La lecture-compréhension en LE : modèles, théories, contextes

La lecture-compréhension en LE : modèles, théories, contextes 

A l‟ère de l‟information et de la connaissance, « la mondialisation, le changement technologique et l‟évolution organisationnelle façonnent à la fois l‟offre et la demande d‟une littératie de niveau supérieur » (OCDE, 2000 : xiii). Des compétences en littératie de plus en plus poussées sont sollicitées pour faire face aux défis actuels que présentent la vie quotidienne, le travail, la formation et la réalisation d’objectifs personnels. Selon Fournier (2000 : 42), jusqu‟aux années 70, on pouvait mener une vie normale en étant illettré, mais aujourd‟hui, rares sont les actions du quotidien qui peuvent s‟en passer. La lecture, comme moyen d‟accès démocratique à l‟information et à la connaissance, serait associée à la libre pensée et à l‟épanouissement personnel.

Qu’est-ce que lire ?

Lire et lecture, deux mots mais une multitude de représentations, de modèles, d‟explications, de point de vus, d‟interrogations. La lecture, parce qu‟elle représente un enjeu individuel et social, est bel et bien l’objet de virulentes polémiques et recouvre donc une étendue conceptuelle aussi vaste qu‟antagonique. Pour encadrer ce travail de recherche, nous développerons les modèles et les méthodes qui essayent d‟expliquer l‟acte de lire et le savoir-lire tout en développant une position propre face à la diversité des perspectives.

Les modèles de compréhension de l’écrit

Contrairement au paradigme behavioriste classique, « l‟approche cognitiviste estime qu‟il est possible, sous certaines conditions, de connaître ce qui n‟est pas directement observable […] et cherche à modéliser les processus mentaux » (Brassart, 2015 : 98). Il existe un ample consensus, comme l‟attestent les ouvrages de Cornaire (1999) et Parodi et al. (2005, 2010), à considérer l‟acte de lire selon trois types de fonctionnements mentaux que le sujet met en œuvre durant le processus de lire. Ces modèles se veulent une explication des traitements du langage dans la compréhension de l‟oral et de l‟écrit. Ils ont eu une incidence très importante dans la création des activités de lecture aussi bien en L1 qu‟en L2. S‟intégrant à une démarche de type procédurale, chacun donne pourtant un rôle prépondérant à un des facteurs qui entrent en jeu dans le traitement de la lecture. Le modèle Ascendant (ou bottom-up) soutient que le sujet part des unités linguistique de bas niveau (graphèmes, syllabes, mots, phrases, énoncés entiers) afin d‟activer certains schémas de connaissance (stockés dans la mémoire de manière logique et hiérarchique) et pouvoir construire l‟information sémantique du texte. Par ce procédé, le lecteur réalise une lecture du type déchiffrage pour accéder à l‟information du texte. La reconnaissance des unités de base est suffisante pour lire ou, au moins, condition nécessaire. Pour Gaonac‟h (1991 : 161), les traitements de bas-haut sont essentiels pour le fonctionnement du système, « il semble même qu‟un des déficits les plus importants des mauvais lecteurs ou des lecteurs débutants concerne les compétences du bas de la hiérarchie ». Voilà pourquoi la lecture-compréhension a longtemps été assimilée, et ce jusqu‟aux années 80, à la traduction littérale et à l‟enseignement explicite de la grammaire (Pasquale et al., 2010 : 21). Selon l‟hypothèse de traitement Descendant (top-down), les indices les plus efficaces pour la lecture proviennent des connaissances du contenu de référence et des caractéristiques liées aux genres et types textuels (Gaonac‟h, 1991 : 160). Pour ce modèle, le lecteur se sert premièrement des unités de haut niveau, constituées par les connaissances préalables ou schémas de connaissance mentionnés, mais aussi par les scénarios, les croyances et les expériences personnelles qui guideront la construction des hypothèses sur le sens du texte. Dans un deuxième temps, il sélectionne un certain nombre d‟indices linguistiques du texte à mettre en rapport avec ces hypothèses. Il s‟agirait, d‟une certaine manière, de trouver ce que l‟on a prévu. Les tenants de ce modèle affirment que les lecteurs efficaces sont ceux qui peuvent le mieux tirer profit du contexte. L‟apport de Carrell (1990), qui sera étudié dans le point 2.1, est un bon exemple de ce postulat. En général, les activités didactiques fondées sur ce modèle respectent un ordre rigoureux : pré-lecture, lecture et post lecture pour l‟activation des connaissances préalables et la formulation d‟hypothèses comme moyen d‟anticipation. Ce n‟est qu‟ultérieurement qu‟on procède à travailler les nuances des unités inférieures.

A notre avis, la formulation soit purement linguistique soit essentiellement séquentielle des deux modèles précédents ne suffisent pas à expliquer le processus lecteur. Le modèle Interactif, celui auquel nous adhérons, postule que « l‟efficacité de la lecture tient sans doute surtout à la possibilité d‟interaction entre les différents niveaux, à la convergence de processus bas-haut et haut-bas (Gaonac‟h, 1991 : 161). Les premiers consistent à décoder les unités linguistiques pour les confronter aux connaissances générales. Les seconds interviennent pour l‟élaboration de prédictions sur le texte, comme on a déjà signalé plus haut, prédictions que l‟on confirmera ou infirmera lors de la lecture. Le tout dans un va et-vient constant entre les deux niveaux, c‟est-à-dire, dans un processus dynamique et stratégique. Cette démarche recouvre les compétences d‟ordre langagier (linguistiques, discursives…), pragmatique (projet lecteur, stratégies, circuit énonciatif…) et sémiotique (contextualiser, prélever des indices, anticiper, inférer, construire du sens, résumer…) du lecteur, ses expériences, ses attentes, ses connaissances du monde et des textes. Les interactions entre les composantes compensent les déficits qui peuvent surgir lors de la lecture. La contribution de Moirand (1976) avec son Approche Globale de textes écrits, que nous approfondirons plus loin, constitue un premier pas vers un modèle interactif.

C‟est ce type de traitement que nous retiendrons car il combine les deux propositions précédentes dans une dynamique coordonnée et simultanée. La lecture ainsi conçue, n‟est pas une technique mais un dialogue stratégique permanent entre le lecteur et le texte, « une relation à la fois individuelle et culturelle » (Souchon, 1997: 17).

Les modèles didactiques pour la lecture

D‟un point de vue pédagogique, la psychologie cognitive considère que les processus d‟apprentissage diffèrent selon le type des connaissances. Les modèles didactiques pour l‟enseignement-apprentissage de la lecture en L1, issus des apports de Fijalkow (1995, 2000), ont été repris par des chercheuses argentines pour la lecture en FLE (Dorronzoro, 2005 ; Pasquale, 2006 ; Dorronzoro et Klett, 2007). Selon Fijalkow (1995 : 125), la réalité de classe n‟est pas simple à saisir car elle est traversée par de multiples variables, de là que cette différenciation en didactiques ne se présente généralement pas de manière claire et nette. Mais, le fait d‟abstraire des aspects particuliers permet de les reconnaître et de pouvoir mieux intervenir dans la complexité des pratiques pédagogiques.

Pour cet auteur (Fijalkow, 1995 : 126), pendant longtemps, les pratiques en pédagogie de la lecture ont consisté à enseigner aux enfants des connaissances théoriques de type déclaratif en vue de leur faire atteindre des connaissances de type procédural. Ce constat est également corroboré pour l‟enseignement des LE avant l‟essor de l‟approche communicative : l‟enseignement de la grammaire suffisait à faire développer « magiquement » chez les étudiants des savoir-faire. Il reconnaît (Fijalkow, 1995 : 122) trois types de « didactiques de savoir-lire » se rapportant chacune aux différents types de savoirs, ce qui le conduit à distinguer une didactique dominée par une conception déclarative, une didactique à caractère procédurale, et une didactique d‟ordre contextuelle. La Didactique déclarative pour la lecture privilégie l‟enseignement des connaissances déclaratives, soit les unités de base telles que les éléments du lexique et de la grammaire traditionnelle qui sont directement accessibles et s‟apprennent vite. Comme la discipline de référence est la linguistique, la question qui s‟impose, c‟est « Quoi enseigner? ». D‟après cette conception de l‟apprentissage, l‟apprenant reçoit passivement les contenus et les apprend tels qu‟ils ont été expliqués par l‟enseignant. Il s‟agit de transmettre des connaissances de type théorique afin que les apprenants atteignent « naturellement » des connaissances de type procédural. Cette approche se fonde sur une affirmation, à notre avis, fausse « s‟il connaît la langue, il sait lire ». On postule que ce passage s‟effectue sans inconvénient grâce à une transformation des connaissances, processus que les psychologues appellent procéduralisation (Fijalkow, 1995 : 127). L‟apprenant arrive en principe à apprendre le code mais la façon dont il parvient à la construction du sens du texte reste une énigme.

Pour ce qui est de la lecture en LE, l‟enseignement des aspects linguistiques du texte l‟emporte sur sa fonction communicative, référentielle ou épistémique. Le lecteur s‟estompe face à la centralité du texte. Par conséquent, l‟objectif de l‟enseignement de la lecture consiste à former des lecteurs capables de reproduire l‟information d‟un texte, le sens se trouvant ainsi toujours en dehors du lecteur. Il y aurait alors une représentation référentielle du texte plus adéquate que d‟autres, « celle que l‟enseignant prend comme l‟interprétation valable » (Dorronzoro, 2005 : 4). Se plaçant du côté de l‟action, la Didactique procédurale donne la priorité aux connaissances procédurales (savoir-faire) qui sont difficilement accessibles et demandent un apprentissage long (Brassart, 2015 : 99). Une connaissance procédurale détermine deux pôles : « celui de l’intellect, par nature interne, qui correspond au terme « connaissance » et celui, visible, de l’action, qui correspond au terme « procédurale » (Taurisson, 2005 : 139). La question à laquelle elle répond : « Comment apprendre ? » met le lecteur sur le devant de la scène. C‟est lui qui construit le sens du texte à partir d‟une hypothèse générale sur le contenu, de ses connaissances (au sens large) et de sa capacité inférentielle. Contrairement à l‟analyse « modèle » de l‟enseignant, la lecture se présente comme une « découverte » pour un apprenant guidé par son enseignant dans le sens le plus vygotskien (Vygotstki, 2009 [1925-34] : 130-140).

Pour cette didactique, la lecture est essentiellement une activité à laquelle sont convoquées les composantes d‟ordre déclaratif.

« Savoir lire consiste, en effet, à effectuer un ensemble d’opérations permettant d’interpréter convenablement un texte écrit. Dans la mesure où on considère fondamentalement la lecture comme une activité, savoir lire est donc bien une connaissance de type procédural » (Fijalkow, 1995 : 123). 

L‟idée de base, et que nous partageons, est qu‟une connaissance de nature procédurale nécessite une didactique procédurale, en d‟autres mots, on apprend à lire en lisant. Et pour que cela ait lieu, il faut « favoriser des activités de mise en œuvre des inférences et de codification des régularités observées » (Dorronzoro, 2005 : 4).

Ceci dit, même si cette perspective représente une proposition plus achevée que la précédente, elle montre certaines limites car elle se fonde « sur une conception rationaliste selon laquelle l‟apprentissage de la lecture est intimement lié à l‟intelligence du lecteur, sans contempler les propriétés comportementales, historiques ou sociales » (Dorronzoro, 2005 : 5). Bref, une didactique qui ne tient compte que du texte ou une didactique qui ne prend en considération le lecteur que comme un intellect agissant ne peut pas rendre compte du dialogue interactif entre texte-lecteur-contexte auquel nous souscrivons. Il s‟agit donc de faire place « aux circonstances dans lesquelles il convient d‟appliquer les connaissances déclaratives et procédurales » (Fijalkow, 1995 : 141). Dans ce sens, la Didactique contextuelle incorpore à l‟activité de « lire » les objectifs du lecteur, ainsi que le lieu, le moment et les circonstances de lecture. Ce qui se traduit par des questions telles que : quand lire ?, où ?, pourquoi ?, dans quel but ? venant s‟ajouter aux questions précédentes quoi ? et comment ?

Il faut pourtant souligner que, pour Fijalkow, les Didactiques déclarative et contextuelle sont au service de la Didactique procédurale car « savoir lire c‟est, avant tout, savoir comment lire, c‟est-à-dire posséder un savoir de type procédural dont l‟approfondissement relève de la psycholinguistique » (Fijalkow, 1995 : 141). Nous dirons plutôt que la compréhension en lecture est en effet une affaire psycholinguistique mais aussi sociolinguistique. Si la lecture est considérée comme une activité, il n‟est plus possible de la décomposer en parties comme fait l‟approche linguistique, et il n‟est pas non plus pertinent de développer des savoir faire décontextualisés, à l‟instar de techniques, comme préconisé par la démarche procédurale. La Didactique contextuelle renforce l‟idée d‟activité en prenant en compte la situation de lecture dans toute sa complexité. Dans ce cadre, des textes authentiques (et non pas didactisés seulement à des fins de simplification) et des situations de lecture motivantes pour la résolution de problèmes trouvent toute leur place.

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Table des matières

INTRODUCTION
Objets et dimensions
Pertinence
Problématique, hypothèse et cadre théorique pluriel
Terrain et collecte des données
Plan du mémoire
PREMIERE PARTIE : un cadre conceptuel pluriel
1. La lecture-compréhension en LE : modèles, théories, contextes
1.1 Qu’est-ce que lire ?
1.1.1 Les modèles de compréhension de l’écrit
1.1.2 Les modèles didactiques pour la lecture
1.1.3 Les méthodes de lecture
Synthèse de positionnement du Volet 1.1
1.2 La lecture de textes en LE : quelques concepts clés
1.2.1 La lecture comme processus purement intellectuel
1.2.2 La lecture comme activité individuelle et sociale
1.2.3 Lire à l’université en langue étrangère
Synthèse de positionnement du Volet 1.2
1.3. Les cours de lecture-compréhension en contexte argentin
1.3.1. Bref parcours historique
1.3.2 Le contexte actuel de cette recherche
Synthèse de positionnement du Volet 1.3
Synthèse de positionnement du Chapitre 1
2. L’évaluation : paradigmes, logiques et dispositifs
2.1 L’évaluation éducative
Synthèse de positionnement du Volet 2.1
2.2 Une approche épistémologique de l’évaluation
2.2.1 Les générations d’évaluation de Guba et Lincoln
2.2.2 Dimensions, paradigmes, logiques et dispositifs d’évaluation
2.2.3 Docimologie et herméneutique
Synthèse de positionnement du Volet 2.2
2.3 Vers une modélisation
2.3.1 Modèles d’évaluation
2.3.2 Dispositifs d’évaluation formative et certificative
Synthèse de positionnement du Volet 2.3
Synthèse de positionnement du Chapitre 2
Synthèse de positionnement de la Première Partie
DEUXIEME PARTIE : cadre méthodologique, résultats et analyses
3. Cadre méthodologique
3.1 Les représentations sociales
3.1.1 Parcours définitionnel
Synthèse de positionnement du Volet 3.1
3.2 Méthodes de recueil des données
3.2.1 L’enquête
3.2.2 L’entretien
Synthèse de positionnement du volet 3.2
3.3 Méthodes d’analyse
3.3.1 L’analyse de contenu
3.3.2 L’analyse du discours
Synthèse de positionnement du Volet 3.3
Synthèse de positionnement du Chapitre 3
4. Résultats et analyses des données : un terrain argentin
4.1 Le choix du terrain et des sujets
4.1.1 Le terrain
4.1.2 Les sujets
4.2 Résultats et analyse du questionnaire : profil général de la population concernée
4.2.1 Caractéristiques socio-professionnelles
4.2.2 Pratiques enseignantes
4.3 Résultats et analyses des entretiens
4.3.1 Application de l’analyse de contenu
4.3.2 Analyses des entretiens par répondante
5. Discussion
5.1 La lecture-compréhension : un monde fidèle à lui-même
5.1.1 La LC comme pratique centrée sur la construction du sens
5.1.2 La LC comme pratique bilittéracique visant la capacité à reformuler
5.2 L’évaluation : une pratique à géométrie variable
5.2.1 L’évaluation comme un continuum entre deux pôles tension : contrôler et libérer
5.2.2 L’évaluation comme une expérience émotionnellement marquée et marquante
5.3 L’évaluation de la lecture-compréhension : une pratique hybride
5.3.1 L’évaluation à l’université comme espace de formation et de certification
5.3.2 L’évaluation de la lecture-compréhension comme un examen avec des activités de reformulation
5.3.3 La verbalisation groupale dans le cours de lecture-compréhension comme une illusion de la compréhension
5.3.4 L’évaluation comme tâche incontournable du métier de prof axiologiquement marquée
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes

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