L’identification et la prise en compte du risque d’inondation dans les documents d’urbanisme
Depuis la loi de décentralisation du 7 janvier 1983, les collectivités locales sont devenues des acteurs essentiels du système institutionnel français puisqu’elles ont acquises des compétences propres en matière d’aménagement et d’urbanisme. Dès lors, elles ont à leur disposition un certain nombre d’outils permettant de planifier et de maitriser l’urbanisation de leur territoire à travers l’élaboration des documents d’urbanisme, mais également à travers les autorisations d’occupations des sols, que sont entre autres, les certificats d’urbanisme et les permis de construire.
La prise en compte des risques naturels dans les documents d’urbanisme est imposée juridiquement suite à la loi du 22 juillet 1987 relative à l’organisation de la sécurité civile à la protection de la forêt et à la prévention des risques majeurs, qui instaure une obligation généralisée de prévenir les risques naturels, dans le cadre des documents d’urbanisme que sont les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les plans locaux d’urbanisme (PLU), documents remplaçant respectivement les schémas directeurs et les plans d’occupations des sols suite à la loi SRU de décembre 2000, ainsi que les cartes communales. Ces instruments aux mains des collectivités locales, sont d’ailleurs forts intéressants en matière de prévention des risques car comme le dispose l’article L121-1 du Code de l’Urbanisme : « Les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux de l’urbanisme, et les cartes communales déterminent les conditions permettant d’assurer […] la prévention des risques naturels prévisibles, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ». Si tel n’est pas le cas, ces documents peuvent se voir annulés par le juge administratif pour erreur manifeste d’appréciation, ou par voie d’exception d’illégalité, conduire à l’annulation des autorisations d’occupations des sols.
« Cependant, le droit de l’urbanisme n’a pas pour préoccupation première et directe la prévention des risques naturels. Il ne prévient pas les risques, ni même ne se préoccupe de les réduire. Son intervention dans ce domaine n’est que périphérique, accessoire ou subsidiaire, en faisant en sorte que l’urbanisation ne se développe pas là où les événements naturels sont censés se produire » (Sanséverino-Godfrin, 2008) exprime bien que le droit de l’urbanisme n’est donc pas un axe majeur et fondamental de la prévention des risques, et elle souligne d’ailleurs par la suite que «compte tenu de la présence des risques dans certaines zones, les documents d’urbanisme ne pourront pas les éluder et devront envisager les moyens de diminuer le développement d’enjeux dans les zones sensibles » Avec cette affirmation, on comprend bien que les documents d’urbanisme n’ont pas une vocation spécifique à traiter les risques naturels, mais ils doivent cependant permettre de limiter l’exposition des enjeux face au risque par la maitrise de l’urbanisation. L’élaboration des documents d’urbanisme est donc soumise à la contrainte de la prise en compte des risques naturels, notamment avec la loi SRU mais on peut se rendre compte que cette loi présente certaines ambiguïtés face à cette prise en compte.
La loi SRU, un flou juridique autour de la prise en compte du risque
La loi Solidarité et Renouvellement Urbain, dite loi SRU, du 13 décembre 2000, affiche parmi ses nombreux objectifs la prévention des risques, et la prévoit expressément dans ses dispositions générales communes à tous les documents d’urbanisme (SCOT, PLU, et cartes communales).
Cependant, si l’on s’intéresse de plus près à certains articles du code de l’urbanisme révisés par la loi SRU, on s’aperçoit que la place du risque, y reste parfois incertaine, voire totalement absente. (Dubois-Maury, 2002) C’est le cas notamment en ce qui concerne le PLU, où l’ancien article L123-1 du code de l’urbanisme précisait que la délimitation des zones du POS devait prendre en considération « l’existence des risques naturels prévisibles », le nouvel article L123-1 concernant les PLU ne fait aucune référence explicite à l’obligation de prendre en compte les risques naturels pour déterminer la constructibilité des zones. Cet article se réfère d’une manière plus globale à l’intégration des préoccupations environnementales dans le diagnostic du territoire effectué par le PLU, mais la prise en compte du risque naturel n’y est pas mentionnée explicitement. « La loi SRU a procédé à une réécriture complète de l’article L123-1 modifiée par la loi du 2 juillet 2003 dans laquelle disparait curieusement la référence expresse aux risques naturels et technologiques » (Larrouy et Castera, 2004) De plus, comme le souligne les auteurs dans cet ouvrage, la loi SRU a abouti à la suppression dans la définition des nouvelles zones naturelles « N » du PLU, qui ont remplacé les zones « ND » dans l’ancien POS, de la référence aux secteurs à protéger en cas de nuisances. Par conséquent, ceux-ci peuvent être localisés dans n’importe quelles autres zones, que ce soient les zones à urbaniser «AU », les zones urbaines « U », et les zones agricoles « A » On peut donc affirmer que la loi SRU a plus ou moins effacé le zonage des risques dans la cartographie réglementaire du PLU et les auteurs font d’ailleurs part de leur inquiétude vis-à-vis de la suppression des zones « ND » dans les anciens POS, au bénéfice d’un simple secteur sur un document graphique dans le PLU, en affirmant : « il n’est pas certain que cela aille dans une meilleure identification du risque, et donc de la bonne prise en compte de celui-ci » .
La référence explicite au risque disparaît également dans le SCOT, comme l’explique Jocelyne Dubois-Maury : « Cependant, si selon l’article 122-3 du Code de l’Urbanisme, qui concerne l’élaboration du SCOT, la délimitation intercommunale de son périmètre doit prendre en compte le PDU (Plan de Déplacements urbains), le PLH (Plan Local de l’Habitat), on observe l’absence de toute référence à des plans relatifs aux risques » (Dubois-Maury, 2002) .
Par rapport aux SCOT et aux PLU, la loi SRU a introduit dans leur contenu un nouveau document obligatoire, le projet d’aménagement et de développement durable (PADD). A travers ce document, cette loi fait de l’environnement un principe qu’il est nécessaire de respecter lors de tout projet d’urbanisme, ce qui sous-entend une approche globale des spécificités environnementales et la recherche de solutions conjuguant prévention et développement. Ainsi, les documents d’urbanisme sont élaborés en vertu d’une démarche raisonnée et seront tenus d’intégrer impérativement les aspects relatifs aux risques naturels dans la définition du développement urbanistique (SansévérinoGodfrin, 2008). L’article R 123-3 du Code de l’urbanisme indique un contenu facultatif dans le PADD, dans lesquels les risques n’y figurent pas explicitement, même si la référence aux principes généraux permet de les intégrer. (Larrouy et Castera, 2004) Ainsi, la loi SRU ne fait plus véritablement apparaître les risques de manière explicite dans les documents d’urbanisme mais se contente de simples « référencements » .
Cependant, on ne peut pas se permettre d’affirmer que la loi SRU a abouti à l’absence d’outils juridiques pour prendre en compte le risque dans les documents d’urbanisme malgré qu’il n’y ait plus un véritable zonage du risque, dans la cartographie de ces documents, ni de référencement dans les PADD, car il fixe toujours des règles générales et des servitudes relatives à l’occupation des sols. Le document graphique du PLU y reste d’ailleurs, opposable à toute personne publique ou privée. La prise en compte du risque ne s’exprime plus véritablement dans les zonages de risques, cependant, il est fondamental de déterminer ces risques et cette identification, du ressort des services de l’Etat, est essentielle dans sa mission de production de connaissances des risques.
La mission essentielle de productions de connaissances de l’Etat dans l’élaboration des documents d’urbanisme
Au titre des pouvoirs de police qui lui sont attribués, le maire a pour mission d’assurer la sécurité publique sur son territoire afin de prévenir « tout fléau ou accident calamiteux » .Depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, de larges pouvoirs dans le domaine de la prévention des risques naturels, puisque la compétence générale en matière d’urbanisme relève maintenant des communes. Ces pouvoirs sont même des obligations et les responsabilités du maire sont importantes en matière de prévention des risques et de sécurité. Il s’ensuit pour lui l’obligation de prendre connaissance des risques sur sa commune, d’en informer les concitoyens et de prendre les mesures de sauvegarde pour y répondre (Dubois Maury, 2002).
Afin de pouvoir répondre à ses obligations, le maire doit tenir compte de l’ensemble des informations sur les risques naturels qui existent sur sa commune. Il faut donc que ces risques soient connus, identifiés et dans le meilleur des cas évalués et cartographiés (DDE de l’Oise, 2007). Le « porter à connaissance » est un acte essentiel de la procédure d’élaboration des documents d’urbanisme. Par cette procédure d’information, le préfet transfert toute information utile à l’exercice des compétences en matière d’urbanisme, des communes et des intercommunalités. Cette procédure permet au préfet de signaler aux élus locaux l’existence du risque inondation sur leur territoire par le biais des connaissances et d’informations, produites et fournies par l’Etat. Cette production peut se traduire par des dispositifs réglementaires à valeurs légales comme le Projet d’intérêt Général (PIG), le Plan de Prévention du Risque Inondation (PPRI), qui sont ensuite annexé au PLU en tant que servitude d’utilité publique, ou encore des études techniques réalisées par ses services déconcentrés. L’Etat, peut également fournir aux communes de documents divers, qui n’ont pas de valeurs légales, tels que des études portant sur des réalisations techniques par exemple. En conséquent, le porter à connaissance permet de faire respecter un certain nombre d’obligations au niveau étatique, comme le souligne Jean-Pierre Boivin, « il s’agit plus particulièrement d’éviter que les communes […] oublient certaines préoccupations sociales que l’Etat considère pour sa part comme essentielles » (Boivin, 2003) En effet, les documents d’urbanisme doivent garantir la protection des milieux naturels et des paysages, ainsi que la sécurité et la salubrité publique » comme le dispose l’article L 110 du Code de l’urbanisme. Le non respect d’un tel principe peut se voir sanctionner par le juge administratif.
Le porter à connaissance est fondamental dans la mesure où les connaissances produites ont pour vocation de déterminer, ou du moins d’orienter, l’élaboration des zonages de constructibilité dans les documents d’urbanisme.
Cependant, on peut s’interroger sur la pertinence des porters à connaissance dans la prise en compte du risque. Si l’on s’intéresse à consulter un porter à connaissance, le détail qui vient en premier à l’esprit est la régulière absence d’outils cartographiques pour représenter le risque, ce ne sont qu’un ensemble de servitudes. C’est le cas du porter à connaissance dans le cadre de la révision du PLU de Nantes . Il semble que l’absence de cartographie ne puisse pas mettre en exergue les risques. D’ailleurs, comme le souligne Bruno Ledoux dans sa vision des porters à connaissance : « En matière d’inondation, aucune initiative sérieuse n’a vu le jour avant que l’Etat s’engage, à partir de 1994, dans la réalisation des Atlas des Zones inondables. Nos connaissances sur les crues du passé, même les plus proches sont incroyablement minces » (Ledoux, 2006). Il est vrai que si l’on s’intéresse à la question de la réalisation des Atlas des Zones Inondables, qui consiste à cartographier les aléas, des moyens financiers importants ont été engagés par l’Etat pour la réalisation des atlas. Dans la région Rhône-Alpes, 20,4 millions dont 60% apportés par l’Etat et complété par les interventions des collectivités locales, notamment les syndicats de rivière . C’est donc bien une question de coût et de financement qui rentre au cœur de la problématique « En matière d’inondation, le coût des études nécessaires est rapidement croissant avec la précision recherchée » (Ledoux, 2006).
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : La limitation des enjeux dans les zones à risques à travers la planification territoriale
1. L’identification et la prise en compte du risque d’inondation dans les documents d’urbanisme
2. La prévention des risques par la maitrise de l’usage des sols
Partie 2 : La maîtrise de l’urbanisation : une rencontre entre la politique de prévention des risques et la politique d’aménagement du territoire
1. L’intégration du risque d’inondation dans les politiques publiques d’urbanisme de la ville de Blois
2. Les enjeux de la prise en compte du risque d’inondation dans un grand projet de requalification urbaine à Angers
3. Analyse comparative et synthèse des résultats
Conclusion
Bibliographie
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