Les protéines sont des polymères complexes qui interviennent dans l’ensemble des processus cellulaires grâce à la diversité de leurs fonctions, allant de la structure cellulaire à la catalyse en passant par la signalisation. L’explication de cette diversité de fonction des protéines a été une des motivations majeures de la biologie structurale. La cristallographie a fourni les premières structures atomiques de protéine (Kendrew et al. 1960), suivie par la résonance magnétique nucléaire (RMN) (Williamson et al. 1985). Ces structures ont alors permis l’émergence du concept de relation structure fonction. Depuis, le nombre de structures disponibles n’a cessé de croître suscitant la création de la Protein Data Bank dès 1971 (Berman 2008). Les techniques classiques de cristallographique et de résonance magnétique nucléaire utilisées pour résoudre les structures des protéines fournissent une structure moyenne avec une grande précision contribuant ainsi à une vision statique des protéines. Pourtant, la structure seule ne parvient pas à expliquer toutes les propriétés des protéines et la description de l’aspect dynamique des protéines a rapidement pris une importance croissante (McCammon et al. 1977, Henzler-Wildman et al. 2007, van den Bedem et al. 2015). Le travail effectué lors de cette thèse s’inscrit dans ce cadre où une description à la fois de la structure et de la dynamique est nécessaire à une compréhension des mécanismes moléculaires dont découlent les propriétés et par conséquent les fonctions des protéines. Cette importance de la dynamique est particulièrement vraie pour les enzymes qui catalysent les réactions chimiques. La remarquable augmentation de la vitesse des réactions catalysées résulte d’une diminution de la barrière d’activation par le catalyseur. Cependant, de nombreuses étapes précédant ou suivant l’étape chimique interviennent dans la catalyse enzymatique (Palmer 2015). L’échange entre différents états conformationnels peut ainsi avoir une influence sur la régulation allostérique, l’inhibition, la reconnaissance du substrat, la présence de réactions secondaires ou encore la libération du produit.
La lipase lip2 de Yarrowia lipolytica
Définition des lipases
Les lipases sont des enzymes de la famille des sérine-hydrolases définies comme des triacylglycerol-acylhydrolases (EC 3.1.1.3). Ces enzymes ubiquitaires sont largement distribuées chez les organismes procaryotes et eucaryotes. Elles interviennent dans de nombreux processus physiologiques cruciaux en particulier au niveau du métabolisme énergétique où elles catalysent la libération d’acides gras par saponification des triglycérides (Berg et al. 2002). Elles sont également très utilisées dans de nombreux procédés industriels en raison de leurs intéressantes propriétés de biocatalyseurs (Houde et al. 2004).
Réactions catalysées
Les lipases catalysent naturellement l’hydrolyse de la liaison ester entre le glycérol et les acides gras des mono-, di- ou tri- glycérides. Toutefois, les lipases sont également capables d’hydrolyser de nombreux autres esters. De plus, placées dans des conditions thermodynamiques favorables, les lipases sont capables de catalyser des réactions de synthèse telles que des estérifications, des acidolyses, des alcoolyses ou des transesterifications . Leur capacité à accepter une large gamme de substrats leur permet de catalyser également des réactions d’amidation ou de thioestérification . Enfin, les lipases sont capables de présenter également des activités catalytiques annexes telles que des activités phospholipases, cholestérol estérases ou encore amidases (Svendsen 2000).
Une particularité des réactions catalysées par les lipases est qu’elles se déroulent en milieu biphasique, à l’interface entre les substrats hydrophobes, ou un solvant organique et un milieu aqueux (Reis et al. 2009). Ainsi, une propriété importante qui différencie les lipases des estérases, est le phénomène d’activation interfaciale (Verger 1976). Ce phénomène se traduit par une activité accrue quand un substrat passe au-dessus de sa limite de solubilité et forme une émulsion, induisant la formation d’une interface lipideeau. Néanmoins, les bases moléculaires à l’origine de ce phénomène demeurent encore mal comprises et certaines lipases telle que la lipase de Pseudomonas aeruginosa ne présentent pas ce phénomène d’activation interfaciale (Jaeger et al. 1993).
Sélectivité de substrat
Même si les lipases acceptent une large gamme de substrats, leur intérêt réside essentiellement dans leur sélectivité. Ainsi, on distingue différents types de sélectivité des lipases vis-à-vis de leurs substrats :
– La sélectivité vis-à-vis des acides gras, en particulier la longueur de la chaine carbonée et la présence ainsi que la position de substitutions ou d’insaturations, appelée typosélectivité. Les lipases catalysent préférentiellement l’hydrolyse d’esters à longues chaînes carbonées (C > 10, tels que l’acide oléique C18 :1) alors que les estérases ont une activité plus importante sur les esters à chaînes courtes (C < 10, tels que la tributyrine C4). La présence d’insaturations sur la chaîne carbonée ainsi que leur position va influencer les conformations que le substrat pourra adopter et donc la forme présentée à l’enzyme. Cette sélectivité pour la longueur des groupements acyle ainsi que leur forme dépend fortement de la topologie et de la plasticité du site actif de la lipase. La typosélectivité inclut également la préférence pour les mono-, di- ou triglycérides.
– La sélectivité vis-à-vis de la position hydrolysée préférentiellement dans les triacylglycérols ou encore appelée régiosélectivité. En effet, les lipases peuvent présenter une spécificité différente en fonction de la position de la liaison ester sur le squelette du glycérol. On distingue les positions sn1 et sn3 correspondant à des fonctions alcool primaire de la position sn2 correspondant à un alcool secondaire. Si la plupart des lipases microbiennes ont une spécificité sn1 – sn3, seules quelques-unes ont une spécificité sn2 telle que la lipase de Staphylococcus aureus (Horchani et al. 2010). Ici encore, la taille et l’architecture du site actif accueillant le substrat jouent un rôle déterminant dans la régiosélectivité. La structure de la lipase de Burkholderia cepacia a été résolue par cristallographie en présence d’un analogue de triglycéride permettant ainsi d’identifier trois poches pouvant accommoder les trois acides gras en position sn1, sn2 et sn3 (Figure 3) (PDB ID : 5LIP) (Lang et al. 1998, Jaeger et al. 1999).
– Enfin, la sélectivité vis-à-vis d’un couple d’énantiomères, appelée énantiosélectivité. Les énantiomères sont des isomères images l’un de l’autre dans un miroir mais non superposables. Cette propriété particulière appelée chiralité est souvent due à la présence d’un carbone asymétrique dans la molécule, c’est-à-dire un carbone tétraédrique ayant quatre substituants différents. Si les énantiomères présentent des propriétés physico-chimiques proches, voire identiques, telles que la solubilité, le point de fusion ou le point d’ébullition, il n’en est pas de même pour les propriétés biologiques. Ainsi, si un énantiomère peut présenter une activité biologique recherchée, le second énantiomère peut être dépourvu de cette activité biologique, voire même avoir d’autres activités biologiques complètement différentes. Ce phénomène est à la base de nombreux effets indésirables des molécules thérapeutiques (Soykova Pachnerova 1963). Par conséquent, la résolution de mélange racémique présente un grand intérêt pour l’industrie pharmaceutique. Toutefois, l’explication de la spécificité d’une lipase pour un énantiomère reste difficile à mettre en évidence et plusieurs approches complémentaires telles que la cristallographie (Colton et al. 2011), le docking moléculaire (Berglund et al. 1999), la dynamique moléculaire (Guieysse et al. 2003), la modélisation d’intermédiaires réactionnels (Norin et al. 1994) ou l’étude de la géométrie du site actif et des trajectoires du substrat (Cortes et al. 2005) sont souvent nécessaires pour élucider les facteurs moléculaires jouant un rôle clé.
Mécanisme catalytique
Le mécanisme catalytique des lipases fait intervenir une triade catalytique, constituée de trois acides aminés, un aspartate, une histidine et une sérine ainsi qu’un trou oxyanion constitué par les groupes amides NH de la chaine principale de deux résidus (Cygler et al. 1994). Le mécanisme catalytique peut être divisé en deux étapes successives. La première étape d’acylation débute par un transfert de proton entre les trois résidus de la triade catalytique de la sérine vers l’aspartate par l’intermédiaire de l’histidine. L’oxygène activé de la chaine latérale de la sérine va alors attaquer le groupe carbonyle de l’ester pour former un intermédiaire tétraédrique appelé oxyanion. Cet intermédiaire est stabilisé par un réseau de liaisons hydrogènes incluant les résidus du trou oxyanion qui équilibrent les charges négatives de l’oxygène de l’intermédiaire tétraédrique. Un réarrangement électronique au niveau de l’intermédiaire réactionnel va libérer le groupement alcoolique de l’ester tandis que le carbone du groupement carboxylique va rester lié de façon covalente à l’oxygène de la sérine formant ainsi l’acyl-enzyme.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I. La lipase lip2 de Yarrowia lipolytica
1.1. Définition des lipases
1.2. Réactions catalysées
1.3. Sélectivité de substrat
1.4. Mécanisme catalytique
1.5. Structure générale
1.5.1. Le repliement a/b
1.5.2. La triade catalytique
1.5.3. Le trou oxyanion
1.5.4. Le volet amphiphile ou « lid »
1.5.5. Topologie du site actif
1.6. Notre enzyme modèle : Lip2 de Yarrowia lipolytica
1.6.1. Découverte de Lip2
1.6.2. Structure de Lip2
1.6.3. Propriétés enzymatiques de Lip2
1.6.4. Intérêt Biotechnologique
1.6.5. Etude de la dynamique de Lip2
II. La protéine OmpA de Klebsiella pneumoniae
2.1. Klebsiella pneumoniae
2.2. L’enveloppe bactérienne
2.2.1. Les composants de l’enveloppe bactérienne
2.2.2. Le lipopolysaccharide
2.3. Les protéines de la membrane externe
2.3.1. La structure générale
2.3.2. L’insertion et l’interaction avec les lipides
2.3.3. Les fonctions des OMP
2.4. Biogenèse des protéines de la membrane externe
2.4.1. Le passage de la membrane interne
2.4.2. Les voies des chaperonnes
2.4.3. La machinerie BAM
2.5. La protéine « Outer membrane protein A »
III. Dynamique des protéines
3.1. Méthodes d’analyse de la dynamique fonctionnelle des protéines
3.2. RMN et dynamique
3.2.1. Le protéasome
3.2.2. La protéine CAP et la mesure de l’entropie conformationnelle
3.2.3. Le lysozyme du phage T4, et la caractérisation d’états « invisibles »
3.2.4. La rhodopsine d’Anabaena
IV. Références
CHAPITRE 2 EXPRESSION DE LA LIPASE LIP2 DE YARROWIA LIPOLYTICA EN VUE D’UNE ETUDE PAR RMN EN SOLUTION
I. Introduction
II. Material and methods
2.1. Chemicals
2.2. Strains and culture conditions
2.3. Vector construction
2.3.1. Escherichia coli vector
2.3.2. Cell-free vector
2.3.3. Pichia pastoris vector
2.4. Protein expression
2.4.1. Expression in Escherichia coli
2.4.2. Cell-free expression
2.4.3. Expression in Pichia pastoris
2.4.4. Expression in Yarrowia lipolytica
2.5. Characterization of the expressed lipase
2.5.1. Lipase activity
2.5.2. Protein quantification
2.5.3. SDS-PAGE analysis
2.5.4. Western Blot
2.6. Purification
2.7. NMR spectroscopy
III. Results
3.1. Expression in Escherichia coli
3.2. Cell free expression
3.3. Expression in Pichia pastoris
3.4. Expression in Yarrowia lipolytica
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Acknowledgments
VII. Supplementary information
VIII. References
CHAPITRE 3 STRUCTURE CRISTALLOGRAPHIQUE ET DYNAMIQUE PAR RMN EN SOLUTION DU DOMAINE C-TERMINAL DE OMPA DE KLEBSIELLAPNEUMONIAE
I. Introduction
II. Material and Methods
2.1. Cloning, expression and protein purification
2.2. Crystallization
2.3. Structure determination
2.4. SEC-MALLS
2.5. NMR experiments
III. Results and Discussion
3.1. Tridimensional structure of C-terminal KpOmpA
3.2. Binding site and sequence conservation
3.3. Putative role of conserved D325 – R326 – R327
3.4. Dimerization interface
3.5. Dynamics in solution
IV. Conclusion
V. Supplementary information
5.1. Supplementary Figures
5.2. Supplementary Tables
VI. References
CHAPITRE 4 ETUDE DE LA DYNAMIQUE DU DOMAINE N-TERMINAL DE OMPA DE KLEBSIELLA PNEUMONIAE PAR RMN DU SOLIDE ET PROTEOLYSE MENAGEE
I. Introduction
II. Results and Discussion
2.1. Ultrafast solid state NMR
2.2. Proteolysis experiments
III. Supplementary information
3.1. Construction of the KpOmpA recombinant proteins
3.2. Protein expression and purification
3.3. Proteoliposomes preparation
3.4. Proteolysis experiments
3.5. Mass spectrometry
3.6. NMR spectroscopy
3.6.1. NMR experiments for KpOmpA assignment
3.6.2. Relaxation and REDOR NMR experiments
3.7. Supplementary Figures
3.8. Supplementary Tables
IV. References
CONCLUSIONS