LA LIBERTÉ NATURELLE VUE SOUS L’ANGLE DU CONCEPT D’ÉTAT DE NATURE
Pour aborder la problématique de la liberté, certains penseurs politiques partent d’un concept de philosophie politique appelé « état de nature ». À travers ce dernier, ils cherchent à cerner la liberté humaine en essayant de montrer que l’homme est antérieur à toute organisation d’une société ou d ’une communauté sociale. L’usage du concept d’ « état de nature » a pour objectif de mener une réflexion à titre d’hypothèse de travail. Il est plus précisément question de prouver que la démarche philosophique peut partir d’une fiction de l’esprit en vue d’apporter la lumière à une situation originelle donnée.
Dans notre démarche, nous n’allons pas faire une simple description de l’état de nature mais il sera précisément question de partir de cette description pour montrer comment l’homme peut être considéré comme un ê tre autonome ou hétéronome. En d’autres termes, l’examen de l’état de nature doit nous aider à chercher à voir s’il est possible de parler de la qualité autonome ou hétéronome de l’être humain depuis son existence à l’état primitif. Si les théoriciens du contrat ont commencé à r éfléchir sur la liberté à partir du concept d’ « état de nature », chacun d’eux a tenté de l’aborder à sa manière. Pour les besoins de notre travail, nous resterons dans le cadre de la pensée de Hobbes de façon spécifique avant de voir la position contraire.
La description hobbesienne du pouvoir naturel chez l’homme
Le phénomène de l’état de nature n’a pas commencé avec les philosophes contractualistes , car d’autres penseurs ont réfléchi sur le problème bien avant eux et dès l’Antiquité. Si le concept d’état de nature a été utilisé dans l’Antiquité c’est-à-dire avant les contractualistes, c’est avec Hobbes qu’il refait surface pour faire l’objet d’une étude sérieuse, soutenue, et approfondie. Dans le Droit naturel et histoire, Leo Strauss fait remarquer que :
L’état de nature ne devint un chapitre essentiel de la philosophie politique qu’avec Hobbes, qui pourtant s’excusait presque d’employer ce terme. Ce n’est que depuis Hobbes que la doctrine philosophique de la loi naturelle est devenue essentiellement une doctrine de l’état de nature. Avant lui, l’expression « état de nature » était usité dans la théologie chrétienne bien plus qu’en philosophie politique .
Thomas Hobbes qui est le premier parmi les philosophes contractualistes de son temps à aborder le problème de l’état de nature s’est fondé sur trois ouvrages majeurs à savoir The Elements of law, écrit en 1640, le De Cive, publié en 1642, et le Léviathan, publié en 1651. Simone Goyard-Fabre fait remarquer que dans ces trois ouvrages, Hobbes mène une analyse anthropologique, l’étude du pouvoir civil et des réflexions d’ordre théologique. C’est en ce sens que « dès 1640, il [Hobbes] explique, au début de l’Human Nature, que pour se faire une idée claire des éléments du Droit naturel et de la Politique, il est important de connaître la nature de l’Homme » .
En effet, « le De Cive, comme, quelques années plus tard, le Léviathan, sont des traités de pure théorie ; ce sont des ouvrages de réflexion politique » . Hobbes montre au premier chapitre de De Cive, « l’état des hommes hors de la société civile». Dans cet état, les hommes vivent comme des animaux sauvages d’où sa célèbre formule « l’homme est un loup pour l’homme ». Avant l’accession des hommes à l a société, ils vivaient dans une lutte permanente sans aucune sureté ou sécurité pour le lendemain, car personne ne savait ce qui l’attendait, et il ne savait pas non plus s’il allait survivre. C’est ainsi que Hobbes écrit : « […] l’état naturel des hommes, avant qu’ils eussent formé des sociétés, était une guerre perpétuelle ; et non seulement cela, mais une guerre de tous contre tous » .
Dans le même ordre d’idées, Hobbes tente de rechercher les causes des maux qui minent les humains, les opposent et font qu’ils se considèrent comme des ennemis. Il écrit très clairement que :
Nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelle : premièrement, la rivalité ; deuxièmement, la méfiance ; troisièmement, la fierté [Glory]. La première de ces choses fait prendre l’offensive aux hommes en vue de leur profit. La seconde, en vue de leur sécurité. La troisième, en vue de leur réputation. Dans le premier cas, ils usent de violence pour se rendre maîtres de la personne d’autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour défendre ces choses. Dans le troisième cas, pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur […].
L’approche d’une fiction de l’esprit fondée sur l’indépendance
Il s’agit d’examiner dans ce sous chapitre un autre point de vue différent de celui de Hobbes sur la description de l’état de nature. Autrement dit, la position hobbesienne ne peut pas être universalisable dans la mesure où il y a d’autres auteurs qui font d’autres options voire analyses en ce qui concerne la conception de l’état de nature. Il est question de montrer précisément qu’il y a d’autres manières possibles de concevoir l’état de nature en dehors de la vision hobbesienne.
En effet, en ce qui concerne Rousseau, ses principaux ouvrages concernant l’état de nature et surtout la liberté sont le discours sur l’origine de l’inégalité, publié en 1755 et Du contrat social, publié en 1762. R ousseau a écrit le discours pour répondre à un concours organisé par l’académie de Dijon. Ce concours portait sur la question suivante : quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? Pour y répondre, Rousseau part d’un concept de philosophie politique c’est-à-dire l’état de nature. Cependant, il convient de signaler que Rousseau n’est pas le premier à théoriser le problème de l’état de nature, car d’autres auteurs l’ont évoqué avant lui. Il va s’appuyer sur ces auteurs afin d’apporter sa pierre à l’édifice. C’est ainsi que Blaise Bachofen et Bruno Bernardi dans l’introduction du Discours sur l’inégalité soulignent précisément que : Lorsqu’il découvre la question mise au concours par l’Académie de Dijon, Rousseau est préparé à la prendre en charge. Il lit et fréquente depuis longtemps les philosophes dont il va s’inspirer ou dont il va discuter les thèses, explicitement ou implicitement (Aristote, Grotius, Hobbes, Pufendorf, Locke, Condillac…). De même, les naturalistes anciens ou modernes (Pline, Linné, Buffon…) et les innombrables témoignages de ce que l’on a appelé la « science des voyageurs » qui nourrissent son texte .
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE PREMIER : LA LIBERTÉ NATURELLE VUE SOUS L’ANGLE DU CONCEPT D’ÉTAT DE NATURE
1. La description hobbesienne du pouvoir naturel chez l’homme
2. L’approche d’une fiction de l’esprit fondée sur l’indépendance
3. Les conséquences de la liberté naturelle dans la pensée hobbesienne
CHAPITRE 2 : LA SIGNIFICATION ET LA PORTÉE HISTORIQUES DE L’ÉTAT DE NATURE
1. La théorisation d’une méthode déductive
2. La difficulté de la conceptualisation de la nature humaine
3. L’impossibilité ou la possibilité d’une éthique en l’absence de loi
CHAPITRE 3 : LA TENTATIVE D’UNE RÉFLEXION RELATIVE À L’AUTONOMIE OU L’HÉTÉRONOMIE CHEZ HOBBES
1. Les conditions de possibilité de la réalisation d’une véritable autonomie
2. L’organisation de la société politique comme moteur et fondement de la liberté
3. Le passage de l’état de nature à la société civile comme marque et indice d’autonomie
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE