La gestion centralisée de l’eau urbaine

Cette thèse publiée sur chatpfe.com s’intéresse au développement de la Récupération et l’Utilisation de l’Eau de Pluie (RUEP) à l’échelle de l’agglomération parisienne. Cette pratique très ancienne, attachée au bâtiment, a existé partout dans le monde depuis l’âge de l’antiquité. En France, elle était très répandue jusqu’au 19ème siècle. Cependant, avec l’arrivée des réseaux centralisés d’eau potable, elle aurait presque disparu, sauf dans certains endroits isolés où le réseau centralisé n’a pas fait son apparition [Chouli 2006].

A l’instar d’autres techniques décentralisées, la RUEP réapparaît aujourd’hui en milieu urbain sous une nouvelle forme plus sophistiquée en faisant appel à des technologies et des savoirs élaborés qui permet de la qualifier de rétro-innovation [de Gouvello 2010], au sens proposé par Thierry Poujol [Poujol 1990]. Progressivement, les installations de RUEP constituent un système d’approvisionnement en eau parallèle, complémentaire plus qu’alternatif au réseau d’eau potable centralisé [Coutard et Rutherford 2009].

La gestion centralisée de l’eau urbaine : un modèle remis en question 

Le modèle centralisé de gestion de l’eau en milieu urbain repose sur la notion de réseau (d’assainissement ou d’approvisionnement en eau potable) qui peut être définie comme : « ensemble d’équipements interconnectés, planifiés et gérés de manière centralisée à une échelle tantôt locale tantôt plus large et offrant un service plus ou moins homogène sur un territoire donné qu’il contribue ainsi à solidariser » [Coutard et Rutherford 2009]. Le réseau d’assainissement est apparu sous la forme actuelle au 19ème siècle. À l’origine, il a été créé pour évacuer les eaux pluviales et les eaux usées souvent souillées d’excréments humains ou animaux, sources de maladies. La solution appelé « tout-à-l’égout » a consisté à installer des canalisations souterraines ayant pour fonction d’évacuer ces eaux hors de la ville. Au début, cette solution technique a connu un large succès en évitant toute forme de contact avec les eaux souillées [Andrieu et al. 2010].

Cependant, au cours du 20ème siècle cette solution a entrainé des inconvénients qui se sont révélés de plus en plus insupportables. En rejetant les eaux usées et les eaux pluviales directement dans le milieu naturel, celui-ci s’est dégradé en conséquence. La nécessité d’assainir les eaux usées des villes avant leur restitution au milieu a donc fini par s’imposer. En passant donc, d’une logique de l’éloignement de l’eau à une logique de collecte et de traitement de cette eau [Triantafillou 1987]. Aujourd’hui, le réseau d’assainissement centralisé est remis en question pour diverses raisons. En effet, les problèmes de capacité du réseau engendrés par l’urbanisation rapide et les changements climatiques se heurtent au coût des interventions (redimensionnement, traitement,…) que ces problèmes appellent. De plus, des préoccupations environnementales croissantes favorisent le recyclage, et la réutilisation au détriment de l’évacuation pure et simple [Le Bris et Coutard 2008]. La reconnaissance institutionnelle de l’assainissement non collectif (grâce à arrêté du 3 mars 1982 et ensuite à loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau ) comme un vrai mode de gestion des eaux usées témoigne de cette remise en question du modèle centralisé. Alors que ce dernier (l’assainissement non collectif) était auparavant considéré comme solution provisoire dans l’attente du raccordement à l’égout central [Weymersche 2006]. Par ailleurs, le modèle central d’approvisionnement en eau potable est plus rarement remis en question. M. Montginoul explique que le recours à une ressource autre que l’eau potable du réseau public reste faible et encore plus faible en milieu urbain. Par ailleurs, elle ajoute qu’aucune véritable étude n’a été effectuée sur ce sujet [Montginoul 2006]. Toutefois, le modèle central d’approvisionnement en eau potable présente lui aussi des limites : le vieillissement et la dégradation de l’infrastructure, la perte de plus de 20% du volume d’eau distribué et l’augmentation du prix du m3 d’eau potable (assainissement compris) qui s’est accru de  10% par an en moyenne entre 1998 et 2004 [IFEN 2007] . De plus, ce modèle conduit parfois à un usage abusif de la ressource (en ouvrant le robinet, l’eau potable coule abondamment) [Beyeler et Triantafillou 1987].

En France, en 2011, 78 départements ont étés forcés de prendre des mesures de restriction de consommation d’eau. Bien qu’on assiste à une baisse de la consommation sur Paris [Barraqué et al. 2008], une telle mesure a également touché la région parisienne pourtant considérée jusqu’il y a très peu de temps comme non exempte d’un risque de pénurie d’eau. Le préfet de région d’Ile-deFrance a ainsi décidé d’activer en mai 2011 les mesures de restriction liées au « seuil de vigilance » et les Franciliens, entreprises, particuliers et collectivités locales, ont dû réduire les utilisations de l’eau qui ne sont pas indispensables, comme : le nettoyage des véhicules, le remplissage des piscines ou encore l’arrosage des jardins. Ce phénomène est appelé à se répéter dans les années à venir selon les spécialistes métrologique.

Désormais, la France est amenée à s’adapter au risque de sécheresses récurrentes. La ministre de l’environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui participait en décembre 2011 à la conférence du climat à Durban (Afrique du Sud), y a ainsi déclaré : « il est impératif d’améliorer notre gestion de la ressource en eau. C’est pourquoi j’ai fixé comme objectif une réduction de 20% des prélèvements d’eau d’ici à 2020 » à l’échelle nationale en France.

En plus de ces questions qui émergent aujourd’hui autour des deux modèles centraux de gestion de l’eau en milieu urbain, une autre vient s’ajouter au tournant des 20ème et 21ème siècles. Il s’agit de la question environnementale qui touche profondément le domaine de l’eau, vu qu’il s’agit d’une ressource vitale non remplaçable soumise à une dégradation continue. A l’échelle mondiale, l’UNESCO dresse ainsi un portrait alarmant de la situation en matière d’eau douce. L’organisation rappelle qu’aujourd’hui près de 1.2 milliard d’individus n’ont pas accès à l’eau potable saine, soit 20 % de la population mondiale et estime que plus de 5 milliards d’individus ne disposeront pas d’accès à des installations sanitaires décentes en 2030 (soit 67% de la population mondiale) [UNESCO 2010].

Vers une gestion « in situ » de l’eau urbaine : l’émergence des nouvelles techniques alternatives aux réseaux centralisés

Les techniques alternatives aux réseaux sont apparues comme une concrétisation de l’approche GIRE, impliquant ainsi les citoyens comme un acteur dans la gestion de l’eau en milieu urbain. Elles répondent à un objectif double : d’une part, faire des économies d’eau potable pour réduire le prélèvement d’eau douce, d’autre part, lutter contre les problèmes de gestion de l’eau en ville causés par le réseau d’assainissement centralisé (inondation, pollution, saturation du réseau, …) et qui sont liés à leur tour à l’imperméabilisation et à la croissance démographique des zones urbanisées. Ces techniques alternatives concernent les réseaux d’assainissement (toiture réservoir, bassin de retenue,…) et d’eau potable (réutilisation des eaux usées, récupération et utilisation d’eau de pluie,…).

La récupération et l’utilisation de l’eau de pluie : une dynamique propre 

Afin de donner des éléments d’analyse sur l’émergence de ces solutions (les techniques alternatives) qui émergent depuis quelques années, nous avons décidé de nous intéresser à l’une d’entre elles. Il s’agit de la technique de Récupération et d’Utilisation de l’Eau de Pluie (RUEP). Cette technique nous a plus particulièrement intéressés du fait de sa dynamique actuelle de développement.

Au regard de la littérature importante concernant les techniques alternatives en assainissement, les techniques alternatives au réseau d’eau potable (dont la RUEP faite partie) sont assez peu abordées dans la production scientifique. Ceci peut être expliqué en partie, par la résistance du modèle du réseau d’eau potable évoquée plus haut et aussi, par le fait que les techniques alternatives en assainissement ont débuté il y a longtemps, alors que les techniques alternatives à l’eau potable sont plus récentes (ou considérées comme une pratique marginale).

Mais la RUEP se caractérise actuellement par une dynamique réglementaire et normative spécifique. Ainsi, depuis Août 2008, la RUEP fait l’objet d’un arrêté « relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments », alors que le cadre réglementaire se référait avant cette date à d’autres domaines (milieu aquatique, code de santé, …). De plus, l’AFNOR, vient de publier (décembre 2011) la norme française spécifique aux « Systèmes de récupération de l’eau de pluie pour son utilisation à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments ». Dans le même sens, on note aussi l’émergence d’une filière spécifique à cette pratique (marché, associations, …) et un intérêt particulier de la part des collectivités locales, qui promeuvent de diverses manières cette pratique sur leur territoire, notamment des incitations financières à l’acquisition de dispositifs de la part des particuliers.

Impacts et potentiel de la RUEP sur la gestion urbaine de l’eau 

Il s’agit de vérifier la capacité de la RUEP à participer à la résolution de la « crise » des réseaux centralisés d’eau et d’assainissement. En effet, on assiste aujourd’hui à une multitude de propositions sous forme de techniques alternatives et d’adaptations institutionnelles, mais on connaît mal, de manière générale, dans quelle mesure elles sont susceptibles de remplacer ou de compléter les systèmes techniques existants. Dans ce contexte, notre travail est une contribution à l’étude des impacts de la RUEP sur les réseaux d’eau et d’assainissement en milieu urbain. Pour ce faire, il convient d’aborder cette pratique en tant que phénomène urbain, c’est à dire d’étudier la RUEP et ses effets à une échelle urbaine.

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Table des matières

Introduction générale
LA GESTION CENTRALISEE DE L’EAU URBAINE : UN MODELE REMIS EN QUESTION
VERS UNE GESTION « IN SITU » DE L’EAU URBAINE : L’EMERGENCE DES NOUVELLES TECHNIQUES
ALTERNATIVES AUX RESEAUX CENTRALISES
LA RECUPERATION ET L’UTILISATION DE L’EAU DE PLUIE : UNE DYNAMIQUE PROPRE
IMPACTS ET POTENTIEL DE LA RUEP SUR LA GESTION URBAINE DE L’EAU
Partie I. D’une approche descriptive de la Récupération et de l’Utilisation de l’Eau de Pluie à la définition d’une problématique
Chapitre 1. La Récupération et l’Utilisation de l’Eau de Pluie : une pratique associée au bâtiment
1.1. INTRODUCTION
1.2. LA COMPOSITION D’UN DISPOSITIF DE RUEP
1.3. LA RUEP DANS LE CONTEXTE FRANÇAIS
1.4. CONCLUSION DU CHAPITRE
Chapitre 2. Etude de la Récupération et l’Utilisation de l’Eau de Pluie : de l’échelle du bâtiment à l’échelle urbaine
2.1. LES THEMATIQUES DE LA RUEP ABORDEES DANS LA LITTERATURE SCIENTIFIQUE
2.2. ETUDE DE LA PERFORMANCE HYDRAULIQUE A L’ECHELLE DU BATIMENT
2.3. ETUDE DE LA PERFORMANCE HYDRAULIQUE A L’ECHELLE URBAINE
2.4. CONCLUSION DU CHAPITRE
Chapitre 3. Un enjeu central de la problématique de recherche : le changement d’échelles
3.1. SPECIFICITE DE LA PRATIQUE DE RUEP
3.2. LES ENJEUX DE LA PRATIQUE DE RUEP
3.3. RAPPEL SUR LES THEMATIQUES DE RECHERCHE TRAITANT LE MEME SUJET
3.4. UN RECUL CRITIQUE SUR CES THEMATIQUES
3.5. LE PROJET « SR-UTIL » (POUR SCENARII DE RECUPERATION – UTILISATION)
3.6. NOTRE POSITIONNEMENT
3.7. CONCLUSION DU CHAPITRE : LA DEFINITION DE NOS PROBLEMATIQUES DE RECHERCHE
Partie II. Une approche renouvelée du calcul du PPWS aux échelles urbaine et supra-urbaine
Introduction. Méthodologie générale de calcul du PPWS
I. METHODE THEORIQUE
II. SOURCE DE L’INFORMATION
III. PRINCIPES DE CALCUL
VI. SYNTHESE
Chapitre 4. Calcul du PPWS à l’échelle du bâtiment
4.1. CHOIX DE LA METHODE DE CALCUL DU PPWS A L’ECHELLE DU BATIMENT
4.2. CHOIX DU POINT QUI CORRESPOND A NOS OBJECTIFS
4.3. LE CALCUL DU POTENTIEL DE STOCKAGE ET D’UTILISATION (PSU) DE L’EAU DE PLUIE
4.4. EXEMPLE DE CALCUL DU PSU A L’ECHELLE DU BATIMENT
4.5. LE CALCUL DU PSU GLOBAL D’UN ENSEMBLE DE BATIMENTS
4.6. COMPARAISON ENTRE LE PSUB_EQUIVALENT ET LE PSU∑ BATIMENTS
4.7. CONCLUSION DU CHAPITRE
Chapitre 5. Calcul du PPWS à l’échelle urbaine (commune)
5.1. LE PPWS A L’ECHELLE DE LA COMMUNE « CHANGEMENT D’ECHELLES : DE L’ECHELLE DU BATIMENT A L’ECHELLE DE LA COMMUNE »
5.2. LE PASSAGE DE L’ECHELLE DU BATIMENT A L’ECHELLE DE LA COMMUNE « LA CONSTRUCTION D’UNE TYPOLOGIE DE BATIMENTS »
5.3. CALCUL DU PPWS A L’ECHELLE D’UNE COMMUNE
5.4. ANALYSE ET INTERPRETATION DU PPWS DES DEUX COMMUNES (DRANCY ET COLOMBES)
5.5. CONCLUSION DU CHAPITRE
Chapitre 6. Calcul du PPWS à l’échelle supra-urbaine (agglomération)
6.1. CALCUL DU PPWS A L’ECHELLE SUPRA-URBAINE « CHANGEMENT D’ECHELLES : DE L’ECHELLE DE COMMUNE A L’ECHELLE SUPRA-URBAINE »
6.2. LE PASSAGE DE L’ECHELLE COMMUNALE A L’ECHELLE SUPRA-URBAINE « LA CONSTRUCTION D’UNE TYPOLOGIE DE COMMUNES »
6.3. LE CALCUL DU PPWS A L’ECHELLE SUPRA-URBAINE DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE « APPLICATION, RESULTATS ET INTERPRETATION »
6.4. ANALYSE ET INTERPRETATION DU PPWS DE L’AGGLOMERATION DE PARIS
6.5. CONCLUSION DU CHAPITRE
Conclusion de la partie
Partie III. Une première étude du système d’acteurs de la RUEP
Chapitre 7. Première approche méthodologique du système d’acteurs de la RUEP
7.1. ACTEURS ET SYSTEMES D’ACTEURS DANS LES PROCESSUS DE DIFFUSION DE LA RUEP
7.2. ANALYSE DU SYSTEME D’ACTEURS DU DOMAINE RUEP
7.3. ACTEURS LEVIERS ET DEVELOPPEMENT DE LA RUEP
7.4. CONCLUSION : LES ACTEURS LEVIERS POUR ETUDIER LA COMPLEXITE
Chapitre 8. Acteurs leviers et développement de la RUEP à l’échelle de l’agglomération de Paris
8.1. L’ENJEU QUANTITATIF DE LA RUEP A L’ECHELLE DE L’AGGLOMERATION DE PARIS
8.2. SYSTEME D’ACTEURS DE L’HABITAT INDIVIDUEL
8.3. ACTEURS LEVIERS DE L’HABITAT COLLECTIF
8.4. REALITE DU DEVELOPPEMENT ACTUEL DE LA RUEP
8.5. CONCLUSION : VERS UNE MOBILISATION DES PROPRIETAIRES DES BATIMENTS
Conclusion générale

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