La guerre de Succession d’Autriche est loin de régler les conflits qui perdurent entre la France et l’Angleterre en Amérique du Nord, le retour de l’Île du Cap Breton et de toutes les conquêtes faites durant le conflit de 1739-1748 reste amer pour les Britanniques. Au cours des années 1750, les périodiques londoniens se font le relais de tous les accrochages franco-anglais en Amérique. Afin de légitimer les actions entreprises par l’armée britannique, les chroniqueurs s’ empressent de signaler que les Français ont outrepassé leurs droits en venant s’ établir sur les territoires anglais. À nouveau, ils reprennent l’idée que la sécurité et le commerce des colonies britanniques en Amérique du Nord sont mis en danger par les actions de la France sur ce territoire. À la lecture du The Gentleman ‘s Magazine et The London Magazine, il est clair qu’il est du devoir de la métropole d’agir pour assurer la protection de ces loyaux sujets outre-Atlantique, d’ autant plus que la menace est de plus en plus présente pour ces derniers.
Le discours des journalistes s’oriente différemment au cours de la période allant de 1754 à 1760, mais il n’en demeure pas moins que le projet de conquête du Canada continue de faire partie des plans proposés entre les pages des deux magazines. Malgré le fait que les premiers différends armés se déroulent dans les colonies américaines, le sujet de la prise de possession des territoires français en Amérique du Nord se retrouve parfois relégué au second plan. Il est donc beaucoup plus difficile, pour cette période, de retrouver des mentions ou des commentaires des différents chroniqueurs qui expriment clairement la volonté d’ envahir le Canada. Le projet reste toujours présent et les journalistes travaillent à le démontrer mensuellement.
Par l’intermédiaire des journaux anglais, il est possible de voir se mettre en branle les outils pour informer et influencer une opinion publique pour qu’ elle devienne favorable au projet de conquête du Canada. La sécurité et la prospérité coloniale sont les vecteurs centraux de l’opinion publique. Cet ambitieux projet devient, aux yeux des Anglais, réalisable, bien que les historiens aient souvent accordé beaucoup de crédit au projet d’un seul homme, William Pitt. Bien qu’étant le premier ministre, il ne pouvait entraîner à lui seul un projet de cette ampleur . Nous souhaitons donc démontrer, dans les prochaines pages, qu’il s’agit plutôt d’une manipulation complète de l’opinion publique par les bourgeois anglais par un vecteur privilégié, les journaux.
LE DÉCLENCHEMENT DES HOSTILITÉS
Alors que la déclaration de guerre entre les Anglais et les Français n’a lieu qu’en mai 1756, les premiers coups de feu en Amérique du Nord sont tirés bien avant cette période. Certes, nous avons démontré que des accrochages sont recensés dans les deux magazines étudiés entre 1748 et 1753, mais les escarmouches débutent «officiellement », du moins selon les livres d’histoire, dès 1754. Dans les colonies américaines, la guerre possède une chronologie qui diffère du conflit européen. En effet, la guerre de Conquête se déroule en Amérique du Nord de 1754 à 1760, alors que la guerre de Sept Ans perdure de 1756 jusqu’à la signature du Traité de Paris en 1763 . L’élément déclencheur des escarmouches dans les territoires colonisés d’Amérique est, selon les Français, l’assassinat de Joseph Coulon de Villiers de Jumonville par les troupes britanniques du Major George Washington. Les contemporains rapportent que c’est le jeune officier britannique qui aurait froidement abattu son adversaire, alors que ce dernier tentait de négocier la paix. L’évènement sans pareil trouve de nombreux échos en France et aux yeux de plusieurs, l’épisode ne peut rester sans riposte s. Toutefois, ni le Gentleman ‘s Magazine, ni le London Magazine, ne font grand cas de cet évènement dans la vallée de l’Ohio. Certes, par le journal de Washington, ainsi que par une lettre que ce dernier écrit à son frère, nous retrouvons la version anglaise du déroulement de l’ affrontement et il est alors indiqué que l’officier de Jumonville est mort au combat, mais nulle mention d’un macabre assassinat . Selon Edmond Dziembowski, les récentes recherches sur la rencontre entre les deux contingents près de Great Meadows démontrent que l’assassinat sanglant de Jumonville aurait été commis par Tanaghrisson, Demi-Roi (autrement dit un représentant) des Indiens de l’Ohio, à l’aide de son Tomahawk . Cette mort reste toute de même, aux yeux des historiens, l’ étincelle qui a mis le feu aux poudres en Amérique du Nord en 1754.
Pour les contemporains britanniques, on préfère plutôt reprendre le fil des évènements à notre avantage. Plutôt que de tenter d’ expliquer cette escarmouche nébuleuse où un jeune officier britannique aurait commis une bévue, les journalistes misent plutôt sur le fait que les Français se sont volontairement installés sur le territoire américain en prenant possession d’une partie de terres de la couronne britannique dans la vallée de l’Ohio. On rapporte qu’ en juin 1754, le gouverneur Dinwiddle de la Virginie avait décidé d’ envoyer, à un officier français, le major de la milice de la province britannique de la Virgine, George Washington, au nom du roi: «to complain to you of the incroachments thus made, and of the injuries done to the subjects of Great-Britain, in open violation of the laws of the nations, and the treatiers now subsisting between the two crowns ». Toutefois, la réponse de l’officier français souligne les ambiguïtés sur les frontières tracées entre les colonies des deux nations, puisque selon les ordres qu’il a reçus, les Français sont dans leur droit de s’ établir sur ce territoire . Ainsi, les actions entreprises par les troupes britanniques en mai 1754 sont uniquement commises dans le but de réparer les outrages commis par les Français et ainsi, contrer les menaces d’invasion qui planent sur les sujets de Sa Majesté.
Les deux magazmes s’offusquent, quelques mois plus tard, d’une attaque sournoise des Amérindiens, soutenus par les Français, sur le détachement britannique au lendemain de la capitulation du Fort Necessity aux mains des Français. But however this be, we are told that Washington was attacked by the lndians when he marched away the next morning, who killed sorne and plundered others, in which it is said they were encouraged by the French commander, contrary to the capitulation, who, though he pretended to be much concerned, and ran in among the lndians with ms sword drawn, yet instead of attempting to restrain and quiet them; he commended their courage. There have been frequent councils lately held here upon this subject; and we have good authority to say, that our interest in America will in a very short time be effectually supported; and the disputes there decided without producing a declaration of war .
Dans le même document, il est possible de lire pour la première fois dans les deux magazines la mention de l’assassinat de Jumonville. En effet, l’attaque sur le Fort Necessity par les Français avait été planifiée dans le but de venger la mort de l’officier français. Comme le mentionne Edmond Dziembowski, une méconnaissance de la langue française aurait amené Washington à signer l’acte de capitulation qui mentionne l’assassinat de Jumonville par les troupes britanniques. Une erreur qui sera reprise par les autorités françaises lors de la déclaration de guerre officielle entre les deux nations . Dans le cas présent, The Gentleman ‘s Magazine ne fait qu’une brève référence au terme assassinat, puisque celui-ci est inscrit dans l’ acte de capitulation. L’article du magazine porte plutôt l’attention des lecteurs vers l’attaque ignoble commise par les Amérindiens. Sans respect pour les règles de la guerre établies par la capitulation, les Autochtones attaquent et tuent des soldats britanniques. Pour les journalistes, cela vient démontrer la perfidie des Français qui influencent les peuples indigènes à commettre des actes de barbarie. Selon ce chroniqueur anonyme, les renforts sont sur le point d’arriver d’Angleterre pour réparer les outrages faits par les Français en Amérique du Nord, outrages qui ont été commis sans déclaration de guerre officielle de la part des deux pays.
|
Table des matières
INTRODUCTION
L’absence du Canada dans l’historiographie sur la Guerre de Sept Ans
Replacer le Canada dans l’Empire britannique
Sonder l’opinion publique par le biais de la presse mensuelle
Les limites des magazines
Les arguments en faveur du Canada présentés dans les journaux
CHAPITRE 1: De la guerre de Succession d’Autriche aux premières escarmouches (1744-1754)
1.1 La géopolitique européenne au XVIIIe siècle: guerres et alliances
1.2 Se déclarer la guerre
1.2.1 Le début des conflits en Amérique du Nord
1.3 Les écrits du Père Charlevoix: guide de voyage pour les troupes britanniques
1.4 Au cœur de la guerre
1.5 Une trève sur papier
1.6 Conclusion
CHAPITRE 2: La guerre de Conquête (1754-1760)
2.1 Le déclenchement des hostilités
2.2 L’histoire des colonies enseignée dans les journaux
2.3 Les échecs de l’ Albion
2.4 L’offensive de la Grande-Bretagne en Amérique
2.5 1759 : L’année de toutes les victoires
2.6 En prévision de la paix
2.7 Conclusion
CHAPITRE 3: L’acte final de la guerre de Sept Ans (1760-1763)
3.1 L’histoire du Canada
3.2 La chronologie des évènements dans les magazines
3.3 Le débat Canada-Guadeloupe
3.4 Les négociations pour la paix
3.5 Après le Traité de Paris
3.6 Conclusion
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet