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La justice sociale au sein de pratiques pédagogiques
Suite à cette première posture face à l’histoire il a fallu penser à étudier la mise en œuvre de la justice sociale par la politique éducative entre 1921-1940. Pour ce faire, il a été nécessaire d’analyser le rôle du système scolaire dans la constitution de représentations de la culture nationale ». C’est-à-dire, en quoi la représentation sociale que produit le type d’école peut, pour une personne scolarisée au Mexique, légitimer (rendre tolérable) une injustice ? Le système scolaire est en effet l’appareil idéologique qui a contribué, par les pratiques scolaires et l’enseignement, à l’instauration d’une idée de justice sociale dans la société, voire, à la définition des frontières de l’égalité et de la liberté à travers la structuration des normes éducatives de la société. Deux dispositifs se dégageaient de cet appareil. Les dispositifs éducatifs qui ont contribué à instaurer l’institution à partir des pratiques collectives en faveur de la scolarisation (les actions des hommes politiques, des intellectuels, les maîtres, les programmes de soutien scolaire et économique, les écoles au milieu rural, etc.), tout comme les dispositifs discursifs sur la démocratie qui ont influencé les actions politiques de l’époque (les manuels de conduite, les programmes éducatifs, l’opinion publique), ont déterminé les éléments idéologiques de la pédagogie mexicaine. Dans la perspective d’identifier l’officialisation d’une idée de justice, c’est sur ces deux dernières catégories que la recherche a porté. Étudier l’idéologie nationale au Mexique, celle qui découle du mouvement révolutionnaire, nous conduit à vouloir comprendre les appareils de reproduction des mécanismes de contrôle de la société. Dans le but de construire un cadre analytique, nous nous sommes appuyé sur la littérature historique de l’éducation en milieu rural. Cela nous a permis de situer de la manière la plus cohérente possible (à défaut de moyens pour mobiliser une recherche plus aboutie) la grille de contrôle et l’orientation que j’ai prise dans l’analyse des archives exposée dans ce document. Cette thèse expose ainsi une analyse conceptuelle de la justice sociale et de son rapport avec la pédagogie ; la grille de contrôle et le cadre analytique des archives ainsi que les catégories pédagogiques qui nous ont permis d’analyser la structure éducative dont les mécanismes de justice sociale. Dans cette étude, nous analysons les éléments des énoncés qui peuvent permettre la compréhension de la mise en place d’une « idéologie mexicaine » à partir de son programme scolaire donnant lieu à la formalisation des logiques de justice sociale.
La justice sociale au sein de l’institution scolaire
De nombreux travaux, tant dans le domaine de la science politique, que de la philosophie politique et de la sociologie, traitent de la justice sociale. Chercher l’accomplissement de la justice sociale est l’une des vertus politiques des démocraties occidentales. Rawls le rappelle : « La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée » (Rawls, 1971 : 29). Indépendamment de l’époque, ceci a permis, par le désir de son accomplissement, la résolution des conflits, voire l’équilibrage des revendications sociales distinctes dans les contextes publics des sociétés modernes14. En effet, lorsque certains sentiments d’injustice sont résolus, lorsque les sociétés se retrouvent avec les problèmes fondamentaux de leur présent, des nouveaux apparaitront exigeant le même procédé par la suite15. En résumé, la justice sociale est un idéal qui politiquement s’adapte à la culture de chaque société à travers une logique institutionnelle. Sa structuration, c’est-à-dire, la délimitation juridique, voire des normes institutionnelles sur les notions de liberté et d’égalité, facilite le déploiement des actions politiques visant à réduire les sentiments d’injustice16 à travers la réduction des inégalités et la protection des libertés dans diverses situations « injustes ».
L’idée de justice sociale se trouve dans la plupart des institutions des sociétés occidentales modernes. Comme le préconise le binôme libertégalité (Althusser, [1971] 2011])17, cette idée est présente dans les institutions publiques (les organes sociaux de l’Etat) : le système scolaire, le système de santé publique ou de sécurité sociale, le système d’enseignement supérieur, le système législatif, etc. Ces institutions tentent d’aller au-delà des rapports entre les classes sociales, souvent sans y arriver, fondant ainsi un système politique de gestion gouvernementale. Les citoyens qui animent ces institutions deviennent le « moteur » structurant de la nation et les représentations produites par l’histoire et l’expérience collective légitiment son fonctionnement (Handlin, 1982).
Les institutions privées : les religions, la famille, les ONG, le milieu associatif, etc., deviennent alors, à travers le gouvernement, une affaire à laquelle l’Etat ne participe pas directement puisque, dans leur structuration, les institutions publiques sont reproduites (Bourdieu, 1996). Les rapports entre les idées politiques, économiques, morales, religieuses etc., et les actions entre les individus des institutions privées et publiques sont le lien de la solidarité sociale, je veux dire, le fait qu’existe une société qui est en dynamisme constant à travers la nécessité de « coexistence »18 entre les individus (Rawls, 1971)19. Les idées produites par l’interaction des citoyens qui y participent sont le résultat d’un processus de socialisation idéologique. Les individus d’une société doivent réduire leurs « besoins » ou « ambitions »20 personnelles afin de participer à ce « voile de l’ignorance » (Ibid), principe d’impartialité, qui rend possible le pacte social de la société en dépit des « différences » et inégalités » entre citoyens. Ceci donne lieu à la notion de coopération sociale. Ainsi, les institutions prennent « forme » dans la pensée des individus, ce que l’on considère en sociologie comme le champ, en se reproduisant régulièrement à travers l’habitus (Bourdieu, 1992) car l’idée de liberté comme celle de l’égalité font partie des « vertus absolues » des sociétés démocratiques21. Les principes idéologiques sur la culture nationale et la démocratie, l’ensemble des institutions publiques et privées constituent, pour ainsi dire, la structure générale et “matérielle”22 des idéologies. En ce qui concerne le rôle du système scolaire, comment ce système participe-t-il, indépendamment de la mise en place d’une égalité de chances, à la formalisation d’une idée de justice dont les principes distributifs peuvent générer d’autres situations d’injustice au-delà des structures visant à réduire les inégalités sociales ?
Avant de poursuivre l’argumentation conceptuelle, il convient tout d’abord de se demander pourquoi nous devons approfondir l’analyse sur les institutions publiques et privées. Il se trouve que pour cette étude, qui porte sur la justice sociale dans les pratiques pédagogiques, une institution regroupe justement les deux catégories, publiques et privées : l’école23. Au sein de l’école, entendons école en tant que « concept »24, le sens d’un autre concept, celui de la pédagogie, entre en jeu. En sociologie de l’éducation, ces deux concepts de pédagogie et d’école, sont connus sous le nom de style éducatif (Dubet et al., 2010). L’école ne peut pas être pensée sans la pédagogie même si l’une et l’autre, analysées séparément, peuvent faire l’objet d’études spécifiques. L’école, avant d’être un “bâtiment”, est tout d’abord une idée. L’idée de l’école ou bien de tout ce qui est scolaire est systématisée de telle manière qu’elle finit par se matérialiser, c’est-à-dire, se concrétiser avec toute une structure bureaucratique. L’école devient alors un espace-temps qui crée des situations dites « scolaires ». Dans les sociétés démocratiques, l’école est souvent considérée comme un refuge ou un centre où les individus/élèves passent une grande partie de leur vie (à travers leur trajectoire scolaire) et interagissent en dehors de celle-ci lors de leurs insertions professionnelle et sociale. La cohésion sociale relevée de la mise en place du principe d’« égalité des chances » est orchestrée par des parcours éducatifs favorables et équitables à l’ensemble des citoyens. C’est du moins ce que l’on croit.
L’idée de l’école a été répandue dans la majeure partie du monde, et je me concentrerai en particulier sur son influence dans les sociétés occidentales, voire “occidentalisées” comme la mexicaine. Dans une certaine mesure, l’école est le “sanctuaire” de l’éducation, et c’est en elle que le capital culturel tout comme le capital social jouent un rôle central. Comme Durkheim le soulignait dans son livre Education et Sociologie (1922), l’éducation est la capacité, pour une génération, de transmettre ses connaissances à une autre plus jeune. Pourtant ceci ne se réduit pas uniquement à une procédure instrumentalisée entre les générations. Education est une notion, issue de la rationalité pratique, qui regroupe les notions d’école, de connaissance, d’intégration, d’interaction, de solidarité, de cohésion, de coopération, de citoyenneté. En ce sens-là, cette idée est reproduite, voire reconduite, à travers les mécanismes de reproduction de l’institution scolaire et soutenue par la société en général. Bourdieu souligne : « Le monde social apparaît comme allant de soi pour des gens bien constitués socialement ; car l’histoire de l’institution et l’histoire des agents qui la font fonctionner sont orchestrées, ajustées. Devant tout fonctionnement, on peut se demander quelles sont les conditions sociales de possibilité qui doivent être remplies pour que cela fonctionne apparemment sans conditions. Il faut d’une part l’institution, d’autre part les conditions sociales de reproduction de l’institution. Elle se perpétue en changeant (« reproduction » ne veut pas dire reproduction à l’identique ; une des conditions de la reproduction peut être de changer, mais pour sauver l’essentiel25) » (Bourdieu, 1995 : 120).
Le cadre théorico-méthodologique d’exploitation des archives : à la recherche de la notion de la justice sociale dans les archives
la fin du conflit armé de la Révolution Mexicaine, les hommes politiques à la tête de la reconstruction du pays ont commencé par la rédaction de la Constitution Politique en 1917, premier des textes édictés pour l’organisation de la société postrévolutionnaire et première fois que l’on tente d’amener la justice sociale à la totalité de la population. Cette Constitution obligea à réorganiser l’éducation nationale, dans la perspective d’instruire et de former la population aux idéaux révolutionnaires et aux connaissances alors « modernes », seules à même de favoriser la reconstruction de la société. Le cadre théorico-méthodologique d’exploitation des archives, qui constitue la Première Partie de la thèse, montre la méthode d’analyse des archives. Il est exposé dans cette partie le procédé qui nous a permis d’identifier les savoirs idéologiques (inscrits dans l’appareil idéologique) qui s’inspirent de la Constitution et que le gouvernement voulait intégrer au style éducatif, c’est-à-dire, a sa pédagogie à travers les dispositifs éducatifs. Ceux-ci peuvent se lire dans les rapports des inspecteurs éducatifs et dans les discours politiques des archives collectés à l’Archivo General de la Nación – AGN – (Archive Générale de la Nation) et, indirectement, dans les archives qui restituent les opinions des bénéficiaires de cette éducation. Le panorama général de la situation des écoles rurales, lors de la mise en place du système scolaire au Mexique, permet d’observer le discours de l’Etat, autrement dit la logique discursive qui tentait de légitimer une organisation sociale inégale portant en elle une idée de justice sociale.
Le discours d’Etat était précisément imprégné d’un ensemble de savoirs que l’on traitera ici selon deux catégories : les scientifiques/rationnels et les idéologiques/rationnels (Cf. Weber, 1982 ; Habermas, 1985 ; Touraine, 2007). C’est dans les seconds que sont élaborées les représentations de la vie sociale, créés des concepts sur la vie politique, ou encore diffusé le sentiment national, etc. C’est sur ce type de savoirs idéologiques/rationnels32 que j’ai focalisé mon attention, principalement dans le contexte des populations les plus défavorisées suite à la Révolution Mexicaine, afin de comprendre comment une idéologie s’est imposée dans les pratiques pédagogiques, et construites des logiques de justice sociale. Ce faisant, il s’agira de s’interroger sur le fait que cette idéologie a conduit à accréditer la possibilité d’inégalités justes », voire les a rendues tolérables sous les auspices d’une société politiquement pensée comme démocratique.
Les savoirs idéologiques/rationnels de l’école sont l’ensemble des idées qui créent un univers plus ou moins détaillé et légitime de la vie sociale, ceux-ci s’expriment à travers le style éducatif du système scolaire et sont validés par l’histoire officielle d’une nation.
Parties argumentatives de l’analyse de la thèse
La deuxième partie de la thèse Scolariser les élèves : rendre acceptables les inégalités inhérentes à la méritocratie des sociétés modernes répond à la nécessité de comprendre la conception d’une politique éducative à travers certaines conditions historiques : le contexte politique, la situation scolaire, les réformes législatives et les problèmes philosophiques et sociaux d’une « nouvelle » éducation33. Elle permet de dévoiler au lecteur l’art de la problématique de l’objet d’étude depuis la conception de l’éducation indigène. Ainsi, nous présentons un première analyse sur la vision éducative envers les indigènes à partir de la conception de la Nouvelle Espagne afin de retracer historiquement cette scission scolaire au milieu rurale et de donner à l’étude un point de départ. L’analyse comprenne de la même manière le passage de cette époque jusqu’au le Porfiriato (Porfiriat)34 afin d’avoir une vision large de l’objet d’étude.
Par la suite, chaque chapitre englobe l’époque d’analyse (1921-1940) avec des axes d’étude différents afin de rendre compréhensible les conditions socio-historiques du sujet de départ. Scolariser les élèves au Mexique après la Révolution consistait à scolariser et rendre justice au 80% de la population, notamment les classes sociales défavorisées, principalement, les habitants des zones rurales et des communautés indigènes. Les objectifs du gouvernement révolutionnaire visaient à constituer la démocratie. Pour y parvenir, l’école a été l’un des organismes d’Etat consacrés à cette tâche. J’aborde cette période à travers l’analyse de discours des archives historiques visant la conception d’une politique éducative. En comparant les archives avec le contexte éducatif de l’histoire écrite sur le sujet avec des données statistiques de l’époque35, il est mise en exergue l’appareil idéologique d’Etat cherchant à construire le dispositif discursif sur la démocratie qui a été introduit pour rendre acceptables les inégalités économiques et scolaires. La politique éducative est étudiée dans cette partie de la thèse dans ses axes d’action : le contexte social et politique concernant l’éducation bien avant et après la Révolution ; les réformes législatives permettant de repenser les modifications de la structure sociale de base, à savoir, la Constitution politique ; l’état socio-éducatif de la population scolaire ; les conflits idéologiques, religieux et philosophiques qui s’opposaient aux actions de l’Etat ; et les profils socio-économique et culturel de la population scolaire. Dans la conclusion de cette partie est amorcée une réflexion sur la capacité de la politique éducative à s’accorder, voire à s’adapter, aux besoins sociaux de la population, ceux qui sont idéologiquement et ontologiquement nés durant la Révolution. Cette action publique a été mise en place afin de faire valoir l’éducation de l’Etat comme une valeur absolue parmi la quasi-totalité de la population. En résumé, comment un ensemble de conditions sociales a-t-il été réfléchi par le gouvernement postrévolutionnaire afin de construire une politique éducative inégalitaire sous une dimension « juste » à travers une autorité légitime accordée au principe de l’éducation ?
La troisième partie de la thèse, La SEP et l’integration des citoyens a la societe democratique imposer pedagogiquement l’idee de nation aux populations dominees est bien la mise en œuvre de cette conception. Pour autant, cette mise en œuvre, parallèle à la conception (expliquée dans la deuxième partie), fait partie d’un engrenage et pas d’une hiérarchie. En effet, reprenant la conception de la « boîte noire » d’un système, cette partie de la thèse obéit à une nécessité de deuxième ordre, c’est-à-dire, exposer dans les grandes lignes, l’information éducative, pédagogique et la philosophie qui découle de la conception du système scolaire. Dans cette partie, l’argumentation se focalise sur les actions entreprises par la SEP. Les dispositifs mis en place afin d’intégrer l’ensemble de la population à une même idée nationale, c’est-à-dire le libéralisme populaire naissant du conflit armé de la Révolution, sont étudiés afin de comprendre les mécanismes politiques employés dans le but d’intégrer les citoyens à la nouvelle idée de nation et de mettre en place un idéal scolaire visant à réduire les inégalités sociales, voire le sentiment inégalitaire « injuste ». Ces mécanismes essentiellement idéologiques ont été le moyen pour l’Etat d’administrer les ressources destinées à l’éducation dans le but de construire symboliquement le modèle du citoyen. Cette partie expose les défis socio-économiques, culturels et politiques auxquels le ministère devait faire face. Le système éducatif à travers sa logistique est expliqué dans cette partie. Ainsi en m’appuyant sur les notions de la sociologie des organisations, il est décrit le fonctionnement de la SEP à partir de la philosophie pédagogique qui s’ancre dans la conception du style éducatif ainsi que les instruments employés pour structurer le système à travers ses départements (scolaire, de bibliothèques, des beaux-arts et de la culture indienne) dans l’ensemble de la population. Cette technologie du pouvoir (Cf. Foucault, 1988) – dont le savoir/idéologique rationnel –, incarnée dans le système éducatif a permis, par la voie de trois postures pédagogiques, l’établissement du modèle démocratique et la construction d’une idée de nation (révolutionnaire, institutionnelle et moderne) dans la société mexicaine. Est ainsi mis en lumière le rôle des hommes politiques face à la scolarisation, le discours politique et les intérêts de l’Etat à constituer « un » modèle démocratique permettant d’un côté la continuité des élites et de l’autre l’établissement d’un ordre social parmi les classes sociales les plus défavorisées. De même, le rôle des départements éducatifs qui constituent la SEP est décortiqué afin de comprendre la construction d’une institution qui cherche à institutionnaliser les citoyens par la voie de la reproduction idéologique de l’école.
La quatrième partie Institutionnalisation et reproduction : paradoxes du programme pédagogique national de justice sociale décrit à travers l’information qualitative des archives une approche sur les effets ou les impacts que la politique éducative a eus sur les populations concernées. Cette partie est focalisée sur le processus d’institutionnalisation du programme éducatif et sa reproduction sociale. Une fois rendues acceptables les inégalités inhérentes à la méritocratie des sociétés modernes, les habitants des communautés rurales et indiennes adoptent une série de pratiques sociales issues du modèle de civilisation recherché par l’Etat. Pourtant, les traditions tout comme la culture de ces communautés intégrant le modèle scolaire reconfigurent une série de pratiques de sociabilité différentes du modèle politique de la nation qui légitime de nos jours le principe de la libre détermination des peuples indigènes partir de la réforme constitutionnelle de 2001. La mise en vogue de la conception d’« altérité » est validée. On retrouve au sein de ce processus une forme de solidarité hybride (organique/mécanique de deuxième ordre) ancrée sur deux conceptions culturelles du temps » (Zerubavel, 1992). Les inégalités injustes du fait du décalage entre la culture locale et celle des institutions modernes du gouvernement postrévolutionnaire se transposent à deux notions de « richesse ». Au Mexique, il existe une confusion manifeste de la logique des capitaux (social, culturel et économique). La notion du capital culturel est divisée en deux pôles à cause de la scission scolaire opérée durant la période de cette analyse. Le premier, le capital culturel traditionnellement défini par la sociologie bourdieusienne, c’est-à-dire, l’habitus culturel établi par la connaissance en vertu du diplôme ; et le second, qui découle de la culture mexicaine, dans lequel l’Etat se veut culturellement « riche » en s’appuyant sur la multiculturalité des peuples indigènes. De cette réflexion découle une critique : car, au cœur de l’idéal moderne de la pédagogie postrévolutionnaire, il ne s’agit pas d’arriver à respecter les us et coutumes des traditions locales pour qu’un peuple soit « riche », mais aussi de mettre en place les dispositifs socio-politiques pour que la liberté négative (Berlin, 1969 ; Rawls, 1971) de ces habitants soit appliquée et que le rétablissement d’une égalité de chances puisse se mettre en place. Cette thèse s’achève sur un retour temporel dans lequel nous analysons brièvement les faibles modifications de la politique de la SEP jusqu’à aujourd’hui en nous appuyant sur des contextes factuels. Par exemple, en 2015, un appel a été lancé par le Instituto Mexicano de la Juventud – IMJUVE – (Institut mexicain de la jeunesse) soutenu par la SEP, le Insituto Nacional para la Educación de los Adultos – INEA – (l’Institut national pour l’éducation des adultes) et la Secretaría de Desarrollo Social – SEDESOL – (Ministère pour le développement social) pour que la jeunesse mexicaine lettrée, âgée de 15 et 29 ans, participe à une campagne d’alphabétisation dans les communautés rurales au Mexique36. Campagne qui avait déjà été établie il y a quatre-vingt-quatorze ans par Vasconcelos et qui prouve bien le peu d’efficacité du programme scolaire au Mexique dans la réduction des inégalités scolaires, lequel continue à reproduire des pratiques pédagogiques inopérables pour le rétablissement de l’égalité sociale. Des autres exemples trouveront écho à la conclusion de cette réflexion.
Les enjeux de l’éducation mexicaine vue d’en haut : penser et promouvoir « le renouveau » à travers les reformes scolaires
Une idéologie, instrumentale et pratique pour le peuple
Tout d’abord nous devons nous interroger sur le processus idéologique du système éducatif afin de rendre compréhensibles les actions pédagogiques visant à instaurer une idéologie nationale. La SEP, à travers cette idéologie, cherche à pacifier la population et à répondre aux demandes des différentes classes sociales qui ont participé à la concrétisation de la Révolution. Les enjeux étaient de parvenir à consolider un système durable avec une philosophie pédagogique suffisamment cohérente afin de structurer, dans le discours politique qui se dévoilait dans les pratiques pédagogiques, une idée de justice sociale. Poser, avec les mécanismes discursifs, dispositifs juridiques et pratiques éducatives (dont la pédagogie), les limites de la notion de liberté et de l’égalité. C’est-à-dire, apprendre aux citoyens en quoi consistaient, institutionnellement ces notions politiques.
Le problème de la justice sociale se différencie de celui de la justice éducative, même si elles sont intimement liées. En résumé, la première généralement observe les conditions d’injustice et d’inégalité dont l’État serait le principal responsable. Ce problème est souvent lié aux groupes, aux classes sociales et à la marginalité de ceux qui sont dans une situation désavantageuse ou moins favorisée.140 De plus, la notion de justice sociale au sein de la justice éducative se centre sur la pédagogie et la notion de « praxis », le lien entre la théorie et la pratique, sur laquelle on articule l’enseignement et sur les conséquences concrètes de celleci sur la diminution des inégalités sociales. Dans la culture civique que comporte la pédagogie, existe un bagage de notions culturelles qui déterminent un style de vie où s’exerce un pouvoir discursif, c’est-à-dire le fond de l’enseignement. Ce pouvoir discursif est articulé par le mérite où le système de notations imposé à chaque individu/élève est relatif à l’idée de nation (côté déontologique) et est arbitraire pour ce qui concerne les conditions factuelles et matérielles d’enseignement des régions (coté empirique). En résumé, à l’école, tout le monde doit concourir en passant par l’apprentissage des normes issues de la nation. L’État, au travers de principes civiquement érigés au niveau national, participe à la socialisation des individus, applique la connaissance et les pratiques sociales de sa culture. Un programme pédagogique lente intégration à l’emploie, la faible qualité dans l’éducation et les conditions inadéquates de travail du personnel des écoles, c’est-à-dire, tout type de conséquences non désirées par les valeurs fondamentales du système scolaire cherche à « programmer » les individus au moyen d’ une culture hégémonique. Dans ce sens Bourdieu affirmait « que les formes de l’éducation – discipline, postures des corps…– laissent plus de traces dans les individus que les seuls contenus transmis. »141 (Cf. Dubet, 2010 : 18).
En effet, les rapports entre l’institution scolaire et les individus qui la constituent ne finissent pas avec le simple passage par l’école. L’Ecole est la représentation de l’État, dont les valeurs inscrites historiquement, développent chez les individus des caractéristiques culturelles, économiques et sociales.
Dans la deuxième partie de la thèse on a observé que l’égalité méritocratique et instrumentale d’opportunités sur laquelle opère un système éducatif comme le système mexicain, porte deux logiques de justice pour la constitution d’une même citoyenneté. La notion de justice des institutions de gouvernement s’est construite à travers les valeurs nationales qui ont été ainsi homogénéisées progressivement tout au long de la société. A savoir « La nation naît d’un postulat et d’une invention. Mais elle ne vit que par l’adhésion collective à cette fiction. Les tentatives avortées sont légion. Les succès sont les fruits d’un prosélytisme soutenu qui enseigne aux individus ce qu’ils sont, leur fait devoir de s’y conformer et les incite à propager à leur tour ce savoir collectif. Le sentiment national n’est spontané que lorsqu’il a été parfaitement intériorisé ; il faut préalablement l’avoir enseigné. La mise au point d’une pédagogie a été le résultat d’observations intéressées sur les expériences menées dans d’autres nations et transposées lorsqu’elles semblaient efficientes » (Thiesse, 1999 : 13). Cette notion de justice « national » utilise un procédé divisé en trois modèles pédagogiques (hispanisme, pragmatisme, socialisme) avec deux logiques, l’une impactant le milieu rural (dont les communautés indiennes) et l’autre l’urbain qui demeure le plus prestigieux (si l’on prend en compte les élites) dans l’ensemble de la société. Pourtant d’une manière générale, les idées de justice sont celles acquises par le parcours historique d’une société, à travers ses conflits et guerres et à travers les valeurs ontologiques de la nation. L’idée de liberté s’apprend, ainsi que celle d’égalité. Ces deux notions, doivent se concrétiser dans la pratique scolaire, souvent connu sous la forme du mérite. Afin de distribuer, d’une manière « juste » les inégalités injustes (Cf. Dubet, 2004) le modèle du mérite a permis de stabiliser les conflits sociaux autour de l’idée de nation.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I. L’histoire comme outil méthodologique, la construction de l’hypothèse
II. La justice sociale au sein de pratiques pédagogiques
III. La justice sociale au sein de l’institution scolaire
IV. Le cadre théorico-méthodologique d’exploitation des archives : à la recherche de la notion de la justice sociale dans les archives
V. Parties argumentatives de l’analyse de la thèse
PREMIERE PARTIE CADRE THEORICO-METHODOLOGIQUE DES ARCHIVES
I. A la recherche des savoirs idéologiques/rationnels de justice sociale dans le discours pédagogique d’archives au Mexique
II. Méthode de repérage
III. Formalisation de la Grille de Contrôle
III.1 Analyse des archives : méthodologie appliquée au travail de terrain
III.2. Description et classification
III.3. Rapports et documents analysés
IV. Blocs interprétatifs et présentation d’analyse du discours dans la thèse
DEUXIÈME PARTIE SCOLARISER LES ELEVES : RENDRE ACCEPTABLES LES INEGALITES INHERENTES A LA MERITOCRATIE DES SOCIETES MODERNES
Chapitre 1. Le contexte politique de l’éducation : le mérite a l’épreuve des civilisations mexicaines.
1.1. Une institution reproductible : l’éducation préhispanique et son interprétation coloniale
1.2. Les débuts de la scolarisation postiviste à l’explosion scolaire jusqu’à son instauration vers la fin du mouvement armé de la Révolution
Chapitre 2. L’éducation publique lancastérienne face à l’éducation privée jusqu’au moment du conflit révolutionnaire : 1910
2.1. L’effet d’établissement de la pédagogie lancasterienne aux écoles ridumentaires et la gestation de la SEP
2.2. Une scolarisation dynamique pour l’urbanisation et le modèle économique liberal
2.3. La métamorphose postrévolutionnaire
2.4. La conception du champ scolaire au milieu rurale et indien
Chapitre 3. Conditions philosophico-pédagogiques, conflits sociaux et religieux autour de la scolarisation
3.1. L’influence du positivisme à travers la pédagogie nationale
3.2. Les influences pédagogiques de l’ateneo de la juventud : une éducation nouvelle pour la démocratie
3.3. Les debuts et contraintes idéologiques de la pédagogie rurale et indienne
Chapitre 4. Historiographie juridique l’éducation dans les reformes scolaires
4.1. L’éducation liberale dans les réformes legislatives : 1814-1934
4.2. La réforme de l’éducation « socialiste » voit le jour : 1934
TROISIÈME PARTIE LA SEP ET L’INTEGRATION DES CITOYENS A LA SOCIETE DEMOCRATIQUE : IMPOSER PEDAGOGIQUEMENT L’IDEE DE NATION AUX POPULATIONS DOMINEES
Chapitre 5. Les enjeux de l’éducation mexicaine vue d’en haut : penser et promouvoir « le renouveau » à travers les reformes scolaires
5.1. Une idéologie, instrumentale et pratique pour le peuple
5.2. La SEP, l’école par l’action et les enjeux politiques
5.3. Le dilemme stratégique de l’éducation socialiste
Chapitre 6. Une nouvelle nation : la philosophie pédagogique dans la modélisation du système éducatif : 1920-1940
6.1. La pédagogie structurante de Vasconcelos
6.2. La pédagogie pragmatique de Sáenz
6.3. La pédagogie socialiste de Bassols
Chapitre 7. La logique institutionnelle de la SEP : la construction du système éducatif
7.1. La concrétisation d’une idéologie « mexicaine »
7.2. La mise en place d’un système « juste » : scolarisation, propagande de nation et dialogue citoyen
7.2.1. Le département scolaire
7.2.2. Le département des Bibliothèques
7.2.3. Le département de Beaux-Arts
7.3. Les départements de culture et d’enseignement pour les indiens
QUATRIEME PARTIE INSTITUTIONNALISATION ET REPRODUCTION : PARADOXES DU PROGRAMME PEDAGOGIQUE NATIONAL DE JUSTICE SOCIALE
Chapitre 8. De la théorie à l’action : les fonctionnaires, maîtres ruraux, inspecteurs éducatifs et misioneros de l’institution scolaire face aux populations Indiennes et rurales
8.1. Le maître rural au coeur de la transformation sociale
8.2. Un discours scolaire pour fonder une idéologie d’Etat
Chapitre 9. La population scolaire rurale et indienne face au système éducatif
9.1. Les zones rurales et indiennes
9.2. Profil socio-éducatif de la population scolaire
CONCLUSION
La complexité du Mexique et ses notions plurielles de justice
BIBLIOGRAPHIE
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