Pourquoi pas la littérature ?
Parler une langue étrangère, c’est aussi lire dans cette langue. Cette constatation est évidente, mais nombreux sont les lecteurs qui se sont retrouvés désorientés face aux rayonnages d’une librairie dans un pays dont ils maitrisaient la langue, mais pas les normes en usage dans le système éditorial local. À partir de cette réflexion, notre intérêt a porté sur les compétences nécessaires à un apprenant pour pouvoir pratiquer la langue étrangère qu’il acquiert en classe, dans des situations de lecture qui lui sont extérieures.
Et le roman policier ?
Il nous fallait en effet choisir un type de texte dans l’espace offert par le champ littéraire et notre attention s’est rapidement portée sur le roman policier. Mauvais genre, il a longtemps était considéré comme une littérature au rabais qui permettait uniquement aux lecteurs d’assouvir leurs pulsions dangereuses. Il est désormais « sorti de son semighetto », comme l’écrit Y. REUTER (1997 : 7), et entre dans les programmes de l’Éducation Nationale française. Il est également représentatif des lectures de nombreux Français, puisque « c’est le genre d’ouvrages le plus lu pour 18 % et préféré pour 9 % de cette population [des français âgés de plus de quinze ans] » (ibid.). Nous reviendrons sur ces chiffres, mais ils indiquent déjà l’importance de ce genre romanesque dans le paysage éditorial français.
Le roman policier fait aussi l’objet d’études littéraires de plus en plus nombreuses qui mettent en valeur sa structure typologique et sa complexité potentielle. Il est à la fois organisé autour d’invariants qui indiquent au lecteur son mode de fonctionnement, et construit de telle sorte qu’il surprend ce même lecteur dans ses attentes. Loin d’être un genre uniforme, il présente des productions multiples parmi lesquelles les romans stéréotypés côtoient les ouvrages où les frontières génériques sont interrogées. Bousculant les répartitions établies depuis 150 ans, certains titres identifiés au roman policier par leur paratexte usent effectivement de procédés appartenant aux littératures légitimées par l’institution. Ces textes hybrides manifestent une réflexion stylistique de la part de leurs auteurs et une attention à l’écriture qui contredit les représentations associées à cet espace de production.
La littérature au fil des évolutions méthodologiques
Le recours à l’histoire de l’enseignement des langues étrangères semble être un passage obligé lorsqu’il s’agit de se pencher sur un support pédagogique aussi présent que l’a été le texte littéraire. Les vicissitudes qui l’ont touché au cours du XXe siècle sont issues de cette histoire et les attaques dont il a été l’objet sont souvent liées à son ancienne position dominante dans les méthodologies des siècles qui nous ont précédés.
Le texte littéraire a en effet été omniprésent jusqu’au XIXe siècle. Violemment remis en cause par la suite, ce type de document a été écarté par plusieurs méthodologies du XXe siècle pour cause d’inadéquation pédagogique et d’inefficacité communicative. Pourtant, l’approche communicative apparue à la fin du XXe siècle et massivement utilisée aujourd’hui, a redécouvert ce type de texte et l’a réintroduit dans la classe. Que s’est-il passé, alors, pendant un siècle de recherche en didactique ? Il peut paraître étonnant que des enseignants, dont la formation s’appuie souvent sur la philologie, aient soudain rejeté un support qu’ils sont censés bien connaître du fait de cette formation. Il est tout aussi surprenant que le changement ait pu être radical. Les nouvelles méthodologies mettent du temps à s’installer, elles peuvent cohabiter avec leurs prédécesseurs pendant plusieurs années selon les structures, les moyens et la formation des enseignants. D’autres critères ont sans doute présidés à ces évolutions qui apparaissent moins brutales lorsqu’on observe les usages effectifs qui ont cours dans les classes.
Afin de répondre à cette question, nous allons nous intéresser dans ce bref historique aux méthodes et aux méthodologies du XXe siècle qui ont pris en compte le texte littéraire pour l’intégrer à leur enseignement ou, au contraire, pour l’en exclure. Nous rappellerons ensuite les choix méthodologiques qui orientent l’approche communicative car la conception et l’usage actuels du texte littéraire dépendent en grande partie des recherches qui lui sont liées. Par ailleurs, la publication récente d’un ouvrage portant sur l’enseignement des langues vivantes par le Conseil de l’Europe a remis en question l’utilisation de cette méthodologie et suscité un renouvellement qui ne dit pas encore s’il sera un remplacement.
Un support pédagogique contesté
Les relations du texte littéraire avec l’enseignement des langues ont souvent été mouvementées. Tantôt omniprésent, tantôt absent, ce type de texte assez particulier représente des choix méthodologiques forts. Du fait de la présence autrefois quasi exclusive de la littérature, son utilisation a pu être interprétée comme un signe de passéisme, alors que son absence donnait à la méthode une image plus moderne. Les apparitions et les rejets de la littérature ne sont toutefois pas l’apanage de notre temps. Dans l’antiquité déjà, les Grecs apprenaient leur langue par le biais des textes du poète classique HOMÈRE qui utilisait une langue assez éloignée du grec parlé à cette époque. Quelques siècles plus tard, les Romains apprenaient eux aussi le grec en lisant, notamment, les auteurs classiques.
Ce n’est que lors du passage d’un enseignement laïc à un enseignement religieux que le latin, devenu langue étrangère, sera enseigné dans toute l’Europe en s’appuyant sur la Bible, au détriment des Classiques. C. GERMAIN (1993) situe ce passage « au début du 6e siècle, [quand] naissent en effet les écoles épiscopales et presbytérales, aux côtés des écoles monastiques » (1993 : 52). Comme cette langue est à l’époque un moyen de communication important, de nombreux laïcs continuent à apprendre le latin de manière autodidacte, en s’appuyant sur une grammaire et sur les Classiques hérités de leurs ancêtres. Ce processus d’apprentissage s’amenuise ensuite, à mesure que la langue parlée quotidiennement s’éloigne du latin classique.
Au sortir du Moyen Âge, du XVe au XVIe siècle, le type de manuel qui parait avoir eu le plus de succès est une présentation de dialogues et de descriptions bilingues, en deux colonnes et portant sur des thèmes assez pragmatiques comme « le vocabulaire utile pour désigner les objets de la maison, les serviteurs, les relations familiales, etc. Puis, il y a un dialogue sur la manière de faire des achats » (op. cit. : 58). Ce sont là des thèmes assez proches de ceux que l’on trouve dans les manuels actuels, et qui dénotent un grand souci d’efficacité de la part des auteurs. Les Classiques n’occupent plus le premier plan car les langues concernées par ces manuels sont assez jeunes et il n’y a de Classique, à l’époque, que les auteurs grecs et latins. À la même période, le développement de langues nationales va placer le latin et le grec parmi les langues mortes. L’étude de ces langues à partir de textes littéraires se justifie alors, puisqu’il n’y a plus de locuteur avec qui communiquer. Cet apprentissage devient une gymnastique intellectuelle qui permet à l’élève d’accéder à la culture antique.
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Table des matières
Introduction
Première partie : De la didactique de la littérature
1. La littérature au fil des évolutions méthodologiques
1.1. Un support pédagogique contesté
1.2. Des relations apparemment apaisées
2. Un support pédagogique multiple
2.1. Littérature et communication
2.2. L’authenticité du texte littéraire
2.3. Littérature, culture et communication interculturelle
3. Devenir lecteur de littérature en langue étrangère
3.1. Lire un document écrit
3.2. Lire un document littéraire
4. Le texte littéraire dans les manuels
4.1. Au fil des manuels
4.2. Un panorama de la littérature
4.3. De l’usage du texte littéraire
Synthèse de la première partie
Seconde partie : … à la didactique des littératures
1. Les frères ennemis
1.1. Noms et surnoms
1.2. Champ et contre-champ
1.3. Genre, espèce générique, généricité
2. À la recherche d’une frontière ?
2.1. S’il faut une définition
2.2. Localisation d’une distinction signifiante
3. Le roman policier, un genre en transition
3.1. Du roman policier au polar urbain
3.2. Littérature noire, littérature blanche
3.3. Panoramas urbains
4. Les littératures au service de l’enseignement / apprentissage du FLE
4.1. Généricité et enseignement / apprentissage
4.2. Un projet de lecture par l’écriture
Synthèse de la seconde partie
Conclusion
Références bibliographiques
Sitographie