Le cas indien est digne d’intérêt pour de multiple raisons. Il témoigne d’abord de l’ambition nouvelle d’un Etat d’un milliard d’habitants, qui fut un pays phare de la décolonisation, puis un leader des mouvements des non-alignés. L’Inde est au quatrième rang des économies mondiales avec un produit intérieur brut (PIB) estimé à 1430 milliards US en 2010. Ce PIB est largement loin derrière celui de la Chine qui s’élève à 5740 milliards. Cependant, le taux de croissance de l’économie indienne dépassera celui de la Chine dès la période 2013-2015 .
On est alors amené à comprendre comment l’Inde a gagné sa place sachant qu’elle a été loin derrière après la décolonisation et à partir de cela, connaître son éventuel rôle dans l’économie mondiale, tout cela dans un environnement unique à l’Inde.
L’économie indienne était une économie faible au lendemain de la décolonisation. L’Inde optait pour un protectionnisme économique mais cela s’est avéré peu performant. Suite à l’échec de cette politique, l’Inde a connu deux réformes économiques (le premier vers les années quatre vingt et le second en 1991) pour relever cette économie. La première, des années quatre-vingt, était encore hésitante mais la seconde était plus poussée. Les réformes se sont principalement portées sur la libéralisation économique, l’Inde a opté pour une économie de marché en démantelant les contrôles bureaucratiques qui paralysaient son économie.
La libération financière au secours de la croissance économique
La libéralisation financière est habituellement considérée comme l’antipode de la répression financière. Pour définir la notion de libéralisation, on a souvent recours aux notions de dérégulation ou de déréglementation (suppression des prescriptions et des interventions de l’Etat) et de privatisation. Il est aussi question de l’instauration de conditions de marché ou de mesures visant à permettre à des concurrents d’accéder au marché. Dans une libération financière la concurrence est stimulée et il existe une libre entrée à une activité économique aux agents économiques. La croissance économique quant à elle est l’accroissement sur une longue période des quantités de biens et services produits dans un pays, mesurées année après année, en général.
Les justifications théoriques et pragmatiques de la libéralisation financière
La libéralisation financière est soutenue par plusieurs arguments, l’objectif de croissance économique en est le plus important. On peut en effet considérer que la déréglementation des activités financières fournit un cadre propice à une croissance économique significative, à travers plusieurs mécanismes distincts. Tout d’abord, la libre circulation des capitaux, c’est-à-dire que même les barrières quantitatives sont inexistantes, permet de financer de manière plus rapide et efficace les activités de production et d’investissement de l’économie. Ainsi, l’absence d’encadrement du crédit permet aux banques nationales de mieux satisfaire les demandes de crédit des entreprises, et la libre circulation internationale des capitaux permet à ces dernières de bénéficier de l’apport des capitaux étrangers. Cela va permettre aux entreprises de produire plus. En deuxième lieu, grâce au développement de la concurrence, la déréglementation des taux d’intérêt et des commissions et marges fait baisser le coût d’intermédiation financière. Cela peut attirer les entreprises étrangères mais aussi à rendre le crédit plus accessible pour les entreprises locales. En troisième lieu, ces phénomènes conjugués peuvent ainsi contribuer à une meilleure affectation des ressources en capital. Ces ressources ont théoriquement beaucoup plus de chances d’être allouées aux demandeurs de crédits les plus productifs à de faibles coûts. Ces demandeurs de crédits font aussi partie de ceux qui sont les plus créateurs de croissance. Finalement, les risques sont réduits pour les investisseurs prudents, ils sont donc beaucoup plus rassurés pour l’activité par l’intermédiaire du marché boursier – le risque étant alors reporté sur la fraction de spéculateurs présents sur les marchés. La théorie dite des « marchés efficients » s’avance plus encore dans la thèse de l’efficience de l’allocation : sous certaines conditions, elle affirme que les prix des titres ou des crédits représentent parfaitement leur valeur fondamentale, c’est-à-dire leur valeur compte tenu de l’ensemble des informations disponibles sur ces produits (rentabilité, risques, etc.). Une manière de dire, entre autres, qu’un marché financier libéralisé incite par son libre jeu à investir dans les entreprises les plus productives. Même si on laisse de côté cette thèse extrême (et très critiquée par les opérateurs financiers eux-mêmes), un certain nombre d’indices pourraient donc finalement laisser penser qu’il existe une relation rigide entre libéralisation financière et croissance économique, la première favorisant nettement la seconde.
L’absence de corrélation entre libéralisation financière et croissance économique
Sur le plan empirique, il n’y a pas vraiment de corrélation démontrée entre libéralisation financière et croissance économique. On est ainsi amené à se baser sur des faits historiques. Tout d’abord, il convient de préciser que pour éviter les crises tels que les déficits budgétaires et les déficits de la balance des paiements, les pays avancés ont accéléré le processus de mutation financière et aussi la dérèglementation financière dans les années quatre-vingt, dans le but d’attirer les capitaux étrangers. Notons qu’éviter les crises, comme il a été dit implique une manipulation du taux de croissance. Malgré cela, des observations historiques permettent de constater qu’un marché financier dérèglementé ou un processus de libération financière ne sont ni des conditions nécessaires, ni suffisantes pour une croissance économique soutenue sur une longue période. Les Trente Glorieuses, période de forte croissance économique avec un système financier fortement réglementé, et le Big Bang financier de la City, qui n’a pas eu d’impact évident sur la (faible) croissance de l’économie britannique appuient cette thèse. En plus de cela, les taux de change constituent aussi un facteur qui fait que la libéralisation financière n’implique pas nécessairement une croissance économique. En effet, la libéralisation financière peut favoriser l’économie d’autres pays ou d’un groupe de pays et non l’économie locale à cause de la liberté de l’échange. Sans nul doute, le seul lien parfaitement évident entre libéralisation financière et croissance économique reste un lien théorique de moyen à fin, non démonstratif, mais qui, à la base de l’action de certains décideurs économiques, explique la récente libéralisation financière. Aucune relation empirique significative stable n’a semble-t il pu être démontré, ni dans un sens, ni dans l’autre. La libéralisation financière sur longue période, de manière avérée, n’a pas d’effet sur la croissance en général.
Impact de la libéralisation financière sur la pauvreté
D’une part, par l’intermédiaire de la croissance économique, la libéralisation financière peut toucher la pauvreté. La croissance économique est une condition nécessaire mais non suffisante à la réduction de cette pauvreté. Pour un taux de croissance donné, l’ampleur de la réduction de pauvreté correspondante dépend de la répartition initiale des revenus, de la manière dont les inégalités évoluent et de la façon dont les pauvres prennent part à la réalisation de cette croissance. Théoriquement, une forte croissance soumise à un accroissement des inégalités de revenus est susceptible de pénaliser les ménages pauvres, les riches devenant plus riches alors que les pauvres s’appauvrissent davantage. D’autre part, la libéralisation financière peut avoir un impact direct sur la pauvreté. En effet, grâce à l’accès aux facilités de crédit et de dépôt, le bien-être des ménages pauvres évolue. En effet, dans les pays où le système financier n’est pas assez développé, on assiste à une situation où :
– les banques ne disposent pas de procédures efficaces d’évaluation des demandes de crédit manquent d’expertise pour assurer la surveillance des performances des emprunteurs ;
– il existe des contraintes physiques, comme la couverture géographique insuffisante des agences bancaires, qui empêchent l’accès des pauvres au système financier formel ;
– il n’existe pas d’institutions financières spécialisées dans la fourniture des services financiers pour les pauvres.
Par conséquent, les individus pauvres retournent vers le secteur financier informel, la thésaurisation ou l’autofinancement. Dans ce cas, le système financier n’est pas favorable aux pauvres et fait décroître leur revenu moyen à cause de l’augmentation des inégalités qui en résulte. L’évolution du système financier peut avoir un impact positif sur le revenu moyen des pauvres. En effet, le développement financier et l’innovation financière rendent le système bancaire formel plus capable à fournir de façon rentable des services d’épargne et de crédit aux pauvres, en réduisant les coûts de transaction sur le marché du crédit et en permettant la mise en place de services financiers adaptés aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) et Très Petites Entreprises (TPE). Cependant, à partir d’un certain niveau d’approfondissement, l’évolution du système, si elle n’est pas contrôlée, peut faire apparaître des effets pervers qui pénalisent les pauvres. Il s’agit particulièrement de l’instabilité financière et des crises financières.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : LA LIBERATION FINANCIERE ET LA CROISSANCE ECONOMIQUE
Chapitre I : Justifications de la libéralisation financière
I- La libération financière au secours de la croissance économique
1- Les justifications théoriques et pragmatiques de la libéralisation financière
2- L’absence de corrélation entre libéralisation financière et croissance économique
II- Impact de la libéralisation financière sur la pauvreté
Chapitre II : Critique de la libéralisation financière
I. Critique de l’approche théorique de la libéralisation financière
II. Les irrégularités conjoncturelles générées par la libéralisation financière
1- Risque individuel et risque collectif : le risque systémique
2- L’impact des crises financières du 20ème siècle dans les pays développés
3- La libéralisation financière et les pays en voie de développement
III. La complexité de la libéralisation financière
PARTIE II : ANALYSE DES REFORMES ECONOMIQUES EN INDE
Chapitre III : Les justifications des réformes économiques en Inde
I- Une économie pauvre avec une croissance économique lente
II- Une dépendance à l’aide étrangère
III- Une agriculture insuffisante
Chapitre IV : Les réformes économiques indiennes
I- Les réformes des années quatre-vingt
II- Les réformes lancées à partir de 1991
1- La dérèglementation industrielle
2- L’assainissement des finances publiques
3- De timides aménagements du système fiscal indien
4- Vers un début de modernisation du système bancaire et financier
Chapitre V : L’Inde après réforme
I- Les changements radicaux
1- L’agriculture
2- Le secteur manufacturier
3- Compétitivité internationale
4- Les services
5- Croissance économique
6- L’assainissement budgétaire
7- Les sources de tensions et de fragilité
II- Evaluation de l’économie indienne
1- Performances macroéconomiques
2- Promotion de l’investissement privé
3- L’assainissement budgétaire
4- Réduction de la pauvreté
5- Rationalisation des subventions
6- La réforme fiscale
7- L’entrée de nouveaux établissements de capitalisation dans le secteur bancaire
8- Libéralisation plus poussée
9- Promotion de l’éducation
Chapitre VI : Les prévisions pour l’avenir
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes