La guerre préhistorique selon le Musée d’Artillerie

REALITES ARCHEOLOGIQUES

Dans cette partie nous nous intéresserons aux éléments archéologiques qui étaient disponibles pour les préhistoriens de la fin due XIXe siècle. Nous étudierons plus particulièrement les armes puis les fossiles humains portant des traces de blessures.

Les armes, preuve évidente de l’activité guerrière

Généralités

Pour les premiers archéologues préhistoriques, les armes faisent partie de pièces de choix. Souvent bien conservées, elles étaient caractéristiques des industries et constituaient un élément de travail important pour les préhistoriens. Enfin elles étaient abondantes et se retrouvaient à peu près dans toutes les régions archéologiques. Gabriel de Mortillet (dans ses « Promenades préhistoriques à l’Exposition universelle [1867]» les met en bonne place.
Elles constituent sans conteste une constante de l’archéologie avec les silex et les fossiles.
Pour montrer la perception des préhistoriens du XIXe siècle siècle sur ce thème, nous avons donc choisi de suivre l’évolution des armes dans le Musée préhistorique. En faisant ce parcours, nous allons pouvoir mettre en évidence trois différenciations. La première sépare l’arme de l’outil. Plus exactement, l’arme n’est au début qu’un outil et tout outil en silex peut servir d’arme en cas de necessité. La hache sera à la fois arme et outil très longtemps. Une hache pour tailler du bois peut aussi servir à fendre le crâne d’un ennemi. Toutefois, elle finira par se spécialiser et une hache de combat se distinguera d’une hache servant à abattre un arbre. Donc la première étape va faire apparaître un outil particulier qui est une arme.
Celle-ci peut servir aussi bien à la chasse qu’à la guerre. Une lance peut perforer les côtes d’un mammouth enlisé ou le poumon d’un ennemi humain. La flèche de l’arc peut abattre un cervidé en pleine course ou le guerrier de la tribu voisine. Il va y avoir spécialisation entre armes de chasse (ou de pêche) et armes de guerre, entre pointe de flèches pour la chasse ou pour la guerre. Mais autant une lance peut servir aux deux activités, autant une épée n’ est guère un moyen cynégétique efficace. Une épée sert à occire son congénère. Elle n’est qu’arme de guerre. Il y a eu spéciation de l’arme de guerre par rapport à l’ arme de chasse.
La troisième différenciation porte sur la catégorie des armes de guerre qui va se diviser en armes offensives et armes défensives. La première catégorie vient directement des armes en général dont l’objectif est d’atteindre une cible humaine. La deuxième vise à se protéger des premières et comprend bouclier, casque et cuirasse. À ce stade, l’activité guerrière est installée dans sa spécificité même si le guerrier et le chasseur ont des activités
complémentaires qui constituent les deux facettes d’un même personnage. La deuxième composante de l’évolution que nous allons observer va reposer sur le matériau utilisé. Le gourdin, l’épieu, l’arc voire le poignard (Mortillet en donne un exemple planche XL) sont en bois. Il est vraisemblable que c’est le matériau des premiers boucliers. Le silex est présent sur toute la période. Sa taille va produire des formes très différentes qui vont se retrouver du plus gros dans le casse-tête, au plus acéré dans le poignard et au plus perforant pour les pointes de javelot ou de flèches. À partir du Néolithique, le polissage va encore amméliorer l’efficacité de l’arme. L’os ou le bois animal va faire faire un bond technique en fournissant des pointes de javelot, de flèches ou de harpons plus performantes. Enfin le bronze propose un saut technologique sans précédent.

Commentaires sur l’évolution constatée des armes

Le bronze marque-t-il une rupture ? Des trois différenciations annoncées en introduction de ce passage sur les armes, la première qui a vu l’arme (de chasse ou de guerre) devenir une catégorie d’outil particulier caractérisé par sa finalité et optimisé pour tuer s’est produite à partir du moustérien. Massue et épieu sont vraisemblablement les deux premières armes. Puis l’emmanchement de la tête de hache ou de la pointe de sagaie va élargir la panoplie.
Peut-on préciser le moment des deux différenciations suivantes ? Elles sont évidement achevées avec le bronze. Mais datent-elles de cet âge, ce qui en ferait le moment favori pour l’apparition de la guerre? Tout d’abord, les préhistoriens notaient bien que les armes de pierre subsistaient longtemps en parallèle avec celles de bronze. Bien plus, ils soulignaient une forte continuité de l’armement. La pointe de flèche de bronze reprenait les formes de la flèche en silex et leurs finalités de chasse et de guerre. Cette continuité de la forme laissait présager de la continuité de l’usage : « Le cuivre et le bronze ne servirent, d’abord, ni à inventer des formes ni à fabriquer des objets nouveaux, mais à fournir un avantage de plus au vieil outillage néolithique»

Les fossiles humains, témoignage de la violence ou témoignage de la guerre ?

Les fossiles humains portant des traces de violence sont souvent considérés comme la preuve première de l’activité guerrière. Ils sont au cœur des ouvrages récents et déjà cités, Le sentier de la guerre ou Sticks, stones & broken bones. Or de tels fossiles ont été identifiés très tôt dans l’histoire de la discipline : deux des trois squelettes de Cro-Magnon entrent dans cette catégorie. Prunières et de Baye vont faire de nombreuses découvertes et consacrer une partie de leurs travaux à ce sujet. Ils ont laissé des collections et des résultats qui font référence encore aujourd’hui. Les préhistoriens de la période vont donc disposer de matériaux abondants. Nous allons d’abord étudier leurs découvertes, la description qu’ils en ont faite et de l’Amérique de Friederici G. qui donnerait une distance de guerre de 100 à 150 mètres leur interprétation sur les causes de ces violences. Nous analyserons leurs discours en partantdu schéma violence-combat-guerre que nous avons proposé en introduction.

Cro-Magnon, les premières victimes

Louis Lartet (1840-1899) racontait ainsi la fouille qu’il mena à l’abri de Cro-Magnon : « Parmi ces ossements, se trouvait, à gauche du vieillard, le squelette d’une femme (M) dont le crâne présente au front une entaille profonde, faite par un instrument tranchant, blessure à laquelle elle a du survivre plusieurs semaines, d’après l’avis de médecins fort compétents, car l’os s’était réparé sur les lèvres de la plaie».
Toutefois Lartet ne poursuivait plus loin dans son analyse et sur la provenance de cette blessure. Paul Broca (1824-1880) allait se livrer à un examen très détaillé et argumenté dans son article « Sur les crânes et ossements des Eyzies ». Après avoir précisé tout d’abord que les ossements provenaient de trois individus qu’il baptisait grand vieillard (numéro1), la femme (numéro 2) et l’adulte (numéro 3), il faisait une description clinique du crâne de la femme. Pour permettre de suivre sa démonstration, nous proposons des photos effectuées le 9 février 2012 (par jcfl) au laboratoire d’anthropologie du MNHN (Le crâne original est référencé 4254, le moulage 26772).

Le docteur Prunières, pionnier de la paléopathologie

Le docteur Prunières (1829-1893) était médecin à Marvejols en Lozère. Il fut un archéologue de terrain particulièrement actif et ses fouilles furent nombreuses. Ce fut sans doute sa profession de mpédecin qui l’amena à être un pionnier de la paléopathologie . Il devint l’un des experts en blessures préhistoriques et en trépanation. Les collections du Docteur Prunières étaient extrêmement riches et furent données au MNHN. Elles provenaient de lieux restés célèbres dans l’archéologie : Caverne de l’Homme-Mort, Caverne néolithique de BaumesChaudes, Caverne d’Almières, Caverne d’Aragon, Caverne de Mas-de-Frech (Esquillon) ainsi que des dolmens de La Lozère. L’inventaire de Léonce Manouvrier (1850-1927) et Adrien de Mortillet, présenté lors de la séance du 1 er juin 1893 de la SAP, mentionnait : « [… ] une douzaine d’os (vertèbre, tibias, os iliaques, etc.) présentant des blessures faites par des pointes de flèches en silex encore en place dans les plaies. Une vingtaine d’os longs ou de fragments de crânes présentant des plaies avec traces de suppuration plus ou moins longue ».
Accueilli par le laboratoire d’anthropologie du MNHN, j’ai procédé à un rapprochement des pièces du Muséum, catégorisées comme contenant des pointes de silex, avec la description et les analyses fournies par Prunières lors d’une communication faite en 1882 au Congrès de La Rochelle de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences . Ce travail est fourni dans son intégralité en annexe 5. Sur les 10 pièces montrées et commentées lors de cette conférence, cinq sont clairement identifiables dans la collection du Muséum. Les autres, présentées ou citées, n’ont pas été reconnues dans les pièces du MNHN. Pour illustrer la démarche de Prunières, nous analyserons seulement quelques unes de ces pièces, (le n°de § et le n° de fig. sont ceux du texte de Prunières ; les photos sont jcfl).

La guerre préhistorique, une réalité archéologique

Nous venons d’examiner deux composantes majeures de la réalité archéologique à disposition des préhistoriens du XIXe siècle pour mettre en évidence cette activité guerrière. Elles sont majeures car elles sont particulièrement bien documentées. Il ne faut toutefois pas oublier d’autres sources d’information qui étaient déjà disponibles, même si certaines d’entre elles étaient encore émergentes. Il faut au moins en citer deux.
La première est l’étude des fortifications et retranchements. Les études sont nombreuses en France et en Europe. Nous citerons le Lieutenant-colonel de la Noë (1836-1902) qui publiait en 1888 un ouvrage Principes de la fortification antique depuis les temps préhistoriques jusqu’aux croisades pour servir au classement des enceintes dont le sol de la France a conservé la trace. Les deux premiers chapitres en furent repris dans les Matériaux . Officier du génie, c’était donc un homme de l’art qui appliquait son savoir à la Préhistoire. Il terminera Général et dirigera le Musée Historique de l’Armée.
Enfin l’art pariétal, enfin reconnu, fournira à partir du début du XX e siècle, soit la fin de la période que nous étudions, quelques indices forts : Les peintures levantines qui décrivaient des scènes de châsse et peut-être de guerre furent ra pprochées des fresques Sud-Africaines(Christol Cave) et attribuées au Magdalénien par Breuil. Bien plus, Breuil et Cartailhacconfirmaient l’existence de l’arc au magdalénien avec ce bison transpercé de flèches : « Niaux nous a révélé un fait nouveau. La moitié des animaux ont sur le flanc une ou plusieurs flèches, nettement tracées, une, deux trois, quatre et même cinq [… ]. Dans l’avant dernier cas,deux longues flèches noires sont entre deux rouges (fig. 12). »

LA GUERRE PREHISTORIQUE SELON LE MUSEE D’ARTILLERIE

Le Musée d’Artillerie fut créé par la Révolution française avec une mission de conservatoire technique de la chose militaire. Il resta le seul musée militaire jusqu’en 1896, date de création du Musée Historique de l’Armée à la mission mémorielle. Le Musée de l’Armée actuel sera créé en 1905 en fusionnant ces deux entités. Le Musée d’Artillerie va être un acteur significatif de la préhistoire naissante au travers de trois collections : la collection des Armes antiques, la Galerie du Costume de guerre et la Galerie Éthnographique. Dans un premier temps, nous présenterons ces collections et leur histoire. Puis nous examinerons de façon approfondie les parties de ces collections dédiées à la Préhistoire afin de comprendre comment elles ont été composées. De là, nous chercherons à déterminer quel sens portait cette représentation.

Les collections préhistoriques du Musée d’Artillerie

La collection des Armes antiques

Elle est constituée d’environ 1000 pièces catégorisées en « Armes de l’âge de la pierre », « Armes en bronze de l’ère celtique », « Armes en bronze et fer de l’ère gauloise », « Armes romaines », « Armes mérovingiennes », « Armes grecques et étrusques » et « Armes scandinaves ». L’origine de la partie préhistorique de cette collection est sans doute due à des circonstances conjoncturelles : Le Musée d’Artillerie, dirigé au début des années cinquante par un archéologue, Félicien de Saulcy, était un des rares musées parisiens au milieu du siècle à pouvoir recevoir des pièces archéologiques, notamment celles de Boucher de Perthes (qui semble avoir été écarté du Musée de Cluny et du MNHN), jusqu’à la création du Musée de St Germain. Les dons principaux proviennent de Boucher de Perthes, d’Edouard Lartet (1801-1871) et Henri Christy (1810-1865) ainsi que du Marquis Paul de Vibraye ; de nombreux objets proviennent notamment des sites de Laugerie Basse, de Laugerie Haute, du Moustier et de La Madeleine.

Rapprochement du Musée Préhistorique et du Musée d’Artillerie

Comment se positionnaient les collections du Musée d’Artillerie par rapport aux connaissances préhistoriques de l’époque ? Nous avons constaté que des liens étroits existaient entre ce musée et les acteurs de la préhistoire. Mais nous devons objectiver cette appréciation. Nous prendrons comme référence les deux ouvrages dont nous avons expliqué le choix dans la partie Méthodologie, Musée préhistorique (1881) et Le Préhistorique (1883). La méthode consistera à examiner les éléments par périodes du Catalogue du Colonel Robert (1889). Dans un premier temps, quelques pièces sélectionnées (rappelées par la cote du catalogue) de cette collection seront rapprochées des planches de Mortillet. Dans un deuxième temps, le mannequin, et chaque élément de la fiche manuscrite du colonel Le Clerc, sera associé à cette période. La démarche consiste donc en une reconstruction artificielle puisque les collections du Musée d’Artillerie sont antérieures aux ouvrages pris comme références et qu’elles n’ont pas été élaborées dans un processus unique. Cela nous donne l’image et le message que pouvait percevoir un visiteur du début de la décennie 1880 qui découvrait cet ensemble. Les photos sont celles du Musée de l’Armée sauf celles marquées jcfl (qui sont de l’auteur).

Type de Saint Acheul

Quelques exemples nous montrent que les pièces de la collection des Armes antiques correspondent sans aucun doute aux standards du Musée Préhistorique (les planches VI à X de cet ouvrage sont consacrées au Chelléen) dont la très grande majorité des pièces proviennent comme celles du Musée d’Artillerie des collections de Boucher de Perthes. « A.1. Sous le même numéro, trois haches en silex taillé par éclats. Trouvées dans les tourbières de la Somme. Don de M. Boucher de Perthes. » Ces objets peuvent être rapprochés de la planche VI du Musée préhistorique.

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Table des matières
Remerciements 
Liste des abréviations 
Résumé
1. Introduction et méthodologie
1.1. Généralités
1.2. Méthodologie
2. Réalités archéologiques
2.1. Les armes, preuve évidente de l’activité guerrière
2.1.1. Généralités
2.1.2. Les armes dans le Musée préhistorique
2.1.3. Commentaires sur l’évolution constatée des armes
2.2. Les fossiles humains, témoignage de la violence ou témoignage de la guerre ?
2.2.1. Cro-Magnon, les premières victimes
2.2.2. Le docteur Prunières, pionnier de la paléopathologie
2.2.3. Le Baron de Baye et la preuve du combat
2.2.4. Nadaillac et l’humanité guerrière
2.3. La guerre préhistorique, une réalité archéologique
3. La guerre préhistorique selon le Musée d’Artillerie
3.1. Les collections préhistoriques du Musée d’Artillerie
3.1.1. La collection des Armes antiques
3.1.2. Les collections de mannequins
3.2. Rapprochement du Musée Préhistorique et du Musée d’Artillerie
3.2.1. Type de Saint Acheul
3.2.2. Type du Moustier et du Solutré
3.2.3. Type de la Madeleine
3.2.4. Période néolithique
3.3. Une image de « la guerre à l’origine de l’homme »
3.3.1. « La guerre est à l’origine de l’homme »
3.3.2. L’activité guerre conforte une vision évolutionnisme
4. Entre réalités archéologiques et représentations, un regard des préhistoriens à l’épreuve des réalités du siècle
4.1. La guerre, sujet second?
4.2. Races et migrations, un contexte de luttes et de heurts
4.3. La justification de la guerre
4.3.1. Du sauvage au civilisé
4.3.2. L’invasion civilisatrice
4.3.3. La guerre, pour quoi et comment
4.3.3.1. Le comparatisme pour documenter la guerre
4.3.3.2. Pour quoi se battre ?
4.3.3.3. Comment se battre
4.3.3.4. Le couple guerre-religion ?
4.4. Le temps des doutes
4.4.1. Barbarie primitive ou barbarie guerrière
4.4.2. De quand date la guerre ?
4.4.3. Des certitudes remises en cause
4.5. La désillusion
5. Conclusion
Sources 
Bibliographie
Annexe 1 : classification de Mortillet 
Annexe 2 : Exemple de fiche de lecture des Matériaux
Annexe 3 : Synthèse bibliographique des Matériaux de 1864 à 1917 
Annexe 4 : Recueil de données SAP
Annexe 5 : Rapprochement collection Prunières
Annexe 6 : Illustration des emmanchements des haches par Boucher de Perthes
Annexe 7 : Recherche des originaux des moulages des objets en os de la Collection des Armes antiques
Annexe 8 : Copie du mail de Monsieur Mennecier, conservateur des collections au MNHN, à Cécile Mouillard 
Annexe 9: article d’E. T. Lamy dans La Nature (1877)
Annexe 10 : Informations sur les mannequins préhistoriques 
Annexe 11 : Enregistrement des bâtons de commandement dans l’inventaire du Musée de l’Armée
Annexe 12 : Exemples de réponses sur la guerre au questionnaire de la SAP 
Table des illustrations

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