Avec la mondialisation et le phénomène grandissant de la concentration d’entreprises, il s’est créé de facto une discipline nouvelle qui n’a pourtant toujours pas reçu de consécration véritable dans le droit positif malgache: il s’agit du droit des groupes. D’autres disciplines telles que les sciences économiques, les sciences de gestion et sciences des organisations ont su aborder le phénomène des groupes avec plus de célérité, plus de clarté et plus d’intérêt.
Mais aujourd’hui, le Droit en tant que discipline de réglementation, et a fortiori le droit malgache, ne peut plus ignorer le phénomène des groupes, à défaut de les reconnaître comme des sujets de droit. En effet, la loi malgache sur les sociétés commerciales N° 2003-036 du 30 janvier 2004, en son article 189, pose que : « un groupe de sociétés est l’ensemble formé par des sociétés unies entre elles par des liens divers qui permettent à l’une d’elles de contrôler les autres ». Le phénomène de groupes pourrait plus largement se concevoir comme étant la relation entre une société-mère et une ou des filiales. L’article 195 de la même loi de préciser que : « Une société est société-mère d’une autre société quand elle possède dans la seconde plus de la moitié du capital. La seconde société est la filiale de la première».
LES DILEMMES DE GROUPE : ENTRE INTEGRATION ET AUTONOMIE JURIDIQUE ET FONCTIONNELLE
Les groupes de sociétés, notamment les grands groupes ou du moins ceux présentant une certaine envergure , ont à faire face à des dilemmes juridiques au niveau de leur gestion courante. Ces dilemmes dirimants laissent entrevoir d’emblée une friction entre le droit des sociétés et les réalités du groupe. Cette tension palpable entre le droit des sociétés et les droits des groupes se confirme à deux échelles : au niveau conceptuel et au niveau pratique.
A l’échelle conceptuelle, le droit des sociétés, à travers le prisme de la notion de personnalité morale, est confronté à un obstacle dirimant qui n’est autre que la réalité du groupe. En effet, la personnalité morale étant étroitement liée à la question de l’autonomie des institutions en bénéficiant, il sera plus qu’opportun d’analyser la question de l’autonomie des filiales vis-à-vis du groupe si tel est le cas, et de voir si, au contraire, on assiste plutôt à une intégration du groupe et des sociétés la composant . Au niveau pratique, la gestion quotidienne du groupe impose de prendre des décisions par rapport à la direction du groupe et par rapport à son fonctionnement, notamment de par les conventions intragroupes et hors groupe , ce qui crée des foyers de tension et de friction supplémentaires entre les entités formant l’ensemble économique.
Autonomie des filiales ou intégration du groupe ?
Les frontières juridiques d’autonomie des filiales
L’autonomie de droit des personnes morales
Bien qu’étant à l’origine une notion propre au droit public, la personnalité morale transcende les clivages disciplinaires et trouve une application en droit privé (A). Tirant les conséquences de droit de cette autonomie des personnes morales privées, nous tenterons d’appliquer ce principe à l’ensemble hétérogène que semble former le groupe (B).
A) le principe en droit privé
A l’origine, seules certaines entités publiques telles que l’Etat lui-même ou ses détachements ou démembrements administratifs, c’est-à-dire les collectivités publiques, jouissaient de la personnalité morale. Au gré des circonstances et des évolutions conjoncturelles liées à la nécessité de faire évoluer les institutions du commerce et de l’industrie, la jurisprudence ainsi que la doctrine ont façonné une théorie de la personnalité morale applicable à certaines entités et institutions de droit privé, dont les sociétés commerciales et civiles . C’est ainsi par exemple que Georges Ripert définit les sociétés comme étant une création de l’homme à son image, leur conférant de la sorte une liberté semblable ainsi qu’une autonomie patrimoniale .
Ainsi, la personnalité morale pourrait être définie comme étant l’attribut ou le privilège conférant à une institution de droit public ou de droit privé, une existence propre, telle qu’elle bénéficie à la fois d’une vie juridique autonome, d’un patrimoine autonome, voire même d’une autonomie décisionnelle propre, distincte de celle de ses membres ainsi que la possibilité de la mise en branle de sa responsabilité tant sur le plan civil que pénal. Sur le plan doctrinal tout d’abord, d’éminents auteurs de droit public tel que le doyen Hauriou ont forgé ce qui allait devenir par la suite la conception institutionnelle de la société afin, sans doute, de privilégier la théorie de la personnalité morale et d’annihiler la vision contractualiste. Cependant, la complexité de la théorie de l’institution et la difficulté à établir avec précision une définition unique ont subséquemment engendré pareille difficulté à unifier les théories de la personnalité morale.
Ainsi, des auteurs tel que Saleilles s’insurgent contre l’existence juridique d’une personnalité propre aux sociétés , en avançant l’argument selon lequel il n’existe qu’une autonomie patrimoniale et donc, un patrimoine d’affectation dénué d’une volonté propre. Deux franges de la doctrine en France, celle en faveur de la théorie de la réalité et celle optant pour la fiction juridique de la personnalité morale, se sont durement opposées durant tout le XXe siècle. Les partisans de la théorie de la réalité affirment qu’il existe une personnalité réelle propre à tout groupement en mesure d’exprimer sa volonté propre à travers une activité spécifique. Certains auteurs vont même jusqu’à parler de « réalité technique » pour évoquer la personnalité morale comme un processus technique que la loi permet pour attribuer aux groupements concernés certains privilèges liés à l’autonomie juridique. Les partisans de la théorie de la fiction tentent de démonter la théorie inverse en avançant le fait que ce processus technique et cette réalité technique ne sont que des artifices juridiques permis par la loi pour octroyer une personnalité fictive ou fictio juris.
B) le principe appliqué au groupe
Dans le principe du droit des sociétés, l’autonomie juridique des sociétés ne saurait souffrir d’aucune exception, étant donné que leur personnalité juridique a été à maintes reprises consacrée par la Cour de cassation française, même dans le cadre spécifique d’un groupe de sociétés . Erigé en principe sacro-saint du droit des sociétés, l’indépendance des sociétés, même liées dans le cadre d’une organisation telle que le groupe, perdure. Ainsi, les sociétés filiales du groupe conservent pleinement leur personnalité morale et subséquemment, toutes les prérogatives de droit y afférentes : autonomie patrimoniale, autonomie décisionnelle, autonomie de gestion… Cette dernière prémisse appelle deux observations : la première tient au fait que si il est de l’essence des sociétés, en tant que personnes morales institutionnalisées par la loi, de jouir pleinement de leur personnalité morale, il n’en est pas de même pour les prérogatives attachées à celle-ci ; en effet, d’une forme d’autonomie à une autre(patrimoniale, décisionnelle…), il semble que l’existence du groupe puisse porter atteinte à ces diverses formes d’autonomie, à des degrés divers, dont il sera fondamental d’y revenir par la suite. La seconde observation est que le schéma de raisonnement inverse n’est point valable : c’est-à-dire faire présumer ou déduire l’existence de la personnalité morale à partir d’éléments de fait. Ainsi, il est inconcevable d’envisager la possibilité que le groupe puisse avoir une personnalité réelle , par une induction logique tirée de la constatation d’éléments de fait, tels qu’une éventuelle autonomie et une unité décisionnelles, de gestion, ou patrimoniales. Ainsi, nous rejoignons les partisans de la théorie de la fiction de la personnalité morale, découlant des effets d’attribution de la Loi.
Défini par le professeur Yves Guyon comme étant « un ensemble de sociétés juridiquement indépendantes les unes des autres mais en fait soumises à une unité de décision économique » , le groupe ne saurait donc, à s’en tenir à cette définition jugée par son auteur lui même comme imparfaite et approximative, supprimer l’indépendance juridique des sociétés liées. La loi malgache sur les sociétés commerciales définit, quant à elle, le groupe de sociétés comme « l’ensemble formé par des sociétés unies entre elles par des liens divers qui permettent à l’une d’elles de contrôler les autres » . Contrastant avec la précédente définition doctrinale qui tend à mettre en exergue l’ambivalence et la dualité entre indépendance juridique et unité économique, la définition donnée par la loi malgache est plus floue et laisse entrevoir que la notion de contrôle prime, d’où une apparente primauté de la dépendance économique.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LES DILEMMES DE GROUPE : ENTRE INTEGRATION ET AUTONOMIE JURIDIQUE ET FONCTIONNELLE
Titre I- Autonomie des filiales ou intégration du groupe ?
Chapitre I- Les frontières juridiques d’autonomie des filiales
Chapitre II- La vision unitaire du groupe
Titre II- La gestion juridique du groupe : le sort des dirigeants et les contrats intragroupes et hors groupe
Chapitre I- Le sort des dirigeants de filiales
Chapitre II- Les contrats intragroupes et hors groupe
DEUXIEME PARTIE : L’HYBRIDATION DES POUVOIRS AU CŒUR DU GROUPE
Titre I- Identité et rôles des unités membres d’un groupe de sociétés
Chapitre I- Identité des unités membres du groupe
Chapitre II- Fonctions des unités membres du groupe et impacts en termes de pouvoir
Titre II- Etendue du pouvoir hybride des maisons-mère
Chapitre I- L’espace discrétionnaire des prérogatives des maisons-mère
Chapitre II- L’unité dynamique de la gouvernance des groupes de sociétés
Titre III- L’approche partenariale de la gouvernance des groupes : vers un meilleur équilibre des pouvoirs
Chapitre I : La transposition des mécanismes de corporate governance aux groupes de sociétés
Chapitre II : La gouvernance des groupes : une structure horizontale de développement à promouvoir ?
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE