Les banques tunisiennes jouent un rôle important dans la vie économique du pays. Toutefois, leur force ne réside pas seulement dans le montant des dépôts, dans leurs investissements, dans leurs avoirs, ou dans leur portefeuille de clients, mais également dans leur savoir faire. Ceci est d’autant plus vrai que l’économie tunisienne s’oriente dans la voie de la libéralisation avec un désengagement progressif de l’Etat et des privatisations croissantes. Ainsi, les banques s’éloignent d’une économie administrée et entrent dans une situation plus concurrentielle avec un contrôle a posteriori des autorités de tutelle et une influence plus directe des bailleurs de fonds internationaux qui les obligent à respecter des ratios de solvabilité et des normes internationales rigoureuses.
Les dirigeants de banques sont ainsi incités à veiller à l’amélioration de la productivité par agent de leurs salariés tout en cherchant la taille optimale, ce qui les oblige à revisiter leur politique interne de formation. Aussi, après avoir utilisé pendant longtemps une formation sur le tas, les banques tunisiennes ont fait le choix d’introduire d’autres modes de formation qui ont été du ressort du centre de l’Association Professionnelle des Banques. Chaque établissement bancaire a ainsi inscrit ses salariés à des cours de formation bancaire, aussi bien d’ordre général que spécialisé, comme les cours de l’ITB (Institut Technique des Banques), même si les dirigeants des banques considèrent que ces formations sont bénéfiques mais demeurent trop théoriques et inadaptées au contexte tunisien des affaires.
La force de travail dans les banques Tunisiennes et Allemandes
Il existe au niveau des banques tunisiennes un mouvement perpétuel de changement dans la complexité des opérations bancaires, mais une continuité dans les rapports professionnels entre la force de travail et les employeurs, sans atteindre d’état stable, à l’image de ce qu’indique Elisabeth Brun Hurtado, pour le cas des banques françaises, lorsqu’elle incite à voir l’organisation non comme une forme établie, cohérente et rationnelle, mais comme une trajectoire, un mouvement, jamais achevé et toujours un peu chaotique, vers une rationalisation toujours problématique.
Elle se réfère en cela à l’activité des banques, devenue progressivement plus commerciales et plus complexes au cours des années 80 et souligne « l’intérêt dans ce cadre là de disposer d’une mémoire collective permettant d’avoir une certaine traçabilité des événements ». C’est en quelque sorte comme si l’on recollait les morceaux pour obtenir une continuité qui permettrait de mieux s’armer pour le futur qui est, et risque d’être, très imprévisible. Ainsi, sur une même trajectoire il existerait le passé et le présent de l’entreprise. En effet, d’après Elisabeth Brun Hurtado « l’entreprise, et les salariés qui y travaillent, doivent ainsi s’adapter à des changements constants, devenus ordinaires, mais toutefois peu prévisibles…Les mouvements de l’organisation et du changement deviennent fréquents pour s’adapter aux contraintes marchandes changeantes ». Ces problématiques ne sont pas propres aux banques françaises mais touchent aussi les banques tunisiennes dans la mesure où la Tunisie s’ouvre de plus en plus à l’extérieur. Elle a même procédé avant les autres pays du Maghreb à la signature d’un accord d’association avec l’Europe en juillet 1995. Cet accord vise une intégration graduelle de la Tunisie dans la course à la libéralisation internationale des échanges. Dans ce cadre, nous pouvons nous poser la question de savoir à l’image d’Elisabeth Brun Hurtado et au sens de Françoise Piotet « jusqu’où dans la banque, le métier dont il est question aujourd’hui est un moyen subtil de hiérarchisation des emplois et de segmentation du marché du travail qui tend à exclure de son accès tout ceux qui pour des raisons diverses, ne possèdent pas ou plus, les critères exigés ». Cette question est importante car elle introduit la question des générations et la mise à l’écart des seniors au profit des jeunes nouvelles recrues au motif d’une adaptation ou d’une obsolescence de leurs connaissances.
Cela est de plus en plus palpable au niveau des banques publiques tunisiennes qui disposent pourtant d’une force de travail relativement importante par rapport aux banques privées locales. En effet, nous pouvons clairement envisager alors à l’image de plusieurs auteurs que la génération du baby boom qui fait valoir ses droits à la retraite aura du mal à être remplacée, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes aux entreprises. De plus, en Tunisie la loi de 2001, introduit le principe d’universalité, qui prévoit une généralisation du métier aux différents établissements financiers et bancaires. Cette loi rend encore plus ardue la concurrence commerciale sur le terrain puisque toutes les banques ont désormais la possibilité d’effectuer les différentes opérations et ce dans le cadre de la règle des trois D (Décloisonnement, Désintermédiation et Déréglementation). C’est-à-dire qu’à l’image du secteur des banques françaises la déréglementation, le décloisonnement et la désintermédiation sont progressivement élargis à toutes les banques tunisiennes pour permettre une concurrence. Toutefois, pour le cas tunisien ces changements qui sont dictés par les bailleurs de fonds internationaux et les pouvoirs publics ouvrent la voie à une recherche par les diverses banques d’une rentabilité accrue dont peut bénéficier in fine le client en termes de choix de banque et de taux.
Ainsi, les banques dites commerciales sont concurrencées par les banques de développement et d’affaires qui jusqu’à très récemment n’y étaient pas autorisées et qui recrutent actuellement, en vue de créer à leur tour un réseau d’agences commerciales. Aujourd’hui c’est le commercial qui prend le dessus, les jeunes fraîchement diplômés ayant plus de bagou que les seniors. Cependant, même au sein des jeunes faisant partie intégrante de la force de travail, une préférence est donnée à ceux issus d’autres banques de la place et justifiant d’une expérience professionnelle spécialisée. De même, les banques commerciales ou de dépôt pourront à leur tour s’initier au métier de ces banques même si la tâche est plus ardue dans la mesure où il s’agit d’un métier plus complexe qui passe rarement par un recrutement direct et externe mais beaucoup plus par une formation de cadres déjà intégrés et ayant un profil en rapport .
La population active employée au sein des banques maghrébines et étrangères
Les banques tunisiennes emploient environ un effectif de 17.048 personnes soit 0,5 % de la population active qui compte d’après le dernier recensement national de 2004 un effectif de 3.329.000 sur une population totale de 10.043.000 personnes. Alors que pour le secteur bancaire allemand, et selon l’Association of German Banks, l’effectif est d’environ 700.000 personnes représentant 1,8% de la population active, occupé dans 2.400 banques, dont 400 de petites tailles. Le secteur accapare donc un effectif plus important que celui des banques tunisiennes, avec une représentation bancaire plus dense. Aussi, il devient important de dresser un état des lieux de la population active au sein des banques, aussi bien maghrébines qu’étrangères, pour pouvoir apprécier le poids de cette population active, tout d’abord par rapport à la population active globale, mais également plus généralement, au sein du secteur des services dans lequel s’inscrit cette activité. Nous pourrons ainsi situer la Tunisie et plus spécialement la population active bancaire tunisienne dans le paysage régional maghrébin et européen (allemand et français) aussi bien au niveau du secteur particulier des services, que de celui plus particulier des banques.
Il deviendra alors intéressant d’introduire dans un deuxième chapitre les différents types de formation et de transmission des connaissances, ainsi que les moyens et modalités mises en place pour former le personnel bancaire tunisien. Pour élucider et mettre en évidence ces éléments nous nous concentrerons lors de nos développements sur le cas particulier de la « BMTP » où nous avons mené les entretiens avec les salariés jeunes et seniors et pratiqué une observation directe et participante sur le terrain.
Historique des banques tunisiennes
Dès l’indépendance, plusieurs actions ont démontré la ferme volonté de la Tunisie de recouvrer sa souveraineté, mais cela ne pouvait se faire sans agir sur sa monnaie, les premières années post coloniales ont comporté plusieurs décisions. En effet, le dinar tunisien a été émis le 18 octobre avec l’équivalent or de 2,11 grammes et le 19 septembre 1958 la Banque Centrale de Tunisie a été créée. Par ailleurs, le détachement du dinar de la zone franc a pour sa part été réalisé en décembre 1958, alors que la Tunisie avait déjà effectué son adhésion au Fonds Monétaire International (FMI) en avril 1958.
Aussi, un premier noyau de banques nationales a été formé à travers la création de la Société Tunisienne de Banques (STB) le 18 avril 1957 qui a été chargée de financer tous les secteurs dont notamment l’habitat et les petites et moyennes entreprises, de la Banque Nationale Agricole (BNA) le 1er juin 1959 pour financer le secteur agricole et la société nationale d’Investissement (SNI) le 18 avril 1959 spécialisée dans le financement des investissements. En effet, à cette époque l’agriculture était financée par l’ancien système de crédit agricole constitué par la Caisse Mutuelle de Crédit Agricole, la Caisse Foncière et les Sociétés Tunisiennes de Prévoyance et adapté aux structures du Protectorat.
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Table des matières
Introduction
Chapitre1 : La force de travail dans les banques Tunisiennes et Allemandes
1.1 La population active employée au sein des banques maghrébines et étrangères
1.1.1 Historique des banques tunisiennes
1.1.2 Description globale de l’emploi, et de la population bancaire en Tunisie
1.1.3 Présentation des banques allemandes
1.2 Evolution de l’effectif de la population bancaire tunisienne (1971-2007)
1.2.1 Structure de la population bancaire par catégorie socioprofessionnelle
1.2.2 Structure de la population bancaire par catégorie d’âge et par genre
1.3 Contexte et organisation du secteur bancaire allemand
1.3.1 Présentation du secteur bancaire allemand
1.3.2 Répartition bancaire par type d’objet
1.3.3 Une segmentation bancaire par type d’activité
1.3.4 Particularité des associations de banque
1.3.5 Avènement d’une modernisation du secteur bancaire qui conserve le principe des trois piliers
1.4 Particularités des secteurs bancaires : tunisien et allemand
1.4.1 Une culture de branche proche de celle de la fonction publique
1.4.2 Des relations interprofessionnelles complexes
1.5 L’emploi des jeunes et l’intérêt porté sur les rapports professionnels et intergénérationnels
1.5.1 L’impulsion des autorités locales et les premières mesures de départs anticipés dans le secteur bancaire tunisien
1.5.2 L’intérêt inhérent à une transmission des connaissances entre les générations dans le cadre du secteur bancaire tunisien
1.5.3 La gestion des âges au sein de la banque publique tunisienne
1.6 Une intégration croissante de jeunes diplômés dans les banques tunisiennes et allemandes
1.6.1 La gestion traditionnelle de l’emploi dans les banques allemandes et tunisiennes
1.6.2 Existence d’une division du travail et d’un recrutement qui favorise la promotion interne
1.6.3 Ouverture du marché interne à travers l’offre d’emploi des diplômés
1.7 Convergence inhérente à une homogénéisation des facteurs d’évolution des deux secteurs bancaires respectifs
1.7.1 Un Ticket d’entrée qui ne permet pas de piloter sa carrière
1.7.2 Un renouvellement des générations commandé par diverses contraintes
1.7.3 L’exigence d’une élévation du niveau de diplôme
1.7.4 Répercussion de l’élévation du niveau sur les recrutements et les rapports socioprofessionnels
1.8 Conclusion du chapitre
Chapitre 2 : Le système de formation bancaire en Tunisie et en Allemagne
2.1 Vers une clarification des concepts de formation, d’apprentissage et de formation continue
2.2 Historique et organisation de la formation des banques tunisiennes et allemandes
2.2.1 Historique de la formation des banques tunisiennes et allemandes
2.2.2 Organisation interne et régime des études du centre
2.3 Organisation des banques tunisiennes et allemandes
2.3.1 Adaptation des salariés des banques allemandes et tunisiennes à travers la formation professionnelle
2.3.2 Recrutement de diplômés de l’Université Tunisienne
2.4 Les pratiques de formation et de transmission des connaissances
2.4.1 Anciennes caractéristiques générales de la formation
2.4.2 Les nouvelles caractéristiques générales de la transmission des connaissances
2.4.3 Une prise de conscience progressive
2.4.4 Les nouveaux modes de formation ne sont pas exclusifs des anciens
2.5 La formation professionnelle dans le secteur bancaire tunisien
2.5.1 La transmission intergénérationnelle des connaissances
2.5.2 La conception et la mise en œuvre d’une formation par métier
2.5.3 Spécificité des systèmes de formation interne des banques allemandes et tunisiennes
2.6 Diagnostic et évaluation empirique du système de formation de la banque publique tunisienne
2.6.1 Un écart entre les formations programmées et leurs déclinaisons sur le terrain
2.6.2 La formation diplômante : Dernières évolutions
2.6.3 Des retombées qui imposent une concurrence entre établissements et salariés
2.7 Obsolescence des connaissances des seniors en rapport avec la politique de formation interne
2.7.1 La domination et la peur comme système de management
2.7.2 Regain de taylorisme et nouvelle régulation imposée
2.7.3 Disparition progressive de l’identité professionnelle et affaiblissement des anciennes régulations
2.7.4 La remise en cause des mécanismes de reconnaissance au travail
2.8 Une nouvelle expérience identitaire avec remise en question des sociabilités acquises
2.8.1 Nouvelles considérations humaines et trajectoires professionnelles
2.8.2 L’avènement de changements imposés se répercutant sur le cognitif
2.9 La force du pouvoir hiérarchique limite le transfert de savoirs
2.9.1 Une transmission intergénérationnelle définie par la hiérarchie
2.9.2 Un management archaïque qui entrave le transfert des connaissances
2.10 L’ancrage du « modèle réglementaire » : nouvelle valeur culturelle en interne
2.10.1 Des règles contraignantes qui compliquent la transmission intergénérationnelle des connaissances
2.10.2 Volonté apparente de casser les modèles communautaires et collectifs
2.11 Conclusion du chapitre
Chapitre 3 : Etude de la transmission intergénérationnelle des connaissances
3.1 Recrutement, intégration, et progression de carrière
3.1.1 Affectation et formation en interne (Formation non diplômante)
3.1.2 Inscription aux formations diplômantes prévues par la convention collective des banques
3.1.3 Les formations non diplômantes et/ou « informatives » (séminaires internes, etc…)
3.2 La pratique courante de la tournée des différents services de la banque
3.2.1 Place accordée à la pratique de la formation sur le tas
3.2.2 Une formation au poste de travail dépendante du test de recrutement
3.3 Le profil des animateurs varie selon le type de formation
3.3.1 Caractéristiques démographiques, qualité des formateurs, durée et type de formation
3.3.2 Evaluation des points forts et des points faibles du système de formation
3.4 Une organisation des services internes assez hétérogène et/ou en rapport avec l’importance de la structure
3.4.1 Un bouleversement psychologique inhérent à la globalisation des économies
3.4.2 Mise en exergue d’un déséquilibre des pouvoirs au profit d’une domination patronale
3.5 Des attributions jugées souvent plus complexes
3.5.1 Des attributions à l’avantage des supérieurs hiérarchiques
3.5.2 Un sentiment fort de frustration et de fragilité
3.5.3 Description du type d’échange entre les effectifs en rapport avec la formation
3.6 Nomination et affectation du personnel selon des normes aléatoires
3.6.1 Arbitrage pour l’affectation à un poste d’après les pré-requis et les caractéristiques démographiques
3.6.2 Le recrutement et l’affectation des effectifs répondent t-ils à des critères objectifs ?
3.6.3 Existence de facteurs qui favorisent une affectation plutôt qu’une autre
3.6.4 Recensement des données sociodémographiques de l’effectif
3.7 Niveau et formation des effectifs en rapport avec l’âge et le genre (plafond de verre)
3.7.1 La formation professionnelle, et l’apprentissage des effectifs
3.7.2 Les rapports qu’entretiennent les jeunes effectifs avec le système de formation après la titularisation
3.7.3 Quid par rapport à l’expérience professionnelle et l’apprentissage
3.8 Les avantages et les inconvénients des formations diplômantes
3.8.1 Une appréhension négative par rapport aux formations diplômantes qui tient compte de l’effet génération
3.8.2 Une priorité absolue pour la « nécessité de service » face à la formation professionnelle
3.8.3 La notion d’apprentissage et la formation sur le tas
3.9 La perception par les différentes générations de cette phase d’apprentissage
3.9.1 Une facilité d’apprentissage du fait de l’effet générationnel, et un rôle multi activités dévolu aux seniors
3.9.2 Diversité des facteurs intervenant dans ce processus d’apprentissage
3.10 Les sentiments des jeunes et des seniors dans ce processus d’apprentissage
3.10.1 Un système d’apprentissage autrefois paternaliste
3.10.2 Des perspectives d’avenir floues dans un secteur d’activité protégé
3.11 Conditions de travail et effet de génération : compatibilité ou conflit ?
3.11.1 Des effectifs qui travaillent en situation de tension, concurrence, et stress
3.11.2 Existence de disparités au niveau des conditions de travail
3.12 Réussite ou échec de la transmission des connaissances : quel bilan ?
3.12.1 Appréciation du transfert intergénérationnel prodigué par les seniors
3.12.2 Généralisation du self made ou du phénomène des « autodidactes »
3.13 L’emploi bancaire, un métier sous l’emprise bureaucratique
3.13.1 Une mobilité et des projections d’avenir limitées
3.13.2 Un regard rétrospectif sur la carrière, la formation et le choix de l’emploi
3.14 Evaluation de la formation entre les banques Allemandes et Tunisiennes
3.14.1 L’avènement d’une nouvelle régulation entre marché interne et système de formation continue
3.14.2 Modification des stratégies de formation et de recrutement des banques allemandes et tunisiennes
3.14.3 L’adaptation aux facteurs de changement cristallise des différences
Conclusion