La frontière et l’espace frontalier en mutations : l’état de l’art

La frontière et l’espace frontalier en mutations : l’état de l’art 

Dans le milieu scientifique, l’objet frontière est peu abordé jusqu’à la fin des années 1960. Avant cette date, les frontières sont définies avant tout comme des lignes de démarcation politiques délimitant deux aires de souveraineté et comme des boucliers contre les incursions étrangères (Bolzman et Vial 2007 : 16). Ces « zones d’articulation » sont pendant longtemps négligées par les autorités publiques et les chercheurs car ils se préoccupent davantage des régions centrales que des aires périphériques (ibid.). Cependant, à partir des années 1950, certaines zones frontalières, situées notamment en Europe occidentale et aux Etats-Unis connaissent d’importants mouvements de populations, d’industries et de capitaux (Bolzman et Vial 2007 : 17). Ainsi peut-on constater une urbanisation et une interdépendance économique croissante entre ces zones frontalières (ibid.). Vers la fin des années 1980 et le début des années 1990, le monde commence à subir des bouleversements profonds, suite à la construction de l’Europe, à la mondialisation et aux transformations des Etats. Ces changements génèrent un intérêt croissant et surtout des débats sur la frontière et les zones frontalières.

De nombreux travaux sont menés par des géographes qui sont sans doute les plus dynamiques sur la question. Ces travaux concernent des thèmes différents tels que la fixation des frontières et leurs fonctions ou l’émergence de nouvelles dynamiques régionales transfrontalières (évolution des représentations sur la frontière, pratiques quotidiennes en zones transfrontaliers, etc.) (Wackermann, 2003 ; Reitel et al., 2002; Amilhat-Szary et al., 2006). Comme la géographie des frontières constitue l’un de nos ancrages disciplinaires, nous allons faire un état de l’art plus précis. L’approche politico-juridique s’intéresse à la question de l’immigration dans le contexte de l’intégration européenne (Aligisakis et al., 2003 ; Bockel et al., 2002 ; Weber, 2007), à des difficultés de coopération transfrontalière dues à l’inadaptation du cadre juridique (Jacquot et al., 1998), ou à la « gouvernance » transfrontalière (Saez et al., 1997). L’approche historique consiste à expliquer les origines et l’évolution des frontières (Nordman, 1998 ; Nouzille, 1991 ; Maïté, 1998 ; Ghervas et al., 2008). L’émergence des nouvelles dynamiques transfrontalières notamment les activités des travailleurs frontaliers attirent également l’attention de certains économistes, démographes, et sensiblement moins des sociologues.

La géographie des frontières 

La géographie a une relativement longue tradition d’étude de l’objet frontière. Pour présenter un panorama sur l’évolution de la géographie des frontières, les objets d’études, ainsi que le renouvellement des méthodes et des approches, nous nous référons notamment aux travaux de Paul Guichonnet et Claude Raffestin (1974), Jean-Pierre Renard (2002), Lucile MedinaNicolas (2004) et Hélène Velasco-Graciet (2008) qui nous paraissent à la fois complets et synthétiques. Comme le montre H. Velasco-Graciet (2008), l’intérêt porté aux frontières est assez récent. Lors que les traités de Westphalie (1648) imposent un nouvel ordre géopolitique en Vieux Continent, les frontières deviennent précises et sont reconnues comme outil spatial ayant vocation à délimiter la souveraineté de l’Etat. Dans un premier temps, les préoccupations relatives aux frontières peuvent être qualifiées d’utilitaires car elles répondent avant tout à des besoins politiques et stratégiques. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle que les frontières deviennent l’objet d’étude scientifique. A la fin du XIXe siècle, une géographie des frontières est enfin constituée .

Pendant longtemps, la géographie des frontières se penche sur l’étude de la limite territoriale étatique héritée et évoluant au gré des relations internationales et de conflits intérieurs (Renard, 2002). Les géographes ainsi que les historiens étudient le tracé et la fixation de la ligne-frontière (Guichonnet et Raffestin, 1974 ; Renard, 2002). P. Guichonnet et C. Raffestin (1974) qualifie cette approche de systématique:

« […] son but est la description et l’explication de la manière la plus objective possible de la ligne frontière. Il s’agit de reconstituer le processus qui a donné naissance à la frontière et, par conséquent, de mettre en évidence les étapes de ce déroulement… On est donc amené à étudier le contexte politique, les conditions dans lesquelles la frontière a été établie et les raisons pour lesquelles elle a été établie » (Guichonnet et Raffestin, 1974 : 41). 

A partir des années 1970, on peut constater un renouvellement scientifique important sur la frontière. D’une part, l’objet frontière redevient un thème d’actualité. Par conséquent, le nombre de travaux sur frontières connaît une hausse importante. D’autre part, il s’agit de l’émergence d’une nouvelle approche que P. Guichonnet et C. Raffestin (1974) qualifie de régionale. Ils expliquent ainsi cette approche :

« Son dessein étant de rendre compte du rôle et des effets multiples de la frontière sur les groupes sociaux et leur organisation spatiale. Dès lors, on est conduit à la recherche, de part et d’autre de la frontière, par comparaisons successives, des différences morphologiques fonctionnelles et structurelles… l’originalité de la méthode régionale, en l’occurrence, consiste à dégager le rôle de la frontière dans ces  différenciations (en s’interrogeant sur ses effets sur l’organisation de l’espace).» (Guichonnet et Raffestin, 1974 : 45-46) .

L’approche régionale marque une transformation essentielle de la perspective géographique sur la frontière. Elle implique en fin de compte de ne plus considérer les frontières comme le simple résultat de rapports de forces entre deux États concurrents (Renard, 2002), mais de bien prendre en compte des réalités sociales et économiques des frontières. C’est-à-dire considérer la frontière comme « l’élément essentiel du discontinu » (Gay, 1992, cité par Medina-Nicolas, 2004 : 79) qui entraine des formes socio-spatiales spécifiques et des stratégies d’action originales (Medina-Nicolas, 2004 : 79).

En effet, jusqu’au milieu des années 1970, il n’existe que peu d’analyses fines portant sur des « régions frontalières » (Guichonnet et Raffestin, 1974). Cependant, on peut mentionner quelques auteurs comme F. Lentacker  , G. Wackermann, R. Sevrin, C. Raffestin et P. Guichonnet , etc. qui mènent déjà explicitement leurs réflexions sur effets-frontière dans le domaine de l’organisation et de l’aménagement de l’espace (Renard, 2002 : 54). Il faut attendre les années 1990 pour voir un essor des travaux en la matière.

Un constat est largement partagé entre géographes qui considèrent que la frontière ne disparaît pas mais évolue et qu’il est nécessaire de renouveler les connaissances en la matière (Reitel et al., 2002 ; Amilhat-Szary et al., 2006). Les géographes décrivent ainsi l’évolution de la frontière : en tant qu’objet spatial, la frontière est de plus en plus marquée par multiples dimensions notamment sociale et économique. Si auparavant elle sert essentiellement à séparer, désormais, elle devient ambivalente car elle met aussi en contact (Reitel et al., 2002 ; Amilhat-Szary et al., 2006). La frontière est de moins en moins visible. Il est donc difficile de l’identifier et visualiser (Reitel et al., 2002 : 246). Cependant, la frontière continue à faire sens : elle marque les territorialités, spécifie des appartenances et fonde des artefacts spatiaux (Amilhat-Szary et al., 2006 : 8). Ainsi se trouve-t-elle réinsérée dans des processus de construction territoriale novateurs (ibid.). Partant de ce « socle commun », les géographes considèrent la frontière comme analyseur de la recomposition de l’espace urbain transfrontalier. Des régions frontalières constituent des laboratoires où émergent de nouvelles logiques de développement complexes : d’un côté, un processus d’intégration est en cours ; de l’autre côté, la frontière persiste et continue de générer des obstacles.

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Table des matières

1. Introduction générale
1.1 Le choix du sujet
1.1.1 Le début d’un intérêt sur l’objet de « frontière »
1.1.2 Vers un changement d’approche : produire la ville autrement
1.2 La frontière dans un monde « sans frontières »
1.3 La frontière et l’espace frontalier en mutations : l’état de l’art
1.3.1 La géographie des frontières
1.3.2 La frontière aux yeux des sociologues
1.4 L’objet de recherche
1.4.1 L’aménagement de l’espace urbain transfrontalier, un objet de recherche à « déspécialiser »
1.4.2 La production de la ville dans un contexte transfrontalier
1.5 Le choix du terrain
1.6 L’approche théorique
1.6.1 La théorie d’Erhard Friedberg sur les organisations
1.6.2 Fabriquer un « chaînon manquant »
1.7 Les questions de recherche
1.8 Les méthodes d’enquête
1.9 La structure de la thèse
2. Les relations entre Genève et son hinterland français
2.1 Les jalons historiques sur la relation entre Genève et son hinterland français
2.1.2 La crise de la Réforme
2.1.3 Les zones franches
2.1.4 La deuxième guerre mondiale
2.2 Vers un troisième rapprochement : l’essor du phénomène frontalier
2.2.1 La dynamique de l’économie genevoise
2.2.2 Genève, moteur du développement régional
2.3 L’essor des travailleurs frontaliers
Conclusion du chapitre
3. Les dysfonctionnements de l’agglomération franco-valdo-genevoise
3.1 Le problème de logement
3.1.1 L’évolution de la relation offre-demande
3.1.2 Les répercussions de l’« exportation » de la crise du logement genevoise
3.1.3 Les difficultés de construction de logement à Genève
3.2 La crise du système de transports
3.2.1 L’évolution des déplacements dans l’agglomération franco-valdo-genevoise
3.2.2 Le développement des transports publics en retard
3.3 D’autres problèmes dans l’agglomération
Conclusion du chapitre
4. La coopération transfrontalière franco-valdo-genevoise
4.1 La coopération transfrontalière proprement dite
4.1.1 La définition de la notion de coopération transfrontalière
4.1.2 Le développement de la coopération transfrontalière en Europe
4.2 Les grandes étapes de la coopération transfrontalière franco-valdo-genevoise
4.3 L’institutionnalisation de la coopération transfrontalière franco-valdo-genevoise
4.3.1 La compensation financière : vers un « bon voisinage » franco-genevois
4.3.2 La création des instances transfrontalière
4.3.3 L’émergence d’une vision régionale transfrontalière en matière d’aménagement territorial
4.4 La coopération transfrontalière en matière de transports publics
4.4.1 Les activités du DTPR
4.4.2 Le projet ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (CEVA)
4.5 Le Projet d’agglomération franco-valdo-genevois
4.5.1 La naissance du projet
4.5.2 Le PAFVG en continuité avec les coopérations précédentes
4.5.3 Le périmètre du projet
4.5.4 Les objectifs du projet
4.5.5 Le contenu du projet
4.5.6 L’entité responsable de la mise en œuvre du PAFVG
Conclusion du chapitre
5. Conclusion générale

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