La Fraternité: une notion complexe
La fraternité est une valeur de la République française, elle est donc portée par l’éducation nationale. Cette notion doit être travaillée avec les élèves dans le cadre de l’enseignement moral et civique.
La Fraternité comme valeur de la République
Olivier Loubes, historien français, a écrit un texte sur la fraternité : Racisme, pauvreté… elle est où la Fraternité ?
La Fraternité est la devise officielle de la République et non de la France. C’est en 1848 que le choix est fait de la mettre en tant que devise de la République. Les trois notions de la République étaient déjà présentes lors de la Révolution française mais la Fraternité ne se trouvait pas dans les principes de 1789. Il faut ainsi attendre 1848, puis 1879 durant la troisième République pour qu’elle soit un « principe » de la République et présente dans la Constitution. A partir de 1880, la devise républicaine est présente sur les frontons de mairie ainsi que les écoles et les édifices publics.
Olivier Loubes, travaille pour le CNRS de Toulouse. Il a écrit un texte sur la devise de la République : « Devise ? Liberté, Égalité, Fraternité ou les trois ordres de l’imaginaire républicain ».
Pour lui, « la Liberté est l’initiale de la République », elle est la première devise de la République. C’est le symbole fort de la Révolution française : la liberté du peuple; Marianne. Nos droits tournent autour de cette notion de liberté, les hommes naissent libres et égaux en droit, ici la liberté vient avant. Nos principes libéraux sont toujours ceux de la loi de juillet 1881 (notamment sur la liberté d’expression), la République agit en fonction de ces principes. « L’Egalité est la noblesse de la République », cette devise est la première dans l’ordre historique de la République. Principe fondamental dans la société française, celle que les hommes doivent être égaux. Historiquement, la Constitution ne mentionne pas le droit des femmes, les femmes sont les grandes absentes des principes fondateurs de la République. Le texte mentionne l’école de Jules Ferry en début de XXème siècle. L’auteur, Olivier Loubes, veut appuyer sur la vision républicaine de cette école « ainsi, l’école de Jules Ferry ne promeut pas la démocratisation sociale (elle aurait tendance à s’en méfier), mais œuvre de toutes ses forces à la républicanisation des enfants ». Cette école ne cherche pas remédier au fossé socioscolaire entre les lycées bourgeois et l’école du peuple mais cherche à ce qu’un maximum d’enfant issus de l’élite française soit éduqué dans les valeurs républicaines afin qu’ils puissent les porter à leur tour . Jules Ferry avait compris l’importance de la diffusion dans les écoles des valeurs républicaines afin de les intégrer plus facilement.
Enfin pour lui « la Fraternité est l’enfant naturel de la République », c’est une valeur morale mais elle n’a pas de caractère juridique, c’est-à-dire elle n’a pas de caractère obligatoire dans les textes de loi. La Fraternité est ce qui lie les individus entre eux, c’est une religion, une religion civique (religere, « ce qui relie »). La Fraternité pousse les hommes à aller vers les autres, on peut mesurer à travers elle la cohésion de la communauté nationale, plus la fraternité sera présente et plus la cohésion sera forte. Le cadre de cette cohésion fraternelle émancipatrice a pris le nom de laïcité dans la constitution de l’Etat.
La fraternité dans notre société
Michel Delattre, professeur de philosophie à Sciences-Po à Saint Germain en Laye écrit un ouvrage sur la fraternité, « Fraternité ? Je ne suis pas le frère de n’importe qui ! ». Difficile à définir en tant que telle, dans la conscience collective, elle n’évoque pas le lien familial mais plutôt celui de personnes n’appartenant pas à la même famille. La fraternité est en quelque sorte l’engagement envers un autre être, de devenir « le frère de n’importe qui ». Cette fraternité est utilisée dans plusieurs formes associatives telles que dans la religion où l’on parle de frères et de sœurs. On peut également parler de fraternité à l’armée « frères d’armes ». Elle renvoie à la solidarité, dans toutes les sociétés on peut voir une forme de solidarité. Elle peut être sous forme de dispositifs, tel qu’un système de santé publique ou qu’un système de retraite. Mais ces dispositifs sont impersonnels.
Introduite dans la devise républicaine en 1848, « la fraternité est ce qui introduit de l’humanité dans l’espace républicain ». La fraternité républicaine n’est pas sans ennemis mais elle n’a pas que des adversaires non plus . Cette idée est donc qu’au-delà des « clivages » qui séparent les hommes et les communautés, il y a quelque chose de plus grand, de plus « solide » qui reconnait « dans tout autre homme un autre soi-même ». La fraternité veut mettre cet aspect de l’homme en avant, sans les faire disparaître. Dans notre société, celui qui ignore ce sentiment est vu comme inhumain .
La fraternité se révèle par ce sentiment moral d’empathie. Il peut se manifester lorsque je secours quelqu’un en danger. C’est la forme la plus précieuse car elle se base sur la subjectivité de l’être humain, il n’y a pas d’obligations juridiques.
L’enjeu de l’éducation à la Fraternité
La notion de la fraternité joue un rôle important au sein de notre société. Présente sous différente forme dans chaque communauté, elle relie les Hommes entre eux. Bruno Mattéi, dans son ouvrage « Envisager la Fraternité Pour Charles Péguy la fraternité est rompue lorsqu’un homme est laissé sciemment dans la misère, c’est un devoir de nous occuper de chacun. Bruno Mattéi écrit :», étudie la Fraternité au sein de la République. Pour lui la République préfère la notion de solidarité à celle de fraternité, la solidarité est plus simple à mettre en place que la fraternité. En effet dans la notion de solidarité on a une forme de hiérarchisation où des personnes dépendent d’autre personne, par exemple des personnes dans le besoin financièrement vont dépendre d’associations qui leur vient en aide, des dons… Nous avons bien là une forme de hiérarchisation car le pouvoir revient à ceux qui ont des ressources et qui vont le mettre à disposition de ceux qui en ont besoin. La fraternité, elle défend l’idée que tous les êtres soient égaux entre eux, il n’y a donc pas de hiérarchisation entre les individus. La fraternité est une valeur forte qui nous renvoie à la fratrie, elle nous ouvre sur la question de l’autre. L’histoire de la fraternité révèle des ambiguïtés d’ambivalences telles que désir et peur, oublie et espérance…
Pour Charles Péguy la fraternité est rompue lorsqu’un homme est laissé sciemment dans la misère, c’est un devoir de nous occuper de chacun. Bruno Mattéi écrit :
« Si un seul est exclu du cercle, c’est l’ensemble qui s’effondre alors pour que cet ensemble puisse tenir on convient d’un « ensemble flou » » .
Cet extrait montre le caractère ambigu de la fraternité au sein de la République. Cette valeur est centrale dans notre société, c’est elle qui nous lie aux autres, sans elle l’égalité et la liberté ne pourrait exister. Elle n’a pas de structure juridique, elle est seulement à valeur morale, c’est ce qui la rend difficile à définir et à appliquer au sein de notre société. Nous vivons dans un monde où notre mode de vie et notre modèle social nous tend à devenir de plus en plus individualiste, à savoir que notre seul frère serait celui qui a le même sang que nous.
Michel Serres parle des « sans » (sans papiers, sans-droits), ces personnes qui habitent en France mais qui ne font pas partie de la République car ils n’ont pas le même statut que nous, ils tiennent un rôle particulier, ce sont des « candidats à l’exclusion », la société a déjà une vision négative d’eux. La fraternité dans la République se limiterait à ceux qui sont citoyens français. La question reste au cœur du sujet, ce « non vivre-ensemble », cette animosité qui a remplacée la fraternité. Martin Luther King formulait cet enjeu :
« Ou bien nous apprendrons à vivre tous ensemble comme des frères, ou bien nous périrons tous comme des idiots ».
Pour l’auteur, notre société a « relégué – oublié – travesti » notre principe de fraternité. Le mot fraternité ne figure pas dans les 29 mots de la vie républicaine selon le « Guide républicain » édité en 2004 par le ministère de l’éducation nationale à destination des établissements scolaires.
|
Table des matières
Introduction
1. La Fraternité: une notion complexe
1.1. La Fraternité comme valeur de la République
1.2. La fraternité dans notre société
1.3. L’enjeu de l’éducation à la Fraternité
2. Philosopher
2.1. Apprendre à débattre
2.2. Les enjeux de la philosophie avec les enfants
2.3. Les enjeux de la fraternité avec les enfants
3. Philosopher la fraternité avec les enfants
3.1. Le cadre d’analyse
3.1.1. L’école
3.1.2. Les élèves
3.1.3. Une « entente » difficile au sein de la classe
3.2. Philosopher à partir de débat et de supports divers
3.2.1. Les hypothèses
3.2.2. La fraternité
3.2.3. C’est quoi un débat à visée philosophique ?
3.2.4. La séquence
3.2.5. Les supports
3.2.6. Organisation des séances
3.3. Retour sur les ateliers philosophiques
3.3.1. Séance 2 : fraternité synonyme de solidarité ?
3.3.2. Séance 3 : fraternité au-delà des frontières
3.3.3. Séance 6 : fraternisé avec l’ennemi
3.4. Analyse des séances
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes
Annexe 1 : séquence atelier philosophique
Annexe 2 : mon débat philo
Annexe 3 : Retranscription séance 3
Annexe 4 : séance 4