LA LIBERATION CULTURELLE
Dans toute entreprise de libération il faut nécessairement faire une sorte de diagnostique de la situation qui prévaut. Chez Nkrumah cette situation est fortement empreinte d’un passé désastreux issu d’une domination coloniale. Une domination qui visait à détruire à priori la culture africaine.
A cela s’ajoutent certaines manières de vivre hérités des cultures africaines qui ne concordent pas avec l’affirmation des peuples africains. C’est pourquoi il écrit : « la libération d’un peuple entraine des principes exigeant le dépistage et l’abolition de la domination impérialiste, qu’elle soit politique, économique sociale ou cultuelle» . Raison pour laquelle tout le combat de Nkrumah a pour finalité la détérioration pure et simple de la colonisation car comme a eu à le montrer Ferdinand Chindji-Kouleu : « la colonisation a plongé les Africains dans une nuit noire et a bouleversé complètement leur personnalité et leur conception du monde au point où ils ne font plus rien sans se référer au monde occidental. Ce sont des êtres dépersonnalisés ». Cela va sans dire donc qu’il faut une nouvelle considération de la position de l’Afrique face au monde. D’où l’idée d’une renaissance africaine.
l’idée d’une renaissance africaine
Face à cette situation délétère, d’embrouille, il faut une sorte de révolution qui permet à l’Africain de se retrouver. Et pour cela il faut une sorte de rupture avec certains dogmes et croyances qui constituent autant d’obstacles à la liberté de pensée et d’action.
Dogmes et croyances
La révolution doit être totale. Pour cela elle doit s’attaquer à tout ce qui constitue nos mentalités rétrogradées : nos dogmes et croyances qui, en fait sont des facteurs de blocage. En effet, la conception matérialiste de Kwamé Nkrumah ne croit pas à la supposée force libératrice de la religion et autres pratiques ancestrales. Ainsi, il se propose une certaine revisite de ces pseudo-valeurs qui, selon lui, sont des freins pour l’émancipation. Et c’est à ce juste titre qu’il écrit : « Il est indispensable de comprendre d’abord le lien sociologique qui existe entre les croyances et pratiques religieuses et la pauvreté d’autre part » . Une façon de dire, si l’Afrique et une grande partie des pays du Sud sont pauvres, cela est du en grande partie à un ancrage dans certaines croyances. Il faut dés lors opérer une rupture avec ces pratiques, car explique-t-il : « la peur a engendré des dieux, et la peur les protège » . Donc, cette croyance aveugle à des superstitions est un frein à toute émancipation.
De même, il est nécessaire de questionner la tradition philosophique pour voir l’impacte que la philosophie avait sur le vécu des peuples. Pour cela, c’est par une brève rétrospective qu’il a montré que, ce n’est pas cette philosophie idéaliste qui joue une certaine efficacité dans le devenir des masses, mais celle-là qui a un impacte réel sur la société. C’està-dire, une philosophie n’est digne de ce nom que si elle répond aux aspirations de la basse classe et non si elle fonde la légitimité d’une classe qui oppresse. Quand Nkrumah dit : « les débuts de l’histoire de la philosophie montrent qu’elle a ses vivantes racines dans la vie et dans la société » , il ne faisait rien d’autre que montrer le but purement engagé de la philosophie. Donc, une façon pour dire que la philosophie a une tradition utilitaire en ce sens qu’elle se soucie du quotidien des peuples opprimés. Elle n’est pas figée. Elle est évolutive. De telle sorte qu’on oserait affirmer, qu’à chaque époque, chaque peuple une philosophie spécifique. Ainsi, il montre comment dans la Grèce antique la philosophie a servi de moyen de départ du peuple sous la domination du clergé. En ce sens il écrit : «Ce fut quand la religion devint moyen communautaire et plus individuelle que le pouvoir des prêtres, déjà implicitement mis en question par des philosophies nouvelles diminua sensiblement » . Cette position de Nkrumah est contre tout dogmatisme.
Aussi, Nkrumah fait cas des différents systèmes philosophiques qui se sont succédés pour montrer que c’est en s’insurgeant contre des dogmes qu’elle est devenue facteur de libération. En effet, de Thalès à Héraclite en passant par Anaximandre il est aisé de reconnaitre que la philosophie est source d’émancipation. Thalès prit l’eau comme principe premier à travers duquel il postulait la provenance matérielle du monde pour supposer l’égalité entre les hommes. Ensuite, vint Anaximandre qui prit la justice comme principe unique de l’ordre du monde. Enfin, Héraclite trouve dans l’opposition des contraires, la dynamique qui anime toute société évolutive.
Toutefois, il faut remarquer que ce n’est pas à des fins purement historiques que Nkrumah a revisité cette facette de l’histoire de la philosophie. Mais c’est pour restaurer à la philosophie la tâche qui lui est dévolue. Une façon de dire : « l’univers était passé des mains des dieux dans les mains de l’homme » . C’est pourquoi la philosophie aristotélicienne et platonicienne s’inscrivait dans cette même mouvance. La philosophie d’Aristote a montré que, même si l’humanité a eu à se départir de la sujétion de l’Eglise, ceci n’a pas perduré car celle-ci a trouvé en la philosophie spéculative et métaphysique de Platon un moyen pour mystifier les masses et les asservir une fois de plus. Mais il a fallu l’avènement de l’aristotélicisme pour que la pensée soit accessible à la masse.
Cependant il est important de noter que la philosophie antique ne comporte pas toujours les germes d’une libération des masses. Elle comporte en elle des limites. Car ni Platon, encore moins Aristote ne sont parvenus à leur fin. Le premier échoua quand il voulu inculquer sa doctrine politique au futur roi de Syracuse. Le second, a manqué d’influence sur Alexandre Le Grand. Ainsi l’échec de ces deux théories était à chercher dans le caractère purement idéaliste de leur conception que la raison ne pouvait pas accepter. En ce qui concerne la théorie de Platon voilà ce qui constitue son échec : « Pour Platon, une fois que la société aurait été constituée selon les conseils donnés dans la république, la société parfaite aurait été créée. Or, ce qui est parfait ne s’aurait être perfectionné » .Et pour Aristote, « Quant à Aristote, dans la mesure où il considérait la démocratie comme la forme sociale parfaite, il présenta lui aussi l’idée d’une évolution sociale finie » . Nkrumah pourfendeur de philosophies idéalistes ! Oui, à la première interprétation. Mais cela est encore plus profond. Il s’érige en objecteur de conscience pour dire que même l’occident qui a une tradition philosophique n’hésite pas à dépasser certaines formes philosophiques.
Ainsi donc, Nkrumah lance un cri de détresse à l’égard des intellectuels d’Afrique et de la diaspora qui seraient tentés de s’arc-bouter à une philosophie en perte de vitesse. Cette mise en garde relève de deux facteurs. Il faut qu’ils sachent que cette philosophie n’est pas la leur car relevant d’une civilisation différente. Et quand bien même qu’ils l’étudiassent, que cela reste dans le cadre purement culturel et non comme moyen adéquat de lutte pour l’émancipation des Africains.
Mais en y regardant de plus prés, on se rend compte que cette position de Nkrumah à l’égard de la philosophie idéaliste est trop radicale. En effet, l’histoire a montré que les plus grands projets politiques qui vont dans la mouvance de la libération des masses populaires ont eu comme fondement des théories avant de d’aboutir à des applications pratiques de telle sorte que, reprocher à Platon sa cité idéale dans « LA REPUBLIQUE » semble un leurre. Peut être la seule objection qui vaille, était que ses philosophies ne devraient pas se limitaient à la simple théorie et qu’il fallait embrasser une applicabilité. D’ailleurs, c’est ce que des philosophes comme Platon ont voulu faire même si des issues heureuses n’ont pas suivi.
Nkrumah s’insurge contre toute copie béate de la philosophie occidentale. Adoptant par là une autre vision philosophique adaptée au contexte africain. Pour ainsi dire que les africains doivent penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Mais la philosophie tend à l’universalité de la pensée. Dès lors vouloir spécifier une philosophie à l’africaine semble incompatible avec les fondamentaux de la philosophie. Ainsi, toutes philosophies limitatives comme celle de Tempels et autres adeptes de la philosophie Négro-africaines, dès quelle usent de l’expression : philosophie africaine, semblent rétrécir le champ de rationalité et par ricochet freiner la liberté de penser et maintenir les peuples africains dans l’amorphisme intellectuel.
Parlant des dogmes, Youssouph Mbargane Guissé s’insurge contre la spécificité d’une philosophie Africaine et appelle pour une rupture car, explique-t-il « l’humanité tout entière s’efforce de produire une nouvelle pensée proprement post philosophique ». Selon Youssouph Mbargane Guissé, il est inutile de postuler pour une philosophie Africaine. Il faut impérativement entrer dans la mouvance du monde.
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Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE : La libération culturelle
CHAPITRE PREMIER : L’idée d’une renaissance africaine
SECTION 1 : Dogmes et croyances
SECTION 2 : Les préjugés sur l’Afrique
CHAPITRE II : Eveil des consciences
SECTION 1 : Révolution historique
SECTION 2 : La synthèse des cultures
DEUXIEME PARTIE : En quoi la philosophie peut-elle permettre la libération totale et durable des masses populaires ?
CHAPITRE PREMIER: Par la libération des contraintes matérielles et morales
SECTION 1 : Libération des contraintes matérielles : une politique d’industrialisme facteur de développement
SECTION 2 : Libération des contraintes morales : l’instauration d’une justice sociale
CHAPITRE II : Par la libération politique : l’Unification africaine en question
SECTION 1 : Intégration politique
SECTION 2 : Intégration économique
CONCLUSION