La lecture littéraire et les postures de lecteur au lycée

« En français, on fait dire à un auteur ce qu’il ne dit pas », cette réflexion formulée par un camarade de classe lorsque j’étais lycéenne pourrait encore être celle d’un élève aujourd’hui tant la pratique de l’interprétation des textes peut être délicate à mener. Elle traduit plusieurs difficultés de la part des élèves confrontés à un texte littéraire. Tout d’abord, sortant du collège, les nouveaux lycéens ont appris à affiner leur compréhension des textes. Ils ont parfois beaucoup travaillé sur le sens littéral et intégré la méthodologie de la citation pour isoler les éléments saillants du discours, ceux qui résument le sens global du texte. La démarche interprétative peut alors sembler bien plus arbitraire. Si interpréter signifie voir dans le texte un sens supplémentaire caché, la frontière peut être mince entre ce qui relève de l’implicite et ce qui relève de l’imagination de l’interprète. Cela touche alors à une autre difficulté, celle de la conception de l’auteur et de la place du lecteur. En effet, le premier, créateur du texte, est souvent considéré par les élèves comme un être omnipotent dans sa création : il l’a créé du début à la fin, il l’a pensé et l’a imprégné de son discours, impossible donc d’imaginer que le lecteur puisse trouver dans son texte un sens auquel il n’aurait pas pensé. J’ai encore retrouvé quelques héritiers de mon ancien camarade de classe dans mes classes de seconde, notamment dans l’une d’elle au profil majoritairement scientifique. Travailler l’interprétation au lycée supposait donc d’aider les élèves à sortir de la paraphrase, de la répétition du sens littéral du texte, et de les légitimer dans leur posture de lecteur interprète, de leur montrer qu’ils pouvaient avoir des choses à dire sur les textes.

CADRE THEORIQUE : LA DIDACTIQUE DE LA LECTURE

La lecture

La lecture est un processus cognitif complexe. Elle mobilise chez le lecteur des compétences de compréhension diverses, des schémas déterminés mais aussi l’aptitude à se laisser surprendre par la nouveauté.

Avant la lecture

Avant même d’ouvrir le livre ou de se plonger dans le texte qu’il a sous les yeux, le lecteur mobilise un horizon d’attente et des codes préétablis qui lui permettront d’appréhender le sens du texte. Dufays (2005) nomme ce processus « la lecture d’avant la lecture » et y distingue deux aspects : la « finalisation » et le « précadrage ». La finalisation concerne les valeurs du lecteur qui vont orienter le texte : cet engagement affectif et axiologique explique donc, avant même que la lecture proprement dite soit commencée, les réceptions différentes d’un même texte. Le précadrage, quant à lui, attribue au texte des caractéristiques que le lecteur pense lui être propres : ces caractéristiques peuvent découler de connaissances que le lecteur a sur l’auteur, sur son style, ou bien encore sur le genre auquel l’œuvre semble être rattachée. C’est pourquoi Dufays distingue des précadrages « psycho-biographiques », « co-textuels », « typogénériques » ou «historiques ». Dufays souligne néanmoins que, dans le cas d’un élève lecteur, ce précadrage peut être quasiment inexistant puisque la scolarité expose souvent les élèves à des faits littéraires qu’ils ne connaissent pas ou très peu.

Les différentes tâches de compréhension

Une fois le livre ouvert, ou le texte commencé, le lecteur est plongé dans une tâche de compréhension. Cette dernière est alors à la fois locale et globale, pour reprendre la terminologie de Dufays. La compréhension locale concerne la reconnaissance des lettres et des mots. Un premier élargissement est ensuite nécessaire : il s’agit de comprendre le sens global formé par les mots constituant des phrases. Le lecteur mobilise donc des schémas déjà acquis, notamment syntaxiques, pour reconstituer le sens des phrases. Ainsi, toute anomalie peut entraver la compréhension du sens : que ce soit des anomalies syntaxiques comme en poésie ou dans un texte du XVIIe siècle, ou encore des anomalies dans la ponctuation. Dès lors, la lecture demande au lecteur de mobiliser son habileté et sa culture pour déchiffrer le sens des phrases du texte lu. La compréhension doit ensuite être globale. Mais loin de venir dans un second temps, il apparaît qu’elle se construit en même temps que la compréhension locale qui l’alimente. Ainsi, Dufays souligne que, pour pouvoir donner tout son sens à un texte, il faut rattacher sa compréhension locale à un cadre générique. Viennent ensuite les recours à des schémas narratifs et thématiques qui vont permettre au lecteur de donner sa cohérence au texte lu. En effet, habitués à la lecture d’un roman policier, le lecteur va reconnaître par exemple les étapes du crime, de l’enquête et de la résolution du mystère. On peut ajouter à cela l’identification des relations logiques de cause, conséquence, opposition, etc. Enfin, Dufays fait aussi mention de la question de l’énonciation : la construction du sens d’un texte est tributaire de l’identification de son schéma énonciatif mais aussi de son mode. Ainsi, le lecteur entre déjà dans un degré supérieur de compréhension de ce qu’il lit en essayant de déterminer si le texte est assumé (énonciation du « 1 er degré »), mis à distance (« 2 e degré ») ou énoncé de manière ludique ou indécidable (« 3e degré »).

Il est cependant important de noter que cette compréhension locale et globale du texte ne se fait pas toujours à partir d’un matériau complet et exhaustif. En effet, le texte comporte des « blancs » et des contradictions qui demandent au lecteur un effort d’imagination ou d’interprétation. Il lui faudra ainsi imaginer ce qui a pu se passer dans les ellipses temporelles pour donner du sens aux évènements qui lui sont décrits. C’est notamment ce à quoi invitent particulièrement les romans policiers : pour trouver la solution au mystère, le lecteur, avec le personnage enquêteur, tente d’imaginer ce qui s’est passé avant le texte ou dans ses ellipses.

Le lecteur doit donc composer à la fois avec ce qu’il connaissait avant de lire le texte, avec ce que le texte lui donne et avec ce qu’il doit lui-même lui ajouter. Le processus de lecture est donc un processus profondément dialectique, faisant jouer ensemble les divers stades de compréhension, mais aussi les connaissances du lecteur qui voit s’ajouter, aux connaissances qu’il possédait déjà sur le sens des mots ou le genre du texte par exemple, de nouvelles façons de combiner les mots et les images pour créer de nouveaux sens.

L’interprétation : la question du message caché 

Les opérations de compréhension d’un texte sont donc complexes et mobilisent déjà les compétences d’interprétation du lecteur. Par exemple, dans un texte poétique, Dufays (2005) souligne que l’opération de compréhension se double immédiatement d’une opération d’interprétation : il s’agit d’enrichir le sens local d’un sens symbolique. Le champ lexical du feu par exemple, employé dans un poème, peut en effet recouvrer un sens précis, évoquer la passion ardente par exemple, alors que dans un roman il pourrait simplement évoquer la destruction de quelque chose. Traditionnellement, le terme interprétation est réservé à l’opération qui consiste « à questionner les écrits au-delà de qu’ils annoncent à la première lecture pour élucider ce qu’ils tentent de nous dire par ailleurs ou de surcroît » (Butlen, 2010). Après avoir saisi le sens donné par le texte, il s’agirait donc de saisir le sens caché. Cela implique donc que l’interprétation soit seconde par rapport à la compréhension. Cependant, cette opération de recherche du sens caché, comme nous l’avons vu plus haut, intervient aussi lorsque le lecteur doit effectuer des inférences pour préciser le sens d’un texte, ou qu’il est confronté à des problèmes de polysémie par exemple. On peut alors définir l’interprétation ainsi :

La compétence « interpréter » met en jeu des activités cognitives variées puisqu’elle porte aussi bien sur l’élaboration d’inférences que sur la construction de la signification globale du texte ; elle est ancrée sur l’utilisation d’informations provenant du texte. Elle peut faire appel au métalangage (Ministère de l’Education nationale, DEP, 2002, cité par Butlen, 2010, p.54).

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Table des matières

Introduction
I. Cadre théorique : la didactique de la lecture
1. La lecture
1.1. Avant la lecture
1.2. Les différentes tâches de compréhension
1.3. L’interprétation : la question du message caché
2. La lecture littéraire
2.1. Le sujet lecteur
2.2. Le changement de posture du lecteur
2.2.1. Observateur objectif de la mécanique du texte
2.2.2. « Participant psychoaffectif »
2.2.3. Lecteur actif, entre implication et recul critique
3. La lecture littéraire dans les programmes
3.1. Les enjeux d’une relation complexe entre texte et lecteur
3.2. Compréhension et interprétation : le prolongement du geste de lecture
3.3. La lecture littéraire comme apprentissage de l’argumentation
4. Problématique et hypothèses
II. Recueil de données
1. Objet et support de l’analyse : les travaux d’élèves
1.1. Méthodologie de la « Recherche-Expérimentation »
1.2. Problématiques et besoins dans les classes de 2nde 2 et 2nde 5
2. présentation des dispositifs didactiques mis en place
2.1. Analyser et interpréter un élément isolé d’une œuvre ou d’un texte
2.1.1. Interpréter un personnage : Taratonga dans J’ai soif d’innocence de Romain Gary
2.1.2. Interpréter un motif récurrent : le rhinocéros dans Rhinocéros de Ionesco
2.2. Analyser et interpréter un texte littéraire dans des exercices scolaires
2.2.1. La reprise d’une partie de commentaire composé
2.2.2. La lecture linéaire en autonomie : avec énoncé des impressions de lecture
3. Analyse des travaux d’élèves
3.1. L’écrit d’appropriation : écrire et interpréter Taratonga
3.1.1. Obstacles rencontrés par les élèves et enjeux didactiques de l’activité
3.1.2. Exploiter les données du texte original
3.1.3. Interpréter avec ses connaissances culturelles et historiques
3.1.4. Interpréter en mobilisant des références intertextuelles
3.1.5. Bilan des schémas mobilisés pour construire l’interprétation d’un personnage
3.1.6. Prolongement de la séance : analyser son propre texte
3.2. Mettre en scène : imaginer et interpréter la présence d’un rhinocéros sur scène
3.2.1. Analyser n’est pas interpréter
Copie de L. (Annexe 4.a)
Copie de F. (Annexe 4.b)
3.2.2. Intuitions interprétatives non réutilisées dans le travail final
Copie de J. (Annexe 4.c)
Copie de T. (Annexe 4.d)
3.2.3. Visualisation d’un décor comme support de l’interprétation : la copie de F.R.
3.2.4. Bilan des postures de lecteur mobilisées
3.3. Reprise d’une partie de commentaire : l’excipit de Bel-Ami
3.3.1. Problème didactique rencontré : analyse des premiers jets et annotations des copies
Copie de N (Annexe 6.a)
Copie de K (Annexe 6.b)
Copie de R (Annexe 6.c)
3.3.2. Analyse des 2èmes jets
Copie de N (Annexe 7.a)
Copie de K (Annexe 7.b)
Copie de R (Annexe 7.c)
3.3.3. Bilan des postures de lecteurs mobilisées dans cet exercice
3.4. Analyse linéaire et impressions de lecture
3.4.1. Enjeux et obstacles de l’exercice
3.4.2. Copie de L. (Annexe 9.a)
3.4.3. Copie de E (Annexe 9.b)
3.4.4. Bilan des postures de lecteur permises par l’introduction d’impressions de lecture
III. Bilan : apports, limites et modifications à apporter aux dispositifs
1. Expliciter ce qu’un texte omet de dire: contexte et « blancs » du texte
1.1. Le commentaire composé : importance du contexte pour l’analyse
1.2. Le travail autour d’une mise en scène d’un extrait théâtral
2. Recentrer l’attention sur l’étude de l’écriture d’un texte
2.1. Faire écrire une partie de commentaire composé
2.2. Interpréter et analyser les écrits de ses pairs
2.3. L’écueil de l’abandon de la posture de lecteur impliqué
3. Recourir aux impressions de lecture
3.1. Les impressions de lecture pour le commentaire composé : une piste à envisager
3.2. Les impressions de lecture pour l’analyse linéaire : une piste à approfondir
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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