Le sujet de cette thèse a été défini à partir d’une rencontre. Un groupe de travail de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie (AESN) menait une réflexion interne sur l’évaluation et les indicateurs. De mon côté je souhaitais travailler sur la construction et l’usage des indicateurs biologiques de qualité des rivières. La directive cadre européenne sur l’eau adoptée en 20002 a constitué l’opportunité de notre rencontre. En effet, d’une part cette directive requiert l’usage d’indicateurs biologiques pour la planification et l’évaluation de la gestion des milieux aquatiques, d’autre part les agences de l’eau en France seront les services opérationnels de mises en œuvre de la directive cadre. Or l’usage d’indicateurs biologiques par les agences de l’eau ne pas de soi. Je vais expliquer dans cette introduction la façon dont sont perçues les difficultés d’usage des indicateurs biologiques par les agences de l’eau. Puis j’expliquerai pourquoi j’ai choisi de faire un long détour avec cette thèse pour prendre du recul sur ces difficultés et proposer des pistes pour les surmonter. Ce choix m’amène à ne pas présenter tout de suite le contenu de la directive cadre, en commençant mon travail sur la base des perceptions de cette directive du côté français.
Les défis de la directive cadre vus du côté français
Pour aborder les difficultés perçues par les acteurs des agences de l’eau devant la directive cadre, il me paraît nécessaire de comprendre quelle est l’organisation et la gestion actuelle de l’eau en France et de déterminer quels sont les acteurs concernés par la mise en œuvre de la directive. Exposer toute la gestion de l’eau serait un peu ambitieux. Ce n’est pas nécessaire pour mon propos. Je me limiterai à la gestion des rivières. J’exposerai donc de façon brève un panorama de ces responsabilités telles qu’elles existent en France aujourd’hui. Ceci me permettra de préciser le rôle et la position des agences de l’eau. Puis j’exposerai la façon dont les partenaires de ma recherche perçoivent le défi de la mise en œuvre de la directive cadre. La gestion des rivières inclut la gestion des cours d’eau depuis les torrents jusqu’aux grands fleuves, de leurs berges et de leurs lits majeur et mineur. Je n’aborderai donc pas les lacs, ni les eaux souterraines, ni les lagunes, ni la mer. Bien entendu ces milieux sont en continuité avec les rivières, la distinction n’est donc pas toujours aisée et repose sur des conventions (limite de salure des eaux, lignes des plus hautes eaux, eaux closes …) qui peuvent évoluer.
Si l’on se restreint à la qualité des milieux aquatiques terrestres (ni les mers, ni les lagunes, ni les nappes, ni l’eau dans les tuyaux) alors on peut dresser un tableau rapide des principaux acteurs français de la qualité des rivières permettant au lecteur non spécialiste de se repérer. J’omets volontairement les références juridiques définissant les droits et rôles ainsi exposés parce que je serai amenée à exposer leur évolution historique dans le chapitre 3. L’exposé ciaprès est le fruit de mon expérience personnelle dans un service déconcentré de l’Etat et du travail mené auprès des agences de l’eau Seine-Normandie et Rhône-Méditerranée-Corse dans le cadre de cette thèse. Ces éléments ont donné lieu à deux synthèses sur le paysage institutionnel français de la gestion de l’eau (Bouleau 2003) et sur les lois sur l’eau (Bouleau 2006c). Les éléments tirés d’autres sources mentionneront leurs auteurs.
La gestion de la qualité des rivières en France
L’Etat surveille, autorise et contrôle
Les normes en matière de qualité des rivières sont largement conditionnées en France par la réglementation européenne. Le tableau 27 (p.422) récapitule les différentes directives dans le domaine de l’eau. Ainsi les rejets en rivières sont contraints par les zonages issus des directives « eaux résiduaires urbaines » et « nitrates » et par la réglementation sur les rejets industriels. Les eaux concernées par des usages piscicoles, conchylicoles, baignade et production d’eau potable sont soumises également à la réglementation communautaire. Les protocoles de mesure chimique sont harmonisés. Les sites naturels aquatiques remarquables pour leurs espèces rares sont concernés par la gestion Natura 2000. Les ministères de la santé, de l’environnement, de l’agriculture, de l’industrie et du budget sont chargés de l’application de cette réglementation complétée par le droit français. Leurs orientations conditionnent les travaux de deux services déconcentrés de l’Etat qui agissent dans le domaine de la qualité de l’eau, le service unique de police de l’eau au niveau départemental et la DIREN (direction régionale de l’environnement) au niveau régional.
La législation consolidée européenne et française ne suffit pas aujourd’hui pour déterminer de façon univoque l’objectif de qualité d’un cours d’eau et par voie de conséquence l’exigence ou la tolérance vis-à-vis des rejets dans ce cours d’eau et l’ambition d’entretien ou de restauration écologique. L’Etat, au niveau départemental, tranche (Cesari 2004). La police de l’eau autorise et contrôle les prélèvements et les rejets.
La DIREN collecte des données sur l’ensemble des cours d’eau et est destinataire de l’ensemble des données d’autosurveillance imposées aux installations classées . Elle produit des synthèses sur l’état des ressources en eau et des milieux aquatiques. Jusqu’en décembre 2006, le Conseil Supérieur de la Pêche était l’établissement public à caractère administratif et technique sous la tutelle du ministère de l’environnement chargé de la surveillance du patrimoine piscicole . Depuis la nouvelle loi sur l’eau et les milieux aquatiques , le CSP est intégré au nouvel Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA). La surveillance du patrimoine piscicole continue d’être faite par des gardes assermentés qui interviennent ponctuellement sur des cas de pollution ou globalement pour alimenter un réseau de données : le réseau hydrobiologique et piscicole.
Les bassins planifient, taxent et aident sous l’arbitrage de l’Etat.
Depuis 1964, il existe dans chacun des six grands bassins métropolitains (voir figure 1), une agence de l’eau qui est un établissement public sous la tutelle du ministère du budget et du ministère de l’environnement. Ces ministères de tutelle déterminent les moyens dont disposent les agences (personnel et enveloppe maximale de leur budget ). Les objectifs de la politique de l’eau dans le bassin sont négociés entre les ministères de tutelle et les instances de bassin. Ces instances de bassin sont le comité de bassin, où siègent des représentants des usagers du bassin nommés par le préfet , et le conseil d’administration élu par le comité de bassin.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. LES DEFIS DE LA DIRECTIVE CADRE VUS DU COTE FRANÇAIS
1.1. LA GESTION DE LA QUALITE DES RIVIERES EN FRANCE
1.2. LES RÉACTIONS FRANÇAISES À LA DCE
1.3. LA REACTION DE LA DIRECTION DES ETUDES DE L’AGENCE DE L’EAU SEINE-NORMANDIE
2. JUSTIFICATION DU DETOUR EMPRUNTE POUR LA THESE
CHAPITRE 1. ENQUETER DANS LE MONDE FRANÇAIS DE L’EAU ET DES MILIEUX AQUATIQUES
1. LE CHOIX D’UNE APPROCHE SOCIALE
1.1. EN QUOI LA GESTION DES COURS D’EAU EST-ELLE UNE QUESTION SOCIALE ?
1.2. LA PART VECUE
2. LA FILIERE EAU
2.1. AUTONOMISATION DE LA FILIÈRE EAU
2.2. LA CULTURE DES INGENIEURS DANS LA FILIERE EAU
2.3. DES REGLES DE DROIT QUI ENTRETIENNENT DES DISTINCTIONS DE ROLES
2.4. LES RESSOURCES FINANCIERES DE LA FILIERE EAU
3. LES SPECIALISTES DES MILIEUX AQUATIQUES
3.1. LE MONDE DE LA PÊCHE AMATEUR EN EAU DOUCE
3.2. LES NATURALISTES
4. CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
CHAPITRE 2. CADRE THEORIQUE D’ANALYSE DES INSTITUTIONS DE GESTION DES RIVIERES
1. UN CADRE SOCIOLOGIQUE POUR ABORDER LES MODES DE GESTION DES RIVIERES
1.1. LEGITIMITE ET INSTITUTIONS
1.2. LEGITIMITE POLITIQUE DES ORGANISATIONS ET DES PERSONNES
2. UN CADRE SOCIOLOGIQUE POUR ABORDER LES INDICATEURS ET LEUR LEGITIMITE
2.1. LA SOCIOLOGIE DES SCIENCES PERMET D’ABORDER LES INDICATEURS COMME DES INNOVATIONS QUI SE STABILISENT
2.2. LA SOCIOLOGIE DE LA QUANTIFICATION PERMET DE DETAILLER LES EFFETS SOCIAUX DE L’USAGE DES INDICATEURS
3. METHODE D’INVESTIGATION
3.1. LE CHOIX D’UNE ANALYSE QUALITATIVE SUR LES PRATIQUES DE QUANTIFICATION
3.2. TRAVAILLER SUR DES OBJETS PUBLICS
3.3. DIVERSITE DU MATERIAU D’INVESTIGATION LIEE A L’EVOLUTION DU QUESTIONNEMENT
3.4. DIFFICULTES RENCONTREES ET SOLUTIONS APPORTEES
4. CONCLUSION DU CHAPITRE 2
CHAPITRE 3. INSTITUTIONNALISATION DE LA GESTION ECOLOGIQUE DES RIVIERES EN FRANCE
1. LA CREATION DES AGENCES FINANCIERES DE BASSIN
1.1. QUELLE FENÊTRE D’OPPORTUNITÉ POUR UNE PROPOSITION DE LOI SUR LE PROBLÈME DE L’EAU ?
1.2. DE LA NATURE ÉCONOMIQUE DES AGENCES FINANCIÈRES DE BASSIN
1.3. LA MISE EN MODÈLE DE LA POLLUTION
2. LA REACTION DU MONDE DE L’HYDROBIOLOGIE
2.1. LA DIVISION « QUALITÉ DES EAUX », PORTE-PAROLE DES PÊCHEURS
2.2. LA MISE AU POINT DE L’INDICE BIOTIQUE
2.3. VERS DES INDICATEURS PLUS DETERMINISTES
3. LE MONDE DE LA PECHE CEDE LE PAS A L’ECOLOGIE
3.1. LA FENÊTRE D’OPPORTUNITÉ DES PIREN GRANDS FLEUVES
3.2. LA LOI PÊCHE DU 29 JUIN 1984
4. L’HYDROSYSTEME RHONE ET LA LOI SUR L’EAU DE 1992
4.1. L’ÉCOLOGIE CONTESTATAIRE ET SCIENTIFIQUE S’ORGANISE À LYON
4.2. LA MISE AU POINT DU CONCEPT HYDROSYSTÈME
4.3. LA LOI SUR L’EAU DU 3 JANVIER 1992
4.4. LA MISE AU POINT DE L’INDICE POISSON
5. LE BIOREACTEUR SEINE ET LA DIRECTIVE ERU DE 1991
5.1. UNE MODÉLISATION SCIENTIFIQUE NON-CONTESTATAIRE S’ORGANISE À PARIS
5.2. LES MODELES DU PIREN SEINE
5.3. LA DIRECTIVE EAUX RÉSIDUAIRES URBAINES DE 1991
6. LA TRAJECTOIRE SOCIALE « TYPE » DES INDICATEURS BIOLOGIQUES
7. CONCLUSION DU CHAPITRE 3
CHAPITRE 4. LES AGENCES DE L’EAU ET L’EVALUATION ECOLOGIQUE DES RIVIERES
1. LE MONDE DE L’AESN SELON J.-B. NARCY
2. TROIS REFERENTIELS DE GESTION DE L’EAU DANS LES DEUX AGENCES (AESN ET RMC)
2.1. LE REFERENTIEL « EQUIPEMENT »
2.2. LE REFERENTIEL « CONCERTATION »
2.3. LE REFERENTIEL « ECOLOGIE »
3. CARTOGRAPHIE ET HISTORIQUE DES REFERENTIELS AU SEIN DE L’AGENCE SEINENORMANDIE
3.1. METHODOLOGIE
3.2. REPRESENTATIVITE DE L’ECHANTILLON
3.3. UTILISATION DES REFERENTIELS PAR LE PERSONNEL DE L’AESN
4. UTILISATION DES REFERENTIELS AU SEIN DE L’AGENCE RHONE-MEDITERRANEE-CORSE
4.1. UN REFERENTIEL « EQUIPEMENT » POUR LE MILIEU RURAL
4.2. UN REFERENTIEL « CONCERTATION » DOMINANT
4.3. UN REFERENTIEL « ECOLOGIE » TRES PRESENT MAIS ENCORE EN CONSTRUCTION
5. L’EVOLUTION DU REFERENTIEL « EQUIPEMENT » DANS LES DEUX AGENCES
5.1. INSTITUTIONNALISATION DU REFERENTIEL « EQUIPEMENT » AU SEIN DE L’AESN
5.2. LES SPECIFICITES DU REFERENTIEL « EQUIPEMENT » AU SEIN DE L’AERMC
6. ARBITRAGE ENTRE REFERENTIELS
6.1. L’EVALUATION DES PERSONNES
6.2. DES PROJETS EN CONSTANTE REDEFINITION
6.3. LE PARTAGE DES CONTRAINTES
6.4. LA RESOLUTION DES CONTRAINTES
7. CONCLUSION DU CHAPITRE 4
CONCLUSION