La iatrogénie médicamenteuse : un problème de santé publique

La iatrogénie médicamenteuse : un problème de santé publique 

Définition

Le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) définit comme iatrogène les conséquences indésirables ou négatives sur l’état de santé individuel ou collectif de tout acte ou mesure pratiqués ou prescrits par un professionnel habilité et qui vise à préserver, améliorer ou rétablir la santé.[1] Lorsque cela concerne un médicament, on parle d’évènement iatrogène médicamenteux (EIM).

On peut distinguer deux types d’EIM :
– EIM inévitable: Evènement indésirable répertorié dans les RCP suite aux expérimentations de pré-Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) et qui découle des propriétés pharmacologiques connues de la molécule.[2]
– EIM évitable : Evénement indésirable qui ne serait pas survenu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de sa survenue  .

Incidence de la iatrogénie médicamenteuse

Des enquêtes ont été réalisées afin de connaître la part d’hospitalisations causées par une EIM et l’incidence des évènements indésirables graves (EIG) au cours d’une hospitalisation, leur part d’évitabilité et d’analyser leurs causes immédiates. En 2004, l’étude ENEIS 1 « Enquête Nationale sur les Evènements Indésirables associés aux Soins » a montré que le médicament est impliqué dans 37 % des EIG causes d’hospitalisation et que la moitié d’entre eux sont évitables.[4] L’étude EMIR, étude prospective menée en 2007 par le réseau des Centres Régionaux de Pharmacovigilance (CRPV) a permis d’évaluer le taux d’hospitalisations dû à un EIM à 3,60 % et une fois sur deux cet EIM était considéré comme évitable ou potentiellement évitable.

L’étude ENEIS renouvelée en 2009 (ENEIS 2) montre que 1,6 % des hospitalisations sont motivées par des EIG évitables associés à des produits de santé et notamment des médicaments (1,3 % des admissions).[6] Cette étude a également mis en évidence 6,2 EIG pour 1000 jours d’hospitalisation. ¼ de ces EIG survenus pendant l’hospitalisation est lié à un médicament, et 43 % d’entre eux seraient évitables.[6] (Tableau 1) De plus, une étude Américaine publiée en 2010 a montré que 13,5 % des séjours seraient prolongés à cause d’un EIG dont 31 % d’origine médicamenteuse et 1,5 % des EIG entraineraient un décès.[7] Les deux enquêtes ENEIS ont été réalisées selon les mêmes protocoles et méthodes, elles permettent donc de mesurer l’évolution des données. Entre 2004 et 2009, il n’existe aucune différence significative concernant l’incidence des EIG totaux et des EIG évitables au cours de l’hospitalisation.

La personne âgée

Définition

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la personne âgée comme une personne ayant 65 ans ou plus. La définition proposée dans le référentiel de la Haute Autorité en Santé (HAS) pour « sujet âgé » comprend les personnes de 75 ans et plus et les personnes de plus de 65 ans polypathologiques.

Le vieillissement de la population en France et en PACA

Le nombre de personnes âgées est en constante augmentation causée par le passage à ces âges des générations du baby-boom et à l’augmentation de l’espérance de vie. Au 1er janvier 2015, en France, moins d’un habitant sur 4 est âgé de 60 ans ou plus, soit environ 16 millions de personnes, et 10 % d’entre eux ont plus de 75 ans. En région PACA, 24,8% de la population est âgée de 60 ans ou plus [9] En 2060 en France, 23,6 millions de personnes seraient ainsi âgées de 60 ans ou plus, soit une hausse de 80 % en 53 ans (Figure 1).[10] Aussi, d’ici 2040, le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus augmenterait de 57 % dans la région PACA, alors que les moins de 60 ans ne progresseraient que de 1 %.

Facteurs de risque liés à l’âge 

Le risque iatrogénique chez les personnes âgées constitue un véritable problème de santé publique en raison de sa fréquence et de sa gravité.

Modifications physiologiques liées à l’âge

Un certain nombre de facteurs physiologiques observés chez les patients âgés peuvent influencer la pharmacocinétique et/ou la pharmacodynamie des médicaments et contribuer de ce fait à la survenue d’EI chez les sujets âgés. Ces modifications peuvent altérer toutes les étapes de la cinétique du médicament telles que les phases d’absorption, de distribution de métabolisation et d’élimination du médicament[12] :
– Lors de la phase d’absorption, l’évacuation gastrique est ralentie et le pH augmente en raison d’une anachlorydrie fréquente. La motilité intestinale est réduite et le débit sanguin splanchnique est diminué. Cet ensemble mène à une résorption plus lente et un Tmax retardé.[13]
– La distribution des médicaments est appréciée quantitativement par le volume total de distribution. Chez la personne âgée, une augmentation du volume total de distribution est causée par une augmentation de la masse graisseuse au détriment de la masse musculaire, une diminution de l’eau corporelle totale ainsi qu’une modification de la liaison aux protéines plasmatiques. Ainsi, les molécules plus lipophiles auront une répartition importante dans les graisses et donc un volume de distribution plus grand, contrairement aux molécules plus hydrophiles. Ces variations du volume de distribution peuvent être à l’origine de modifications de la demi-vie d’élimination (t1/2) du médicament.[14]
– Aussi, le pourcentage de liaison d’un médicament aux protéines plasmatiques est un facteur déterminant dans l’intensité de son action pharmacologique car seule la forme libre est active. Les molécules très liées aux protéines plasmatiques nécessitent une surveillance particulière chez le sujet âgé.
– On observe chez le sujet âgé une diminution de la masse hépatique, du flux sanguin hépatique et du pouvoir métabolique hépatique. Globalement le métabolisme hépatique diminue d’environ 30 % après 70 ans.[16]
– L’élimination des médicaments, notamment hydrosolubles, peut être modifiée avec l’âge. En effet, on observe une diminution du flux sanguin rénal d’environ 1 % par an à partir de 50 ans, associé à une perte de la fonction tubulaire et une diminution de la capacité de réabsorption.[17] On observe alors un allongement de la demi-vie d’élimination et une augmentation des concentrations à l’équilibre des médicaments hydrosolubles.

Ces modifications physiologiques sont à rapprocher de la quasi absence d’études pré-AMM dans cette tranche de population (y compris pour les médicaments les plus utilisés dans cette dernière).

La poly-pathologie et poly-médication

L’OMS définit la polymédication comme « l’administration de nombreux médicaments de façon simultanée ou l’administration d’un nombre excessif de médicaments ». Dans la littérature, le seuil le plus utilisé afin de définir une polymédication est celui de 5 médicaments par jour ou plus.[19] Début 2015, l’IRDES (Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé) a constaté, en analysant plus de 60 000 prescriptions, une consommation d’au moins 5 médicaments par jour chez 14 à 49 % des plus de 75 ans, selon les indicateurs retenus (polymédication simultanée, cumulative ou continue).[20] Cette polymédication est souvent légitime chez le sujet âgé, et appropriée du fait de la polypathologie. Elle est aussi plus fréquente chez le sujet fragile avec une dépense ambulatoire de médicaments plus importante que chez les sujets non fragiles.[21] Une polymédication est dite inappropriée quand le rapport bénéfice/risque n’est pas favorable et elle peut être alors la cause d’une iatrogénie médicamenteuse (overuse, misuse, underuse). Il existe en effet une association significative entre poly-médication et survenue d’effets indésirables, d’interactions médicamenteuses, de chutes, voire augmentation de la mortalité.[22] La polymédication est aussi corrélée à une augmentation de la durée des séjours hospitaliers et de la réadmission hospitalière.

Enfin, elle augmente fortement le risque de prescriptions potentiellement inappropriées avec un risque d’EI.

Dénutrition
La dénutrition, fréquente chez le sujet âgé (60 % des patients sur un jour donné en 2003 dans un service de long séjour selon une étude parisienne), entraine une hypoalbuminémie et donc une augmentation de la fraction libre des médicaments fortement liés.

Mauvaise utilisation des médicaments
La population âgée est grande consommatrice de médicaments non prescrits. Un état des lieux réalisé en France a montré que deux personnes âgées sur trois achètent au moins un médicament sans ordonnance par mois contre seulement 1 personne sur 3 chez les moins de 65 ans.[26] Cette automédication est un facteur de risque à la survenue d’évènements indésirables médicamenteux. De plus, cette polymédication entraine une diminution de l’observance et 7,6 % à 11,4 % des hospitalisations de personnes âgées seraient liées à un défaut d’observance.[27,28] Enfin des troubles fréquents chez le sujet âgé tels qu’une démence, un trouble cognitif ou une confusion favorisent une mauvaise utilisation des médicaments.

Le risque de chute
Le vieillissement biologique entraine une modification du fonctionnement des composantes intervenant dans la posture et l’équilibre. Ainsi environ 1 personne sur 3 âgées de plus de 65 ans et 1 personne sur 2 de plus de 80 ans chutent chaque année. La survenue d’une chute peut avoir de nombreuses conséquences à la fois physiques et psychologiques pouvant favoriser la survenue d’incapacités voire l’entrée dans un hébergement collectif. De plus, le taux de mortalité par chute augmente avec l’âge. Un des facteurs de risque de chute le plus fréquemment rapporté dans les études épidémiologiques est la prise de médicaments psychotropes.

Iatrogénie médicamenteuse chez la personne âgée

Les personnes âgées, du fait de la polymédication et de leur âge avancé, constituent donc une population particulièrement exposée à l’iatrogénie médicamenteuse. En effet, les études prospectives ayant analysé la survenue d’événements indésirables chez les personnes de plus de 65 ans dans un contexte hospitalier laissent apparaître une incidence d’événements indésirables particulièrement importante au sein de cette population. Les effets indésirables médicamenteux sont en moyenne deux fois plus fréquents après 65 ans.[31] Une étude française réalisée en 2002 a estimé qu’entre 4 et 21,7% des admissions du sujet âgé en milieu hospitalier sont dues à un EIM.[12] Une méta-analyse américaine de 39 études prospectives réalisées entre 1966 et 1996 rapporte un taux d’incidence d’EIM chez les patients âgés hospitalisés de 15,1% dont 6,7% d’EI graves et 0,32 % d’EI létaux.[32] Une étude françaises a montré que les EIM graves survenant durant l’hospitalisation s’évaluent à 1,4 pour 1000 journées d’hospitalisations en secteur de médecine, chirurgie, obstétrique.[33] 30 à 60% des EIM chez les sujets âgés seraient prévisibles et évitables.[12] Ils sont le plus souvent la conséquence d’une erreur thérapeutique (mauvaise indication, nonrespect des contre-indications, posologie excessive ou traitement trop prolongé), d’une mauvaise observance du traitement ou d’une automédication inappropriée chez des patients polymédiqués, âgés et fragiles.

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Table des matières

Introduction
PREMIERE PARTIE : La conciliation médicamenteuse un outil pour lutter contre la iatrogénie médicamenteuse
1. La iatrogénie médicamenteuse : un problème de santé publique
1.1 Définition
1.2 Incidence de la iatrogénie médicamenteuse
2. La personne âgée
2.1. Définition
2.2. Le vieillissement de la population en France et en PACA
2.3. Facteurs de risque liés à l’âge
2.4. Iatrogénie médicamenteuse chez la personne âgée
3. L’hospitalisation en urgence et en service de chirurgie : un risque majoré ?
4. Prévention de la iatrogénie médicamenteuse
4.1. Contexte règlementaire et recommandations
4.2. Lutte contre la iatrogénie dans les établissements de santé
4.3. Le concept de « déprescription »
5. La conciliation des traitements médicamenteux
5.1. Définition
5.2. Principe
5.3. Historique et contexte international et national
5.4. Intérêt de la conciliation médicamenteuse dans la prévention de la iatrogénie
5.5. Interface ville-hôpital
5.6. Les objectifs de la conciliation
5.7. Le pharmacien : acteur pivot de la conciliation
DEUXIEME PARTIE : Conciliation médicamenteuse à l’entrée dans le service de chirurgie du centre hospitalier de Martigues : le bilan
1. Contexte martégal
1.1. Généralités
1.2. Organisation du pôle chirurgie
1.3. Le circuit du médicament en service de chirurgie
1.4. Historique de la conciliation médicamenteuse à l’admission en chirurgie au centre hospitalier de Martigues
2. Etat des lieux entre 2011 et 2016
2.1. Déroulement de l’étude
2.2. Documents utilisés
2.3. Indicateurs étudiés
3. Résultats
4. Améliorations apportées à la pratique de conciliation médicamenteuse à l’admission
4.1. La formation du personnel de soin
4.2. La présence de l’interne en pharmacie dans le service de chirurgie et sa participation aux relèves des infirmières
4.3. Le retrait du traitement personnel des patients
4.4. Guide d’entretien avec les patients
4.5. Révision de la fiche de conciliation médicamenteuse à l’admission et de la fiche d’intervention pharmaceutique (FIP)
4.6. Intégration des coordonnées du pharmacien d’officine au dossier médical
4.7. Création d’un formulaire de « demande d’informations relatives aux traitements des patients dans le cadre de la conciliation des traitements médicamenteux »
TROISIEME PARTIE : Mise en place d’une conciliation médicamenteuse de sortie en service de chirurgie
1. Travail préliminaire
1.1. Particularités du service de chirurgie
1.2. Réunions préalables
1.3. Conception des documents de l’étude
1.3.1. Fiche de conciliation médicamenteuse à la sortie
1.3.2. Fiche de liaison avec les professionnels de santé
1.3.3. La fiche d’informations destinée au patient
1.3.4. Fiches conseils
1.3.5. Questionnaires de satisfaction
2. Méthode
2.1. Population étudiée
2.2. A l’admission
2.3. Pendant l’hospitalisation
2.4. A la sortie
3. Résultats
3.1. Description de la population
3.2. Analyses et interventions pharmaceutiques (IP)
3.3. Révision du traitement faisant intervenir les médecins spécialistes
3.4. Changements thérapeutiques réalisés
3.5. Le pharmacien sollicité en dehors de la révision des traitements
3.6. Les patients « non conciliables »
3.7. Satisfaction des professionnels de ville vis-à-vis de la démarche de conciliation à la sortie
Discussion
conclusion
Bibliographie
Annexes

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