Les radicalisations : un phénomène complexe à définir
La radicalisation politique. La radicalisation concerne différents mouvements et idéologies. Celle-ci permet d’évoquer les mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche comme le présente Michel Fize, sociologue, au sein de son ouvrage « Radicalisation de la jeunesse » . En effet, il présente un paradoxe existant entre deux mouvements extrêmes : l’extrême droite et l’islam radical. Selon lui, bien que ces deux mouvements soient diamétralement opposés et forment « deux mondes différents », ils possèdent néanmoins un aspect commun : le sentiment d’exclusion. Michel Fize cite également Robert Badinter pour étayer ses propos. puisque dans un ouvrage intitulé « Réflexions du comité pour une charte des libertés », il assimile la montée des extrêmes à la violence, au chômage et à J. Dubois, Le dictionnaire érudit de la langue française, ed. Larousse, coll. Grands Dictionnaires Larousse, l’appauvrissement des jeunes . La radicalisation de ces derniers et la montée de l’extrême droite ne fait aucun doute comme l’ont suggéré les résultats de l’élection présidentielle de 2017. L’ascension du Front National fait couler beaucoup d’encre au sein des médias comme le témoignent les qualificatifs « dangereux », « contestataire », « inadapté » . Néanmoins, 12 cette stigmatisation, ces critiques sont loin de faire barrage à la montée de ce parti en raison de sa popularité chez les jeunes. En effet, lors de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles face à Jacques Chirac, c’est le choc : les français et principalement les jeunes décident alors de s’opposer à ce résultat. Par conséquent, ces derniers descendent dans les rues pour exprimer leur crainte, leur mécontentement et leur défiance à l’égard de ce parti. Ainsi, le 5 mai 2002, la mobilisation de masse est démontrée par le vote de 78 % des jeunes de 18 à 25 ans inscrits sur les listes électorales. Or, suite aux résultats du premier tour de la dernière élection présidentielle affichant Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, les mouvements contestataires se font plus rares. Au contraire, les jeunes assimilent l’arrivée de ce parti au second tour, comme la conséquence des injustices dont ils sont témoins. Ils profitent de ce résultat pour manifester leur inquiétude par rapport au chômage, à la précarité, au manque d’aides, au sentiment d’insécurité dont ils sont victimes. L’élément le plus étonnant est le pourcentage de cette élection. En effet, le Front National représente 35 % des intentions de vote chez les 18-24 ans. Aujourd’hui, ce parti séduit, comme l’illustre un extrait d’un discours prononcé à l’intention de la jeunesse française « Une année durant laquelle les gouvernants politiques de gauche comme de droite ont abandonné encore davantage la jeunesse de France, seule face au chômage de masse, à la précarité généralisée, à la peur du déclassement et du déracinement » . Le groupe politique Front 13 National se nourrit donc des inquiétudes et du sentiment d’exclusion . 14 Lien entre partis politiques et radicalisation. Pour quelles raisons évoquer l’ascension du Front National, dans un mémoire dont le sujet concerne la radicalisation ? Evoquer la montée de ce parti souligne certaines convergences entre deux mouvements R. Badinter, « Les causes profondes de la criminalité s’appellent chômage, désespérance des jeunes, villes radicaux. Ces derniers prennent naissance dans un « terreau social dégradé » , appartiennent majoritairement aux milieux populaires, et sont touchés par un sentiment général de mécontentement et d’injustice. Malgré la stratégie de dé-diabolisation de Marine Le Pen et le refus de cette dernière d’assimiler le Front National à un parti extrême, la montée de ce parti permet d’évoquer les groupuscules d’extrêmes droites. En effet, le Front National possède des racines extrémistes comme le démontre l’historien Jean-Yves Camus , en raison des idéologies partagées lors de sa création (tel que le refus de l’immigration, la question de l’insécurité et la volonté d’un changement de la société). Néanmoins, les avis sont divergents sur ce point. En effet, l’historien Christophe Bourseiller n’assimile pas le Front National à un parti d’extrême droite car selon lui « ce qui caractérise les mouvements extrémistes, c’est le fait qu’ils prônent un changement radical de société et y parvenir par la violence. Aujourd’hui, on peut dire que le Front national est un mouvement populiste qui s’ancre traditionnellement dans l’extrême droite ». En outre, le terme radicalisation est employé pour qualifier certains mouvements de Mai 1968. A l’époque, la jeunesse se mobilise non seulement face aux décisions du Gouvernement mais également face aux pouvoir politiques et aux universités. Aussi en 1968, sont organisés des mouvements étudiants de protestation et une remise en cause des institutions françaises. Face à ces mouvements, la doctrine est séparée en deux groupes. D’un côté, certains auteurs emploient le terme de radicalisation afin de qualifier ces manifestations et énoncent que cette population est par nature disposée au radicalisme . D’un autre côté, certains auteurs nuancent l’emploi du qualificatif radical car selon eux, les médias ont tendance à surévaluer et à généraliser les mouvements de mai 1968. Ainsi, cette brève présentation de la radicalisation politique permettra de mieux appréhender la radicalisation dite religieuse. La radicalisation sociale. Outre les mouvements politiques, il existe également certains groupements sociaux, ayant recours à des comportements plus ou moins violents dans le but de défendre une idéologie. Ainsi, certains sociologues qualifient les vegans de mouvement radical, lorsque ces derniers franchissent la ligne de l’illégalité afin de défendre la cause animale. Parfois, les actions nécessitent l’intervention des forces de l’ordre, comme c’est le cas pour les revendications du groupe Animal Libération Front. Ce groupe, créé en 1976, est à l’origine d’actions violentes contre les humains, de sabotages, d’incendies, d’envois de lettres piégées ou encore d’attaques de laboratoires pharmaceutiques. Ce groupe international est qualifié de groupe terroriste dans les pays anglo-saxons ou aux Etats Unis en raison de l’illégalité de leurs actions. En France, les militants vegans sont à l’origine d’actes de vandalisme et de destruction comme l’illustrent les vitrines cassées et les diverses menaces inscrites sur la devanture d’une boucherie à Lille . Délimitation du sujet : la radicalisation religieuse. L’évocation de ces divers mouvements politiques et sociaux démontrent que ce phénomène ne se limite pas à la religion. Néanmoins, celle-ci sera l’unique sujet de ce mémoire, et plus spécifiquement la radicalisation ayant pour conséquence le départ vers la zone de djihad. Toutefois, l’emploi du terme religieux est à relativiser puisque notre étude révèlera que la radicalisation s’éloigne largement de ce domaine. De plus, de nos jours, l’opinion publique a tendance à assimiler radicalisation, djihadisme et terrorisme. Or, la radicalisation religieuse n’a pas systématiquement pour conséquence la commission d’actes terroristes. Néanmoins, avant d’analyser avec minutie le phénomène de la radicalisation moderne, il est important d’étudier l’évolution de ce terme d’un point de vue historique.
L’institution d’un contexte propice
Les révolutions arabes constituent une période importante à évoquer concernant la radicalisation puisque que celles-ci permettent d’instituer un contexte favorable. En effet, les djihadistes, notamment en Syrie, Tunisie et Egypte, profitent des troubles et des tensions au sein du régime pour s’installer durablement. En quelque mots, en Syrie, le régime de Bachar el Assad repose sur la religion alaouite. Ce régime est considéré comme déviant aux yeux des chiites et qualifié d’hérésie par les sunnites radicaux. Les djihadistes ont donc profité de ce climat pour débuter une guerre sainte et faire appel à l’ensemble des musulmans en vertu du devoir de défense de la communauté musulmane.
La possibilité d’un parallèle entre dérives sectaires et radicalisation
L’analyse de la radicalisation permet d’envisager un parallèle entre celle-ci et les dérives sectaires. En effet, ces deux phénomènes se nourrissent de facteurs similaires, favorables à l’adhésion aux discours radicaux promulgués par un dirigeant charismatique. De surcroit, cette étude révèle également la présence de profils similaires parmi les adhérents. En raison des évolutions législatives dont sont sujettes les sectes, la comparaison entre ces dernières et la radicalisation apparait être une solution envisageable afin de lutter contre l’essor des discours djihadistes (Chapitre 1). En d’autres termes, le rapprochement entre ces deux notions permettraient d’introduire la radicalisation au sein des législations françaises puisque les sectes sont présentes implicitement dans le code pénal depuis la promulgation de la loi About-Picard . Néanmoins, bien qu’assimilable aux dérives sectaires, la radicalisation est également un phénomène révolutionnaire (Chapitre 2). Les rabatteurs utilisent des moyens modernes tels que les médias ou encore les réseaux sociaux afin de répandre l’influence de leurs discours au delà des frontières. Nous assistons à une véritable professionnalisation des groupes terroristes et plus spécifiquement des rabatteurs, étant donné que ces dernier s’adaptent en fonction des individus qu’ils souhaitent embrigader.
Violences et injustices : des facteurs bénéfiques aux idées radicales
Une génération sacrifiée. Le sociologue Michel Fize qualifie les jeunes sensibles aux discours extrêmes de « génération sacrifiée » . Selon lui, ces individus sont privés d’égalité des chances, d’éducation et d’emplois. Ce sentiment d’exclusion et d’abandon subsiste au sein des quartiers, ce qui engendre l’apparition d’un terrain favorable aux petites déviances . Ce climat alimente la montée des idées radicales. Michel Fize utilise l’expression « tableau de sacrifice » comme métaphore de l’injustice et de la colère présentes dans ces banlieues. Le chômage de masse, le système scolaire non adapté, la dégradation des habitations, le manque de ressources sont des éléments de ce tableau. Les disparités économiques, géographiques et techniques doivent donc être ajoutées à l’exclusion sociale pour établir une liste complète des facteurs de la radicalisation. Le sentiment d’exclusion. Farhad Khosrokhavar, sociologue, propose des facteurs à cette tendance puisque selon lui, le montée des discours radicaux doit être rattachée à la culture des parents. En effet, cette jeunesse est partagée entre deux sentiments. D’une part, le fait de ne pas se sentir arabe stricto sensu, et, d’autre part, de ne pas se sentir véritable français en raison des obstacles auxquels ils sont confrontés. Dans la vie quotidienne, ils ne se sentent pas véritablement intégrés, notamment en raison de la mauvaise réputation des quartiers, des difficultés rencontrées à trouver un travail et à la faiblesse du niveau d’instruction. Un climat de tensions. Outre les sociologues, d’autres acteurs proposent une explication à ce phénomène et mettent en avant un lien entre les problèmes socioéconomiques et les violences des cités. En ce sens, un rapport datant du 9 mars 2006 souligne l’existence d’une injustice sociale et de ségrégation au sein des banlieues. Ce rapport, énonce que les émeutes et le djihadisme sont les conséquences d’un climat de mésentente et d’une crise de la représentation politique des population des cités . En outre, certains enseignants anonymes alarment l’opinion publique concernant le comportement d’élèves habitant dans les quartiers populaires. Ils dénoncent un comportement sexiste, islamiste et parfois antisémite . La culture de la violence. Au lendemain des attentats touchant la France en 2015,deux chercheurs du CNRS ont étudié la population réceptive à la propagande djihadiste en mesurant leur degré d’adhésion. Les chercheurs concluent que la culture de la violence constitue le socle principal de la radicalisation religieuse. Ils soulignent également le caractère minoritaire de ce phénomène, car uniquement 4% des lycéens sont touchés . Cette culture de la violence est également admise par Olivier Roy, politologue, car selon lui, la radicalisation ne provient pas des questions salafistes, mais touche davantage des anciens délinquants . En outre, Manuel Palacio énonce que ce phénomène est marginal contrairement à ce que laissent supposer les médias. Ces derniers ont tendance à utiliser l’image du loup solitaire comme un fait majoritaire. Cette expression est utilisée pour décrire un jeune des quartiers difficiles, devenant un terroriste, un poseur de bombe par le biais d’une radicalisation en solitaire. Exemple de Mohamed Merah. Le profil Mohamed Merah, responsable de la tuerie de Toulouse et de Montauban, permet d’illustrer l’association entre quête d’identité, sentiment d’injustice et radicalisation. En effet, ce dernier était sujet à une perte de repères, ayant grandi au milieu d’une famille de délinquants et abandonné par sa mère. Aussi, il appartient dès son plus jeune âge à la petite délinquance. Mohamed Merah représentait le profil typique d’un individu facile à endoctriner . Une politique ultra-sécuritaire. Le recul des Gouvernements et des politiques publiques a donc généré un sentiment d’exclusion très présent au sein des banlieues. Parallèlement à cela, le caractère « ultra sécuritaire » des politiques instaurées dans les cités s’est révélé être un accélérateur des dérives violentes. Les rixes entre policiers et jeunes des quartiers ont alimenté un climat agité. Aussi, les jeunes des cités dénoncent des vérifications d’identité à outrance, un comportement raciste et les violences dont font preuve les forces de l’ordre lors des interventions . En ce sens, certains policiers dénoncent une « militarisation » de leur mission. En ce sens, les forces de l’ordre rapportent le passage d’une police d’investigation, à une police d’intervention, dont la mission est qualifiée de « reconquête des quartiers » .
Instauration d’un doute dans l’esprit du jeune
L’une des caractéristiques des discours radicaux concerne la capacité des rabatteurs à personnaliser leurs discours en fonction du destinataire. Cette faculté s’intitule « le processus d’individualisation » et est décrite de deux différentes façons. Aussi, l’individualisation peut être employée comme synonyme de l’expression « loup solitaire ». Le loup solitaire est défini comme étant un « individu isolé qui n’appartient pas à une organisation terroriste structurée et définit lui-même ses cibles et les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre ». Les nouveaux terroristes agissent isolément, ce qui marque la volonté des organisations terroristes de se fondre dans le paysage occidental. Néanmoins, individualiser signifie également « rendre distinct des autres par des caractères propres » , ce qui illustre l’adaptation des discours suivant les individus. La radicalisation s’inscrit donc dans un discours de promesse et de séduction s’adaptant aux différents portraits des futurs adhérents, comme le suggère Gilles de Kerchose , dans une interview. Afin de comprendre la radicalisation, il est donc important d’étudier les différents profils émergeant (A) mais également l’importance des discours complotistes au sein du processus d’embrigadement (B). En effet, ces théories s’ajoutent aux discours des dirigeants afin de susciter un doute chez l’individu vis-à-vis des réalités qui l’entourent.
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Table des matières
– PARTIE 1 – Le caractère paradoxal de la radicalisation : un phénomène inédit respectant des procédés anciens
Chapitre 1 : L’assimilation radicalisation / dérives sectaires : une solution envisagée
Section 1 : L’existence d’un socle commun réceptif aux discours radicaux
Section 2 : Un schéma spécifique et similaire : le mécanisme de l’emprise mentale
Chapitre 2 : La radicalisation : Un phénomène révolutionnaire incomparable
Section 1 : La propagation d’un discours de haine au sein des supports de communication
Section 2 : Le cas particulier des prisons : un foyer original de radicalisation
– PARTIE 2 – Contre radicalisation ou déradicalisation
Chapitre 1 : Une politique de contre radicalisation : des mesures en amont de l’intervention de la justice
Section 1 : L’instauration d’une politique de contre-radicalisation marquée par une approche multidisciplinaire
Section 2 : De la contre-radicalisation à la déradicalisation : un ensemble de dispositifs à l’échelle Européenne
Chapitre 2 : La déradicalisation : l’approche pluridisciplinaire de la déradicalisation
Section 1 : La nécessité d’une réponse individualisée
Section 2 : Entre réalité répressive et tentative de réintégration
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