Le service de gestion des déchets désigne ici l’ensemble des activités de gestion des déchets, de la collecte à leur traitement. Il concerne tous les types de déchets, des déchets ménagers aux déchets des activités économiques, des déchets banals aux déchets inertes. Ce service est au cœur du fonctionnement du système urbain. Il permet d’expulser hors de la ville les matières issues des activités humaines. Au-delà des objectifs de salubrité et de santé publiques, il permet de maintenir l’image de la ville. En effet, rien n’est plus négatif que la présence de déchets dans les rues d’une ville lors d’une grève des éboueurs. Le déchet est en effet porteur d’une mauvaise image : c’est le sale, la déchéance, le non soi. Cette condamnation du déchet concerne même les unités de traitement. Il suffit de voir toutes les difficultés que rencontrent les gestionnaires pour installer un nouveau centre d’incinération ou d’enfouissement (I). Très tôt, une forme de collecte et d’expulsion des déchets s’est donc mise en place. Progressivement, cette organisation s’est complexifiée. La seule expulsion du déchet en dehors de la ville n’était plus suffisante. Des solutions d’élimination ont dû être trouvées pour répondre à la disparition des débouchés que représentaient l’agriculture et l’industrie. Puis, l’avènement d’un modèle économique favorisant la consommation intensive de produits manufacturés a favorisé l’augmentation exponentielle de la production de déchets. C’est aujourd’hui l’un des services urbains ayant l’organisation la plus complexe (II). Afin de clarifier la compréhension du fonctionnement de ce service, nous lui avons appliqué la vision systémique adoptée dans le chapitre précédent pour étudier l’objet ville. Ce choix méthodologique permet d’une part de rendre compréhensible la complexité du système, et d’autre part, en vue des travaux futurs, d’établir les bases de l’étude du rôle de son fonctionnement dans le rétablissement de la ville en période d’inondation, et ainsi de travailler sur sa résilience .
Les déchets, nature et mode de traitement
L’objet déchet
Le terme déchet recouvre deux familles terminologiques : d’une part les immondices du latin « immondus », et d’autre part le rebut issu de la déformation populaire du verbe « déchoir », « déchié », terme dont le mot déchet est issu (Gouhier, 1999). La première acception fait référence au « déchet réel, total, absolu : c’est le résidu sans valeur économique ou sociale positive » (Gouhier, 2003), c’est l’ordure. Il renvoie à l’impureté, à la puanteur, au dégoût. La seconde acception reprend la définition ancienne du terme déchet, dans un sens synonyme à celui du rebut, c’est-à-dire la « diminution, [la] perte qu’une chose éprouve dans sa substance, dans sa valeur, ou dans quelqu’une de ses qualités ». Cette définition fait alors référence à ce qui tombe d’une matière travaillée, « le déchet des matériaux que l’on taille pour les employer à une construction, est ordinairement d’un sixième ». « Le déchet est [alors] la perte, la « diminution qu’une chose subit dans l’emploi qui en est fait » (Gouhier, 1999). Appelé « pseudo-déchet », c’est un bien qui pourrait avoir une valeur dans un système autre que celui dans lequel il a été créé (Gouhier, 2003). Cette définition met en avant la spécificité du déchet, c’est-à-dire sa valeur relative à la société et à l’époque dans lesquelles il a été créé.
Un objet relatif à une époque
Ce qui peut être rejeté à un moment donné, ne le serait donc pas dans des conditions économiques, sociales, sociétales différentes. Le déchet est ce qui est expulsé, ce qui dégoûte. « C’est le rejet qui fait le déchet. Le procès d’exclusion s’accompagne d’un jugement de valeur négatif (…) » (Lhuilier et Cochin, 1999). Or,la définition de la nuisance est relative à un système symbolique donné, à un ordre social, à une époque (Gouhier, 2003 ; Lhuilier et Cochin, 1999). La société de consommation actuelle a fortement favorisé l’augmentation du volume de la production de déchet. Cette augmentation est liée à l’évolution des modes de consommation, mais également à notre vision de ce qui fait « déchet ». Comme le montre M. Douglas, la condamnation est une construction socio-historique car « il n’y a rien de dégoûtant tant en soi : est dégoûtant ce qui désobéit aux règles de classification propres à un système symbolique donné » (Douglas, cité par (Lhuilier et Cochin, 1999). Ce qui est défini comme souillure, pollution est lié à l’ordre social et symbolique formé à l’échelle individuelle et collective. « La définition du risque participe de la construction et de l’entretien de l’ordre social : elle désigne et stigmatise ce qui est susceptible de menacer cet ordre » (Lhuilier et Cochin, 1999). Outre, la question des valeurs et de la construction d’une société, la définition d’un objet en déchet dépend également de considérations techniques du moment. Ne devient déchet que ce que la société ne peut pas ou ne sait pas réintégrer dans l’organisation. Ainsi, sont définis comme déchets, des objets, des biens ou des matériaux qui ne possèdent pas, à un moment donné, de valeur marchande, ou pour lesquels les connaissances sont insuffisantes pour les valoriser (Ouallet, 1997).
Il s’agit également ici d’un processus de construction sociétale. Comme, nous allons le voir, il peut être décidé de sortir de la notion de déchet des objets qui en faisaient partie afin de répondre à des objectifs de valorisation. En ce sens, le déchet peut être considéré comme un label (Billet, 1999), un déchet n’existant pas en tant que tel, mais définit comme appartenant à la catégorie déchet car il correspond à la définition donnée à une époque précise.
Le déchet, un label ?
Cette conception s’appuie sur les définitions données dans les lois concernant la gestion des déchets. Dans la Directive européenne 2008/98/CE, le déchet est défini comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » . Cette définition renvoie aux termes de la loi du 15 juillet 1975 qui définissaient le déchet comme « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit, plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon». La qualification d’un objet en déchet nécessite donc de qualifier les intentions de son titulaire (Lupton, 2011). Ce dernier a-t-il abandonné l’objet ou a-t-il envisagé son abandon ? L’abandon peut être effectif, matériel, ou envisagé, intellectuel (Billet, 1999). Ainsi, les déchets sont « res nullius », c’està-dire qu’ils n’ont plus de propriétaire, et « res derelectae », c’est-à-dire qu’ils peuvent être abandonnés. Par là même, cela signifie que les déchets doivent avoir été des biens auparavant (Ouallet, 1997). Les biens peuvent être définis comme une chose susceptible d’appropriation. Ainsi, ils s’opposent aux choses qui ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation, mais seulement d’un droit d’usage (air, eau,…) (Ouallet, 1997). Une différenciation est également importante à faire pour notre propos. Un déchet relève d’un abandon volontaire de la part du propriétaire. Il ne doit donc pas être confondu avec les biens involontairement perdus comme les épaves (Ouallet, 1997). Cet abandon ne signifie pas que le déchet ne peut pas, par la suite, être réapproprié. « Ainsi, le statut du déchet est mouvant : le bien devient un déchet s’il est abandonné, et redevient un bien privé s’il est réapproprié » (Lupton, 2011). Si un objet est abandonné c’est que sa valeur est nulle ou même négative, si le détenteur doit payer pour l’éliminer (Maystre et Duflon, 1994). Or, s’il y a réappropriation cela signifie que le déchet a de nouveau une valeur pour la personne qui se l’approprie. Il devient alors une matière première secondaire ou, comme la directive 2008/98/CE le définit, un « sous-produit ». Un bien peut donc sortir du statut de déchet comme le compost ou le verre, par exemple (alinéa 22 de la directive européenne 2008/98/CE).
Un bien n’est donc pas originellement un déchet. Pour P. Billet, « le déchet est une étiquette juridique instable, prompte à être collée, à être décollée ou à être remplacée, valse hésitation entre l’état d’un moment et un état autre, à venir » (Billet, 1999).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 De l’intérêt de travailler sur la post inondation
I. La post catastrophe : une période stratégique de la gestion de crise
A. Qu’est-ce qu’une catastrophe ?
B. Caractéristiques de la post catastrophe
C. État des lieux des dispositifs d’anticipation et de préparation à la gestion de la post catastrophe
II. Évolution de la prise en compte de la post catastrophe dans les politiques de gestion des inondations
A. D’une vision techniciste du risque à la prise en compte de la société dans la gestion des inondations
B. Territorialisation des politiques de gestion des inondations et amorce d’une gestion intégrée
C. De la vulnérabilité à la capacité à faire face : mise en avant de la notion à la résilience
III. Utiliser la notion de résilience pour améliorer la gestion de la post catastrophe
A. La résilience : qu’est-ce c’est ?
B. De l’intérêt de la systémique pour l’étude de la résilience des villes aux inondations
C. La résilience aux inondations des systèmes urbains
Conclusion
Chapitre 2 La gestion des déchets : un service technique urbain nécessaire au fonctionnement des territoires urbains
I. Les déchets, nature et mode de traitement
A. L’objet déchet
B. Typologies des déchets : un domaine d’étude large
C. La gestion des déchets
II. La gestion des déchets : naissance d’un service urbain et complexité de son organisation actuelle
A. Bref historique de la mise en place du service de gestion des déchets
B. Organisation de la gestion des déchets
III. Approche systémique du service de gestion des déchets
A. Service, système et réseau
B. Description du service de gestion des déchets
Conclusion
Chapitre 3 Résilience aux inondations du service de gestion des déchets
I. Les dysfonctionnements du service de gestion des déchets suite à l’inondation
A. Conséquences d’une inondation sur le fonctionnement du service de gestion des déchets
B. Conséquences des déchets post inondation et des difficultés de leur gestion sur le système urbain
II. Gestion des déchets post inondation, une inéluctable désorganisation
A. Pourquoi parler d’une inéluctable désorganisation du service de gestion des déchets ?
B. La gestion des déchets post inondation : équilibre entre gestion de l’urgence et maintien dans la durée
C. État de la prise en compte de la question des déchets post inondation en France
III. Méthodologie pour diagnostiquer la résilience du service de gestion des déchets aux inondations
A. De la résilience corrélative à la résilience cognitive
B. La résilience fonctionnelle ou la capacité du service de gestion des déchets à maintenir un fonctionnement acceptable
C. La résilience territoriale
Conclusion
Chapitre 4 Élaboration d’une méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets post inondation
I. Réflexions sur la construction d’une méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets post inondation
A. Les méthodes de caractérisation du gisement de déchets
B. Les enjeux liés aux données disponibles et à leur qualité
II. État des connaissances et analyse du besoin
A. État de l’art des méthodes de quantification des déchets post catastrophe
B. Apprécier les attentes en matière de quantification et de qualification des déchets post inondation
C. Objectifs et contenu de la nouvelle méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets post inondation
III. Une méthode de quantification et de caractérisation des déchets post inondation
A. Une différenciation entre les déchets issus de l’inondation des activités et les déchets issus de l’inondation des logements
B. Méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets issus de l’inondation des logements
C. Éléments de réflexion pour une méthode de quantification des déchets issus des activités
IV. Validation de la méthode
A. Un nécessaire calage de la méthode
B. Validation de la méthode
Conclusion générale