LA FORMATION ET LES DISCOURS DES COUPLES INTERETHNIQUES METHODOLOGIES ET ANALYSES

Cette étude se propose d’évaluer les enjeux sociaux de l’union matrimoniale dans une société pluriethnique postcoloniale . Anciennement protectorat (1842-1880) et colonie (1880- 1946) de la France, aujourd’hui « collectivité » française de l’outre mer, les îles de la Polynésie française sont des hauts lieux de brassage culturel et ethnique, notamment en raison des vagues d’immigration en provenance de l’Europe depuis la fin du 18e siècle et également de la Chine depuis 1865 . Or, si des écrits occidentaux, autant littéraire qu’académique, dépeignent ces îles comme lieu de métissage harmonieux et idéal (Toullelan & Gille 1992), ce dont témoignerait la disparition de « Polynésiens purs » depuis au moins les années 1970 (Panoff 1989) , l’« expérience historique démontre qu’il ne suffit pas que les populations soient de toute évidence métisses pour que leur cohabitation soit harmonieuse. Les ‘noirs’ américains sont tous des métis, mais cela n’importe pas, puisque le classement en ‘noirs’ n’est pas d’ordre biologique, mais social » (Schnapper 1998a : xiii). Par ailleurs, l’idée même du métissage provient de la notion qu’il existerait deux groupes essentialisés et profondément distincts (Bonniol 1991, Amselle 1996). Ces différenciations ethniques sont en effet porteuses de forts enjeux dans les rapports sociaux en Polynésie française.

Chaque vague migratoire s’est accompagnée de rapports sociaux de pouvoir corrélant les moyens économiques avec les origines ethniques, selon les systèmes de pouvoir politique et économique des époques. Une constante dans ces structures politico-économiques est la position privilégiée des hommes européens, catégorie doublement définie par le genre et l’origine, depuis notamment la mise en place du Protectorat français en 1842. A partir de cette époque, la position dominante de la France et de ses ressortissants s’affirme parallèlement au développement subséquent de l’infrastructure sociopolitique et économique, de par notamment : l’imposition des lois françaises (1866)  ; la scolarisation française pour tout citoyen et « sujet » colonial (à partir des lois Jules Ferry en 1883) ; l’installation d’une formidable infrastructure du Centre d’Expérimentation nucléaire du Pacifique (1963-1995) ; et la mondialisation croissante et inévitable des systèmes économiques d’aujourd’hui. Ceci constitue une véritable infrastructure, dans son sens littéral et marxiste, dont les courroies de domination demeurent centralisées dans l’Etat français métropolitain. Ces évolutions sociétales, avant et après ce qui est considéré comme la « période coloniale », ont ainsi donné lieu à des déséquilibres de pouvoir économique et social, divisions qui se dessinent notamment selon le genre et la catégorie ethnique. Par ailleurs, cette combinaison de facteurs de domination, basée sur l’exploitation capitaliste et euro-centrée de la force de travail, la domination ethno-raciale, le patriarcat et « le contrôle des formes de subjectivité » à travers la superstructure culturelle et idéologique qui en découle, rappelle la « matrice coloniale du pouvoir » (Quijano 2007), ces mécanismes de domination survivant à la période « coloniale ».

L’individu, le social et l’union « interethnique »

L’union et l’ethnicité 

La notion de « mariage mixte » est courant pour qualifier ce type de recherche sociologique, et reflète et produit – (re)produit – son usage dans le monde social et sur le terrain. Or, le terme « mariage mixte » est loin d’être suffisamment précis pour définir l’objet de cette recherche. Après avoir abordé les processus sociaux associés au « mariage» ainsi que les terminologies de la « mixité », nous discuterons du soubassement de la notion de « mixité » : la production sociale de la différence. Cette discussion sera débutée par une présentation de l’épistémologie des notions de « race » et « ethnicité ».

Du « mariage mixte » à l’« union interethnique »

Le mariage est une institution dont les règles sociales sont éternellement reproduites mais évolutives, variables mais toujours présentes dans les sociétés. Si l’institution de mariage est dotée de moins en moins d’importance dans la société française contemporaine comme en Polynésie française, les règlements, cérémonies ou autres actes symboliques qui l’entourent révèlent l’importance du choix du conjoint aux yeux du groupe familial et social. Les théories anthropologiques et sociologiques autour du mariage tentent de révéler ce que peut représenter cette institution sociale, et ce que peuvent révéler les codes sociaux qui portent sur le choix du conjoint et l’arrangement social de l’union matrimoniale. Le « mariage mixte » est une dimension de ces positions des groupes sociaux par rapport à l’union matrimoniale. Or, s’il est souvent pris comme objet de recherches sociologiques, le terme « mariage mixte » ne s’accorde pas à notre sujet pour de multiples raisons, comme nous verrons ici.

L’arrangement social du mariage 

Pour les anthropologues structuralistes, le mariage, compris comme une « alliance » entre deux individus – chacun fourni par une famille ou un groupement social plus large, est la première unité constituant la société. Fondement de la société selon ce courant, le mariage ne peut exister sans l’existence préalable de cette même société, qui influence le sens des échanges et des alliances matrimoniales (Lévi Strauss 1983). Ces règles structurantes, évolutives et reproduites donnent à la sexualité et à la filiation biologique un sens social, tout en étant une base constitutive du social. La sexualité en soi n’est pas donc propre à l’individu et ses désirs personnels, mais se forme par son interprétation et usage des significations véhiculées par les normes sociales. Pour le dire autrement, « la sexualité est l’un des véhicules principaux des significations culturelles, à la fois par l’opération des normes et par les modes périphériques par lesquels elles se défont » (Butler 2006 : 29). Le choix d’un conjoint désirable est de cette manière fortement influencé par le monde social extérieur à l’acteur social. On peut dire que l’acteur social est partie prenant des normes, des contraintes et de l’imaginaire de la société en ce qui concerne ses désirs et ses choix familiaux.

La sexualité est dans chaque société entourée de traditions et de « règles » implicites et explicites, et est l’objet de normes et de marginalisations. C’est par la régulation sociale de cette impulsion – puisque elle revient à contrôler la filiation – que la famille et la société assurent leurs formes de reproduction sociale à travers la transmission de connaissances et de biens aux descendants. Puisque sont en jeu des éléments de la reproduction sociale, culturelle et économique, tel l’héritage de biens et la transmission aux enfants, les humains « surround mating with sets of culturally invented rules, consciously avoid mating with certain categories of kin, and differentiate casual mating from the stable pair-bond that they institutionalize in marriage » . Lévi-Strauss (1967 : 650-651) voit dans le mariage la transformation de la rencontre sexuelle dans un contrat, cérémonie ou sacrement, ce qui fait que la société, pour réguler et reconnaitre cette tâche, construit de nombreuses règles implicites. Ainsi, le mariage est un acte social, socialement reconnu, qui intègre un membre d’une famille au sein d’une autre. Du statut de « simple candidat » dans une « ‘affaire intime’ entre deux individus », le conjoint devient un « membre du groupe », accepté et reconnu comme tel par ce dernier (Barbara 1989 : 35). Jocelyne Streiff Fenart affirme similairement que la reconnaissance sociale et familiale d’un mariage est un moyen fort d’accepter un échange entre groupes. Selon Bogardus, l’échange matrimonial représente la modalité la plus forte d’interpénétration et de communication interculturelle de toutes les modalités d’échange entre les groupes (Streiff-Fenart 1990b : 124). La célébration ou la sanction des unions, autrement leur acceptation, « interdiction » ou rejet plus ou moins prononcés de la part des entourages sociaux et familiaux, expriment des règlements sociaux des groupes autour de l’institution de mariage. Si l’institution de mariage est de moins en moins suivie dans la société française contemporaine comme en Polynésie française, comme nous verrons un peu plus loin, les règlements sociaux des unions sont toujours aussi présents dans les discours et interactions autour des choix du conjoint et de l’intégration d’un membre dans la famille par le biais d’une union stable.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : UNIONS « INTERETHNIQUES » ET RAPPORTS SOCIAUX : CADRE THEORIQUE
CHAPITRE 1 : L’INDIVIDU, LE SOCIAL ET L’UNION « INTERETHNIQUE »
A. L’UNION ET L’ETHNICITE
1. Du « mariage mixte » à l’« union interethnique »
2. « Race », « ethnicité » : épistémologies différentes, un même processus social
3. Processus sociaux de différenciation : catégorisation, « naturalisation », domination
B. L’HOMOGAMIE ET L’UNION INTERGROUPE
1. La notion et la norme de l’homogamie
2. Théories de l’union intergroupe : de l’exotisme à l’échange compensatoire
3. Leçons et failles des études quantitatives sur l’union intergroupe
C. L’UNION MIXTE AU CROISEMENT DES RAPPORTS SOCIAUX DE DOMINATION ET DES INTERACTIONS MICROSOCIALES
1. La (re)production de la société par les acteurs sociaux
2. Choix ou « stratégies » individuels face aux contraintes structurelles
3. La mise en scène des rôles ethniques ou de genre dans l’interaction
4. Performance et imitation : mettre en scène son rôle racisé, genré
CHAPITRE 2 : ARTICULER DES RAPPORTS DE DOMINATION : GENRE ET ETHNICITE DANS DES SYSTEMES MONDIALISES
A. RACISME ET SEXISME : DES OPPRESSIONS IMBRIQUEES
1. Vers un « féminisme antiraciste » et un « antiracisme féministe »
2. Le mythe du matriarcat : un exemple de « racisme genré »
3. L’articulation des oppressions sociales : matrices et intersectionnalité
4. Nouveaux féminismes face à l’articulation des systèmes complexes de domination
B. GENRE ET SEXUALITE DANS DES SYSTEMES (POST)COLONIAUX
1. Définitions et usages du terme « postcolonial »
2. Le fait colonial dans la théorisation de rapports sociaux contemporains
3. Femmes, genre et sexualité dans des contextes (post)coloniaux
PARTIE II : ETUDE DE CAS : LE CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE ET INTERETHNIQUE A TAHITI
CHAPITRE 3 : HISTOIRE DES RELATIONS INTERETHNIQUES EN POLYNESIE FRANÇAISE
A. PREMIERS CONTACTS AVEC LES NAVIGATEURS
1. Génèse du mythe de la vahine
2. Interprétations. Ethnicité, genre, statut social et sexualité
3. Les premières installations popa’a et leur insertion sociale
B. L’AVANT PROTECTORAT : L’ARRIVEE DES MISSIONNAIRES JUSQU’AU PROTECTORAT, 1842
1. Les missionnaires anglais
2. Nouveaux contacts et nouveaux rapports de pouvoir
C. LE PROTECTORAT FRANÇAIS, 1842-1880
1. La première communauté française
2. Les rapports entre la communauté française et la population tahitienne
CHAPITRE 4 : CONSTRUCTIONS ET ENJEUX DE L’ETHNICITE DANS LE CONTEXTE TAHITIEN CONTEMPORAIN
A. APPELLATIONS DE L’ALLOCHTONIE EN POLYNESIE FRANÇAISE : CONSTRUCTIONS, USAGES, REPRESENTATIONS
1. « Chinois »
2. « Popa’a » : migration et statut socioéconomique comme facteurs de « frontières » ethniques
3. L’appareil colonial et les « frontières » ethniques
B. CATEGORIES ETHNIQUES « AUTOCHTONES » : DES FRONTIERES AMBIVALENTES
1. Constructions ethniques dans les discours politiques : les usages de « ma’ohi » et « polynésien »
2. La catégorie « demi » : révélatrice des enjeux sociaux des catégories ethniques
3. L’historique de l’appellation « demi »
4. La catégorie « métisse » : révélatrice des enjeux sociaux de la catégorisation
C. INCORPORER « L’AUTRE » DANS LA REPUBLIQUE. « INTEGRATION » ET INFLUENCE POLITIQUE FRANÇAISE
1. Intégration et immigration
2. Intégration et assimilation
3. L’institutionnalisation d’une doctrine assimilationniste « métropolitaine »
D. ENJEUX SOCIAUX DES CORPS ETHNICISES ET GENRES
1. Ethnicité genrée et classe : « l’homme ma’ohi »
2. Corps des hommes : rivalité sexuelle et ethnicité
3. Sexualité, ethnicité et corps des femmes : la vahine
4. « Miss » en scène. Corps féminisés et exotiques comme représentation de Tahiti
PARTIE III : LA FORMATION ET LES DISCOURS DES COUPLES INTERETHNIQUES METHODOLOGIES ET ANALYSES
CHAPITRE 5 : UNE ETUDE QUALITATIVE MICROSOCIALE APPUYEE SUR UN RECUEIL DE DONNEES MACROSOCIALES
A. METHODOLOGIE DE RECUEIL DE DONNEES QUANTITATIVES SUR DES COUPLES INTERETHNIQUES
1. Le choix des actes de naissance
2. Cibler des critères de la différence « ethnique »
3. L’estimation de l’appartenance ethno-régionale
B. METHODOLOGIE DE LA CONDUITE DES ENTRETIENS
1. Le choix des interviewés et les démarches d’enquête
2. Les conditions et questions des entretiens
3. Notes de réflexivité d’une enquêteuse popa’a américaine
C. METHODOLOGIE DE L’ANALYSE DES ENTRETIENS : GROUNDED THEORY S’APPUYANT SUR DES THEORIES HYPOTHETIQUES
1. Organisation des données pour l’analyse
2. Après l’organisation par codage de texte : l’attention aux notions récurrentes
CHAPITRE 6 : FORMATION ET FIGURES DE COUPLES INTERETHNIQUES
A. LA FORMATION DES COUPLES INTERETHNIQUES : L’ANALYSE DES DONNEES QUANTITATIVES
1. La fréquence des couples selon l’appartenance ethno-régionale et le sexe
2. Les différences d’âge entre conjoints
3. Les écarts entre catégories socioprofessionnelles
B. FIGURES DE COUPLES INTERETHNIQUES
1. Le Français « émancipateur » et la vahine en quête de « modernité »
2. Le Tahitien « chanceux » et la Française « éducatrice »
CONCLUSION

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