La justice pour les Autochtones
Définitions de la délinquance
Selon Le Blanc et al. (2003), les définitions de la délinquance sont abondantes et loin d’être uniformes. Pour certains, la délinquance englobe des gestes considérés immoraux ou inadéquats commis par des adolescents, mais non nécessairement criminels (Latimer, Kleinknecht, et al., 2003; LeBlanc, Ouimet et Szabo, 2003). LeBlanc et al. (2003) relatent que d’autres limitent leur définition de la délinquance à des gestes criminels identifiés dans le Code criminel, soit les crimes contre la personne, les crimes contre les biens et les omissions de se conformer à une décision du Tribunal. Afin de mieux délimiter notre recherche, nous nous limiterons à cette deuxième définition de la délinquance, soit tout geste étant considéré comme une infraction au Code criminel du Canada (Latimer, Kleinknecht, et al., 2003; LeBlanc et al., 2003).Selon Fréchette et LeBlanc (1987), Ward et al. (2010) et Skardhamar (2009), la délinquance juvénile se divise en deux catégories :la« délinquance commune » et la « délinquance distinctive ». Ces deux types de délinquance impliquent des infractions au Code criminel, mais leur dynamique diffère. Le terme délinquance commune à l’adolescence se réfère à « une conduite délinquante tout à fait insignifiante, c’est-à-dire quelques infractions de nature plutôt mineure (vol à l’étalage, vandalisme, vols mineurs, désordres publics) ; ces quelques infractions sont, soit concentrées sur une période de temps limitée, soit échelonnées sur la totalité de cette période. » (LeBlanc et al. 2003 : 26).
Quant au terme «délinquance distinctive», il renvoie à des gestes considérés plus graves en nature ou en fréquence, soit les crimes contre la personne, les crimes contre les biens et les omissions de se conformer à une décision du Tribunal (Latimer, Kleinknecht, et al., 2003; LeBlanc et al., 2003). Ces infractions sont variées, commises de façon répétitive (la récidive) et continuent jusqu’à l’âge adulte (Latimer, Kleinknecht, et al., 2003; LeBlanc et al., 2003).
Quelques statistiques sur la délinquance juvénile
La délinquance commune représente environ 90% des délits commis par les adolescents délinquants en général. Quant à la délinquance distinctive, elle concerne 5% à 10% des délits commis (Fréchette et LeBlanc, 1987; LeBlanc et al., 2003; A. R. Piquera, Farrington et Blumstein, 2003; Ward et al., 2010).
Selon Taylor-Butts et Bressan (2008), le taux de délinquance juvénile au Canada se situe à 7%. Au Québec, ce taux se situe à 4%. Cette même étude a révélé que la délinquance des adolescents au Canada a connu une hausse de 3 % de 2005 à 2006. Selon Taylor-Butts et Bressan (2008), le Québec est la seule province qui n’a pas montré de hausse de la délinquance juvénile en 2005-2006. Par contre, leur étude évoque, comme limite, les lacunes dans la transmission des informations par les services policiers de toutes les provinces canadiennes incluant le Québec, ce qui a pour effet de ne pas permettre de connaître les taux réels. Nous pouvons donc présumer que les taux de délinquance juvénile sont plus élevés. Latimer et al. (2003) ont effectué une recherche sur une cohorte d’adolescents âgés de 12 à 15 ans afin de valider l ‘interaction de certains facteurs sociaux avec la délinquance. Les questionnaires et entrevues abordaient les aspects concernant la famille, l’école, les pairs, les comportements ou les sentiments ainsi que la délinquance autorévélée chez un groupe d’adolescents . en général, c’est-à-dire un groupe combiné d’adolescents délinquants et non délinquants. Dans leur étude, la délinquance autorévélée indique qu’il existe un
taux de délinquance réelle nettement plus élevé que ce que révèlent les statistiques officielles sur la délinquance : 39% comparativement à 5 % selon les statistiques officielles (Latimer et al 2003). Par contre, la majorité de cette délinquance était mineure, donc de type commun.
Facteurs influençant la délinquance
Plusieurs facteurs qui influencent la délinquance ont été identifiés : des facteurs individuels, familiaux, scolaires et des facteurs liés à la fréquentation des pairs (Bonta, Rugge, Dauvergne, Cormier et Committee, 2003; Latimer, Kleinknecht, et al., 2003; LeBlanc et al., 2003). À ces facteurs, Skardhamar (2009) ajoute la « collectivité », c’est-à-dire les caractéristiques (favorisée ou défavorisée) et les ressources de la collectivité où l ‘individu vit.
Plusieurs études abordent les facteurs individuels comme prédicteurs de la délinquance. Les attitudes et comportements antisociaux de l’adolescent, comme l’agressivité, l’ anxiété, la colère 5 qui peuvent être liés à des problèmes d’attachement dans la petite enfance et l ‘usage de stupéfiants ou d’alcool augmentent le risque de délinquance (Latimer, Dowden, Edgar, Morton-Bourgon et Bania, 2003; McLaren, 2000; Moffitt, 1993; Ward et al., 2010). Certaines études confirment que les mêmes facteurs influencent tant la délinquance autochtone que celle de la population en général (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996; Conseil National de Prévention du Crime Canada, 1996; Latimer et Foss, 2004). À ces facteurs, Bonta et al., (1997) ajoutent un lien entre le fait d’avoir des antécédents judiciaires qui débutent tôt à l’adolescence et un risque accru de connaître des démêlés avec la justice à l ‘âge adulte. Également, dans son étude, La Prairie (2002) note que les Autochtones sont aussi plus à risque de commettre des gestes délinquants sous l ‘influence de drogues ou d’alcool (La Prairie, 2002).
Quelques difficultés de la réadaptation
Spiteri (2001) mentionne qu’il n’y a pas de réponses ou d’explications claires en ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire.
Il n’est pas connu si cela est dû à un plus haut taux de délinquance ou à une forme de discrimination à leur égard par le système judiciaire (Spi teri, 2001).
En raison de la proximité dans les communautés autochtones, l’étendue des problématiques de toxicomanie et un taux élevé de jeunes Autochtones qui sont assujettis à des peines de probation vivant dans la communauté, certaines conditions de peines sont difficiles ou impossibles à respecter pour les individus vivant dans une communauté autochtone (Brozowski et al., 2006; Latimer et Foss 2004; Ivlilligan 2008; Spiterie, 2001). Selon Latimer et Foss (2004), cela augmente le risque que l’ adolescent se retrouve devant le Tribunal pour le nonrespect des conditions, haussant ainsi les risques de récidive. De plus, cette même étude révèle une attitude de méfiance de la part des adolescents autochtones envers le système judiciaire et mentionne la possibilité de racisme de la part des policiers, des agents de probation et des juges qui possèdent tous des pouvoirs discrétionnaires quant aux décisions prises lorsqu’un adolescent commet un crime (Latimer et Foss, 2004). Toujours selon Latimer et Foss (2004), il est possible que les jeunes Autochtones soient plus à risque de faire l ‘objet de plaintes formelles plutôt que de bénéficier d’un programme de déjudiciarisation et donc, de ce fait, plus à risque de recevoir des ordonnances de peines de garde.
Effets de l’expérience de la colonisation sur la perception du système judiciaire par les Autochtones
Plusieurs recherches ont fait état des effets négatifs de la colonisation et des mesures législatives qui visaient la ségrégation ou l’assimilation des Autochtones (Dion-Stout et Kipling, 2003; Hylton, Bird, Eddy, Sinclair et Stenerson, 2002; Wesley-Esquimaux et Smolewski, 2004). Selon Jaccoud (1999) et Jaccoud et Brassard (2009), la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire serait un effet direct des gestes de colonisation et de leurs effets sur les communautés autochtones.
Le colonialisme a de profonds effets : «{il} a créé un climat de méfiance qui fait que les personnes autochtones ne voient pas un système judiciaire qui les représente en toute égalité » (Monture-Angus; 2002 :7). Dans leur livre, Justice for Natives, Morrison et Cotler (1997 : 29) expliquent leur observation des manifestations de cette méfiance envers le système judiciaire :
For aboriginal peoples, the court system, the lawyers, the police and the jails present a different image, one which they neither believe nor have any confidence in. It is a system that does not act as their protector, but one which denies their laws, forces upon them a foreign set ofbeliefs, and takes away their rights. Monture-Angus (2002) ainsi que Morrison et Coder (1997) démontrent que les expériences des Autochtones face à la société allochtone, incluant ses systèmes et ses institutions, ont engendré de la colère, le manque de confiance et de la méfiance, surtout envers le système judiciaire. Ce système différait de celui connu traditionnellement chez les Autochtones (Orchard, 2008; Spiterie, 2001).
Vision de la justice
La justice autochtone traditionnelle varie d’une communauté à l’autre, mais les notions de base restent sensiblement les mêmes (Melançon, 1997; Orchard, 2008; Spiteri, 2001). Basée sur la notion de rétablissement de l ‘équilibre des relations entre ses membres, la justice autochtone vise à rétablir les relations sociales, en impliquant les membres de la communauté dans les décisions qui visent la réparation du tort causé et la réconciliation (Orchard, 2008; Spiteri, 2001). Malgré que certaines sanctions graves aient également existé antérieurement dans la justice autochtone traditionnelle, tels le bannissement ou même la mort, ces types de sanctions n’étaient appliqués que rarement et seulement pour des gestes très graves (Spiteri, 2001; Strimelle et Vanhamme, 2010). Les méthodes traditionnelles autochtones visent à inclure la victime, la communauté et l’individu ayant commis un tort, dans une démarche commune afin de le réparer, de favoriser la guérison des membres concernés, c’est-à-dire la victime, la communauté et l’individu ayant commis le crime et d’assurer la restauration de l’équilibre dans les relations entre l’individu et sa communauté (Latimer, Kleinknecht, et al., 2003; Orchard, 2008; Spiteri, 2001).
Loi sur le système de justice pénale pour adolescents
Notre définition de la délinquance juvénile comporte la notion d’avoir commis un geste considéré une infraction au Code criminel. Les adolescents ayant commis ces types de gestes sont soumis à une loi spécifique aux adolescents, La Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, (la mininistère de la Justice, 2002). Si nous parlons de réadaptation dans le cas d’adolescents ayant commis des gestes considérés comme étant des infractions au Code criminel, nous devrons avoir une compréhension de la Loi impliquée.
En avril 2003, la LSJP A a été adoptée afin de remplacer la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC), cette dernière étant jugée inefficace en ce qui a trait à la délinquance juvénile, car les peines y étaient perçues comme étant disproportionnées à la gravité du délit commis et n’accordaient pas suffisamment d’importance à la réadaptation et à la réinsertion sociale des adolescents (Casavant et Valiquet, 2010).
La Loi sur le système de justice pénale pour adolescents du ministère de la Justice (2002), poursuit trois buts principaux : 1) favoriser des programmes de réparation et de réadaptation plus rapides sans avoir recours au Tribunal; 2) permettre une participation accrue des victimes dans la responsabilisation de l’adolescent délinquant par la réparation du tort causé; 3) réserver les peines de privation de liberté pour les infractions graves avec violence (Ministère de la Justice, 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I :Délinquance et justice : Problématique et cadre théorique
1.1 La délinquance : définitions, quelques statistiques et facteurs
1.1.1 Définitions de la délinquance
1.1.2 Quelques statistiques sur la délinquance juvénile
1.1.3 Facteurs influençant la délinquance
1.1.4 Quelques difficultés de la réadaptation
1.2 La justice pour les Autochtones
1.2.1 Effets de l ‘expérience de la colonisation sur la perception du système judiciaire par les Autochtones
1.2.2 Vision de la justice
1.3 Loi sur le système de justice pénale pour adolescents
1.4 Objectif et questions de recherche
1.5 Cadre conceptuel
CHAPITRE II :MÉTHODOLOGIE
2.1 Type de recherche
2.2 Collecte de données
2.2.1 Méthode
2.2.2 Population cible et échantillonnage
2.2.3 Instrument et cueillette de données
2.3 Traitement et analyse des données
2.4 Considération éthiques
2.5 Biais et limites de la recherche
2.6 Vérification
CHAPITRE III :Perceptions des participants de la réadaptation des adolescents autochtones :Présentation des résultats
3.1 La perception des participants algonquins
3.1.1 Définition de la délinquance
3.1.2 Définition de la réadaptation
3.1.3 L’action impliquée présente
3 .1. 4 Les lieux de l ‘action présente
3.1.5 L’acteur qui effectue l’action présente
3.1.6 La finalité recherchée présente
3.1.7 L’action impliquée possible
3.1.8 Les lieux de l ‘action possible
3.1.9 L’acteur qui effectue l ‘action possible
3.1.10 La finalité recherchée possible
3.2 La perception des professionnels psychosociaux
3. 2.1 La définition de la délinquance
3.2.2 La définition de la réadaptation
3.2.3 L’action impliquée présente
3.2.4 Les lieux de l’action impliquée présente
3.2.5 L’acteur qui effectue l’action présente
3.2.6 La finalité de l’action présente
3.2.7 L’action impliquée possible
3.2.8 Les lieux de l’action impliquée possible
3.2.9 L’acteur qui effectue l’action possible
3.2.10 La finalité de l’action possible
3.3 La perception des professionnels judiciaires
3.3.1 La définition de la délinquance
3.3.2 La définition de la réadaptation
3.3.3 L’action impliquée présente
3.3.4 Les lieux de l’action impliquée présente
3.3.5 L ‘acteur qui effectue l ‘action présente
3.3.6 La finalité de l’action présente .
3.3.7 L’action impliquée possible
3.3.8 Les lieux de l ‘action impliquée possible
3.3.9 L’acteur qui effectue l’action possible
3.3.10 La finalité de l ‘action possible
CHAPITRE IV: Interprétation et discussion des résultats
4.1 Synthèse des définitions
4 .1.1 La délinquance juvénile
4.1.2 La réadaptation
4.2 Synthèse des perceptions de la réadaptation actuelle
4.2.1 L’action impliquée présente
4.2.2 Les lieux de l’action présente
4.2.3 L’acteur qui effectue l’action présente
4.2.4 La finalité de l’action présente
4.3 Synthèse des perceptions de la réadaptation possible
4.3.1 L ‘action impliquée possible
4.3.2 Les lieux de l ‘action présente
4.3.3 L’acteur qui effectue l’action présente
4.3.4 La finalité de l’action possible
Discussion et conclusion
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