Cette thèse porte sur l’évolution holocène de la Garonne maritime et des environnements associés. Les données acquises sur deux sites-témoins, Langoiran et l’Isle-Saint-Georges, vont permettre de retracer l’histoire du fond de vallée depuis le début de l’Atlantique (~6200 av. J.-C.) et de préciser les contraintes exercées par le milieu sur l’occupation du sol.
Les paléo-environnements et les relations Homme/milieu ne sont pas des thématiques de recherches inédites, faisant depuis quelques décennies déjà l’une des préoccupations majeures des géographes, des historiens-géographes et des paléoenvironnentalistes en général (Davidson et Shackley, 1976 ; Bravard et Presteau, 1997 ; Brown, 1997 ; Burnouf et Leveau, 2004 ; Waters, 1992 ; Broodbank, 2013 ; Walsh, 2013 ; Arnaud-Fassetta et Carcaud, 2015). Cependant elles s’appliquent ici à un secteur géographique qui est, lui, tout à fait inédit.
État de l’art
L’essentiel des études menées à ce jour sur la Garonne maritime visaient à comprendre les variations du taux de matières en suspension (Glangeaud, 1939 ; Glangeaud et al., 1939 ; Dubreuilh, 1979 ; Doxaran et al., 2009 ; Bonneton et al., 2011; Chanson et al., 2011 ; Sottolichio et al., 2012), la circulation longitudinale des polluants (Berger et al., 1984 ; Veyssy et al., 1996 ; Schäfer et al., 2002 ; Masson, 2007 ; Saari et al., 2008 ; Aminot, 2013 ; Lanoux, 2013) et l’impact des conditions maritimes sur les inondations (Salomon, 2002). La question de l’évolution environnementale n’a pas été une priorité scientifique. Néanmoins, elle fut abordée pour la première fois en 1934 par Marcel-Adolphe Hérubel, historien et économiste maritime. Pour tenter d’expliquer l’emplacement des ports anciens, il proposa une histoire environnementale de la basse vallée de la Garonne (Hérubel, 1934). Son scénario de l’évolution holocène de la Garonne maritime est le seul recensé à ce jour, le sujet ayant été, par la suite, longuement abandonné. Il émergea de nouveau dans les années 1990, sous l’impulsion de la communauté archéologique bordelaise désireuse de mieux appréhender les dynamiques d’occupation du sol. Celle-ci profita du grand réaménagement urbain de Bordeaux, entamée en 1995, pour conduire les toutes premières études chronostratigraphiques et palynologiques holocènes de la basse vallée de la Garonne (Diot, 1996 ; Ferrier, 1996 ; Gé et al., 2005 ; Konik et al., 2006 ; Leroyer et al., 2006). Cependant, ces études ont été peu nombreuses, très locales et restreintes au chef-lieu aquitain. Ce n’est qu’en 2010, avec l’initiation du programme « Peuples de l’estuaire et du littoral médocain aux époques protohistoriques et antiques » (dirigé par Anne Colin, historienne-archéologue, université Bordeaux-Montaigne), que la reconstitution paléo-environnementale va s’étendre à un autre secteur de la Garonne maritime : l’Isle-Saint-Georges, point de départ de ce travail doctoral (Lescure, 2011).
Paradoxalement, les fonds de vallée holocènes présents en amont et en aval de la Garonne maritime ont déjà fait l’objet de reconstitutions paléo-environnementales et ce, dès les années 1970 pour la Gironde (Moyes, 1974 ; Diot et Tastet, 1995 ; Lericolais et al., 1998 ; Pontee et al., 1998 ; Clavé, 2001 ; Coquillas et al., 2006) mais bien plus récemment pour la Garonne moyenne (Carozza et al., 2013 ; Ferdinand, 2014) et la Garonne montagnarde (Andrieu, 1991). La lacune du milieu fluvio estuarien garonnais semble donc s’expliquer par un simple retard dans le domaine. Ce retard se ressent également à l’échelle planétaire. En effet, avec l’essor des questions sur l’évolution post-Würm des cours d’eau et les relations Homme/milieu, de nombreux hydrosystèmes fluviaux à travers le monde ont fait l’objet d’études fines dès les années 1980 (Waters, 1988 ; Buzzi et al., 1993 ; Qinghai et al., 1996 ; Macklin, 1999 ; Cubizolle et Georges, 2001 ; Carcaud et al., 2002 ; Straffin et Blum, 2002 ; Arco et al., 2006 ; Erikson et al., 2006 ; Ollive, 2007 ; Castanet, 2008 ; Ghilardi et al., 2012 ; Le Jeune et al., 2012 ; Arnaud-Fassetta et Carcaud, 2015). Les embouchures fluviales n’ont pas été délaissées, qu’il s’agisse des deltas (Arnaud Fassetta, 1998 ; Berendsen et Stouthamer, 2000 ; Bellotti et al., 2007 ; Rossi et al., 2012 ; Salomon, 2012) ou deMaître de conférences s estuaires (Malounguila et al., 1990 ; Coch et al., 1991 ; Roy, 1994 ; Morales, 1997 ; Lessa et al., 1998 ; Long et al., 1998 ; Kiden, 2003 ; Heap et al., 2004 ; Ruiz et al., 2004 ; Sloss et al., 2005 ; Drago et al., 2006 ; Anderson et al., 2008 ; Maddox et al., 2008 ; Hijma et al., 2009). Les chercheurs français apparaissent d’ailleurs comme des précurseurs dans ce domaine puisque l’étude de l’évolution holocène des estuaires a débuté dès les années 1960 dans la basse-Loire (Ters et al., 1968). S’en est suivie l’étude des estuaires de la Seine (Huault et al., 1975 ; Frouin et al., 2010), de la Somme (Beun et Broquet, 1980) puis de la Charente (Carbonel et al., 1998). Ces reconstitutions des paléo-environnements estuariens en France n’avaient pas de dimension géoarchéologique, comme va l’avoir la présente thèse, mais concernaient généralement tout l’estuaire, de sa partie à dominante fluviale (haut estuaire) à sa partie à dominante maritime (bas estuaire). Le fait qu’à ce jour seule l’histoire holocène du bas estuaire de la Garonne (Gironde) soit connue constitue donc une triple lacune, garonnaise, nationale et internationale.
MORPHOLOGIE ACTUELLE DE LA BASSE VALLÉE DE LA GARONNE
Contexte morpho-structural d’une vallée dissymétrique
La vallée de la Garonne maritime est orientée est-ouest jusqu’à Langon [point kilométrique (PK) 19] puis s’infléchit pour prendre une direction nord-ouest (fig. 6). Tout au long de ce parcours, elle délimite ou traverse de grandes entités géomorphologiques régionales. Elle est d’abord bordée au nord par le plateau calcaire de l’Entre-deux-Mers, qui culmine à 130 m, et au sud par le plateau Bazadais dont l’altitude atteint 160 m. Puis, dès l’inflexion vers le nord-ouest, le plateau Bazadais laisse place vers l’ouest à la plaine sableuse des Landes (Legigan, 1979) qui n’excède pas 85 m d’altitude (fig. 7). Cette distinction géomorphologique s’accompagne d’une nette dissymétrie des versants. En rive droite, les versants entaillent des roches dures, rectilignes et abruptes (pentes comprises entre 5 et 10 %) tandis qu’en rive gauche, la présence de terrasses alluviales d’âge pléistocène leur confère un profil irrégulier et bien plus doux (pente inférieure à 1 % ; fig. 8).
Entre ces versants se dessine un fond de vallée homogène dont l’altitude décroit vers l’aval de 17 à 1 m, pour une pente globale de 0,2 ‰. Parallèlement, sa largeur oscille entre 1 et 5 km, exception faite des derniers kilomètres. En effet, entre Bordeaux et le Bec d’Ambès, la vallée de la Garonne, rejointe par celle de la Dordogne, atteint 10 km de large (fig. 8). Ce fond de vallée est remblayé par 12 à 23 m d’alluvions fluviatiles reposant sur un substrat calcaire marneux.
Caractéristiques morphologiques d’un chenal unique et sinueux
La Garonne maritime parcourt le fond de vallée au sein d’un unique chenal décrivant des sinuosités d’amplitude faible à modérée. L’indice de sinuosité (Is), mesuré classiquement en faisant le rapport entre la longueur du cours d’eau et celle du fond de vallée (Léopold et Wolman, 1957 ; Allen, 1970 ; Knighton, 1984) est de 1,13, ce qui est caractéristique d’un cours au style sub-rectiligne (Brice, 1967 ; Bravard et Petit, 2000 ; Malavoi et Bravard, 2010).
Dans la partie amont de la vallée, d’orientation NE, le cours sinueux de la Garonne est encombré de bancs de convexité (fig. 9). Au-delà, il arbore quelques rares îles fluviales : l’île de la Lande (1390 m de long, 620 m de largeur maximale) et l’île d’Arcins (1700 m de long, 300 m de large) situées entre Isle-Saint-Georges et Bordeaux. Une troisième île, l’île Cazeau, est présente dans les derniers kilomètres du parcours garonnais mais s’étend en majorité dans la Gironde (fig. 6).
Le chenal s’élargit vers l’aval en passant de 100 à 2100 m, pour une largeur moyenne de 340.m. La largeur du chenal connait quelques irrégularités, en particulier au niveau des deux îles fluviales où elle avoisine 800 m, et augmente considérablement à l’approche de la confluence de la Dordogne (fig. 10). Parallèlement, la ligne d’eau à pleins bords perd de l’altitude de façon quasiment exponentielle. En effet, la pente hydraulique longitudinale est de 0,25 ‰ entre La Réole et Isle-Saint-Georges puis devient presque nulle, augmentant même ponctuellement vers l’aval, en particulier lors de la traversée de Bordeaux (corrélation probable avec les aménagements de berge tels que les digues ; fig. 10). En profondeur, le chenal est plus irrégulier encore. Les données bathymétriques, acquises uniquement entre les PK 12 et 65 (Bordeaux), révèlent un thalweg marqué d’incessantes variations malgré une pente longitudinale globale de 0,17 ‰. De fait, l’altitude du fond du chenal oscille entre -1 et -11 m NGF (fig. 10) et la pente atteint localement des valeurs extrêmes, à l’image du pont de pierre de Bordeaux enjambant le fleuve juste en aval du PK 65 où, en l’espace de 20 m seulement, le thalweg s’abaisse de 10 m, pour une pente locale de 50 %. Cette variation du profil en long peut être rattachée à la présence de mouilles et de seuils (ou radiers) typique des lits sinueux (Malavoi et Bravard, 2010). Logiquement, la profondeur du chenal varie elle aussi fortement. Elle oscille entre 8 et 17 m vers l’aval, pour une valeur moyenne de 10,6 m (entre les PK 12 et 65), et fluctue d’une rive à l’autre, ce qui confère au chenal un profil irrégulier (fig. 11).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 : CADRE MORPHO-STRUCTURAL DE LA DYNAMIQUE ACTUELLE DE LA GARONNE MARITIME
1.1. Morphologie actuelle de la basse vallée de la Garonne
1.1.1. Contexte morpho-structural d’une vallée dissymétrique
1.1.2. Caractéristiques morphologiques d’un chenal unique et sinueux
1.1.3. Quelques précisions à l’échelle des sites d’étude
1.2. Le couple débit fluvial – marée, moteur de l’hydrodynamique
1.2.1. Les flux d’amont : régime pluvio-océanique, hautes eaux ordinaires, crues et étiages
1.2.2. Les flux d’aval : marée macrotidale semi-diurne, houle et mascaret
1.2.3. La Garonne maritime : un régime complexe et des hauteurs de crue renforcées
1.3. Une charge mixte
1.3.1. Dans le chenal : charge de fond grossière, bouchon vaseux et crème de vase
1.3.2. Dans les unités connexes au chenal : omniprésence des limons et caractéristiques du gradient longitudinal
CHAPITRE 2 : ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR L’ÉVOLUTION DE LA GARONNE MARITIME
2.1. Un lien étroit avec les accidents tectoniques ante-quaternaires
2.1.1. La structuration de la vallée par les accidents tectoniques préexistants
2.1.2. Une activité tectonique holocène ?
2.2. Variations climato-eustatiques holocènes et impacts sur l’hydrosystème GaronneGironde
2.2.1. L’holocène sur la façade aquitaine : chronologie, climat et eustasie
2.2.2. Édification holocène de l’estuaire de la Gironde suite à la remontée du plan d’eau océanique
2.2.3. Quelques données sur l’évolution holocène de la Garonne à Bordeaux
2.2.4. Connaissances sur l’évolution holocène de la Garonne amont
2.3. Un système fluvio-maritime anthropisé dès le Néolithique
2.3.1. Des actions humaines modérées du Néolithique au milieu du XIXe siècle
2.3.2. Chenalisation et dragage du milieu du XIXe au XXIe siècle
CONCLUSION