiter la question de la discrimination ou du questionnement identitaire. Cet enfant vit alors des expériences où ces problématiques s’expriment, expériences par ailleurs peu associées aux enfants blancs.
Ainsi, beaucoup d’albums de littérature de jeunesse excluent le phénotype foncé de leur horizon, certains le représentent sans le nommer tandis que d’autres le représentent et le mettent en avant mais seulement afin d’évoquer des problématiques lui étant associées dans le contexte occidental. L’enfant noir se questionne souvent dans ces albums sur son identité. Il est en proie à une tension entre plusieurs cultures et peut être victime de racisme. Sa présence est souvent associée à la question vive de l’immigration.
Il est peu rencontré dans des situations pleinement heureuses, ce qui « explique sans doute l’impression de vulnérabilité qui se dégage des figures d’un enfant noir diversement touché par l’adversité » (idem, p.49, paragraphe 2, l.15-16).
L’attention portée par les enseignants au choix des ouvrages proposés à leurs élèves serait alors peut-être primordiale, afin de ne pas induire des représentations réductrices dans leurs esprits en se cantonnant à un seul type de traitement de la diversité mélanique. Par exemple, le fait de choisir systématiquement des ouvrages où la couleur de peau noire est associée à la discrimination aurait pour risque probable de faire naître chez les élèves de représentations schématiques et stéréotypées.
Dans un second temps, l’intérêt peut être porté sur la présence de la diversité culturelle dans la littérature de jeunesse.
Partie méthodologie
Présentation du protocole de recueil des données
Mon protocole de recueil des données s’inscrit dans un projet de création de « la culture de la classe », de « notre classe interculturelle » par l’étude de l’ouvrage de littérature de jeunesse La cabane d’Isabel. Je voudrais tenter de savoir dans quelle mesure la littérature de jeunesse peut engager notre classe dans un projet interculturel et faire progresser les représentations de mes élèves à propos de la diversité de leurs cultures.
C’est donc un projet qui s’inscrit dans une problématique rencontrée et dans un contexte bien précis, de la classe et de l’école , puisque l’école Félix Soulès d’Éauze accueille énormément d’élèves allophones. C’est un besoin que j’ai ressenti dès les premiers jours dans cette classe en faisant face à des insultes quant à l’origine de certains élèves et à des réflexions sur la religion. Avant de mettre en place cette séquence, j’ai donc mis en place une séquence sur la laïcité en enseignement moral et civique, et en parallèle j’en mène une sur le racisme. J’ai aussi fait le constat du fait que certains de mes élèves ressentaient l’envie de parler de leurs cultures, de leurs langues maternelles et de leurs pays natals , revenant très souvent dans les conversations entendues. Cette séquence a donc été pensée pour le contexte de ma classe. Cependant, de plus en plus de cultures différentes se rencontrent dans les classes de notre pays. C ette séquence trouverait donc sa place dans nombre d’entre elles. De surcroit, au cycle 3 plus que jamais, cycle des approfondissements et bien souvent des questionnements identitaires, offrir aux élèves l’occasion de relativiser les particularismes afin qu’ils soient apaisés face à l’altérité semble du ressort du système éducatif.
J’ai débuté cette séquence par une activité autour d’un réseau de cinq livres de littérature de jeunesse afin d’installer l’univers de référence des albums interculturels évoquant l’immigration et de recueillir les représentations initiales de mes élèves. Je pense que la création d’une communauté de lecteurs au sein de la classe peut, entre autres, permettre avec plus de facilité d’y développer l’interculturalité en créant une culture commune. Le dispositif de mise en réseau peut ainsi participer à l’édification progressive d’une communauté de lecteurs, ainsi que la construction de référents communs qui donnent de la matérialité à cette culture commune. Nous avons créé un affichage évolutif intitulé « Notre réseau de lecture – L’enfant qui part » sur lequel les élèves ont collé les premières de couverture des albums. Les albums choisis étaient Moi, Dieu merci, qui vis ici de Thierry Lenain et Olivier Balez, Les Poings sur les îles d’Elise Fontenaille-N’Diaye et Violeta Lopiz, La robe rouge de Nonna de Michel Piquemal et Justine Brax, Côté cœur de Rascal et Stéphane Girel et enfin Bonjour la France de Jia Qinhan. La séance a commencé par une activité de tri, où les élèves, par groupes, devaient isoler ces cinq albums évoquant le même thème parmi huit. Puis, une fois la mise en commun effectuée, chaque groupe se voyait attribuer un album et avait vingt minutes pour préparer une présentation de ce dernier à soumettre à la classe.
Dès cette première séance, j’ai pu observer des comportements montrant la nécessité de cette séquence. En effet, Jeng, l’élève allophone thaïlandais, lorsqu’il a découvert l’album Bonjour la France de Jia Qinhan, a semblé s’identifier à la petite fille en prononçant un « Non…» très triste lorsqu’elle se retrouve seule, en larmes, dans sa chambre et en s’exclamant un « Oui, amis ! » lorsqu’elle est intégrée à ses camarades à l’école. Ses réactions tout au long de la découverte des illustrations, ne pouvant pas lire, semblai ent montrer clairement une identification à ce personnage. Cette observation pourrait être une première preuve du désir d’interculturalité de cet élève, qui a eu beaucoup de mal à nouer des liens avec les autres et vit difficilement son rapport à la langue française. Je pense que cette première séance a été nécessaire pour le bon déroulement de la suite de la séquence, tant grâce aux observations que j’ai pu faire qu’aux objectifs que je visais pour mes élèves.
Résultats
Données qui confortent mes hypothèses
J’ai fait l’hypothèse dans un premier temps que la littérature de jeunesse pourrait développer les compétences interculturelles des élèves en permettant l’éclosion d’un enrichissement culturel mutuel au sein d’une classe.
L’analyse des productions écrites réalisées en séance 5 par les élèves devant d’abord écouter leurs camarades raconter un souvenir d’un moment heureux dans un lieu aimé m’a permis de mettre au jour plusieurs éléments me permettant de trouver des premières réponses à cette hypothèse.
En effet, sept élèves écrivains sur dix évoquent dans leur production écrite des éléments culturels propres à la vie de leur camarade (Annexe 4, colonne bleue), preuves qu’ils ont élargi leur univers culturel en s’ouvrant à celui de l’autre. Ainsi, ce passage de l’album a ouvert une situation d’écriture offrant les conditions pour que les élèves producteurs d’oral apportent aux élèves écoutant puis écrivant des nouvelles connaissances culturelles, alors que cela n’était en aucun cas demandé . La consigne était, en effet, la suivante : « Ton camarade va te raconter un souvenir heureux vécu dans un lieu qu’il aime. À toi de raconter ce moment et surtout les sentiments ressentis par ton camarade à l’écrit. ».
Ces connaissances culturelles portent notamment sur la géographie (aller en bus au Maroc, la frontière espagnole), les traditions (le souk au Maroc, la soirée pop -corn et télévision dans les pays occidentaux), les monuments historique s (la Tour Eiffel et les Champs-Élysées à Paris) et les loisirs (les parcs d’attraction en France, le football au Portugal). Lorsqu’Isabel évoque le souvenir du feu d’artifice, c’est bien une tradition culturelle qui apparaît aux yeux du lecteur. 70% des élèves semblent s’être saisis à leur tour de cette place faite à la culture dans la vie quotidienne d’Isabel, ainsi que dans ses souvenirs, sa mémoire. Ce pourcentage reste à relativiser puisqu’il pourrait être plus élevé, certains scripteurs n’ayant peut-être pas retranscrit ces éléments pourtant possiblement présents à l’oral.
La septième et avant-dernière séance de la séquence était axée sur la culture familiale, sur cette mémoire sensorielle évoquée dans la seconde sous -partie de la deuxième partie théorique. Après avoir réalisé leur production écrite, les élèves l’ont lue devant leurs camarades. J’ai scindé cette séance en deux car beaucoup d’élèves m’ont exprimé la frustration de ne pas avoir entendu les productions écrites de tous leurs camarades puisque j’avais segmenté la classe en trois groupes. De plus, il y a eu un problème avec une vidéo illisible pour l’un des groupes. J’ai donc pris la décision, le lendemain, de réitérer cette oralisation en classe entière.
Après avoir relevé les thèmes des questions posées portant sur des composantes de la culture (Annexe 23), il apparaît que la grande majorité d’entre elles (quatorze sur vingt-quatre, à savoir un peu plus de 58%) ont rapport avec la nourriture, les traditions culinaires.
Les autres aspects de la culture qui sont apparus dans les interrogations des élèves sont les jeux, la musique et la danse ainsi qu’une question posée sur une tradition de fête donnée à la naissance d’un enfant. Ces thèmes sont en accord avec la description d’une fête, il n’est donc pas étonnant que ce soit ceux retrouvés. L a consigne n’énonçait pas ces thèmes avant que nous la précisions en collectif par mes questions avec la lettre d’Isabel (Annexe 9) en appui. En les comparant avec les références culturelles visibles dans les productions écrites du souvenir partagé en séance 5 dont l’analyse est faite ci -dessus, il est évident qu’elles sont très différentes et liées au contexte.
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Table des matières
Remerciements
Introduction
Partie théorique
I – L’interculturalité
A) Un concept à la définition complexe
B) École de la République et interculturalité
C) Les limites de cette éducation à l’interculturalité, les points d’attention
II – Littérature de jeunesse et diversité culturelle
A) Une littérature de jeunesse interculturelle ?
B) Le rôle de la littérature de jeunesse dans les apprentissages civiques
C) La littérature de jeunesse est-elle représentative de la diversité mélanique et culturelle de nos sociétés ?
Partie problématique
Hypothèses
Problématique
Partie méthodologie
Présentation du protocole de recueil des données
Documents collectés et indicateurs
Données de terrain non collectées
Méthodologie pour l’analyse des données
Résultats
I – Données qui confortent mes hypothèses
II – Prise de recul
Discussion
Conclusion
Liste des sources collectées
Bibliographie
Table des annexes
Annexes
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