LA GESTION DES ACTIVITÉS D’ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE
Les indicateurs de la scolarisation de la population du Nunavik
La scolarisation des Inuit est un phénomène relativement récent. Les travaux de plusieurs chercheurs, dont Briggs (1983), Stairs (1991, 1994), Irwin (1988) et Clark (2004) mentionnent que la langue des Inuit, leurs valeurs, les habiletés et les savoirs traditionnels ont été transmis à travers les générations bien avant l’arrivée de l’éducation formelle. L’éducation traditionnelle opérait entre les membres d’un même campement regroupant généralement deux à trois familles élargies. Elle avait pour but la survie des individus de même que la perpétuation de la culture inuit (Clark, 2004). La scolarisation des Inuit débuta avec l’arrivée des missionnaires anglicans et catholiques dont les oblats vers le milieu du 19e siècle (Vick-Wesgate, 2002; Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canada, 2006). L’enseignement était dispensé de façon sporadique étant donné le nomadisme et semi-nomadisme des Inuit (Affaires Indiennes et du Nord Canada, 2006). La scolarisation n’était pas obligatoire.
Comme le mentionne Duhaime (1983), « [ … ] c’est seulement après la deuxième guerre mondiale que la scolarisation des Inuit prit au Canada la forme obligatoire et institutionnalisée qu’on lui connaît aujourd’hui, pièce maîtresse du dispositif de sédentarisation et de développement d’une économie salariée mise en place par le gouvernement fédéral» (Duhaime, 1983, cité dans Pemet , 2009: 226.). Dans les quelques établissements solaires fondés par les missionnaires, l’enseignement se faisait en inuktitut à l’aide de documents religieux. Le but était d’alphabétiser et de christianiser les Inuit, ainsi que leur enseigner les compétences et attitudes appropriées afin qu’ ils puissent prendre part au système mis en place par les non-inuit (Vick-Wesgate, 2002; Affaires Indiennes et du Nord Canada, 2006). Vick-Wesgate (2002) spécifie que la sédentarisation et l’avènement de la scolarisation, vers le milieu du 20e siècle, changea en profondeur le mode de vie inuit.
Aperçu historique de la scolarisation au Nunavik
La scolarisation des Inuit du Canada a fait l’objet de plusieurs changements au cours des deux derniers siècles. Ces changements ont marqué leur histoire et sont, encore aujourd’hui, au coeur des discours politiques, sociaux, éducationnels et culturels des Premières Nations du Canada. Les pensionnats autochtones sont nés des politiques fédérales vers la fm des années 18206 . Durant près de 170 ans, l’enseignement se faisait essentiellement en anglais par des instituteurs et des missionnaires provenant généralement de l’Alberta et du sud d’autres provinces canadiennes (King, 2006). Au Québec, cinq pensionnats ont vu le jour et l’enseignement se faisait en français. Dans les divers établissements, l’utilisation de l ‘inuktitut était «un délit punissable» (CSK, 2010). L’assimilation et la christianisation étaient les buts de ce type de scolarisation: on souhaitait intégrer les Inuit dans la société canadienne afin de leur permettre de jouer éventuellement« un rôle important dans le contexte du développement de la région arctique d’après-guerre.» (CSK, 2010). Le programme ontarien avait été adopté dans tous les établissements scolaire fédéraux (Dorais, 1990).
Chez les Premières Nations du Canada, ce sont ainsi les établissements fédéraux qui ont été implantés vers 1867 et c’est suite à une décision de la Cour Suprême du Canada en 1923 que le gouvernement fédéral « [ … ] commença à prendre en charge les Inuit et leur éducation. » (Cancel, 2009 :163; Vick-Wesgate, 2002; Affaires Indiennes et du Nord Canada, 2006). Les écoles provinciales ont fait leur apparition dès 1963, au début de la Révolution tranquille avec la Direction générale du Nouveau Québec (DGNQ). Cancel (2009) référant à Dorais (1979), rapporte que la Commission scolaire du Nouveau-Québec fut cr éée en 1970. Ces établissements scolaires offraient un enseignement en inuktitut jusqu’en troisième année inclusivement puis en français. 7 Les établissements scolaires fédéraux et provinciaux opéraient simultanément dans au moins 10 villages du Nunavik offrant le choix aux parents de scolariser les enfants en anglais ou en français. Par cont re, « ( … ) dû à la réticence des parents enver s le provincial, l’anglais était la langue de communication dans les communautés inuit » (trad. libre, Daveluy, 2009 : 175).
Les établissements scolaires mis en place par les miss ionnaires quant à eux, ont poursuivi leur mission; cependant, ils se sont fait supplanter vers 1966 par d ‘autres formes de structures scolaires (Vick-Wesgate, 2002). Les enseignants francophones et anglophones des établissements fédérau x et provinciaux provenaient du sud des provinces canadiennes. Certains suivaient de petites formations préliminaires, notamment une init iation à l’inuktitut et ils devaient enseigner les matières au programme en inuktitut et en français dans les communautés ciblées, accompagnés d’un interprète inuit. Depuis l’époque des missionnaires, la scolarisation était ainsi administrée par des organisations gouvernementales canadiennes et québécoises. Aujourd’hui, la Commission scolaire Kativik (CSK) est l’entité administrative responsable de la scolarisation obligatoire des jeunes Inuit. Sous la gouverne des Inuit, elle a été mise en place à la suite de la signature de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois (CBJNQ) en novembre 1975 (Vick-Wesgate, 2002). Vick-Wesgate (2002) précise que c’est toutefois en 1978 que la responsabilité des établissements scolaires du provincial et du fédéral a été transférée officiellement à la nouvelle commission scolaire. Vick-Wesgate soutient : «The official transfer to KSB of the students, teachers, and property of both the federal and the provincial school systems took place in July 1978 » (Vick-Wesgate, 2002 :79).
Des enjeux de la rétention et du roulement du personnel enseignant non-inuit
Le personnel enseignant non-inuit affiche un haut taux de roulement et un faible taux de rétention. Les enseignants non-inuit qui oeuvrent au Nunavik y restent à peine quelques années. Le service des Ressources humaines de la CSK confirme que plus de 150 enseignants francophones et anglophones doivent être embauchés annuellement pour combler les postes vacants 15 . L’association des employés du Nord québécois (AENQ-CSQ, 2011) précise qu’on estime à 1.3 année le nombre d’années d’expérience des enseignants non-inuit au Nunavik. Daveluy (2009 :183), s’explique ce phénomène en spécifiant que les enseignants doivent passer la majeure partie de leur séjour à apprendre à composer avec leur environnement de travail. VickWesgate (2002) constate également qu’une adaptation aux besoins des élèves inuit doit être faite de la part des enseignants non-inuit. Le phénomène engendre, selon Dalley et Roy (2008), Daveluy (2008) et Cancel (2009) notamment, un manque de continuité dans le processus de scolarisation des élèves inuit, mais surtout, semble être la conséquence de la complexité du travail d ‘enseignant dans le contexte particulier au coeur de cette recherche.
Le contexte social et géographique spécifique du Nunavik de même que le contexte scolaire influencent la particularité et la complexité de la pratique enseignante au Nunavik. Ces professionnels doivent s’adapter aux besoins des élèves, au matériel, aux programmes, à l’environnement de travail de même qu’à un milieu de vie nordique. Considérant l’important roulement du personnel enseignant qui semble affecter le cheminement scolaire et la réussite des élèves, il est justifié de vouloir mieux comprendre la situation de pratique des enseignants : quels sont les défis inhérents à l’environnement de travail dans lequel sont plongés les enseignants noninuit dans un contexte nordique? Notre position d’observatrice privilégiée en tant que stagiaire et enseignante au Nunavik permet de repérer certains de ces défis que nous mettons en relation avec les travaux de recherche disponibles à ce jour.
La langue de communication et d’enseignement
La langue de communication et d’enseignement est, dans le cadre de cette étude, la langue française. Celle-ci consiste en une deuxième et plus souvent une troisième langue pour les élèves. Selon le cheminement scolaire officiel, un élève qui complète sa sixième année du cours primaire a donc une expérience de trois années de scolarisation en français. Ce constat soulève la question des acquis des élèves au regard des standards des programmes d’études institutionnels. Nous avons observé, en situation de pratique, qu’ il est difficile de faire l’évaluation diagnostique du niveau de compétence des élèves. Une enseignante d’un village du Nunavik illustre cette réalité dans le contexte de sa classe de septième année en précisant qu’elle n’est pas certaine de pouvoir évaluer le niveau de ses élèves en français (Plourde, 2008). Aylward (2010) formule le même constat en rapportant les propos d’un enseignant dans le cadre d’une recherche sur l’éducation bilingue auprès d’enseignants non-inuit au Nunavut: « 1 am not always so sure of how much … how strong they are in either language. » (Aylward, 2010 :309).
Ces observations illustrent la difficulté de 1′ enseignant à se représenter, avec un minimum de clarté et de conscience, ce que les élèves ont acquis des contenus d’apprentissage au programme. Selon Berger & Epp (2005) qui ont oeuvré au Nunavut dans un contexte général similaire, l’enseignant qui ne possède pas d’expérience en enseignement en langue seconde est susceptible d’ interpréter certains comportements des élèves de façon erronée et de conclure à une évaluation non-valide des compétences des élèves. L’expérience sur le terrain nous a également permis de constater les défis d’enseigner à la fois la langue seconde et les contenus des programmes dans cette langue seconde. Desrochers (2006), dans une recherche sur l’acquisition du vocabulaire en français langue seconde menée auprès des élèves inuit du Nunavik, précise que la langue seconde est à la fois objet d’apprentissage et véhicule des savoirs scolaires. Ceci place les élèves en situation d’apprendre une seconde réalité conceptuelle différente de celle des apprentissages réalisés dans leur contexte familial et communautaire. Les enseignants se retrouvent donc confrontés à la nécessité de développer des aptitudes relatives à la gestion de situations peu ou pas familières qui surgissent dans leur pratique enseignante au quotidien et auxquelles leur formation et leur expérience du Sud ne les ont pas préparés.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LA PROBLÉMATIQUE
1.1 Des particularités géographiques et socio-démographiques
1.2 Les indicateurs de la scolarisation de la population du Nunavik
1.2.1 Aperçu historique de la scolarisation au Nunavik
1.2.2 La singularité du mandat et des programmes mis en place par la Commission scolaire Kativik
1.2.3 Des constats relatifs à la réussite scolaire des élèves du Nunavik
1.3 Des enjeux de la rétention et du roulement du personnel enseignant non-inuit
1.4 La mise en relation d’observations tirées de l’expérience enseignante et de données tirées de la recherche
1.4.1 La langue de communication et d ‘enseignement
1.4.2 L’appropriation des outils institutionnels d’enseignement-apprentissage par les enseignants
1.4.3 La gestion du fonctionnement du groupe-classe
1.5 Le problème et la question générale de r echerche
CHAPITRE II LE CADRE DE RÉFÉRENCE
2.1 Le bilinguisme et l’éducation bilingue et biculturelle
2.1.1 Le bilinguisme sociétal et la bilingualité individuelle
2.1. 2 Le concept d’éducation bilingue et biculturelle
2.1.3 Les particular ités d’une minorité ehtnoculturelle involontaire
2.2 Les représentations
2.2.1 La pertinence de s’ intéresser aux représentations
2.2. 2 Les éléments de définition des représentations
2.2. 3 L’ accès aux représentations
2.3 Les situations professionnelles
2.3.1 Champ d’étude dans lequel s’ inscrit notre objet : l’ergonomie cognitive
2.3.2 Le couplage tâche-activité
2.3.3 Le modèle People at Work
2.3.4 La rupture ou l’incapacité d’agir
2.4 Les questions spécifiques de recherche
2.5 Les objectifs et les limites
2.5.1 Les objectifs spécifiques de la recherche
2.5.2 Les limites de la recherche
2.5.3 La portée de la recherche
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1 Approche et type de recherche retenus
3.1.1 L’approche de recherche retenue, pertinence et justification
3.1.2 Le type de recherche priorisé pertinence et justifications
3.2 Population à l’ étude
3.2.1 La détermination de l’échantillonnage
3.2.2 La représentativité de l’échant illonnage et la descript ion des participantes
3.2. 3 Préoccupations éthiques inhérentes à la démarche de recherche
3.3 Instruments de cueillette et d’ analyse des données
3.3.1 L’instrument de cueillette des données
3.3.2 Les instrument s d’ analyse et de traitement des données
3.3.3 L’emploi du logiciel Nvivo comme outil d’analyse de contenu
3.4 Le déroulement et la démarche de recherche
3.4.1 La prise de contact avec les enseignantes des établissements scolaires
3.4.2 Le déroulement des entretiens
3.4.3 Transcription des entretiens
3.4.4 Analyse thématique du contenu des verbatim
3.4.5 L’ approfondissement de l’analyse, le traitement et la problématisation des données de recherche
CHAPITRE IV RÉSULTATS DE LA RECHERCHE : LA GESTION DES ACTIVITÉS D’ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE
4.1 Les buts liés à la gestion des activités d’enseignement-apprentissage
4.1.1 Les buts liés à la communication avec les élèves
4.1.2 Les buts liés à l’intérêt des élèves
4.1.3 Les buts liés à la création d’un climat de classe agréable et propice à l’ apprentissage
4.1.4 Les buts liés au développement des connaissances et des compétences
4.2 Les moyens de réalisation des activités d’apprentissage
4.2.1 Les types d’activités
4.2.3 L’adoption d ‘approches pédagogiques facilitantes en classe
4.2.4 Les ressources matérielles
4.2.5 L’expérience, la formation et les caractéristiques personnelles des enseignantes
4.2.6 L’emploi de la langue anglaise
4.3 Les conditions de la réalisation des activités d’apprentissage
4.3.1 Les aspect s socio-linguistiques du contexte de pratique
4.3.2 Les élèves et les aspect s socio-culturels et scolaires qui ont un impact en contexte de pratique
4.3.3 Les enseignantes et les aspects socioculturels et scolaires qui ont un impact sur le contexte de pratique
4.4 Les contraintes dans la réalisation des activités d’apprentissage 4.4.1 Les contraintes liées au x r essources matérielles d’enseignementapprent issage
4.4. 2 Les contraintes dans la transmission des connaissances et le développement des compétences au programme
4.4.3 Les contraintes r elatives au contexte de pratique
CHAPITRE V LA DISCUSSION DES DONNÉES
5.1 Le français langue de communication et contenu d’apprentissage
5.1.1 Le dés ir des enseignantes d’entrer en communication avec les élèves
5.1. 2 Le questionnement du contexte de la scolarisation en fi·ançais
5.1.3 Le français langue de l’ acquisition des contenus d’apprentissage
5.1.4 La redéfmition de l’objet de la tâche par les enseignantes
5.2 La relation des enseignantes avec les élèves
5.2.1 Quand et comment la relation entre les enseignantes et les élèves prend place en classe
5.2.2 Les outils d’analyse et de compréhension des situations professionnelles des enseignantes
CONCLUSION
APPENDICE A LES VILLAGES DU NUNAVIK
APPENDICE B COMPOSANTES DES SITUATIONS PROFESSIONNELLES
APPENDICE C QUESTIONS À CARACTÈRE DÉMOGRAPHIQUE
APPENDICE D CANEVAS D’ENTREVUE
APPENDICE E GRILLE D’ANALYSE DE CONTENU DES VERBATIMS
APPENDICE F DIRECTIVE DE FORMATION ET DE RECHERCHE
APPENDICE G LETTRE D’INVITATION AUX PARTICIPANTS (ES)
APPENDICE H FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
APPENDICE I RÉFÉRENCES EXTRAITES DU LOGICIELNVIVO
APPENDICE J RÉFÉRENCES EXTRAITES DU LOGICIEL NVIVO INSÉRÉES DANS UN TABLEAU À DES FINS D’ANALYSE DE CONTENU
APPENDICE K EXEMPLE DE DÉBUT D’ANALYSE CIBLANT LES CONVERGENCES ET DIVERGENCES ENTRE LES PROPOS DES PARTICIPANTES ET CITATIONS À L’ APPUI.
LISTE DES RÉFÉRENCES
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