La grossesse impaludée

Le paludisme est une affection parasitaire due à un protozoaire Apicomplexa du genre Plasmodium et transmis par un Culicidae femelle du genre Anopheles. Pour permettre le maintien du parasite dans la nature, deux cycles successifs et complémentaires sont nécessaires : un cycle asexué qui se déroule chez l’homme et un cycle sexué qui se déroule chez l’anophèle femelle . Le paludisme est l’une des endémies parasitaires les plus fréquentes et les plus graves dans les pays en développement de la zone tropicale et subtropicale. L’OMS estime entre 300 et 500 millions le nombre annuel de cas de paludisme dus à Plasmodium falciparum avec une mortalité d’environ 1 million par an, dont essentiellement des enfants africains âgés de 6 mois à 5 ans. Plus de 2 milliards d’individus vivent actuellement en zone de transmission palustre.

Les enfants de moins de 5 ans représentent un groupe à risque et parmi les adultes, les femmes enceintes sont les plus susceptibles. En effet les femmes enceintes sont plus exposées aux pathologies infectieuses telles que la tuberculose et le paludisme en raison des modifications immunitaires survenant au cours de la grossesse. Les conséquences cliniques de l’infection palustre sur la mère, le fœtus et le nouveau-né dépendent largement des caractéristiques locales de la transmission du paludisme. Il est noté entre autres :

– une anémie et une mortalité maternelle (FLEMING et al., 1984 ; THOMSON, 1997; GRANJA et al., 1998)
– un retard de croissance intra-utérin chez le fœtus (ALLEN et al., 1998).
– une prématurité ou un faible poids de naissance (CAMARA et al., 1995 ; BRABIN, et al., 1996 ; KASUMBA et al., 2000)
– une fréquence plus élevée des avortements (MENENDEZ et al., 1994)
– sur le plan physiopathologique, une autre conséquence du paludisme chez la femme enceinte est la séquestration des globules rouges parasités dans le placenta, et une prévalence de l’infection placentaire plus élevée chez les primigestes que chez les multigestes. Ces globules rouges parasités présentent un ligand parasitaire capable de se fixer à la chondroïtine sulfate A (CSA) (DUFFY & FRIED 1999) et à l’acide hyalorunique (BEESON et al., 2000) exprimé à la surface du syncytiotrophoblaste. Le contrôle et la prévention du paludisme ont longtemps reposé sur la chimioprévention consistant en une chimioprophylaxie hebdomadaire à base de chloroquine. Cette stratégie a connu des insuffisances liées à la résistance des souches plasmodiales à la chloroquine (RACCURT et al., 1986 ; LANCASTRE et al.,1988 ; PLASSE et al., 1990) et à la faible observance de la chimioprophylaxie par les femmes enceintes.

Pour palier ces limites, le Sénégal a adopté en juin 2003 suivant les recommandations de l’OMS, le traitement préventif intermittent (TPI) par la sulfadoxine pyriméthamine (SP) qui consiste à donner à la femme enceinte deux cures de SP lors des visites prénatales du deuxième trimestre et du troisième trimestre. Le TPI est efficace pour prévenir l’anémie maternelle, le petit poids de naissance et l’infection palustre placentaire (SCHULTZ et al., 1994 ; CHALLIS et al., 2004) ; cependant il semble présenter quelques limites qui pourraient être liées:
– au développement rapide de la résistance de P. falciparum à la SP
– au faible pourcentage de femmes qui reçoivent effectivement 2 cures de SP
– au manque d’informations sur la tolérance à la SP.

Les limites du TPI ainsi que la résistance de P. falciparum aux antipaludiques en général rendent la prophylaxie et le traitement du paludisme de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. La nécessité de mettre au point de nouvelles stratégies de lutte est évidente et l’utilisation d’un vaccin efficace serait particulièrement adaptée au contexte africain. La mise au point d’un tel vaccin suppose une connaissance précise et approfondie du paludisme, des parasites et des réponses immunologiques. En ce qui concerne l’élaboration d’un vaccin contre le paludisme associé à la grossesse, de nombreux programmes de recherche sont développés afin de caractériser les molécules impliquées dans la cytoadhérence des parasites dans le placenta, notamment la variation de l’antigène PfEMP1 (Plasmodium falciparum Erythrocyte Membrane Protein 1) (BARUCH et al., 1995 ; GIHA et al., 1999 ; DUFFY & FRIED, 2002 ; 2003 ; 2004; BEESON & BROWN, 2004), d’étudier le développement des anticorps spécifiques dirigés contre ces antigènes, ainsi que sur l’orientation des réponses cellulaires de type Th1 ou Th2 lors de la grossesse impaludée (SUGUITAN et al.,2003; SACKS et al., 2003).

La grossesse impaludée

En raison des modifications immunologiques observées pendant la grossesse, le paludisme est plus fréquent et plus sévère chez les femmes enceintes comparées aux femmes non enceintes. Cette susceptibilité et cette sévérité sont déterminées par le niveau de protection immunitaire acquis avant la grossesse (MC GREGOR, 1984) qui lui-même dépend du niveau de transmission du paludisme. Dans les zones à transmission stable, la susceptibilité à l’infection palustre est plus importante chez les primipares que chez les multipares (MOORE et al., 1999), tandis que dans les zones à transmission instable (où les femmes sont non ou peu immunes), cette susceptibilité est la même quel que soit le degré de parité (MENON et al., 1972).

Toutefois, la nature particulière du parasite infectant est une autre raison de la sévérité du paludisme pendant la grossesse. En effet, les globules rouges parasités expriment à leur surface un ligand qui reconnaît comme récepteur la chondroïtine sulfate A (CSA) du placenta (POUVELLE et al., 2000; SCHERF et al., 2001). L’adhésion des globules rouges parasités au syncytiotrophoblaste permet au parasite d’échapper à la destruction splénique et aux macrophages circulants. Ce parasite placentaire est phénotypiquement différent de celui rencontré chez l’homme ou la femme non enceinte impaludée. Les conséquences de l’infection plasmodiale au cours de la grossesse concernent la mère, le fœtus puis le nouveau-né.

Conséquences cliniques

Chez la mère

L’infection palustre au cours de la grossesse s’associe à une anémie qui contribue significativement à la morbidité maternelle surtout lors de l’accouchement (GRANJA et al., 1998). Une autre conséquence importante est la séquestration des globules rouges parasités dans le placenta ce qui peut accroître cette anémie maternelle. Le rôle joué par l’infection palustre dans cette anémie est montré d’une part, par l’augmentation de son incidence et de sa gravité au cours de la grossesse notamment chez les primigestes et d’autre part par une diminution de la prévalence de l’anémie chez les femmes enceintes recevant des antipaludiques (NOSTEN et al., 1994). En zone d’endémie, cette anémie liée au paludisme est plus fréquente et plus sévère chez les primipares et les jeunes femmes enceintes comme il a été montré au Gabon (BOUYOU-AKOTET et al., 2003). Au Mali, DICKO et al.(2003) ont établi qu’il y avait une relation entre l’infection à Plasmodium falciparum et l’anémie chez la femme enceinte. L’infection serait probablement la cause de cette anémie.

Concernant la mortalité, des études menées au Mozambique entre 1989 et 1993 ont démontré que dans 15,5 % des cas, les décès de femmes enceintes à l’hôpital central de Maputo étaient directement attribuables au paludisme (GRANJA et al., 1998). En plus de l’anémie et de la mortalité, on note une impaludation placentaire c’est-à-dire la présence des globules rouges parasités dans le placenta liée à un phénomène de séquestration et de sélection de souche parasitaires.

Chez le fœtus 

Le paludisme au cours de la grossesse a aussi des répercussions sur le fœtus et les principales conséquences vont du retard de croissance intra-utérin à l’avortement. Il a été déjà signalé que le paludisme provoque des accouchements prématurés chez les femmes peu prémunies. Cependant, chez les femmes à forte prémunition, l’impaludation placentaire semble davantage causer un retard de croissance in utero qu’une prématurité (MENENDEZ et al., 2000).

Retard de croissance intra-utérin
Le retard de croissance du fœtus dans l’utérus est d’une manière générale dû aux lésions occasionnées par l’impaludation placentaire. (WALTER, et al., 1981). Il peut être influencé par la densité parasitaire ainsi que par la durée et la sévérité de la maladie (SULLIVAN et al., 1999). L’altération de la croissance fœtale proviendrait d’une impaludation placentaire entraînant un épaississement de la membrane basale du trophoblaste (BULMER et al., 1993). Cette réaction inflammatoire serait le résultat de l’action des cytokines libérées par les monocytes/macrophages présents en grand nombre dans le placenta impaludé. Toutefois des altérations placentaires pourraient survenir à la suite d’une impaludation placentaire sans que le poids du nouveau-né ne soit réduit (YAMADA et al., 1989), ce qui témoignerait d’une croissance normale dans l’utérus.

Le retard de croissance intra-utérin est moins fréquent chez les multigestes en zone d’endémie car ces dernières présentent une forte prémunition vis à vis du parasite placentaire. En effet, dans ces zones, il se développe chez la femme une immunité anti-parasitaire qui se renforcerait au cours des grossesses impaludées successives.

Prématurité
En dehors du faible poids de naissance le paludisme pendant la grossesse entraîne une prématurité en rapport avec le niveau d’infection placentaire; le TNF α serait impliqué dans cette conséquence (OKOKO et al., 2002).

Avortement 

Des taux élevés d’avortements et de mort-nés chez des femmes non immunes ont été rapportés (MENON, 1972 ; STEKETEE et al., 1988). Dans ces conditions, le paludisme maternel peut provoquer une mort intra-utérine du fœtus par le blocage du transfert des nutriments, ou par l’induction d’une hypoxie consécutive à une anémie sévère chez la mère. Des études réalisées en Gambie révèlent une plus faible incidence des mort-nés chez des primigestes impaludées recevant une chimioprophylaxie comparée à un groupe recevant un placebo (MENENDEZ et al., 1994). Les risques d’avortement sont influencés par la durée de l’impaludation et la sévérité de l’infection (SULLIVAN et al., 1999).

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Table des matières

I- INTODUCTION
II- GENERALITES
1. Les modifications immunologiques pendant la grossesse normale
1. 1. Sur le trophoblaste
1. 2. Mécanismes hormonaux
1. 3. Les cytokines
1. 4. Les cellules immunitaires
2. La grossesse impaludée
2. 1. Conséquences cliniques
2. 1. 1. Chez la mère
2. 1. 2. Chez le fœtus
2. 1. 2. 1. Retard de croissance intra-utérin
2. 1. 2. 2. Prématurité
2. 1. 2. 3. Avortement
2. 1. 3. Conséquences chez le nouveau-né
2. 2. Conséquences anatomo-pathologiques
2. 2 1. Rappels sur les structures du placenta normal
2. 2. 2. Description des placentas parasités par P. falciparum
2. 3. Conséquences physiopathologiques
2. 4. Conséquences immunologiques
2. 4. 1. Inversion du déséquilibre Th1/Th2
2. 4. 2. Les cellules immunitaires
III- MATERIEL ET METHODES
1. Zones d’étude et sujets
– Pikine-Guédiawaye
– Thiadiaye
2. Méthodes d’étude
2. 1. Collecte du sang intervilleux placentaire
2. 2. Evaluation de l’expression des molécules de surface
2. 3. Isolement et dénombrement des CMN
2. 4. Séparation des CMN
2. 5. Purification des lymphocytes T par sélection négative
2. 6. Purification des monocytes par sélection négative et par adhésion
2. 7. Vérification de la pureté des cellules
2. 8. Réalisation des cocultures
2. 9. Stimulation du sang Total et des CMN
2. 10. Mesure de l’expression des cytokines intra-cytoplasmiques
2. 11. Collecte des parasites placentaires
2. 12. Analyse des anticorps anti-VSA au cytométre en flux
2. 13. Tests statistiques
IV- RESULTATS
1. Première étude : Activation des monocytes et inhibition des lymphocytes T dans le placenta infecté par P.falciparum
1. 1. Caractéristique générale de la population d’étude
1. 2. Réponse proliférative des CMN
1. 3. Réponses prolifératives des cocultures
1. 4. Expression des molécules de surfaces des monocytes
2. Deuxième étude : Augmentation d’IL-12 par les monocytes et d’IFN-γ et de TNF-α par les lymphocytes T dans le placenta impaludé
2. 1. Caractéristique générale de la population d’étude
2. 2. Production de cytokines par les lymphocytes (CD3+)
2. 2. 1. En fonction du statut impaludé ou non
2. 2. 2. En fonction du phénotype CD4+ / CD8+
2. 3. Production de cytokines par les monocytes (CD14+)
2. 3. 1. Production d’IL-10
2. 3. 2. Production d’IL-12 et de TNF-α En fonction du compartiment sanguin
2. 3. 3. Production d’IL-12 et de TNF-α En fonction du statut impaludé ou non
2.4. Dosage des cytokines dans le plasma périphérique
3. Troisième étude : Acquisition d’anticorps dirigés contre les antigènes de surface des Globules rouges infectés par P. falciparum
3. 1. Caractéristiques générales de la population
3. 2. Infection à P. falciparum et parité
3. 3. Infection à P. falciparum et production des anticorps Anti-VSACSA
3. 4. Infection placentaire et production des anticorps Anti-VSACSA
V-DISCUSSION
1. Activation des monocytes et inhibition des lymphocytes T dans le placenta infecté par P.falciparum
2. Augmentation d’IL-12 par les monocytes et d’IFN-γ et de TNF-α par les lymphocytes T dans le placenta impaludé
3. Acquisition d’anticorps dirigés contre les antigènes de surface des Globules rouges infectés par P. falciparum
VI- CONCLUSION ET PERSPECTIVES
VII- BIBLIOGRAPHIE

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