La fratrie comme génératrice de soutien et d’affection

Articulation théorico-clinique

Dispositif clinique : description et critique

La totalité des entretiens auxquels j’ai assistés ou bien que j’ai menés se sont déroulés dans une seule et même pièce : le bureau de la psychologue qui m’a accompagné tout au long de ce stage. Situé à l’étage, dans un des bâtiments du C.S.A.P.A, la pièce était agencée assez simplement : un bureau séparant le patient du clinicien. Les consultations se sont faites sur rendez vous, en entretien face à face. Dans la première partie du stage, j’ai pu assister aux consultations que menait la psychologue, prendre des notes, observer le cadre. J’étais assis sur le côté, discret, et étais visible de la clinicienne comme du patient. Je n’intervenais pas dans leur entretien. Plus tard, j’ai mené mes propres entretiens, fixé mes propres rendez-vous, notamment avec Mr « L », patient que j’ai rencontré dès mes premières semaines de stage.

Ce dispositif est classique et s’inscrit dans la lignée des psychothérapies d’inspiration psychanalytique, sans pour autant se référer exactement à cette discipline. Les rendez-vous avec les cliniciens (psychiatres et psychologues), d’abord obligatoires – afin que la prise en charge des patients soit discutée en réunion – prennent une autre dimension à partir du moment où le patient est intégré à l’hébergement, puisqu’il peut alors décider lui même de consulter lorsqu’il en ressent le besoin.

III. Contexte de la rencontre et analyse de la demande

Mr « L » est un patient que j’ai eu l’occasion de rencontrer dès son premier entretien. Présenté en tant que stagiaire psychologue par la clinicienne elle même, il a accepté que j’assiste à leurs entretiens en précisant aimablement « qu’il fallait bien apprendre ». J’ai donc, dès mes premières semaines de stage, assisté aux entretiens. Mr « L » est un homme de 53 ans ayant pris la décision de se soigner d’une consommation quotidienne de crack, à laquelle s’ajoute des prises concomitantes d’alcool, de tabac et parfois de cannabis. Il s’est présenté au centre de soins quelques semaines avant mon arrivée et a fait une demande d’hébergement. Après une première prise en charge en ambulatoire et l’expertise de sa demande par l’équipe de soignants, Mr « L » est intégré au groupe de résidents au moment de mon stage.

Lors de la première rencontre avec la psychologue, il dit être très motivé par les soins et attendre du centre « tout ce qui est bon pour l’aider à [s’] en sortir ». Sa demande est motivée par la détérioration des liens qu’il entretient avec ses enfants et sa femme, d’avec qui il est séparé ; et par ses problèmes de santé qui touchent principalement son coeur et sa vue. C’est effectivement un homme affaibli d’un point de vue psychomoteur, et presque aveugle d’un oeil que je rencontre. Après avoir étudié le dossier médical et anamnestique du patient, j’ai donc assisté à ce premier entretien et ai, jusqu’à la fin de sa prise en charge, tenu à être présent, voire même de mener les entretiens puisque cet objectif m’avait été proposé par l’équipe qui m’a encadré. C’est dans ce contexte que j’ai pu repérer l’histoire de ce patient.

Le premier entretien étant principalement centré sur la consommation et la motivation, j’ai donc d’abord pu obtenir nombreux détails sur la singularité de sa dépendance, les substances consommées et le contexte de cette consommation. Et puis, les entretiens qui ont suivis m’ont apportés des éléments anamnestiques riches et précis.

Eléments anamnestiques

Mr « L » est né en 1960 ; Il est le quatrième d’une fratrie de sept enfants, dont cinq garçons et deux filles. Son père était employé dans une usine automobile, il est âgé de 79 ans au moment où je rencontre Mr « L » ; sa mère était employée de ménage et a 79 ans également. C’est à Fort de France qu’il grandit, avec tous ses frères et soeurs dans le foyer familial. Il dit avoir reçu une éducation « stricte » mais aimante et juste de la part de sa mère. Il précise avoir été bien éduqué et être « soudé » avec ses frères. Son père semblait plus sévère dans l’éducation : « il fallait que ça file droit ». Lorsqu’il a environ 13 ans, le père de Mr « L » quitte le foyer familial et c’est sa mère qui s’occupera de la fratrie à partir de cet évènement. A 19 ans, il débute son service militaire, qui a lieu en Guyane, puis à St Martin (île au Nord de la Guadeloupe).

Au total, c’est trois ans de service qu’il effectue en dehors de la Martinique. C’est au cours de ces trois années qu’il fume pour la première fois du cannabis ; sa consommation devient alors occasionnelle et rare. Dès la fin de son service militaire, il décide de s’installer à St Martin. Il justifie ce choix par l’opportunité de carrière qu’il a eue et par ses liens noués sur place. D’abord « étonnée et déçue » par cette décision, sa famille accepte facilement le départ et Mr « L » quitte alors définitivement le foyer familial. Durant les premiers temps, il entretient des rapports téléphoniques réguliers avec sa mère et ses frères et prévoit de rentrer une fois par an au minimum. Selon lui, à cette époque, « tout se passe à merveille. »

Au cours de ces premières année, lors d’une fête de mariage, Mr « L », alcoolisé, « teste » sans se poser de question du crack qu’un ami lui propose. Il dit s’être senti ce soir là immédiatement « à une certaine hauteur » et avoir été conquis par le produit. Il devient fumeur occasionnel. Quelques mois plus tard, un dealer lui rend visite et lui fait la démonstration de la préparation du crack. Sa consommation augmente et devient alors quotidienne. Ses prises de crack sont alternées par des cigarettes, qu’il ne fume que de façon concomitante au crack. Il est licencié du poste qu’il occupait dans l’ingénierie mais trouve rapidement un nouvel emploi, celui de barman, dont il dit garder un bon souvenir : « je voyais beaucoup de monde, c’était agréable ». Il rencontre celle qui deviendra sa femme. C’est aussi durant cette période qu’il fait l’expérience de l’alcool, alors qu’il ne buvait jamais auparavant. Cette consommation devient alors exclusivement liée à celle du crack : « quand je fume il faut que je boive quelque chose pour me dégourdir ». Il ne boit jamais la journée, mais le soir et la nuit, il peut consommer un quart de litre – « les petites bouteilles des touristes » – de rhum. En 1987, lui et sa compagne se marient et nait leur premier fils, puis leur fille deux ans plus tard. Mr « L » trouve un emploi en lien avec son expérience dans une centrale à béton.

En 1995, ils ont un troisième enfant, un garçon, puis une fille trois ans plus tard. Sa famille est au courant de sa consommation. Il ne consomme cependant jamais la journée, ni devant ses enfants, ni devant sa femme. Uniquement à partir du soir, « lorsque tout le monde est couché », et tient à « garder une certaine distance » par rapport au produit, c’est à dire ne pas consommer au travail, manger trois fois par jour, « ne pas de laisser aller ». En 2003, il se sépare de sa femme, mais entretient tout de même des rapports réguliers avec elle, notamment vis à vis de leurs enfants, et ce pendant presque dix ans. Aujourd’hui, les quatre vivent avec leur mère. Courant 2012, il est reclassé à un simple poste de surveillant à cause de problèmes de vue ; Ses problèmes d’addictions prennent alors un tournant délétère : il s’endort au travail, se drogue, et reçoit ses premiers avertissement de la part de son patron qui lui conseille de se faire soigner. C’est en décembre 2012 qu’il est licencié. Il reconnaît lui même « avoir mis ses collègues en danger » et avoir été prévenu. Surviennent également des problèmes cardiaques.

Sa relation avec sa femme se détériore et il perd contact avec elle. Actuellement, il voit encore ses enfants mais les contacts sont rares. De janvier à août 2013, Mr « L » consomme régulièrement du crack, toujours accompagné de tabac et l’alcool. Sa dépendance devient alors « incontrôlable » et il décide, avec l’encouragement de sa famille, de se renseigner sur les centres de soins en addictologie. A cet appui familial s’ajoutent ses préoccupations liées à ses yeux et à son coeur. Il se rend alors en Martinique, et met fin à sa consommation avant de débuter les soins trois semaines plus tard en ambulatoire, en attendant son entrée en hébergement. Ce retour en Martinique est également pour lui l’occasion de consulter des médecins par rapport à sa santé. Au cours de sa vie, Mr « L » avait déjà tenté à trois reprises de mettre fin à cette consommation, toutes en vain, avortées avant le premier mois.

Eléments du transfert et contre transfert

La perspective de se stage en C.S.A.P.A, juxtaposée à un second stage en Unité Anxiété Dépression que j’ai pu effectuer plus tard, lors de la deuxième partie du séjour, m’offrait dès le départ une opportunité unique dans la clinique : mêler les deux versants du stage dans mon mémoire de Master à travers une étude de cas représentative des deux stages, c’est à dire travailler sur les liens entre la suicidalité et les addictions. Ce projet d’intervention, auparavant discuté avec les tuteurs, s’est en réalité avéré difficile à mettre en place pour des raisons d’organisations (les patients concernés n’étant pas hospitalisés sur mon lieu de stage actuel). Mais surtout, les patients qui m’intéressaient dans cette perspective là ont tous abandonné leurs soins entrepris en ambulatoire et je n’ai donc jamais pu les revoir. Cependant, Mr « L », que j’ai rencontré dès le début de ses soins, bien que présentant une problématique éloignée du sujet sur lequel j’envisageais de travailler, a immédiatement attiré mon attention et a fait l’objet d’une grande richesse de données.

C’est en fait le premier patient que j’ai pu rencontrer, il a donc marqué le début de ce stage et a ainsi contribué à ma première expérience purement clinique. Le fait qu’il accepte facilement ma présence a sans aucun doute contribué à un contre-transfert positif de ma part. D’un point de vue transférentiel, j’ai tout de suite été investi par lui comme soignant. Il s’est souvent tourné vers moi lors de l’entretien avec la psychologue et surtout, quelques jours plus tard, lors de sa venue en ambulatoire pour le second entretien, il s’est présenté à la secrétaire médicale et lui à dit, alors que je me trouvais dans la pièce, « j’ai rendez vous ce matin avec Monsieur » en me désignant. Mr « L » n’a pas poursuivi l’hébergement jusqu’à la fin, il a quitté le centre après trois semaines en unité post cure et près de deux mois de soins au total, pour des raisons principalement liées à ses problèmes de santé, et aussi suite à une altercation avec un éducateur. Mais il a accepté de se rendre au centre pour des entretiens en ambulatoire qui en l’occurrence, se tenaient avec moi. Lors de ces entretiens, il s’est peu retourné vers la psychologue, est venu à tous les rendez-vous en avance et a sollicité une demande claire lors du sixième et avant dernier entretien.

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Table des matières

INTRODUCTION: présentation du mémoire
PREMIERE PARTIE : Méthodologie clinique
I.Présentation du lieu de stage
II.Dispositif clinique : description et critique
III. Contexte de la rencontre et analyse de la demande
IV.Eléments anamnestiques
V.Eléments du transfert et contre-transfert
VI.Eléments de recherche
SECONDE PARTIE : Clinique de Mr « L »
I.Un corps pour la psyché
a) Une consommation ritualisée
b) Du déni dans la dépendance
c) Le corps dans le discours
II.Les émotions disparues
a) Des paroles sans émotion
b) Le sentiment de solitude ou l’affect lointain
III. Un cocon maternel
a) Le lien à la mère
b) La fratrie comme génératrice de soutien et d’affection
c) L’omniprésence d’un lien affectif rompu : une séparation impossible
TROISIEME PARTIE : Articulation théorico-clinique
I.Le corps de Mr « L » : scène de la parole
a) Le corps avant les maux
b) Des affects à distance
II.La solution addictive : une solution somatique
a) Pour lutter contre une souffrance
b) Pour combler un manque affectif
III. L’objet addictif ou l’illusion maternelle
a) Des « objets – substances » rassurants et protecteurs
b) L’objet addictif : prolongement de l’objet transitionnel
Conclusion
Bibliographie

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